
Chapitre 3 (1) : He had it coming
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Alors on va pas se mentir, j'espérais très fort ne pas me réveiller.
La nuit reste quand même un truc vachement agréable pour débrancher son cerveau et oublier où on est, ce qu'on y fait et ce qu'on y perd. Quand on a le luxe de ne pas faire de cauchemars, du moins, et je crois que cette fois j'y ai échappé. À la place, la noirceur éternelle du vide absolu.
Wouw, ça a l'air emo quand je le dis, pourtant, la sensation de joie qui s'en dégage...
J'ai dormi dans mes vieux vêtements. Après le procès, méga long, qui suivait quand même une enquête de douze heures, la seule chose à laquelle je pouvais penser c'était m'effondrer dans mon lit et dormir au moins pour le reste du mois. Et puis je ne suis pas Reina Satou, moi, je n'ai pas de mois à perdre.
Mais à la place, j'ai droit à un stupide corps qui me fait émerger au bout de... Eh bien, si j'en crois mon Monodossier, douze heures, il est près de onze heures, et même si je ne sais pas à quelle heure s'est finie le procès, je ne pense pas qu'on ait dépassé minuit.
Foutu corps stupide. Pour une fois que je te demande de craquer pourquoi tu le fais pas ?
Je le mériterais, pourtant.
Moi, bien plus que Ruben.
Enfin bon, même si j'ai envie de rester au lit jusqu'à ce que quelqu'un vienne me tuer de préférence de la manière la plus douloureuse possible, bah, je pense que dans un monde partagé avec Ansgar Kasjasdottir, je n'en aurais très probablement pas l'occasion. En tout cas pas pendant plus de trois heures le temps qu'elle me tire de sous ma couette. Youhou. La joie et le bonheur, comme dirait l'autre.
Du coup je me redresse dans mon lit, je me frotte les yeux, j'essaie de faire comme si tout allait bien et pas comme si je venais d'assister à la décapitation en direct puis à la décoration du crâne d'un pauvre type de seize ans victime d'un malheureux accident, qui a tenté de me tuer par amour et qui s'est perdu dans le désespoir d'un rejet.
Spoiler alerte, c'est pas gagné.
J'entends un mouvement à ma droite. Un froissement de draps, on dirait, puis le grincement des lattes de mon foutu lit.
Ah oui, c'est vrai.
Sans doute la raison pour laquelle je n'ai pas fait de cauchemars.
Emerens est à la droite de mon lit, lui aussi toujours habillé comme la veille, les cheveux détachés et en bataille. Visiblement, il s'est réveillé avant moi. C'est rare, assez rare pour être noté, mais dans la situation présente, je ne vais certainement pas lui faire remarquer.
Visiblement, il a remarqué que j'étais en train d'émerger, puisque sa tête se tourne vers moi. Ses cernes sont encore plus profonds qu'avant qu'il ne vienne me demander de dormir avec lui.
« Salut, Thibs... »
Sa main se tend, pour se perdre dans mes cheveux. Je me laisse bien volontiers gratouiller le cuir chevelu quelques instants. Ça fait du bien, on va pas se mentir.
« T'as pu dormir ?
— A moitié, je grommelle. Comme une masse, mais mal, surtout au réveil. Et toi ? »
Il baisse les yeux.
« C'est pas important. »
Il évite mon regard, je le vois bien. Et ses paupières sont rougies.
Je pince les lèvres. On va pas trop chercher à en savoir plus.
À la place, je passe à mon tour une main dans ses cheveux, et je le regarde se laisser aller contre moi en douceur.
Mine de rien, on ressemble à un énorme tas de chats, là, comme ça. Et c'est pas moi qui m'en plaindrait. J'aime bien les chats. Enfin, quand les chats ne sont pas blonds, collants et à lunettes, d'un mètre octante et avec danger d'être très, très lourds s'ils roulent jusqu'à me monter dessus.
Enfin, ça n'a pas l'air d'être dans les plans d'Emerens. Au bout d'un moment, il finit par se redresser, sa main toujours dans mes cheveux, et son autre main prend la mienne.
« Thibs, même si l'option est tentante, on peut pas rester se câliner au lit toute la journée. Si on se lève maintenant, ça te va ? »
... Alors un, j'ai pas envie de rester à me faire papouiller toute la journée (c'est faux, j'ai besoin d'affection, même par toi espèce de golden retriever, enfin surtout par toi) et de deux, quand c'est toi qui proposes, j'ai envie de faire marcher mon esprit de contradiction, même si t'as raison. Mais bon. Comme je l'ai si bien dit, il a raison. Du coup, pas grand-chose d'autre à faire que de lever les yeux au ciel et grogner pour exprimer mon assentiment, ce qui est quand même un des trucs que je fais le mieux.
« Okay. Okay. Mais je prends ma douche en premier, compris ? Toi, tu vas encore bloquer la salle de bain pendant une heure ! »
Il se permet un léger clin d'œil.
« Tu sais, pour pallier à ce léger problème, il y a une solution évidente qui est partager le temps de douche... »
... Mais il est pas sérieux là ?!? J'vais vraiment le baffer. D'ailleurs pourquoi je le fais pas ? J'ai encore ma main dans ses cheveux, j'ai même qu'à tirer et hop, silence de l'insolent...
« Putain, comptez sur Emerens Van Heel pour ruiner un moment mignon tranquille ! Dans tes rêves, je m'exclame, ulcéré. Ma douche, ça reste entre mes couilles et moi ! »
Et son putain de sourire qui s'élargit. Je le hais, son sourire. Je trouverai un moyen de lui arracher de la bouche un jour, je m'en fais la promesse.
« En attendant, Thibs, t'es en train de te marrer. »
... Je pardon quoi- Putain c'est vrai, je souris. Et porter précipitamment les mains à mes joues pour vérifier que l'étirement de ces dernières n'est pas une hallucination tactile semble le faire encore plus rire. Salopard. Y'a vraiment que lui pour me faire me marrer dans un moment pareil.
En attendant bah, avant qu'il ne me pique la salle de bain, je ferais mieux de me dépêcher. Du coup je me lève, je récupère des vêtements un minimum propres parce que rester dans les germes de sa culpabilité c'est pas vraiment le feu, et direction la douche. Et je vais essayer de me dépêcher, histoire de ne pas lui donner matière à se moquer de moi sur le temps que je prends...
Ma douche finie en quatrième vitesse, c'est son tour. Et en attendant, je me retrouve seul dans la chambre, avec un cadre photo posé sur la table de nuit opposé, un tas de vêtements dont je ne sais pas quoi faire, et mes pensées bien, bien noires.
Et maintenant, on fait quoi ? Ruben mort, la condition de Monokuma est remplie. On va pouvoir enfin quitter ce cercle de malheur. Mais impossible de savoir ce qui nous attend dans le prochain. Est-ce que ça va être encore pire ? Est-ce qu'on va enfin avoir un temps de repos ? Est-ce que le temps de repos va être utilisé contre nous ?
Mon cœur se serre rien qu'à la pensée. Ruben... Il ne t'a fallu que deux semaines pour craquer, pourtant, je suis sûr que des gens te remercieraient d'avoir si peu attendu. Et je crois que je peux me demander si tu n'avais pas raison.
Est-ce qu'il n'aurait pas mieux valu que tu me tues, pour que je ne voie pas ce qu'il se passe après ?
Je crois que je n'aurai jamais la réponse. Et toi non plus, tu ne l'auras jamais.
N'est-ce pas ?
On a plus rien, quand on est mort.
Des fois, je me dis que c'est ça qui motive la peur de l'au-delà à l'origine de tant de religions. L'absence. L'absence de tout, la présence qui n'existe même pas. Cette sensation terrifiante de vide qui nous hante. Le vide entraîné par la non-existence.
Le Désespoir, plus que ce vide, est peut-être la dernière limite avant que le vide nous happe, le vide mêlé de cette peur de la non-existence. Tout et rien mêlé en même temps. Vivant et mort dans un même corps.
...
Est-ce que le vide est la dernière étape des génies, plus que le Désespoir ?
...
...
...
Bon alors par contre, si je me mets à faire de la philosophie de comptoir, ça va plus aller. Vivement qu'Emerens sorte de la douche que je puisse être avec quelqu'un d'autre que mon salopard de gros cerveau et ses réflexions inutiles. Je n'ai vraiment pas besoin d'inventer une autre théorie.
Pas maintenant.
Plus jamais.
D'ailleurs, le voilà. Apprêté de frais, les cheveux relevés en chignon lâche. Putain, il a mis la dose de savon ou quoi ? Je le sens d'ici. Et c'est pas que je n'apprécie pas grandement l'odeur de la mangue des savons que Monokuma a la politesse de nous fournir, mais je crois que ça la fait pas trop si je suis mon instinct de lui sniffer le cou.
À la place, je suis mon second instinct et je me bouche le nez. Ce qui le fait rire.
« Pas très poli ça Thibs. Je pue donc tant que ça ?
— Empester le savon bon marché sur un rayon de dix mètres, je réplique, le nez toujours pincé, ça aide pas vraiment à mon appréciation de toi, tu sais. T'avais vraiment besoin de vider toute la bouteille ? »
Ma voix un poil trop nasale lui laisse échapper un léger rire.
« Écoute, je me sentais déjà bien assez sale comme ça. Sait-on jamais, peut-être que l'odeur omniprésente de mangue ajoutera à mon charme naturel ?
— Ton quoi ? »
Son rire s'amplifie.
« On en reparlera dans quelques jours, Thibs. Allez, viens, faut y aller. »
Ouais, et quand faut y aller, faut y aller. Je me lève du lit avec raideur, avant de me rapprocher de lui en faisant du mieux que je peux pour ne pas aller renifler de trop près. Inutile de lui donner de fausses idées sur son sex-appeal. Ou lui faire comprendre que je suis très faible quand il s'agit d'odeurs agréables.
« Quelques jours, je grommelle en sortant de la chambre. Tu te surestimes, gros.
— Jamais voyons, pouffe Emerens. Et puis, je parle au mec qui me traite d'Apollon, je pense que tu ne mettras pas trèèès longtemps à reconnaître de nouveau que je suis un modèle de séduction. »
Je lève mes yeux au ciel. Même pas dans tes putains de rêves, van Heel.
Enfin, ça a l'avantage de me distraire des pensées intrusives qui me tournent gentiment autour depuis que j'ai eu la mauvaise idée d'ouvrir les yeux. Comme quoi, râler sur Emerens, ça aide. Retenez-le bien, il faut toujours râler sur Emerens.
C'est cependant dans le silence que nous pénétrons dans la salle de réception, celle où nous avons pris l'habitude de tous nous réunir. La pièce où nous attendent dix autres ultimes.
Un moment, je me demande où sont passés ceux qui manquent, avant de me rappeler que le compte est bon.
Même si le compte ne sera jamais bon maintenant que nous ne sommes plus seize.
« Emerens, Thibault, nous accueille Ansgar. On n'attendait plus que vous.
— Pas trop tôt, grommelle Moanaura. Qui c'est qui s'est encore galoché ? »
Ansgar lui jette un regard sévère. De son côté, Nako se pince l'arête du nez.
« Moanaura, nous avons vécu une journée très difficile. Particulièrement eux, puisqu'ils menaient l'enquête. Tu ne peux pas leur en vouloir d'avoir pris un peu de temps pour eux.
— Je tiens le coup, Nako, sourit Emerens, un sourire un peu décalé. Mais merci. C'est vrai que je crois qu'on avait besoin de calme. »
C'est ça, tu vas bien, avec des cernes et des paupières plus rouges que le drapeau communiste... Mais il en faut au moins un qui essaie de sourire, pas vrai. Du coup, je me la ferme.
Moanaura, de son côté, grimace. Avant de soupirer.
« ... Ouais, t'as raison. Désolé, vous deux.
— C'est rien, lui répond Emerens, toujours aussi peu rancunier. On va pas s'éterniser là-dessus éternellement. »
Moanaura fait la moue, mais Ansgar de son côté hoche la tête avant de se redresser sur sa canne.
« Vrai. Je n'attendais plus que vous pour les nouvelles du jour, donc installez-vous, avant que Monokuma n'arrive. »
Je m'exécute, trouvant une chaise à côté d'Ibrahim qui me tapote doucement le crâne –qu'est-ce qu'ils ont tous avec mon crâne aujourd'hui bon sang– et Emerens en tire une autre pour s'installer juste à côté de moi. Éloignant Alannah qui lui tire la langue.
Le petit interlude installation ne dure cependant pas longtemps. Ansgar se penche sur la table, bien trop familière, avant de commencer à parler.
« Je suis allé.e avec Seo-jun visiter la rue aux mille secrets, ce matin. Enfin, il serait plus exact de dire que j'ai tenté de la visiter, elle grimace devant nos expressions crispées. Mais le code d'accès est bloqué, et scanner nos Monodossiers ne sert plus à rien. Même dans la suite de cette histoire, nous n'aurons plus accès à cet endroit.
— Au moins une bonne nouvelle, intervient Houshang. Cela signifie que Monokuma ne cherchera pas, ou plus, à se servir de notre passé comme mobiles. »
Surtout que disons-le, révéler les secrets n'a pas servi à grand-chose en tant que tel. C'est le stress de la situation qui a abattu Ruben. Rien d'autre. Même si la tentative de meurtre de Flor était motivée par les secrets, même si ce stress était motivé par les secrets, au final, tout ne tient qu'à notre capacité à tenir le choc dans un endroit aussi infernal.
Je vois quelques regards échangés dans le groupe. Ade, à deux chaises d'Houshang, pince les lèvres.
« Monokuma n'en a pas besoin. Notre passé n'était qu'un prétexte à la méfiance. Au final, le danger vient de ceux qui ne se font pas assez confiance les uns aux autres pour partager des informations capitales. »
Ce faisant, elle jette un œil pour le moins méprisant à Emerens, qui lève les yeux au ciel.
« Tu es mal placée pour parler, Ade « je donne le compte des blessures bien trop tard pendant le procès » Okafor.
— Veux-tu bien cesser d'être hypocrite ? Crache Ade, les dents serrées. J'ai retenu cette information car elle risquait de nous entraîner sur une fausse piste, après que le meurtre se soit produit, pour la révéler au moment de poursuivre l'enquête. Toi ? Tu n'as révélé qu'au dernier moment, après que nous ayons tous voté, que Ruben était Désespéré. Qui est en position de parler, cette fois ? »
Ces mots claquent dans l'air de plus en plus lourd, alors que je vois tous les regards se tourner vers Emerens. Emerens qui garde le menton très haut, l'air absolument pas affecté par l'accusation d'Ade. Pour un peu, je pourrais presque croire que c'est lui qui la juge.
Et moi, je ne sais plus que penser.
« Puisqu'on parle de ce que ça nous aurait apporté dans l'enquête, siffle-t-il, les yeux étrécis, qu'est-ce que j'avais à gagner en disant que Ruben était au bord du Désespoir ? Juste un biais inutile, puisque ça ne prouvait en aucun cas qui avait tué Flor. Il y a eu aussi des cas de personnes non Désespérées qui ont tué, tu sais, Ade. Ou alors tu veux que je te reparle de Shizuka Mizutani ? »
Une chaise racle au sol.
Seo-jun se lève d'un bond.
Les traits tirés par une profonde colère.
« Putain Emerens, tu veux pas arrêter ton foutu bordel deux minutes ?!? »
Silence général.
Je crois que cette fois, même Emerens ne s'y attendait pas.
Il faut dire que s'il y a bien quelqu'un sur qui Seo-jun ne s'est jamais vraiment énervé, c'est bien lui.
Le garde du corps repousse sa chaise, avant de faire le tour de la table et de se planter devant un Emerens aux yeux écarquillés. L'air de ne même pas s'attendre à ce qui s'apprête à lui tomber dessus.
J'avoue que même moi, je ne vois pas trop.
« Y'a je crois une foutue limite entre garder un truc pour soi en craignant un biais et annoncer, après que tout le monde ait voté pour quelqu'un qu'on croyait meurtrier, qu'au final tout ce qu'on avait à faire c'était surveiller son Désespoir ! Ce n'est pas un foutu plot twist, Emerens, crache Seo-jun en se penchant vers lui, c'est une info qui concerne une vraie personne qu'on aurait peut-être pu vraiment aider ! Tu y penses à ça, putain de merde ?!? »
Emerens se redresse de sa chaise. Avant de se lever, lentement, prenant tout son temps pour la ranger avant de se placer face à Seo-jun, les traits fermés.
« J'ai déjà expliqué mes raisons au procès. Et tu les connais, Seo-jun. En dire trop aurait juste inquiété tout le monde, et tu me vois annoncer à Thibault, juste après que son secret avait été révélé, que quelqu'un et plus particulièrement Ruben avait tenté de le tuer ?!? »
... Ouais, et plus encore après qu'il se soit pris un rejet de ma part, merci d'ailleurs pour passer ce détail sous silence, Emerens, même si j'aime vraiment pas le tour que cette discussion prend.
La vérité c'est que je sais vraiment pas où me placer dans l'histoire. Parce que d'un côté je comprends très bien qu'il ait voulu me préserver. De l'autre, j'ai quand même appris ce détail et qui plus est pendant le foutu procès. Comme ça, sans prévenir.
Très franchement, je me demande ce qu'il avait en tête, à cet instant précis, pour exposer Ruben maintenant.
Quel genre de colère il a fallu pour briser son silence.
Mais l'argument ne porte pas sur Seo-jun. Qui semble même encore plus énervé.
« Ne te fous pas de moi, mec ! T'as même pas prévenu Ansgar, putain, tout ce que tu lui as dit c'est que Ruben avait l'air pas bien du tout ! Meurtrier ou pas c'est un gosse de seize ans, c'était un gosse de seize ans, qui était au bord du Désespoir, alors que le Désespoir, c'est un truc qu'on étudie depuis la sortie de la thèse de Takeda ! Depuis que Reina est venue nous dire en face que nos amis, la personne que j'aimais, étaient morts dans une Tuerie ! »
Alannah grimace, et de son côté Ibrahim serre les dents, les yeux fixés sur ses poings contractés. Je vois Ansgar et Nako échanger un regard, alors que Sachiko, que je trouve étonnamment silencieuse, darde un regard pensif sur Seo-jun. Qui continue de hurler, les traits désormais plus seulement habités par sa colère première.
« On a perdu des camarades de classe par le Désespoir, des amis par le Désespoir, des amants par le Désespoir, on l'a étudié sous toutes ses facettes, on a cherché des solutions, on a cherché des solutions ensemble, et tu pensais encore que faire cavalier seul était la seule solution ?!? Est-ce que tu te fous de moi ?!? »
Emerens plisse les yeux.
« Je me permettrais pas. Mais t'exagères pas un poil ? ça aurait fait gagner quoi que je révèle ce qu'il s'était passé avec Ruben, à part du mépris pour lui qui au final n'aurait pas aidé du tout ?
— Arrête avec tes FOUTUES EXCUSES, PUTAIN !!!! »
Clac.
Silence.
C'est à peine si les mouches volent.
Si les gens respirent.
Tous les regards, les dix regards qu'ils nous restent, tous fixés sur la confrontation, sur Emerens qui se tient la joue, les yeux écarquillés, fixés sur Seo-jun en face de lui. Seo-jun qui a la main tendue, crispée, exactement de la même forme que la marque rouge qui se dessine sous les doigts de son ami.
« PERSONNE se préoccupait de lui avant que Flor ne meure ! Thibault l'évitait pour je ne sais trop quelle raison, Ansgar essayait de lui laisser de l'air parce qu'elle pensait que c'était la chose à faire dans un climat de stress pareil, même Ester était trop enfermée dans sa peur pour faire quoi que ce soit ! Et on en est arrivés là au procès à apprendre que sa foutue victime était la seule à avoir tenté de l'aider, et qu'il l'a tuée parce qu'il était déjà parti trop loin ! »
Je ne sais pas si c'est dans la salle ou dans ma tête, mais l'écho des mots de Seo-jun y résonne beaucoup trop. Beaucoup trop pour que je puisse les ignorer.
Sa foutue victime. Seule à avoir tenté de l'aider.
C'est tellement vrai. Tellement, tellement, beaucoup trop vrai.
Ruben était tout seul jusqu'au bout. Et la seule personne qui se préoccupait de lui au point de tenter de l'aider, il l'a tuée. Par pur accident.
Emerens reste muet. Main sur la joue. Les yeux fixes. Laissant à Seo-jun tout le loisir de parler.
« Que toi, tu ne veuilles pas, ou ne puisses pas, aider Ruben, c'est une chose, il crache. Franchement, fallait pas être aveugle pour comprendre que le petit bonhomme était ultra jaloux de toi. Mais justement, raison de plus pour ne pas garder pour toi un truc aussi putain d'important !!! Tu pouvais pas l'aider, alors sors-toi les doigts de ton cul et laisse faire les autres, au lieu de t'asseoir dessus comme si tout allait bien, putain !!! »
Cette fois je le vois.
Ce n'est plus seulement la rage.
Seo-jun, l'éternel énervé, n'est pas seulement en train de gueuler. Il a les larmes aux yeux, et si je n'étais pas si observateur, je raterais presque les traces sur ses joues.
Il a pleuré.
Beaucoup.
« Est-ce que tu te rends compte, il hurle, la voix qui commence à le lâcher, qu'au procès je me suis retrouvé à devoir accuser un gamin de seize ans que je croyais ayant juste tué, tout comme Hina avait juste tué Kichiro, et se cherchant des excuses ?!? Tout ça pour me rendre compte que si j'avais su, si j'avais compris son foutu Désespoir, j'aurais peut-être pu l'aider, putain de merde ?!? Tu t'imagines la culpabilité que je suis en train de me payer tout ça parce que tu as fermé ta gueule ?!? Alors ne viens pas te cacher derrière tes excuses et putain, pour une fois dans ta vie, assume que t'as merdé !!! »
Silence.
Tout le monde fixe la confrontation sans rien dire.
Seo-jun, qui semble avoir fini, reprend son souffle. Les larmes, qu'il n'arrive plus à retenir, s'échappent d'entre ses cils pour venir encore plus creuser les sillons rougis sur ses joues. Il continue de fixer Emerens, haletant, la main toujours tendue, comme s'il attendait quelque chose, un truc, n'importe quoi.
Mais rien ne vient.
Emerens reste muet. Les traits figés.
Alors, il détourne les talons, sans rien dire, et se précipite dehors.
La porte claque derrière lui. Nous ramenant à notre silence, silence partagé à onze.
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