Chapitre 4 (13) : Where are they ?
Un message est le premier truc que je vois. Écrit dans une police presque trop simpliste, blanche sur fond noir.
« Ce message est destiné à Thibault Laangbroëk. »
Je fronce les sourcils, mais le texte s'efface. Remplacé par une image que je connais bien.
Et pour cause. C'est celle de mon salon.
Mon salon, plongé dans le noir. Ou presque : Un peu de lumière semble venir de derrière la caméra. Si j'en crois l'angle, c'est celle émise par la télévision, tamisée et pourtant suffisamment forte pour éclairer les deux personnes serrées l'une contre l'autre sur le canapé, leurs cheveux roux et bouclés s'entremêlant en une seule touffe.
Ma mère, qui fixe la télévision, les traits tirés. Et Florian, mon petit frère, blotti contre elle, des larmes plein les yeux et les joues creusées.
Ils ont tous les deux des cernes. Une pile de mouchoirs les entoure, trop pour que je puisse simplement me dire qu'ils regardent un de ces K-Drama que ma mère aime tellement. Ma mère, qui s'est considérablement amaigrie, les yeux fixés sur l'écran et les mains tremblantes, alors que de temps à autres, un reniflement que j'entends à peine secoue ses épaules.
Et à côté d'elle, Florian, franchement en train de pleurer. Les mains serrées sur la veste de maman, qui lui caresse tout doucement les cheveux, les lèvres remuant sur des mots rassurants que je ne comprends pas mais qui semblent si peu sincères dans la bouche de ma si souriante maman. Des mots qui de toute façon ne semblent pas aider Florian le moins du monde.
Un sanglot plus fort que les autres secoue les épaules de mon frère, et il enfouit la tête dans la poitrine de maman, l'air incapable de regarder ce qu'il se passe à la télévision. Et de son côté, ma mère serre les dents, avant de prononcer quelques mots à voix basse qui s'impriment pourtant si fort dans mon cerveau.
« Oh, Thibault... Pourquoi toi ? Pourquoi mon bébé ? »
La vidéo se coupe aussitôt.
Je suis devant un écran noir, les yeux brouillés par mes larmes.
Maman. Florian. J'étais tellement préoccupé par ma propre survie que pas un seul instant, je me suis demandé comment ils vivaient ma disparition, ma présence dans une Tuerie ou le Monokuma veut ma mort. Où j'ai failli mourir plusieurs fois, mais ils ne peuvent pas le savoir. Si ?
Non, c'est impossible. Comment ils sauraient ?
Comment ils sauraient ?
Mais ce n'est pas le plus important. Je sais pas pourquoi Monokuma a choisi de me montrer ça, mais... Mais ils sont chez moi. Dans mon salon. En train de pleurer parce que j'ai disparu et que j'ai sans doute trop peu de chances de survivre, mais eux sont en sécurité. Ma mère. Mon petit frère. Personne ne les a capturés pour me faire chanter. Monokuma, avec sa vidéo, me signale juste, d'une certaine manière, qu'ils sont en sécurité.
Pour le moment.
Ibrahim, à côté de moi, est pâle comme la mort. Mais cette impression se dissipe vite. Il se contente de reposer sa tablette après un soupir, avant de faire ce qui me semble être un exercice de respiration. Et c'est une Sachiko curieuse et agitée de tics que je ne lui comprends pas qui se penche vers moi.
« T'as eu qui, sur ta vidéo, qu'on en finisse ? »
Je grimace. Est-ce que je devrais vraiment lui dire ? C'est un potentiel mobile, on parle de Monokuma, là. Il y a forcément un but derrière ça. Et je me demande toujours comment ils ont réussi à filmer maman et Florian dans leur intimité sans même qu'ils s'en rendent compte. Quoique... On a des caméras de surveillance à la maison.
Bah. De toute façon, il vaut mieux que je fasse confiance à au moins quelqu'un, et si je sais qu'il y a bien une personne qui ne retournera pas ce mobile contre moi, c'est bien Sachiko Kimura.
« Ma mère et mon frère, je chuchote. Dans notre salon, en train de regarder la télé et de pleurer sur mon sort. Aucune menace, aucun message, rien.
— Des gens extérieurs ? Sans danger ? Oh... »
Elle fait la moue, l'air un peu surprise. Je hausse un sourcil.
« T'as eu qui, toi ? Ton petit frère ? »
Je la vois pouffer. Elle jette un coup d'œil à Ibrahim avant de se pencher vers moi.
« T'as cru, toi. Leo est au Gotoland depuis 2018, il est littéralement intouchable. L'Impératrice, même si elle est la meilleure pirate du monde, ne peut pas l'espionner et en faire une menace crédible. Par contre, des gens lambda comme ta famille... »
Ouais, donc visiblement, on est d'accord sur un point, les images sont piratées de nos environnements, ou filmées de loin dans certains cas, je ne sais pas. En tout cas pour moi, vu qu'elle ne m'a pas répondu et ne compte visiblement pas le faire.
Interrogateur, je me tourne vers Ibrahim, qui semble saisir le sens de ma question.
« J'ai vu Reina. En train de faire un discours sur l'estrade d'Hope's Peak. C'est... Assez ironique, quelque part, de me dire que je n'ai pas d'autre proches, mais...
— Au moins elle est pas menacée ou quoi, intervient Sachiko. C'est la protagoniste d'une des Tueries les plus médiatisées, reconnue pour sa lutte contre le Désespoir. Si les Monokuma voulaient la tuer, ils l'auraient fait avant. Comme Monogatari. »
Ibrahim se prend le menton entre les mains.
« C'est vrai. Mais pourquoi... Pourquoi maintenant... »
Il ne finit pas sa phrase. J'en profite pour jeter un œil à tout le monde aux alentours.
Visiblement, la grande majorité des gens se demandent surtout ce qu'il se passe.
Seo-jun, les dents crispées, a les yeux vrillés sur la table. Je m'attendrais à le voir s'énerver, mais il ne dit rien. Il se contente de marmonner dans sa barbe, de temps à autres, l'air en proie à une profonde réflexion.
Alannah se ronge les ongles, mais au-delà de ça, rien dans son comportement n'indique la moindre détresse. Je vois une larme couler le long de sa joue, mais rien d'autre. La vidéo semble plus l'avoir attristée qu'autre chose.
Nako, elle, a poussé un profond soupir de soulagement. Sa tablette est serrée contre elle, et je vois u sourire se dessiner derrière les traces de ses larmes.
« ... Elle est en sécurité... Elle est à Hope's Peak, pas dans une de ces maudites Tueries... Les esprits merci...
— Tu parles de Willy ? Lance Seo-jun. Ouais, c'est rassurant, un peu. Moi, j'ai vu mes sœurs. Elles ont l'air relativement hors de danger, à part le fait qu'on les a filmées de loin, mais à part ça... »
Il jette un coup d'œil à Monokuma, qui hausse les épaules. Visiblement, il n'a pas l'air de vouloir en rajouter, pour l'instant.
Moanaura, de son côté, grimace.
« Comment est-ce qu'ils ont pu seulement obtenir ces images... Je veux dire... Aucun des miens n'aurait voulu aller se foutre sous une foutue caméra, en train de, je sais pas, faire comme d'habitude... Voguer, rire, chanter, s'amuser... Comme si tout allait bien... Comme s'ils n'étaient pas filmés par des putains de Monokuma... »
Elle serre les dents.
« Comment est-ce qu'ils ont seulement appris... Leur existence...
— On va mettre les choses au clair direct, lance Sachiko joyeusement. Qui a eu des personnes extérieures montrées comme en sécurité ? »
Quasiment tout le monde lève la main. Sauf, notamment, Ansgar, qui a les traits tirés.
« La sécurité est hélas relative. Contrairement à la plupart d'entre vous, ma vidéo est issue d'une situation où il est bien plus... Difficile d'en tirer des images.
— Sauf que je vais plutôt loin pour vous donner des nouvelles, ricane Monokuma depuis son coin. Vous devriez saluer mes efforts au lieu de vous plaindre ! »
Ansgar se tourne vers lui d'un geste lent. Et son regard exprime bien plus qu'un simple agacement à l'égard de Monokuma. Pour la première fois, j'y vois une étincelle de peur. Une peur non pas pour elle, mais pour quelqu'un d'autre.
Pour la personne de sa vidéo, peut-être ?
Ou pour les images qu'elle y a vu ?
Qu'est-ce qu'Ansgar Kasjasdottir chercherait à protéger, à part un pays qui représente l'espoir de tout un monde ?
En tout cas, elle ne dit plus rien. C'est Moanaura qui se lève, avant de brandir le poing vers Monokuma, furieuse.
« Dis-nous plutôt où tu as trouvé ces images, espèce de salopard ! Parce que tu les as pas obtenues en partant de rien, pas vrai ? Comment tu les as trouvés, pourquoi t'as fait ça, c'est quoi ton objectif de taré, putain !
— Allons, allons, ricane Monokuma, vous ne pouvez donc pas croire à un peu de ma sollicitude ici ? Pourquoi devrais-je avoir un mobile ultérieur ?
— ... C'est vrai que ça fait pas sens, chuchote Alannah. Y'a aucune menace ou quoi, juste... Des images... »
Mais Moanaura ne semble pas s'en préoccuper. Elle avance encore d'un pas, main sur son sabre.
« Te fous pas de moi ! La sollicitude, c'est clairement pas dans ton vocabulaire, espèce de fils de pute ! Alors maintenant tu vas me répondre, avant que je ne te tranche en deux ! »
Ansgar se penche en avant, prête à la retenir de dégainer son sabre. Mais ce n'est pas elle qui y arrive en premier.
C'est Emerens, qui vient de lui saisir le poignet, sans même la regarder.
Sans même la regarder, pourtant le message qu'il transmet est plutôt clair. L'avertissement est plutôt évident, aussi.
Une Moanaura surprise le regarde alors qu'il pose doucement sa tablette sur la table, muet, avant de se redresser. Son visage ne montre absolument rien, pas la moindre trace d'émotion. Même ses yeux ne transmettent rien du tout. Même pas le vide.
C'est d'un pas léger que je le vois se diriger vers la porte, toujours sans expression, sous les regards surpris des autres, l'air de simplement vouloir se contenter de partir.
Sachiko se crispe quand il passe à côté d'elle. Je vois ses yeux s'écarquiller.
Pourquoi une telle réaction ? Il ne dégage pas la moindre hostilité, pourtant. Et ce n'est pas sa haine habituelle envers lui non plus. D'ailleurs, elle n'hésite pas à se défendre, en temps normal. Surtout que là, il ne la regarde même pas, il n'a même pas l'air agressif, il se contente de sortir de la pièce. Alors pourquoi une telle terreur sur son visage... ?
Je pouvais me poser la question. Avant que je ne m'en rende compte.
Il est bien trop calme.
Et je n'ai que le temps de le réaliser. Une simple fraction de seconde. Avant qu'une main ne se referme, plus vive qu'un serpent, droit sur le cou de Monokuma.
Le bruit que fait le crâne de l'Artiste contre le mur de verre est à la fois aussi satisfaisant que terrifiant. Une fissure se forme, une fissure sur laquelle goutte quelques traces de sang, vermillon, métallique, plus rouge encore que l'œil de Monokuma, qui s'est écarquillé sous le choc. Mais ce n'est pas le sang qui me terrifie le plus. C'est l'expression du tortionnaire désormais coincé contre le mur, le cou pris entre les doigts d'Emerens, qui se resserrent comme des griffes autour de sa trachée.
Personne n'arrive à se lever pour le stopper.
L'attitude d'Emerens serait nonchalante, si on oubliait qu'il plaque en ce moment même l'homme qui a tout droit de vie ou de mort sur nous au mur, l'air prêt à le tuer. Il n'y a pas la moindre crispation dans son corps entier, à part sa main. Pourtant, nous sommes tous immobiles, incapables de bouger, incapables de même comprendre ce à quoi on assiste.
Ses lèvres s'entrouvrent doucement sous le regard éberlué de l'assistance.
« Où est-elle. »
...
Il a suffi de quelques mots. Quelques mots pour que l'ambiance, de stupéfaite, passe à carrément glaciale. Cette fois, ce n'est pas la surprise qui me maintient sur place. C'est le froid, le froid indicible d'une terreur absolue.
La température de la pièce a chuté d'au moins dix degrés. J'en suis persuadé. Parce que comment expliquer autrement les frissons de tout le monde, d'Alannah, de Sachiko, d'Ansgar, de même l'Artiste, qui se tord entre les doigts de son geôlier alors que ce dernier le soulève du sol ? Comment expliquer que même des gens aussi stoïques qu'Ibrahim et Ansgar resserrent leurs bras autour de leur poitrine, alors que les dents d'Ibrahim se mettent à claquer, et que le regard d'Ansgar se met à trembler ?
Comment expliquer ?
La voix d'Emerens est encore plus glaciale que la pièce. Je croirais en voir chuter des icebergs. Ses mots, prononcés d'un ton détaché, soigneusement séparés les uns des autres, charrient un froid arctique. Et pas le moindre indice d'une quelconque colère dans le reste de son comportement.
Il reste juste horriblement neutre. Et froid. Un bloc de glace qui ne m'a jamais paru aussi mortel.
Monokuma tousse entre ses doigts. Une toux rauque, mais encore perceptible. Visiblement, il respire encore à peu près correctement. Mais le sang continue de couler, sur le mur, le long de son crâne, dans ses cheveux.
Je ne peux m'empêcher de penser à cette petite phrase prononcée, fort ironiquement, par Emerens lui-même.
Les dieux ne saignent pas.
Or, le sang de Monokuma, notre dieu à tous, tombe en pluie sur le sol.
En cet instant, il ne m'a jamais paru aussi humain.
Monokuma se remet à tousser. D'entre sa gorge s'échappent quelques mots, dit d'une voix rauque, mais encore si moqueuse.
« Tu aimerais... Bien... le savoir, pas vrai... Joli cœur ? »
Les doigts d'Emerens se resserrent encore.
« Épargne moi tes moqueries. Je veux une réponse. Maintenant. »
De nouveau, un courant d'air glacial. Je ne peux m'empêcher de frissonner, et Ibrahim me serre contre lui, seul rempart dans le froid arctique. Lui aussi, il tremble. Lui aussi, il fixe Emerens avec dans le regard une indicible terreur. Emerens qui n'a pas lâché Monokuma, qui continue à le regarder, droit dans les yeux, inexpressif alors que sa victime tousse de plus en plus.
Monokuma n'est même plus capable de parler.
Ansgar, la seule à conserver un minimum de calme, finit par se rapprocher de lui, canne en main.
« Emerens, lâche-le. Tu n'obtiendras rien de lui si ce n'est ta propre mort si tu continues... »
Il jette un coup d'œil en arrière. Et dans son œil si vide d'émotions, l'espace d'une seconde, je vois passer toute la haine du continent.
Ansgar se recule.
Monokuma, de son côté, rigole. Sa respiration est de plus en plus sifflante.
« Oui, écoute... Ta cheffe adorée, ta... précieuse dictatrice... Ce sera... Tellement... Plus... Productif... »
Le regard d'Emerens revient sur lui. Et je vois ses doigts, déjà complètement griffus, se contracter encore plus.
La respiration de l'Artiste, de sifflante, passe à laborieuse.
Et pour la première fois, je la vois, dans son regard. Sur son visage qui ne sourit plus. La peur. L'ancestrale peur de mourir que tout humain possède.
Monokuma, celui qui se prétendait être notre dieu, n'a jamais été si proche de son destin d'humain.
Un long moment encore, que je ne saurais quantifier, nous restons comme ça, figés dans la glace, à fixer la confrontation de regards entre Emerens et Monokuma, qui ne semble pas vouloir s'arrêter. Confrontation qu'un moment, je crains voir mener à la mort d'un des deux concernés.
Leurs menaces en fin de prologue n'ont jamais été si tangibles.
Et puis, une ombre traverse le regard d'Emerens. Et ses doigts se desserrent enfin, alors que Monokuma tombe au sol dans un bruit de chute presque incongru dans la situation. Pourquoi n'avons-nous pas entendu un bruit de glace brisée ?
Monokuma se redresse aussitôt. Il a une énorme marque de doigts sur la nuque, et ses yeux étincellent d'une colère rentrée. Mais il lui faut un peu de temps pour reprendre son souffle, pour fixer Emerens qui le fixe toujours avec une profonde répulsion, une répulsion figée dans la glace.
« Ne crois pas que tu as gagné pour cette fois, petit génie, il crache, depuis le sol. Je reste Monokuma. Je trouverai un moyen de te le faire payer.
— Crois-tu ? Lance un Emerens toujours glacial. Ne me fais pas rire. Tout le monde dans cette pièce a compris que tu en étais incapable. »
Le visage de l'Artiste se tord d'une haine profonde.
« Le moment où... Le moment où elle me laissera une ouverture, tu es mort, joli cœur. Note le bien. »
Sa menace semble partir dans l'air. Malgré tout le poids que je sens, d'un seul coup, sur mes épaules, Emerens lui accorde à peu près autant d'attention que si jamais Monokuma venait de le menacer de le faire pisser sur une méduse.
C'est à peine s'il le regarde se traîner au sol, loin de lui, une main serrée sur la gorge alors qu'il reprend doucement son souffle, rendu rauque par l'étranglement. Un manque d'intérêt total, mêlé à un immense dégoût que je n'aurai jamais cru voir un jour sur le visage d'Emerens.
Qui se tourne vers nous, le visage figé dans la glace.
« Et vous, il annonce en balayant du regard chacun d'entre nous, vous avez bien intérêt à retenir ce que je vais vous dire. D'une manière ou d'une autre, peu importe ce que j'ai à faire, je sortirai. Le plus tôt possible. Et vous feriez mieux de prendre ça en compte rapidement. »
Le silence accueille ses paroles.
Mais de toute façon, il ne nous entendrait pas.
Il est déjà sorti.
La porte claquantderrière lui comme seule trace de son passage.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro