Chapitre 2 (20) : Time flies
Vingt heures quarante-cinq.
Je suis de retour dans la salle à manger, à tourner en rond, parce que je ne sais évidemment pas quoi faire de la demi-heure qu'il me reste.
Il y a à la fois trop et trop pu de pistes à creuser, et en tout cas rien que je ne puisse contrôler efficacement dans la demi-heure, pour revenir à l'heure au rendez-vous de Monokuma. Et vous voyez, j'ai moyennement envie de me faire exécuter ?
Naaaaan, mais vivre une mort atrocement douloureuse avant de me transformer en une nouvelle œuvre d'art dans le musée des horreurs, on va dire que c'est vraiment pas mon kiff.
Enfin. Du coup je ne me tourne pas les pouces. Je réfléchis. Je rassemble des données. J'essaie de remonter un crime crédible.
Après notre petite excursion sur le balcon, Ade est venue me voir, l'air grave. Dans sa main, un papier plein de sang. Je n'ai pas eu besoin de demander d'où elle l'avait tiré. De toute façon, elle m'a très rapidement répondu.
« C'était dans la poche de Flor. De l'espagnol. Apparemment, elle avait trouvé un truc.
— De quoi ? »
Elle a soupiré, avant de déplier le papier. Du sang séché en est tombé en pluie brune, mais le truc était toujours bien humide. Vraiment, zéro envie de poser mes doigts dessus. Et heureusement, Ade semble bien l'avoir compris, puisqu'elle a étendu avec complaisance le texte lisible devant moi.
« J'ai pas réussi à tout lire, entre le sang sur le papier, et le fait que ce soit de l'espagnol et que je n'ai pas vraiment de notions pointues dans ce langage. Mais le gros titre est suffisant. Ça parle d'une certaine Tragédie de Saint-Cyr. Ça te parle ? »
Je m'arrête de m'avancer. Ade, sans le savoir, avait tapé en plein dans le mille dans un point sensible. Saint-Cyr, il n'y a aux dernières nouvelles que deux personnes ici qui y sommes passées ; Emerens, et moi. Et quand moi j'y suis allé, je n'ai pas entendu quoi que ce soit sur une fameuse tragédie.
Donc c'est que ça visait Emerens. Et je l'entends encore me parler d'un évènement extrêmement traumatique qui s'était produit en 2013, dont il a absolument refusé de me détailler. L'article de journal, désormais illisible avec tout ce sang, parlait donc des détails de cette tragédie. Qu'est-ce que Flor foutait avec ça, bon sang ?!?
Et qu'est-ce que ça vaut dans l'enquête si Emerens est bel et bien innocent ?
J'avais hoché la tête, avant d'en expliquer les grandes lignes à Ade. Cette dernière avait grimacé.
« Je m'en doutais un peu, mais merci de confirmer. Flor savait donc quelque chose sur Emerens que nous n'apprendrons jamais. Et sincèrement, j'espère que ça n'a rien à voir là-dedans.
— De toute façon, Emerens n'a pas pu aller la tuer, j'avais soupiré. Je le sais, je l'ai eu sous les yeux toute la soirée. Donc même s'il avait commandité le meurtre, il ne serait pas celui qu'on cherche. Monokuma veut un meurtrier, pas celui qui a conçu le meurtre.
— Vrai. J'aurais eu mes suspicions si Monokuma considérait le meurtrier comme la personne qui a drogué Flor ; mais cette dernière n'a pris aucune substance. Son corps n'en porte pas la moindre trace.
— T'es sûre de toi, Ade ? Parce que c'est super important. »
Elle m'avait regardé, droit dans les yeux, avant de pousser un profond soupir.
« Oui. Absolument certaine. J'ai étudié beaucoup de choses, en archéologie, tu vois. Et les drogues en font partie. Flor n'avait pas pris la moindre substance psychotrope ou sédative, parmi celles qu'on a à notre disposition. Sinon, son visage n'aurait pas exprimé une telle douleur, une telle terreur, vers sa fin. »
Mes tripes se tordent. En effet, l'expression du corps me hante. Ses yeux. Ses putains d'yeux qui me fixaient, écarquillés, pleins de larmes, figés dans une terreur abjecte. À mon humble avis, sa dernière réalisation a été terrifiante. Elle était peut-être même consciente, quand cette épée l'a empalée.
Consciente...
Je secoue la tête. Temps de revenir à mes hypothèses.
Flor n'a pas été droguée. Pas de traces de lutte. Donc, elle est venue d'elle-même, et allez savoir comment elle a atterri sur la statue. Ça, c'est encore trop flou.
Il y a plein de mobiles possibles quant à son arrivée sur la place. Elle pouvait chercher d'autres secrets dans la clandestinité, comme l'indique ce foutu papier dans sa poche ; ou elle était juste là par hasard, même si ça c'est improbable. Elle pouvait très bien avoir obtenu rendez-vous, ou donné rendez-vous, à quelqu'un, ce quelqu'un ayant fini par la tuer. Ou alors, elle suivait ce quelqu'un, qui s'est défendu.
Logiquement, de la force physique devrait être impliquée dans ce crime. Pour pouvoir maîtriser et empaler Flor. Mais c'est comme le meurtre de Sparrow. Des fois, les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être.
Et moi, je me retrouve au milieu d'un sac de nœuds, parce que peu importe les pistes que je suis, je n'ai pas un seul suspect.
On en est à un stade ou mon seul espoir c'est le procès. Si ce n'est pas pathétique.
Je n'ai pas spécialement envie d'exposer mes théories à Ansgar maintenant. Parce que si je le fais, iel va se rendre compte que même en démêlant tout ça, je n'ai pas la moindre piste, pas tout seul. De toute façon, iel est en train de pianoter sur son ordinateur, en grande conversation avec Seo-jun. Je n'ai pas vraiment besoin, ni envie, de lae déranger.
Les autres sont presque tous silencieux. Compréhensible. Soit ils réfléchissent, soit ils ont peur. Cette pauvre Moanaura, notamment, semble toujours en état de choc, même après douze heures. Elle pleure silencieusement, pendant que Nako lui tapote maladroitement le crâne. Même chose pour Ruben et Ester. Mais là où Ester a trouvé du réconfort dans la présence d'Houshang, qui lui parle calmement en allemand, Ruben reste tout seul.
Et comme je suis un gros lâche je n'ai pas le courage d'aller le voir.
Putain mais quelle merde. Ouais, je parle de moi, comme de la situation. Je sais pas quoi faire, je sais pas quoi dire, et pour couronner le tout la suspicion plane dans la pièce comme des vautours au-dessus de nos cadavres. Il ne se passe pas une seule seconde sans que je ne surprenne pas au moins un regard de quelqu'un vers quelqu'un d'autre. Ade, Houshang, Ester, Nako, personne ne fait exception.
Il y a un meurtrier parmi nous. Et on en est tous, plus que jamais, conscients.
Ansgar finit par se relever. Sans perdre la moindre minute, super, merci Ansgar, elle se dirige vers moi.
« J'ai vu dans les interrogatoires que tu avais posé la question des Monodossiers. En as-tu déduit quelque chose ? »
Je grimace. Putain, les Monodossiers. J'avais presque oublié ce détail.
L'identification devrait permettre de grandement réduire la liste des suspects. A quatre personnes, pour être précis. Cependant dans les faits, il y a plusieurs couacs qui empêchent cette déduction de manière absolument évidente : Couac un, il n'y a aucun autre moyen d'identification à part les Monodossiers, puisque nous n'avons pas accès à des caméras. Couac deux, Emerens et moi, on a trouvé une énorme faille dans le système pas plus tard qu'il y a deux jours, et même si elle n'est exploitable qu'en duo, rien ne dit que le complice de Flor ne l'a pas finalement tuée. Hmm, quoique, ça demanderait pas mal d'organisation, du genre se cacher dans la rue jusqu'au moment de la découverte du crime, puisqu'à part elle, tout le monde est enregistré à l'entrée et la sortie.
Et couac trois, cette histoire d'administrateur, présent trois fois dans les logs depuis minuit. Administrateur qui pourrait être au demeurant, n'importe qui. Monokuma, ce qui serait bien car je pourrai laisser cette piste de côté, comme l'instigateur, ou un traître, ou quelqu'un qui aurait été suffisamment chanceux pour voler le bon Monodossier et trouver le code, avant de cacher cette petite découverte au public...
Et rien que ça, ça peut complètement me plomber mon enquête. Mes enquêtes, puisque derrière c'est peut-être une chance de déterminer pour de bon qui est ce salopard d'instigateur.
Enfin pour faire quoi ? Je ne sais même pas ce qu'il se passerait si on le tue.
Ansgar attend, de toute évidence, ma réponse. Je me contente de hausser les épaules. Quelle vie, j'vous jure.
« Malheureusement non, pas vraiment. Ça aidera juste à voir qui fait attention à son Monodossier ou pas. Quelqu'un aurait pu piquer celui d'un autre pour l'accuser, par exemple. Mais question instigateur, c'est zéro. »
Surtout que selon Alannah, ces trucs sont visiblement impossibles à cracker. Je jette un coup d'œil à cette dernière. Elle est recroquevillée dans un canapé, les jambes entourées par ses bras, les yeux vides et de loin, je vois quand même ses paupières rougies. La pauvre, quand même. Je crois qu'on a tous assez vus de cadavres pour une vie entière.
Ansgar soupire.
« J'ai une autre théorie. Est-ce que tu te rappelles combien il y avait de Monodossiers dans la pile que Monokuma t'a donnée, le jour où nous avons découvert Sparrow ? »
Ouh, là. Elle me demande de chercher beaucoup trop loin dans ma mémoire, là. Oui, ça va, je sais, ça fait deux semaines, j'ai pas envie de vous entendre. De toute façon, quand il y a des morts et du stress à la clé, on prend vite dix ans d'âge.
Alors voyons. Je me rappelle de cette foutue pile que Monokuma a fourré dans mes bras. Le premier Monodossier était celui d'Emerens, que je lui ai transmis. Le deuxième, c'était celui d'Ansgar, ensuite... Alors, trois... Cinq... Huit... Neuf... Onze... Douze... Seize.
Il y en avait seize. Aucun n'est resté, mais j'ai beau chercher, impossible de me rappeler qui avait pris le dernier. Super, merci ma mémoire défaillante.
« Seize, je crois, je finis par répondre à Ansgar. Le dernier devait être celui de Sparrow, mais je ne me rappelle plus qui l'a pris. »
Lae Dictateurice pince les lèvres.
« Moi non plus à vrai dire. C'était peut-être Monokuma, ou quelqu'un en a pris deux par inadvertance ou curiosité. Là où je veux en venir, c'est que ce dossier n'était peut-être pas celui de Sparrow. C'était peut-être celui destiné à l'instigateur, qui contiendrait tous les codes nécessaires. »
Je me raidis.
« Et tu penses que l'instigateur l'a récupéré ?
— Malheureusement, rien n'est moins sûr, soupire Ansgar. Si ça se trouve, quelqu'un a juste été chanceuxe. Et même si ce quelqu'un a accès aux codes administrateur, rien ne peut prouver qu'iel est l'instigateur. »
Iel serre le sien entre ses doigts, avant de finalement fermer les yeux et se détourner de moi.
« De toute façon, cette personne n'a pas l'air concernée par le meurtre. Si j'en crois les logs et l'heure du crime, du moins. Tu peux toujours vérifier, Alannah a téléchargé ce qu'il faut sur son Monodossier, et je lui ai demandé de te l'envoyer. Pense à la remercier. »
... Oooooh, ça c'est un beau message subliminal, madame Kasjasdottir. Ouais, je sais, je me suis un peu bagarré avec Alannah tout à l'heure, mais quand même. Mais bien, iel a raison. Surtout parce que quand je jette un œil sur les nouvelles preuves dans mon Monodossier, tous les logs y sont. Apparemment, me râler dessus ne l'empêche pas de faire preuve de bonne volonté.
Elle a sans doute entendu qu'on parlait d'elle, parce quand Ansgar s'éloigne, là voilà qui trotte vers moi de son pas hésitant. Je vois ses yeux se poser absolument partout sauf sur moi, et j'avoue que je ne trouve pas ça très rassurant, mais bon, on s'habitue avec elle.
En tout cas vu comment elle se plante devant moi, c'est assez clair qu'elle voulait me parler. Mais visiblement, elle a pas l'air de vouloir faire le premier pas. Je soupire.
« Merci pour les logs, Alannah.
— Ouais, c'est... C'est rien. Au moins un truc que je pouvais faire... »
Elle a les larmes aux yeux. Ça pique un peu.
Je prends une profonde inspiration.
« Écoute, Alannah, par rapport à tout à l'heure...
— Nan, c'est... C'est moi qui m'excuse. »
Je la vois essayer de lever ses yeux vers moi. Bon, quelque part, elle y arrive, mais je suis presque sûr qu'elle fixe mes sourcils ou mon menton, la bougresse. Je connais cette tactique, Florian a la même.
« J'ai pas apprécié que tu m'interrompes comme ça, c'est vrai, mais... Derrière t'as raison, si je te laisse pas parler c'est pas terrible. Et puis je voulais pas être aussi violente... C'est le stress, je crois... »
Alors ça. Je m'y attendais pas. Au moins quelqu'un qui a le courage de communiquer dans ce duo. Ouais, parce que c'est clairement pas moi.
Ruben en est la preuve.
« C'est rien, ça, je finis par soupirer. J'ai été quand même pas mal violent aussi.
— Ouais, mais bon, ça c'est toi, renifle-t-elle un peu, j'aurais dû m'y attendre, tu vois ? »
JE- Et elle me dit ça avec son air larmoyant en plus ! Putain, comment est-ce qu'elle fait pour me roast en s'excusant ?!? Pas que je l'ai pas mérité, mais là quand même !
Ne pas s'énerver. C'est vraiment pas le moment. Vraiment, vraiment pas le moment.
Je me contente de hausser les épaules.
« C'est pas grave, ça, Alannah, je finis par marmonner. T'sais, me faire engueuler, j'ai l'habitude. Du moment que c'est assez clair entre nous que ça me suffit pas de juste t'écouter, même si c'est super intéressant ce que tu me dis. J'aime bien poser des questions, tu vois ?
— Je crois que oui. Je peux pas m'en empêcher, tu sais ? j'aime beaucoup trop parler, soupire Alannah. Encore plus quand c'est avec des gens que j'aime bien, qui m'écoutent, et qui ont l'air de s'intéresser à ce que je dis. C'est... Tellement gratifiant que des fois j'en oublie que l'intérêt des gens, il aimerait bien s'exprimer aussi. »
Elle a un petit sourire faible. Je vois ses yeux faire un énième effort pour croiser les miens.
« Tu sais, avant de partir, Niamh voulait que j'aille passer des tests psys. Parce qu'elle aussi, ça la faisait chier, rit-elle, un peu amèrement. Les psys m'ont dit que j'avais peut-être un TDA, ou que j'étais autiste, et que c'était normal pour les gens comme moi, apparemment, mais je sais pas. Je pensais pas qu'il y avait des gens qui n'avaient pas besoin de parler de ce qu'ils aiment pendant des heures, ou qui n'étaient pas capables de se concentrer toute une journée sur une machine sans rien pouvoir faire d'autre, même si après bah ça me vide de mon énergie et je peux plus rien faire pendant trois jours qui ne soit pas un minimum distrayant... Je me suis sentie bizarre quand ils m'ont dit ça. Moi, j'étais bien comme j'étais. Je pensais pas... Ne pas être normale. »
... Aïe aïe aïe. C'est que c'est super intime ce qu'elle me dit là en plus. Je jette un œil aux alentours, histoire de vérifier que personne ne nous écoute ; heureusement, ils sont tous concentrés sur autre chose que moi, l'autre rousse et notre discussion quand même pas mal personnelle. Mais j'ai l'impression qu'entre notre petite dispute et le stress général qui règne depuis deux semaines, Alannah a juste besoin de parler de ça au moins à quelqu'un. Pourquoi à moi, par contre, ça c'est un mystère.
En désespoir de cause, je me contente de lui pat-pater la tête. Ses oreilles de chat mécanisés frémissent sous mon contact, c'est presque rigolo, ou au moins distrayant.
« Pour le coup, je grommelle, je sais pas trop te dire. À un moment, ma mère a cru que j'avais un TDA, en fin de compte j'ai jamais fini le diagnostic. Et je crois que je suis juste un gros branleur, entre toi et moi. Mais entre être un flemmard et quelqu'un qui a le cerveau juste calibré pour balancer de la merde ou du génie sans filtre, en recherche constante de stimulation, j'avoue, je préfère le dernier. Je trouve ça classe, je soupire alors qu'Alannah relève la tête vers moi. Au moins toi, t'as vraiment la capacité de te passionner dans un truc. »
Je sais pas si c'est vraiment du réconfort. Y'en a que ça énerverait, à tous les coups. Mais en tout cas, ça la fait sourire. Et c'est tout ce que je demande.
Elle serre sa main dans les miennes. Le déjà-vu ne me plaît pas du tout, mais au moins, là, je n'ai pas à m'attendre à devoir la rejeter. J'espère.
« ... Merci, Thibault. Beaucoup. Pour comprendre. Et pour accepter de me parler quand même.
— Bah. Entre toi et moi, j'aime pas l'idée d'être au cœur de disputes. Surtout ici. Si je peux au moins m'excuser à l'adresse de quelqu'un, j'en demande pas plus. »
Elle hausse les sourcils.
« Avec qui tu t'es disputé ? »
... Je suis incapable de répondre. À la place, je tourne la tête, et mon regard se porte sur la seule personne avec qui je suis incapable de vraiment parler depuis quelques jours, quelqu'un qui avait décidé de me confier son cœur avant que je lui prouve une bonne fois pour toute que je n'en suis pas digne. Bonjour le crève-cœur, soit dit en passant.
Ruben me fixe depuis sans doute longtemps. Ses yeux sont cernés, rouges, il a pleuré. Ses cheveux, désormais striés de blanc, pendouillent lamentablement tout autour de lui. Il est complètement refermé sur lui-même, comme pendant les interrogatoires. Tout en lui dégage une intense souffrance qui se plante comme une flèche au cœur de mes entrailles.
Il croise mon regard. L'espace d'une seconde. Et avant que j'aie vraiment pu l'accrocher, que j'aie tenté de rassembler mon courage pour enfin aller lui parler, il détourne les yeux.
Ça fait mal.
Alannah attend toujours ma réponse. Je me contente de baisser les yeux, dans l'étendue de ma honte. Et dieu merci, elle n'insiste pas.
De toute façon, il est déjà neuf heures et quart.
Monokuma va pas tarder.
Tout le monde jette un œil à l'horloge et se tend, plus ou moins, des expressions entre l'attente et la terreur aux visages. Ouais, même Ansgar Kasjasdottir n'a pas l'air super bien. Luel comme moi, on est parfaitement conscients que quelqu'un ne reviendra pas de ce procès diabolique.
Je le suis d'autant plus que je sens, encore une fois, que c'est moi qui vais l'accuser.
Grincement.
Bruit de poignée.
La porte s'ouvre.
Et derrière le battant surgit l'immense sourire de Monokuma, qui le précède dans la salle. À son bras, un bracelet tressé des milles couleurs de l'arc-en-ciel. Je manque de vomir quand j'en remarque la texture, trop semblable à des cheveux pour être honnête.
Foutu Monokuma de merde.
« Alors, rit notre tortionnaire en pointant du doigt chacun d'entre nous. Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze, treize... Parfait, parfait, le compte est bon ! Je n'aurai donc à exécuter personne ce soir... Du moins personne de plus, upupupupu ! »
Personne ne répond quoi que ce soit. Qui oserait ? Même Ansgar garde le silence. Mais je crois que nous tous, sans exception, dans cette salle, avons sur le visage le même regard de haine et de mépris.
Combien tremblent derrière à la pensée de ce à quoi ils assisteront à la fin de ce procès ?
Qui se demande ce que l'Ultime Artiste lui fera subir.
Monokuma sourit, avant de tous nous faire signe de nous lever.
« Allez, mes petits moutons. Certains parmi vous savent déjà où aller, les autres... C'est par ici que ça se passe ! Et il est interdit de détourner le regard ! »
... J'aime pas beaucoup sa formulation. Et apparemment, ni Ansgar, ni Emerens, ni Seo-jun n'apprécient vraiment ce que Monokuma vient de dire. Pitié, faites que le tribunal n'ait pas lieu dans le musée des horreurs. Je ne pourrai pas me concentrer si j'ai envie de vomir.
Ade, qui visiblement n'est pas très au fait de la situation, et j'ai envie de dire tant mieux, hausse un sourcil.
« Où est-ce que tu nous emmènes ? Et pourquoi certains ici l'auraient déjà vu ?
— Surprise, ma jolie demoiselle, ricane Monokuma. Dont certains ont failli me la gâcher parce qu'ils étaient trop fouineurs... Oui, je vous regarde, les deux gays dans un coin, c'est de vous que je parle ! »
... Eh bah oui, c'est moi et Emerens qu'il pointe. Super, j'avais vraiment pas besoin de l'attention. Ce dernier se rapproche de moi, les traits crispés, son œil glacial fixé sur Monokuma. Un moment, je crains qu'il ne l'insulte, mais heureusement, il se ravise, et se contente de me prendre la main. Alannah, qui est toujours à côté de moi, prend l'autre. Et alors que l'autre salopard se retourne, elle se penche vers moi.
« T'as vu un truc ? C'est quoi ?
— C'est absolument dégueulasse, Alannah, je grommelle en emboîtant le pas à Ansgar, qui emmène le groupe dehors. Franchement, un conseil, essaie de regarder le moins possible.
— Conseil que je seconde, soupire Emerens. Je me doutais bien qu'il recaserait ça quelque part, mais en plein procès, c'est abject. »
Alannah grimace, et ses doigts enserrent les miens un peu plus fort. Plus pour me rassurer moi-même que lui assurer ma présence, je fais de même.
La statue de Veikko trône toujours au même endroit, dans la même place, avec le même sourire. Je me rappelle encore d'Emerens qui pressait la main de l'Ultime DJ, libérant ce couloir secret dissimulé à l'intérieur de la pseudo œuvre d'Art. J'imaginais que Monokuma ferait de même. Mais au lieu de ça, il monte sur les platines, avant de passer les doigts sous le casque audio de Veikko et de le tirer vers le haut.
Une vibration se propage dans le sol à peine l'élément de la statue revenu à sa position originelle.
« Fais chier ! Jure Emerens avant de lever la voix. Tout le monde monte sur le cercle au centre avant que l'ascenseur parte sans nous ! »
Je me fige net. D'une manière bien avisée, oui je sais, mais l'information a du mal à se transmettre à mon petit cerveau. Comment ça un ascens- putain, il a raison. La statue de Veikko et le cercle de marbre qui l'entoure sont en train de s'enfoncer dans le sol, lentement, mais sûrement, pendant que Monokuma nous regarde d'un air goguenard, nous faisant signe de nous dépêcher d'un grand mouvement de la main que je ne peux m'empêcher de trouver teinté d'ironie.
Pas le temps de réfléchir. Ansgar bondit, à sa suite Seo-jun. Puis Emerens. Puis moi, puisqu'il me tient toujours la main, et Alannah, par une réaction en chaîne que vous auriez pu deviner tout seul. Sachiko bondit à son tour sans la moindre hésitation. Les autres suivent, avec plus ou moins de scrupules, mais finalement, Ruben, bon dernier, atterrit sur le cercle sans trop se casser quoi que ce soit, nous ramenant à treize en train de nous enfoncer sous terre.
Je jette un œil à Emerens. Ce dernier fixe Monokuma avec colère.
« Il est allé beaucoup trop loin en termes de ressources... Jamais j'aurais pu deviner qu'il construirait un deuxième type de passage secret sur la même statue. À quel point il a été financé pour nous faire nous entretuer ?!?
— Je ne sais pas, intervient Ansgar non loin, son regard vert fixé sur lui. Mais ça ne présage rien de bon. Lui, ou l'instigateur, sont sans aucun doute prêts à aller très, très loin pour leurs objectifs, au vu de la quantité d'argent allouée à cette... Chose. »
La dernière chose que je vois avant que le sol ne se referme sur nous est Emerens cracher au sol.
Puis, c'est le noir.
Le noir et le silence, qui durent beaucoup trop longtemps à mon goût, où peut-être est-ce parce que je ferme les yeux ou me bouche les oreilles, je ne sais pas, et je n'ai pas envie de savoir. Disons que je me prépare psychologiquement pour ce que je vais voir. C'est assez évident que cet Artiste à la noix va se servir du musée des horreurs. La question est pourquoi n'a-t-on pas pris le même passage secret, dans ce cas ? mis à part que ce n'est pas assez spectaculaire ?
On va bien avouer que c'est un bon argument.
Deux mains serrent les miennes, toujours. Donc, je ne me bouche pas les oreilles. Bon à savoir, je peux peut-être essayer d'écouter.
« Thibs, me chuchote une voix à l'oreille. On est arrivés. »
Je cligne des yeux. Une fois. Deux fois.
La lumière bleue.
Elle est de retour.
Nous sommes de nouveau dans cette foutue salle de procès, cette espèce de boule sous l'eau, d'aquarium, qu'en sais-je. Les seize tribunes sont toujours là. Deux portraits s'y sont rajoutés. Celui d'Aldéric, traversé d'une croix à motif de couture. Et celui de Flor, dont la trace de rouge forme une épée levée vers le ciel.
J'y retrouve les portraits, qui pendent du plafond presque lamentablement, agités de temps à autres par un de ces insupportables courant d'air qui rendent la pièce si glaciale. Toujours plus froid. L'air me prend aux poumons, me serre la gorge, m'agite l'estomac. Même si pur et si froid, j'ai l'impression que chaque bouffée que je prends a gout de bile et de sang.
De retour dans notre prison d'eau, à treize, le fameux chiffre porte-malheur. Normalement, je n'y fais pas attention, mais ici, les superstitions deviennent plus fortes que jamais.
Un hurlement de terreur retentit derrière moi. C'est Ester, je crois. Houshang semble jurer dans un langage que je ne connais pas, de l'arabe ou du persan, peut-être, c'est une excellente question. Je cligne des yeux. De nouveau. Qu'est-ce qui ne va pas pour qu'ils poussent des cris pareils–
La salle.
Elle a changé.
Elle est plus pleine.
Je fais quelques pas en avant, alors que tout le monde descend de l'ascenseur et que la statue de Veikko rentre dans le sol.
En cercles autour des murs, derrière nos bancs, elles sont là. Les vitrines d'exposition, toutes marquées d'un titre, un titre que je me refuse de lire, parce que je sais déjà ce que je vais y trouver. Les Abysses. Les Vacances. Le Cœur. Le Voile.
L'Enfer.
Et, derrière la tribune de Monokuma, derrière son banc du juge d'où il nous regarde déjà de haut, un large sourire aux lèvres, la pancarte du Musée du Sommet de son Art, où trône juste en dessous la vitrine en podium.
La poupée nous y observe, de ses orbites vides, de sa mâchoire hurlante.
Sans doute est-ce ça qui fait tant hurler les gens.
J'aimerais tellement pouvoir me permettre de déconnecter mon cerveau. Me dire que je vais m'endormir pour les prochaines vingt-quatre heures et me réveiller loin de cet endroit de mort, entre les bras d'Emerens qui saura comment me faire oublier que je vis dans un environnement ou tout, à commencer par mes propres erreurs, peuvent me tuer.
Si seulement ils ne comptaient pas tous sur moi pour cette foutue enquête.
Si seulement.
Si seulement...
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro