
Chapitre 3 (4) : Lucky guesses
Sachiko est toujours dans la salle, l'air de sévèrement s'ennuyer, et moi on va pas se mentir, ça me donne des idées. Des idées qui trottent dans ma tête depuis qu'elle a prédit l'agression d'Ibrahim. Depuis son comportement au premier procès.
Je me demande si je pourrai établir quelle influence sa présence a dans les lois de probabilité. Ou si juste elle les manipule à sa guise grâce à un talent en maths qui lui permet d'avoir une chance permanente.
Qui sait, son assurance a peut-être un lien.
« Oh, Sachiko ! Tu peux venir voir cinq minutes ? »
Cette dernière relève la tête, surprise. Pas pour très longtemps, cependant. Me voyant la héler, un large sourire se dessine sur ses lèvres, et elle trotte vers moi avec une expression mutine.
« Oh bah ça ! Tu voulais quelque chose ?
— Ouais. Te poser quelques questions. »
Elle rigole, avant de se poster juste devant moi.
« Je te préviens, si c'est pour trouver comme séduire tes crushs, je suis pas la bonne personne à qui s'adresser ! »
Je lève les yeux au ciel.
« Mais non, c'est pas ça, putain, et puis t'es bien la dernière à qui je demanderais des conseils. C'est au sujet de ton titre. On peut en parler un peu, de ton titre ? Comment tu l'as eu ? »
J'ai beau être extra salé, ça a pas l'air de la faire fuir plus que ça. Putain, entre elle et Emerens, y'en a qui ont la peau épaisse... Et elle se permet même de rigoler avant de tirer une chaise et de s'asseoir juste devant moi toujours avec ce même sourire.
« Tu connais Despair Vacation, nan ?
— Vaguement, je grommelle. Liste d'Ultimes et de survivants, meurtres et organisateur. Pourquoi ? »
Elle sourit.
« Demande à Minoru Adashi. Le premier Ultime Chanceux. T'auras ta réponse. »
... Mais c'est qu'elle fait chier ! Je lui pose une question et elle m'en repose une ? En plus, je lui dis que je ne sais rien de Minoru, juste son rôle dans la foutue Tuerie, nom de Dieu, je sais pas théoriser sans informations !
« A ton avis, sourit Sachiko, comment Hope's Peak teste les Chanceux ?
— C'est moi qui pose les questions, je grommelle, pas toi. Et réponds-moi, j'ai la flemme de deviner.
— T'es pas drôle. Il y a eu une loterie, elle répond, l'air très satisfaite. Dans tous les habitants de moins de vingt-cinq ans du Japon. Pour l'instant, les bonhommes ils pouvaient pas trop se permettre de l'étendre à l'entièreté de la pop mondiale, les anti-Monokuma refuseraient totalement de donner leurs propres registres...
— Et donc, t'as juste été... Tirée au sort ? »
Elle ricane. Bon dieu qu'elle m'énerve.
« Ah bah voilà quand tu veux ! »
Putain. Le but c'était pas de me faire théoriser sur ça ! Même si techniquement, le système de sélection même d'Hope's Peak mérite qu'on s'y intéresse, ne serait-ce que pour voir s'ils arrivent à détecter le Désespoir en avant-première.
Après tout est-ce le Désespoir qui fait de nous des génies, ou le génie qui entraîne le Désespoir ?
En attendant, en voilà bien une génie dont je m'intéresse sérieusement au talent. Parce qu'on va pas se mentir, ce n'est pas la loterie qui teste un numéro pareil... Sans mauvais jeux de mots.
« ... Tu vas pas me dire qu'il n'y a rien eu d'autre ? »
Le sourire de Sachiko se fait quelque peu méprisant. N'allez pas me dire qu'elle me considère si stupide ?
« Comment tu veux tester autrement un talent basé sur la chance, autrement que par la chance ? »
Je lève les yeux au ciel.
« La chance, c'est une chose. Choisir un nom au hasard parmi des milliers sur un seul essai et ne pas mener son expérience plus loin, ce n'est pas l'étude de la chance, c'est un essai probabiliste raté qui ne constitue même pas une étude correcte. Tu peux très bien être le Chanceux une fois avant de rester un être humain normal tout le reste de ta scolarité, et être exposé au Désespoir sans vraiment être un génie... »
Et franchement, venant de gens qui cherchent à étudier le Désespoir et mettre à l'écart les personnes susceptibles de le transmettre, c'est un très mauvais move, si je puis me permettre.
Même en considérant certains aspects de cette fameuse foutue théorie.
Sachiko lève les yeux au ciel. Elle sourit toujours, mais un moment, cette petite marque d'agacement la rend normale.
« M'est avis qu'ils ne resteraient pas dans la moyenne longtemps si j'en crois une certaine théorie écrite par un certain roux, n'est-ce pas petit croyant ? Et puis, le hasard est une chose que nul ne pense à prendre en compte, ce qui est bien dommage au vu du pouvoir de cette force...
— Ouais mais dans ce cas, je grommelle, on étudie le hasard avec des lois de probabilité, comme leur nom n'indique, nom d'un chien. On l'étudie justement pour qu'il ne soit plus le hasard. Quel intérêt il y a à placer sa confiance en une force aussi aléatoire alors qu'il existe bien des moyens de la réduire ? Un Ultime Joueur, un Ultime Parieur et un Ultime Mentaliste, sans parler du Mathématicien probabiliste, suffisent largement à cette étude du hasard... »
Elle se cale plus confortablement sur la chaise. Et je ne peux m'empêcher de penser que son sourire se fait de plus en plus froid.
C'est pas super agréable. Et puis, laissez à Emerens le monopole du bloc de glace, lui au moins il est beau en même t– oubliez immédiatement ce que j'ai dit. Tout de suite. Foutu cerveau.
« Tu es un homme de peu de foi, et c'est assez ironique pour quelqu'un qui se fait appeler l'Ultime Théoricien. À Hope's Peak, ils ont au moins le mérite de croire en cette force de hasard. La preuve.
— Si la preuve c'est toi, excuse-moi mais tu ne m'as pas spécialement convaincu.
— Parce que tu as besoin d'être convaincu ? Il faudrait ? »
Je lève les yeux au ciel. Ça va durer combien de temps comme ça ?
Je n'ai pas envie de m'enterrer dans une discussion stérile de ce type. Autant en finir vite, que ça prouve mon raisonnement ou pas.
Ah, tu veux que je sois convaincu, Sachiko Kimura ? Très bien, mais dans ce cas, fais tes preuves.
« Eh bien dans ce cas, si je peux mener un petit test, mademoiselle la chef de culte, dis-moi la date exacte de sortie de la Tuerie qui a commencé directement à Hope's Peak. »
Le coin de son œil droit frémit, un petit coup sec dans sa paupière, mais son sourire reste bien accroché sur son visage. À part ce petit spasme, elle n'a même pas réagi. Pas la moindre trace de surprise.
Pourtant, on ne peut pas dire que je lui aie facilité la tâche. Même si elle est de 2018 et a sans doute vu ou entendu parler de l'enlèvement d'Ultimes en plein milieu de cette fameuse soirée d'intégration, elle ne peut pas forcément deviner de quelle Tuerie je parle sans être certaine que j'avais Reina en tête. Et même à partir de là, la date de sortie officielle de la Tuerie de Reina a eu lieu un mois plus tard par rapport à sa vraie sortie. Parce que d'après les dossiers que j'ai pu consulter dans le cercle 6, elle a été évacuée discrètement au Gotoland après sa sortie et n'a revu le Japon qu'un mois plus tard.
Alors me sortir la vraie date, pour Sachiko, ça relève du miracle et d'une bonne dizaine de paramètre différents...
« 7 octobre 2018. Elle a été escamotée à Hotan avant d'annoncer sa sortie le 18 novembre. »
... Bon ben autant pour moi. Mais il est fort possible qu'elle ait eu accès aux infos. Moins t'as de choses à deviner, plus c'est facile, pas vrai, et ton petit sourire satisfait ne va pas me convaincre que tu te sers du hasard à ta guise.
Elle me fixe toujours avec cette froideur dans le regard. Mais bon, pas que je m'en préoccupe. Je suis là pour tester ses limites.
On va augmenter un peu la difficulté.
« Quand est-ce que j'ai obtenu mon Ultime ?
— Le 15 juillet 2018, pour avril 2019. Elle est venue te voir chez toi avec la lettre et une bonne dizaine d'avertissements, mais au vu des raisons, tu pouvais difficilement, refuser, pas vrai ? Encore aujourd'hui, tu ne sais pas qui c'est ni quel rôle elle a, mais si tu veux mon avis, tu vas vite l'apprendre... »
Je grimace. Mon obtention d'Ultime est restée secrète, même si je suppose qu'elle est dans les dossiers de l'établissement ; mais de là à avoir la date de visite de leur envoyée, et plus encore comment l'entretien s'est déroulé...
Après, elle l'a peut-être croisée, elle aussi. La fameuse adolescente porteuse de la lettre. Allez savoir.
« Tu connais cette fille ?
— Bien plus que tu ne peux l'imaginer, mais si tu veux des infos, va falloir les chercher, mon bonhomme. »
Elle sourit toujours. Visiblement, je n'en tirerai pas grand-chose de plus. C'est déjà suffisamment intéressant comme ça.
« J'étudiais quoi, à Saint-Cyr ?
— Les mathématiques et la finance, avec un bonus physique théorique. Un combo pour devenir soit trader soit physicien quantique, mais quand on dropout à la fin de la première année, dur dur de retomber sur ses pattes. »
... Hmmm, avouons-le, elle est puissante. Je doute fort qu'elle ait eu accès à mon historique scolaire et le seul autre ici à savoir ce que j'étudiais, c'était Emerens, puisqu'il était dans ma classe. Quoique, je n'ai aucune idée de sa célébrité. Elle a peut-être déduit de notre proximité et de ses propres sujets d'étude les miens.
Tout de même, ça demande beaucoup de chance, de tomber juste à partir de données vagues trois fois. Il y a quelque chose d'indéniable chez elle, dans son sourire qui vacille et sa posture nonchalante. Quelque chose qu'elle cache, peut-être, un autre talent, un talent digne d'être étudié...
« Est-ce que les gens ici ont des frères et sœurs ? »
Bon, ça, je ne pourrai pas vérifier, mais je connais la fratrie de certains, comme Ibrahim puisqu'il a été enlevé donc n'en sait je pense rien, Seo-jun, je viens d'apprendre qu'il a des sœurs, Emerens, je sais qu'il en a deux... Ansgar, aussi, avec la fameuse Teodora. Je crois qu'Alannah m'avait parlé d'une Niahm qui est probablement sa sœur aussi, mais à voir. Et puis, il y a moi, dans le lot. Ça fait beaucoup. Dont certains qu'elle ne doit pas connaître.
« Ansgar a une petite sœur de quatorze ans. Alannah, une sœur jumelle et un petit frère de quatre ans. Seo-jun a trois sœurs, deux plus âgées et une plus jeune. Nako a un petit frère, Ester a deux sœurs. L'autre connasse frisée, elle a plein de frères et sœurs qu'elle ne reconnaîtra jamais. Ibrahim en a aucune foutue idée. La pirate, elle a quatre frères et une sœur dont elle ne parle jamais. La blondasse a une grande sœur et une petite sœur. Et toi, elle finit, d'un ton presque robotique, t'as un petit frère, environ treize ans, encore plus roux que toi et déjà en train de préparer son avenir sur la toile. »
Eh bah autant que je peux en juger elle a eu raison. Y compris pour l'occupation actuelle de Florian, et ça c'est fort parce qu'aux dernières nouvelles, il n'a qu'un petit millier d'abonnées ou un truc du genre... Mais ça, je ne peux pas le vérifier moi-même à part en demandant aux autres, et les autres risquent de ne pas me répondre. Peu importe l'assurance qu'elle a mis dans sa réponse, ça reste trop vague, comme test. Je dois trouver quelque chose de décisif.
Tout à ma réflexion, je remarque à peine que son sourire a disparu.
« Une thèse socio-médicale a été écrite pour contrebalancer celle du Désespoir écrite par Fusae. Quel est le principal concept abordé par cette thèse, par qui et pourquoi est-ce que les Monokuma n'en ont jamais eu vent, ou s'en sont désintéressés ?
Ça, je sais qu'elle ne pourra pas savoir. Parce que Reina ne l'a pas dit. Ni Wen Xiang. Ni personne, d'ailleurs. Ça, je le tiens de deux de mes plus anciens amis. Qui ont travaillé, ensemble, à la conception de cette thèse. Thèse qui m'a, on va pas se mentir, largement inspiré pour ma propre théorie.
Que personne n'a jamais vu parce que j'ai appris la mort de l'un d'entre eux avant l'obtention de mon propre titre et que la deuxième a arrêté immédiatement toutes recherches.
Alors, pour que Sachiko sache ça...
« La dualité de l'Espoir et du Désespoir, qui présentait l'Espoir comme un concept vague par rapport au Désespoir et ses bases plus cliniques, mais propagé de la même façon par quelques personnes qui ont réussi à le trouver. Reliés l'un avec l'autre par la connaissance des deux. Une théorie basée sur les actes de Senri Kizoku, qui permettait un espoir d'opposer la fin du monde, mais jamais achevée parce que le médecin responsable s'est donné la mort dans des circonstances étranges et que la sociologue qui bossait avec a arrêté tous les frais juste après. Comme la thèse n'a jamais été finie, personne ne leur a accordé de crédit, mais un certain Thibault Laangbroëk en a repris les bases dans sa fameuse théorie de croissance exponentielle du génie. »
...
Bon.
Boooooon.
Cette fois c'est sûr. Il y a quelque chose.
Elle a quelque chose.
C'est exactement ça. La théorie de mes deux amis de collège, Gabriel et Amell, deux génies du même genre que moi et ce n'est pas vraiment un compliment, qui se sont intéressés de très près à ce qui avait motivé Senri après la sortie de Tuerie de Wen Xiang. Qui ont regardé de très près le Projet Renaissance, Wen Xiang, la théorie de Fusae, et ont consacré les trois dernières années à réfléchir à un concept aux bases solides qui pourrait peut-être entraîner la fin des Tueries.
Opposer l'Espoir au Désespoir, les lier par la connaissance. Dire que selon eux, savoir d'où venait le Désespoir était la seule chose à faire pour l'éviter. Que du savoir venait l'Espoir, et un génie était parfaitement en mesure de répandre cet Espoir par le savoir, si seulement.
C'était tous les deux bien plus des génies que moi.
On va pas se mentir, j'avais un énorme crush sur les deux, hein.
Sauf que la thèse a dû être interrompue. Parce que l'un d'entre eux est mort sur son lieu de travail. Gabriel, qui avait grillé les étapes de ses études et bossait déjà en tant que médecin urgentiste, retrouvé overdosé dans son bureau. On pense à un suicide. Après ça, Amell a brûlé toutes ses recherches, et jamais personne n'a entendu parler de la thèse, à part quelques rares membres de mon entourage et, sans doute, les Monokuma, à travers ma théorie qui reprenait beaucoup trop de leurs propres travaux.
Personne n'est censé savoir ça.
Pourtant, ce que je viens d'entendre ne laisse pas la moindre place à l'interprétation.
Allez savoir comment, mais cette femme qui se tient assise devant moi, le regard vide, l'air à la fois si étrange et pourtant pas plus anormale, pas plus inhumaine que ça, a deviné le contenu d'une thèse perdue à jamais écrite par deux personnes dont la moitié ne sont plus de ce monde.
Sachiko me fixe, quelques instants, de ces mêmes yeux vides. Laissant sa réponse flotter dans les airs à côté de ma stupéfaction. Avant de se lever de sa chaise et de se casser sans même un aurevoir, d'un pas précipité. Les poings serrés.
Je m'en indignerais bien mais je suis encore un peu sous le choc.
Qui es-tu, Sachiko Kimura ?
À mon tour, je me redresse.
« Sachiko, attends une minute, s'il te plaît– »
Pas de réponse. Même pas un regard dans ma direction.
La porte du lounge claque.
...
Putain de merde. J'ai laissé filer bêtement une occasion en or.
« ... Qu'est-ce qu'elle a, bon sang...
— Tu as très probablement réveillé de mauvais souvenirs. »
... Putain, mais qu'est-ce qu'ils ont tous avec les screamers ? Et surtout Ansgar, là, la personne la plus terrifiante Monokuma exclu de cette satanée cité. Iel va finir par me refiler une crise cardiaque et dans ce cas j'ai peur de qui irait la culpabilité du meurtre...
Quelle merde, bordel.
Essayant de me calmer, je lève les yeux au ciel.
« Ben voyons. Sachiko s'est déjà fait questionner à mort comme ça ? J'ai fait quoi encore comme connerie ? »
Le regard d'Ansgar se fait un peu plus dur.
« Je comprends ton désir d'en savoir plus. Je l'ai eu, moi aussi, comme toi. Mais Sachiko reste un être humain. Avec une histoire, des souvenirs et des émotions. »
Iel soupire, avant de m'appuyer sur le front du bout du doigt.
« J'aimerais que la prochaine fois que tu cherches à analyser un talent, tu prennes en compte le fait qu'il appartient à quelqu'un en dehors de ce talent. Et que dans le cas précis, ce quelqu'un possède très probablement un historique avec les gens qui ne voient d'elle que ses capacités. Tu comprends ce que je veux dire ? »
... Je comprends surtout que j'étais tellement emballé par mon petit test que j'ai oublié de faire attention à ses réponses.
Mais comment j'étais censé deviner qu'il y avait un problème ? Je ne suis pas cette espèce de grande Ancienne, je ne peux pas deviner les choses aussi facilement, et j'allais encore moins deviner qu'elle allait réagir comme ça. Ce n'est pas elle qui tirait toute fierté de son talent ?
...
Merde, à trop réfléchir, j'en oublie de gratter sous la surface.
Tu parles d'un Ultime Théoricien.
Et en attendant, maintenant qu'elle m'a pris en grippe, comment je fais, moi ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro