
Chapitre 3 (24) : Unexpected rule
Cette fois, nous sommes à dix.
Dix, devant un même corps, à fixer ce qu'il reste d'un ami avec des yeux plus ou moins vides.
Moi-même, je ne sais plus que penser.
Évidemment, à ce stade, le double meurtre va finir par devenir un classique. Mais en ne voyant que le cadavre d'Ester gîr non loin de cette ambiance de fous, j'avais espéré, un moment, échapper à ce terrible schéma.
Mais ce n'est jamais bon de trop espérer. L'Espoir, c'est surfait, ça n'a aucune base scientifique. C'est juste une chimère derrière laquelle tout le monde court pour échapper au vide.
Et cette fois, le vide nous a rattrapés.
Je balaie l'assemblée du regard. Ansgar, qui prend le pouls d'Houshang avec une neutralité que je sais être son seul masque devant l'horrible réalisation ; Seo-jun, qui est en train de se mordre les doigts avec une telle force que je crains de voir le sang couler ; Ade, qui fixe les yeux vides d'Houshang avec une expression presque horrifiée ; Alannah, qui s'est caché les yeux entre les mains et mâchonne son collier, secouée de spasmes ; Emerens, bras croisés, qui a la tête tournée vers le sol, son visage plus indéchiffrable que jamais.
Mais aussi Moanaura, qui tourne en rond en triturant la garde de son sabre ; Nako, qui regarde aux alentours avec une expression perdue, trop perdue dans ses pensées ; Ibrahim appuyé sur un genou, qui se maintient plus immobile qu'une statue ; et Sachiko, qu'il retient de toute la force de sa poigne, qui continue de sourire plus que jamais elle n'a jamais souri.
Ses mains pleines de sang et ses bottes rougies.
Il faut un peu de temps avant qu'Ansgar ne se relève du corps, balayant l'assemblée du regard.
« Bien. Nous sommes, cette fois, tous là.
— Comment ça, tous ? l'interrompt Nako ; Et Ester ? Où est Ester ? »
Ansgar pince les lèvres. C'est Emerens qui prend la parole à sa place.
« Morte. »
Nako retient une exclamation. Avant de serrer les poings sur sa jupe, les yeux fixés dans ceux, sans expression, d'Emerens. Qui d'ailleurs n'exprime toujours pas la moindre émotion. Si ce n'est un lueur non identifiable dans son œil mais certainement pas positive.
« Morte ?!? Intervient Moanaura. Alors, cette deuxième alarme qu'on a entendue, et le fait que vous ne soyez pas venus tout de suite...
— C'est ça, soupire Ansgar. Elle est en haut des escaliers, sous la surveillance du Fan, mais je pense que ce sera inutile, puisque nous sommes tous ici.
— Deux cadavres, cette fois, renchérit Ade. Je me demande bien qui sont leurs meurtriers. Est-ce qu'on devra condamner deux personnes ? »
Ça, seul Monokuma est en mesure de nous répondre. Le moment qui suit un double meurtre est toujours flou, toujours incertain. Il se servira peut-être d'une autre règle qu'il vient d'inventer, ou bien nous aurons bel et bien à exécuter deux meurtriers, dans le pire des cas. Ou alors, l'enquête sera bien plus compliquée que prévue, car avec deux morts, impossible de prouver que l'un n'a pas tué l'autre.
« On a accès aux deux Monodossiers, intervient Emerens. On devrait regarder ça, ensuite parler des alibis, et puisqu'on est tous là, décider de qui va prendre en main l'enquête, comme d'habitude. Si ça te va, Ansgar ? »
Ansgar hoche la tête, et sort son Monodossier. Je fais de même. Avant de cliquer sur le deuxième document nouvellement apparu, le dossier que je sais désormais être celui d'Houshang.
Putain de merde, quelle vie.
Neuf heures vingt. Donc, il est mort un peu avant Ester, à des intervalles très proches. Et les indices donnés par Monokuma sont vagues, mais suffisants pour que je puisse me dire que la cause de la mort est très certainement une blessure mortelle. Le genre qui tue immédiatement. Nuque brisée, ce n'est pas rien.
Certes, ça pourrait être infligé post-mortem. Mais dans ce cas, le meurtrier a eu une fenêtre de tir très courte pour lui briser la colonne vertébrale. Ce n'est pas comme Sparrow qui a pourri une putain de semaine. Le meurtre s'est forcément déroulé vite, dans la matinée.
Ce qui fait que j'ai encore un alibi au moins pour celui-là.
Putain, ça va pas recommencer...
Enfin quoique, Ansgar et Ade en ont un de la même force que le nôtre, et Ansgar ne me laissera quand même pas la place pour la troisième enquête de suite, si... Si ? peut-être que je me remets à trop espérer. En tout cas, Ade, c'est sûr qu'elle ne me laissera pas faire.
Ansgar relève la tête, avant de jeter un œil à Sachiko.
« Et qu'est-ce que tu fais là, toi ? »
Sachiko rigole, mais ne dit rien. C'est Ibrahim qui finit par répondre, un air plus que lassé au visage.
« J'ai trouvé le corps d'Houshang il y a un petit quart d'heure, et devant lui, Kimura, qui avait les mains pleines de sang et rigolait. Par mesure de précaution, j'ai préféré l'immobiliser. Ce dont en soit, elle ne s'est pas beaucoup défendue. C'en est surprenant. »
Ladite Sachiko continue d'ailleurs de sourire, nous fixant tous avec un défi que je ne comprends pas. Toujours muette, toujours moqueuse, même alors qu'Ibrahim lui maintient les mains dans le dos et qu'elle porte sur elle le sang pouvant mener à sa culpabilité. Le sang qui est plus que probablement celui d'Houshang.
Mais je ne veux pas savoir comment elle a pu se retrouver les mains pleines de sang.
Ansgar, après un long moment de réflexion, hoche la tête.
« Tu as sans doute bien fait au vu de la situation. Sachiko, j'attends des explications de toi tout à l'heure.
— Des explications, des explications, rigole la Chanceuse Ultime avec toujours ce même sourire aux lèvres. Pourtant, ce qui vient de se passer est plutôt clair. Non ? »
Ansgar pousse un profond soupir, avant de lui jeter un regard de type « ne crois pas t'échapper aussi facilement, jeune fille ». Le pur regard maternel. Ou dictateur. Je sais pas trop.
« Nous verrons ça plus tard. Est-ce que vous, puisque je ne vous ai pas vus, avez des alibis pour la matinée ? de préférence, avec preuve à l'appui.
— Nan pas trop, grimace Moanaura. Enfin, j'ai croisé plein de monde ce matin, hein, Alannah, Thibault et Emerens, puis Ibrahim et Nako après... Mais c'est trop espacé pour vraiment prouver quelque chose...
— Je n'ai rien pour moi non plus, soupire Ibrahim. J'aurais pu arguer que le fait que j'ai surpris Kimura devant le corps d'Houshang joue en ma faveur, mais elle ne veut rien dire de plus, et surtout avec un corps de plus, ce genre de choses ne tient plus.
— Rien pour moi non plus, termine Nako. J'ai juste pu retrouver tout le monde devant le corps d'Houshang. Et c'est pire encore si Ester n'est plus de ce monde... Ma pauvre Ester... Moi qui pensais qu'elle allait pouvoir récupérer dans un climat de bonheur, qu'on pourrait tous récupérer du dernier procès, et maintenant... »
Nako ne finit pas sa phrase. Elle détourne le regard, les lèvres pincées, et laisse tout juste Moanaura lui mettre une main consolatrice sur l'épaule. Je me serais bien réjoui pour la Capitaine, mais premièrement c'est tout sauf le moment, deuxièmement, l'expression du visage de cette dernière me fait plus me dire qu'elle soutient un camarade de galère, plus qu'elle essaie de gratter des points auprès de sa crush.
Tous unis dans le même deuil et la même douleur, et bientôt dans la même peur.
Ansgar hoche la tête.
« Les seuls à avoir un alibi pour ce matin sont donc, jusqu'à preuve du contraire, moi, Ade, Thibault, Emerens, et dans une moindre mesure, Alannah. Je pense que nous quatre formerons un groupe d'enquête afin d'éviter un schéma où nous confierions l'enquête à deux meurtriers ; puisque nous avons, encore une fois, des alibis en duo. Les autres, je préfère que vous restiez au lounge jusqu'aux interrogatoires, dont nous déciderons ensemble des questions. Ça vous va ?
— Moi, ça me va, Ansgar, intervient Ibrahim, mais Kimura ? Qu'est-ce que je fais d'elle ? C'est une suspecte potentielle...
— Si tu veux bien la surveiller pendant toute la durée de l'enquête, cela m'arrangerait, finit par dire Ansgar. Prends toutes les mesures qui te sembleront nécessaires jusqu'à ce que j'aie pu démêler cette affaire avec elle. J'aimerais en faire une priorité, mais malheureusement, j'ai peur que nous ne disposions encore que de douze heures...
— Exactement ! C'est qu'elle est douée, la petite Ansgar. J'ai même plus besoin de dire les choses, maintenant ! »
C'est la voix du Fan. Tout le monde ne peut retenir une grimace à son arrivée, et plus encore alors qu'il sourit au cadavre d'Houshang avant de lui faire un petit signe ; mais le pire, sans doute, c'est l'expression extatique de l'Artiste, qui semble le plus heureux que je ne l'ai jamais vu depuis l'exécution de Ruben. Il est même... Encore plus joyeux qu'avant.
Et surtout, il est là.
Nous avons croisé le Fan maintes et maintes fois durant nos trois mois dans le cercle 4. Mais l'Artiste, pas la moindre trace, et encore moins de satisfaction. Pas de mobiles. Pas de secrets. Et aujourd'hui, sa présence ne signifie qu'une seule chose. Notre moment de tranquillité est bel et bien terminé.
Et quelqu'un a tué pour y mettre fin.
Le Fan se plante au milieu de nous avec toujours ce même sourire, tandis qu'Ansgar se tourne vers les deux Monokuma, avant de pousser un profond soupir.
« Avez-vous vraiment besoin d'être là ? Nous finissons par comprendre les règles de votre jeu.
— En fait, intervient l'Artiste, toujours plus euphorique que jamais, il se trouve que j'ai besoin d'être sur place pour les biens du fair-play. J'ai bien pensé à envoyer Fan faire mon sale boulot à ma place, mais ce que j'ai à vous dire est assez capital... »
Il se racle la gorge dans le silence général, avant de se placer devant Ansgar et le corps d'Houshang et d'écarter grand les bras.
« Il y avait une règle assez particulière pour les premiers assassinats, les enfants ! Une règle que je n'ai pas eu à vous exprimer auparavant pour la simple et bonne raison que ce n'était en aucun cas nécessaire... Seulement, au vu de la situation d'aujourd'hui, cette règle va s'avérer essentielle dans votre vote pour trouver, enfin, le bon coupable ! »
Son sourire s'élargit encore. Et il fixe chacun de nous avec un air goguenard. Chacun de nous, suspendus à ses lèvres comme à celles d'un juge dans un tribunal macabre.
Parce qu'il est évident que ce qu'il va nous dire va complètement changer la donne.
Et que je ne vais pas aimer. Du tout.
« Cette fois, reprend-il, vous n'enquêtez pas pour trouver celui qui a commis le meurtre ! Ou plutôt, il ajoute en ricanant, celui qui a commis le meurtre est celui qui l'a organisé, et non celui qui a administré le coup fatal... Ce qui implique énormément de choses dans votre enquête, n'est-ce pas mes poussins ? Upupupupupupu... »
Et il continue de ricaner, un rire repris par le Fan dans le silence général.
Un silence que même nous ne sommes capables de briser.
Un organisateur. On cherche quelqu'un qui a mis au point un meurtre. Un meurtre, visiblement ; Peut-être que Monokuma nous donne un énorme indice et qu'on doit considérer ces deux meurtres comme liés d'une manière où d'une autre... Ou bien c'est un simple jeu sur les mots et il y a deux organisateurs à trouver. Si seulement je savais ce que ça signifie.
En attendant, il est clair que ça change complètement la donne. Si Monokuma précise, cela veut dire que la personne qu'il veut et la personne qui a tué Ester et, ou, je ne sais pas, Houshang sont différentes. Ou alors qu'il a un nom très précis en tête et qu'il ne nous laissera pas nous tirer avec la même veine que l'Impératrice, ne cherchant qu'un meurtrier sur deux. Qu'il veut une personne à tuer.
Autour de moi, tout le monde est figé. Même Sachiko a cessé de sourire, et fixe l'Artiste avec des yeux pleins de surprise. Emerens, de son côté, a les poings serrés, les yeux fixés sur les deux Monokuma qui continuent à nous sourire. Nako et Moanaura sont blêmes, Seo-jun se ronge les ongles, Alannah mordille frénétiquement son collier. Ibrahim a même cessé de surveiller Sachiko. Et Ade vient de serrer les dents, son visage en train de blanchir.
« Tu es en train de nous dire... Que tu veux qu'on cherche celui qui a conçu le meurtre ? Et que c'est une personne différente de celle qui a porté le coup fatal ?
— Exactement, boulette de viande bolognese, rigole le Fan. Ce qu'on veut, Artiste et moi, c'est le nom de celui ou celle qui a imaginé le meurtre, conçu le meurtre, et tiré les ficelles dans l'ombre pour faire en sorte que ces deux là décèdent de causes encore inconnues mais sans doute très bien choisies. Facile, non ?
— .... Surtout impossible, réplique Ade sans réagir au surnom. Comment est-ce qu'un Désespéré aurait pu concevoir un meurtre où il n'est pas coupable ? On a jamais vu ça ! Le Désespéré doit mourir, point à la ligne ! »
Le sourire de Monokuma, des Monokuma, s'élargit encore.
« Mais c'est exactement ça, ma chère Ade. Le Désespéré responsable de ce meurtre va mourir, même s'il a conservé suffisamment d'esprit pour tenter de se mettre à l'abri, exulte l'Artiste. Ce sont les règles de cette Tuerie et je dois les appliquer, ma chère. Le Désespéré meurt, point à la ligne, ce sont tes propres mots, n'est-ce pas ? »
Ade baisse les yeux, en train de se mordiller un ongle. Je crois que je suis en train de faire de même. Ce que Monokuma veut, c'est un organisateur, mais le concept même de l'organisateur est déjà super nébuleux quand on cherche celui souvent inscrit dans les fichiers des Monokuma sous l'appellation du MasterMind, alors quand c'est un meurtrier, que je vais devoir débusquer en moins de douze heures ?!?
« Cela signifie, lance Ansgar, lae seul.e à conserver son calme, que tout ce que tu viens de nous dire écrase complètement nos alibis, n'est-ce pas, Monokuma ?
— Ah, les détails, c'est vous qui les gérez, ricane l'Artiste. Moi, je me contente de vous transmettre les règles. Oh, et, un dernier détail : Elles sont immuables, et ce n'est pas faute de vouloir les modifier, n'est-ce pas Fan ? Mais ce sont les hautes instances qui ont décidé, pas moi, cette fois, upupupupupu... »
Et sur ces mots, lui comme le Fan se barrent d'un pas bondissant, un large sourire aux lèvres plus Monokuma que jamais. Nous laissant à dix devant le même corps, incapables de savoir ce que l'on va faire, avec une nouvelle donnée qui brise complètement toutes nos certitudes.
« ... Les hautes instances, finit par soupirer Emerens. Il doit parler de l'organisateur.
— Donc, j'avais bien raison, marmonne Moanaura en me jetant un coup d'œil. L'instigateur possède un certain pouvoir sur lui.
— Je ne sais pas si j'irai jusque-là, intervient Ansgar. Souvenez-vous des Abysses. Les règles étaient données par l'instigateur, mais c'est Monokuma qui avait tout contrôle malgré tout, et en faisait ce qu'elle voulait. Mais cela n'est pas important pour le moment. Ce qui importe, c'est que cette nouvelle donnée remet en cause absolument toute l'enquête. »
Iel ferme les yeux, avant de nous faire nous aligner contre le mur opposé d'un simple mouvement de tête, avant de prendre sa canne entre ses deux mains et de la pointer vers chacun d'entre nous. A commencer par Emerens, Alannah, Ade et moi.
« Nos alibis viennent de partir en fumée. Pire : puisqu'il s'agit d'un organisateur, cette fois, il m'est impossible d'en reconstituer, puisque nous n'avons ni données horaires fiables ni certitude que le coupable n'a pas dédié la grande majorité du sale boulot à quelqu'un d'autre, qu'il en soit ou non conscient. Nous allons donc revoir toute l'organisation de l'enquête à partir de ces données. Et chacun devra mettre la main à la pâte. Est-ce que c'est bien clair ? »
Personne n'est en mesure de répondre à l'Ultime Dictateurice, de toute façon, même si on voulait protester. Même pas Sachiko, qui se contente de rigoler. Même pas Ade, notre principale contestataire, qui se contente de se ronger les ongles.
« Voilà ce qu'on va faire. Ibrahim, annonce Ansgar, tu vas amener Sachiko dans un des salons, celui que tu veux. Immobilise-là comme bon te semble et reste avec elle, le plus longtemps possible. Je vais vous enfermer à clé pour être certain qu'aucun de vous ne s'échappe, mais puisque nous n'avons qu'un meurtrier à trouver, considérez ça comme une mesure de précaution. »
Ibrahim hoche la tête, avant de relever en douceur Sachiko à sa hauteur. Cette dernière qui... Se laisse étonnamment faire, mine de rien. Elle se contente de sourire, et de faire un clin d'œil à Ansgar. Qui hoche la tête dans sa direction avant de se tourner vers nous.
« Nous, les huit qui restent, allons nous répartir en deux groupes de quatre. Seo-jun, je veux que tu viennes avec moi, ainsi que Moanaura. Thibault, Ade, et Nako, vous constituerez un deuxième groupe. Cela afin de répartir au mieux les compétences de chacun. Ce qui fait qu'il reste... »
Emerens et Alannah, les deux seuls à ne pas avoir été cités, échangent un regard. Et puis, Emerens pousse un profond soupir.
« J'imagine que tu ne me laisseras pas rester avec Thibault dans cette situation, n'est-ce pas, Ansgar, mais je me permets quand même d'insister.
— Ton insistance ne sera pas prise en compte, Emerens. Vous êtes très proches, tous les deux, et même si je peux compter sur Ade pour vous surveiller, réplique Ansgar en jetant un coup d'œil à cette dernière, je ne peux pas garantir que vous ne vous soyez pas coordonnés. Mais je ne peux pas non plus te faire constituer un troisième groupe avec Alannah. C'est beaucoup trop dangereux au vu des données. »
Emerens grimace. Je sens qu'il veut dire quelque chose, et le regard en coin qu'il me jette fait passer un certain nombre de messages. Moi aussi, je dois bien avouer, j'aimerais bien l'avoir à mes côtés. Une enquête sans lui pour m'aider, et plus encore avec Ade qui me fixe avec hostilité depuis tout à l'heure, risque de s'avérer très difficile. Mais derrière, Alannah aussi me jette un coup d'œil suppliant, et moi je me retrouve déchiré entre deux choix merci à l'instabilité de mon pauvre cœur...
Putain, c'est chiant d'être pan.
Ansgar réfléchit quelques instants, avant d'abattre sa canne sur le sol.
« Mieux vaut ne pas en rajouter. Emerens, tu viendras avec moi, Seo-jun et Moanaura. Alannah, avec Thibault, Ade et Nako. Non négociable, elle tranche en voyant qu'Emerens s'apprête à protester. Et je n'admettrai pas de divergence. Ai-je été claire ? »
Emerens serre les dents. Il lui faut quelques secondes pour que son œil cesse de briller de colère, mais finalement, il retrouve un air neutre avant de, finalement, croiser les bras.
« ... Comme tu veux, Ansgar. »
... Pourtant, j'ai comme la certitude qu'il ne croit qu'à moitié à ce qu'il dit.
Je pince les lèvres. Tel que c'est parti, je m'attends à le voir désobéir, et cette idée ne me plaît pas du tout. Surtout pendant une enquête où il ne nous reste que douze heures.
Sans doute même moins, en fonction de l'heure de découverte du premier corps.
Ansgar plisse les yeux. Sans doute a-t-elle compris la même chose que moi. Mais elle se contente de s'appuyer sur sa canne, la seule trace de sa suspicion étant son regard perçant.
« Bien. Thibault, je veux que tu emmènes ton groupe fouiller la chambre d'Ester. Moi, j'emmènerai le mien fouiller celle d'Houshang après avoir sécurisé Ibrahim et Sachiko. Nous nous retrouverons ensuite au lounge pour définir les prochaines recherches à partir des preuves. N'hésitez pas à réfléchir de votre côté. Surtout toi, Alannah, iel fait en pointant sa canne sur l'Ingénieure. Tes drones nous permettront sans doute de fouiller une plus grande part de la zone. »
Alannah hoche la tête, et Ansgar s'éloigne, appuyée sur sa canne, suivie par Seo-jun et Moanaura. Emerens, après un petit temps de retard et un coup d'œil dans ma direction, finit par fermer la marche, l'air absolument pas convaincu ; mais bon, au moins, il suit, ça me rassure. Même si le voir disparaître dans l'escalier me fait l'effet d'un petit pincement au cœur.
Je jette un œil sur mon groupe d'enquête. Ade, Alannah et Nako me rendent mon regard, avec toutes des émotions différentes.
Je suis seul avec les trois filles et il va falloir que je tire le meilleur de leurs capacités en douze heures.
Alors voyons... Alannah peut balayer la zone avec ses drones, Ade est la meilleure analyste de cadavres des survivants, et Nako... Nako, je ne sais pas trop, mais je pense que je peux lui faire confiance au moins pour réfléchir un peu. On va commencer par le début, soyons méthodiques. Il faut absolument que je tire de ce crime tout ce que je peux en tirer.
« On va pas aller jusqu'à la chambre d'Ester tout de suite... J'crois que le mieux à faire d'abord, c'est de voir ce que les corps peuvent nous dire. Alannah, est-ce que tu peux fouiller les alentours avec tes drones en attendant ? Pour chercher tout ce que tu trouves compromettant...
— Je veux bien, répond Alannah d'une toute petite voix en sortant son écran de contrôle, mais quoi ? C'est trop vague... »
... Elle a pas tort. Mais si je réfléchis bien, je peux déjà dégager quelques trucs...
« ... Une infirmerie et son contenu, par exemple, je finis par dire. J'en ai pas trouvé, et il y en a peut-être une. Ou tout endroit que tu penses fait pour stocker du poison. Si on arrive à trouver un truc qui correspond aux symptômes d'Ester, qui sont quand même super spécifiques, on gagnera énormément d'infos. »
Alannah hoche la tête et se penche sur son écran sans ajouter un mot de plus, pendant que Nako grimace.
« ... Elle est en un tel état que ça ?
— Ce n'est pas très beau à voir, je dois bien l'avouer, Nako, soupire Ade. Dans la mesure du possible, autant éviter de retourner sur son cadavre. J'ai déjà fait un premier examen, de toute façon.
— Et donc ? »
Ade se tourne vers moi. Je vois une légère étincelle de mépris dans son regard avant que son visage ne retrouve son habituelle neutralité.
« Les symptômes d'Ester sont en effet très particuliers. Son sang a noirci et ses muscles dans leur intégralité se sont contractés, ce qui a sans doute provoqués de très nombreuses insuffisances organiques. Si je devais donner une hypothèse, je pense que ce qui l'a tuée a touché directement son hémoglobine et ses nerfs. C'est un peu beaucoup pour une maladie, même si Ester s'affaiblissait à une vitesse inouïe. Il y a forcément eu quelque chose d'autre à l'œuvre qu'un simple état maladif.
— Tu penses donc aussi à un poison ?
— A une substance ingérée. Je vais sans doute dire l'évidence mais tout peut être un poison à condition de maîtriser le dosage. »
... Ouais, enfin, le résultat est le même, Ester a probablement été empoisonnée par je ne sais trop quel truc, que ce soit à cause d'une overdose ou non. Mais bon. C'est déjà pas mal. La piste du poison est donc à creuser. Ce qui est plutôt bizarre, parce que...
« Je sais pas vous, intervient Nako, mais je trouve qu'on ne disposait que de très peu de produits dangereux ici. Même les médicaments étaient en rupture, à part quelques antidouleurs faibles. Pourtant, derrière, ça débordait d'alcool, de tabac, et autres. J'ai dû balancer toutes les cigarettes presque méthodiquement pour éviter qu'Emerens ou Ester ne se servent. »
Je grimace. Je connaissais l'ancienne addiction d'Emerens, mais Ester, c'est une nouvelle. Et vu tout l'alcool qu'elle ingurgitait pendant les fêtes, ça me fait un peu peur.
« Ester aussi ?
— Oui, grimace Nako. Enfin, elle, elle cherchait plus un substitut à quelque chose, j'ai l'impression, vu à quel point elle buvait. Mais là où je veux en venir, c'est qu'à part ces deux drogues, il n'y a absolument rien d'addictif ou de dangereux. Pas même de cannabis ou de drogues considérées comme festives, ce qui est plutôt bizarre quand on place le tabac et l'alcool à côté, non ?
— ça implique surtout que le produit est extrêmement spécifique, grimace Ade, et n'a pas pu être trouvé comme ça. Si on parvient à mettre la main sur ce que c'est, on aura, à n'en pas douter, un énorme indice sur le coupable. »
Elle se penche vers le corps d'Houshang avant de lui tâter le crâne, la nuque et de lui ouvrir la bouche, le regard sans émotion et les gestes sûrs. Nako, de son côté, retient une grimace, mais ne fait pas le moindre commentaire. Et Alannah est trop penchée sur son écran pour commenter ce que fait Ade.
Cette dernière pince les lèvres.
« Houshang s'est pris un coup de poing, peut-être avec une autre arme. Ses deux dents brisées sont à droite, mais le bleu n'a pas eu le temps de se former totalement. Sans doute que l'arrêt cardiaque l'a ralenti un peu. Donc, il s'est fait tabasser d'une manière où d'une autre juste avant de se faire tuer. »
Elle glisse deux doigts dans sa bouche. Nako retient un petit cri de dégoût, et moi de mon côté je me sens obligé de détourner le regard. Putain, je ne sais pas si j'envie ou si je suis dégoûté par son calme alors qu'elle triture un cadavre. Même si Houshang vient de mourir. Surtout alors qu'Houshang vient de mourir.
Ade finit par ressortir ses doigts dans le silence général, avant de les lever devant ses yeux. Ils sont recouverts de salive et de sang, mais elle n'a pas l'air de s'en préoccuper. Elle se contente d'examiner ledit sang avant de sortir de sa poche un paquet de mouchoir et d'essuyer ses doigts.
« Beaucoup de sang, et à part les deux dents cassées, je n'ai pas senti la moindre blessure dans sa bouche. Donc, c'est bien une hémorragie interne. J'imagine que son crâne brisé y est pour quelque chose, ou alors sa nuque, mais ça n'a pas d'importance. Ses blessures restent sévères.
— Tu vas aller fourrer tes doigts dans la blessure de son crâne aussi ? Je ne peux m'empêcher de dire, assez salé. Ça fait pas assez, là ? »
Elle pousse un profond soupir.
« Pas besoin. Je vois la forme de l'enfoncement, et aussi de sa plaie sur la nuque. Ça me semble un peu bizarre, sans mentir, mais tel quel je n'obtiendrai pas davantage de données en venant fourrer mes doigts partout. Et je ne vois pas de quoi tu te plains. Il faut bien que quelqu'un le fasse, où tu vas louper des indices capitaux. »
Son regard sur moi est d'autant plus glacial que je sais qu'elle a raison. Ce qu'elle me dit, à n'en pas douter, je vais m'en servir. Mais il n'empêche que je ne sens pas à l'aise en la voyant traiter un homme que j'aurais pu considérer comme un ami comme un simple réservoir à indices.
Même si il est vrai que pour notre survie je dois élucider sa mort.
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