Chapitre 1 (14) : A dream broken in pieces
Je cligne des yeux. Puis les ouvre doucement. Puis les referme.
Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
J'y vois flou, impossible de remettre de l'ordre dans ma vision. Il n'y a que du rouge partout. J'ai l'impression que je vois rouge depuis une éternité. Mais je n'arrive pas à discerner ce qui cause tout ce rouge.
Mon dos est en contact avec quelque chose. Quelque chose de dur. Est-ce un sol ? Un mur ? Quelque chose d'autre ? Je ne sais pas, je n'y vois rien, et mes lunettes n'y changent absolument rien. Je ne sais même pas si je les ai encore sur le nez.
Je retente d'ouvrir les yeux. Mon champ de vision n'est plus aussi rouge, mais j'y vois encore flou. Des bruits me parviennent comme dans un rêve. Des cris... je crois que ce sont des cris. Des cris d'inquiétude et de terreur.
Qu'est-ce qu'il se passe...
« Thibault ? Eh, Thibault, réveille-toi !
— Thibs, pitié, fais un effort, juste un tout petit effort... Tu entends ma voix ? Fais un signe si tu entends ma voix... N'importe lequel... »
Ces voix... Je les reconnais. Je les aime. Elles sont paniquées, inquiètes, mais elles sont là. Je peux les entendre. Je cligne de nouveau des yeux, bouge les doigts. Les formes floues bougent. J'entends un soupir de soulagement. Un poids pèse sur mon épaule. Je crois que c'est une main.
« Dieu merci...
— La vache, je t'entends rarement prier. Je dois mettre une bougie ?
— La ferme. C'est tout sauf le moment. »
Le soulagement perceptible dans leurs voix me détend un peu, et je secoue légèrement ma tête, avant de lever doucement une main vers mes lunettes. Il me faut quelques secondes de réajustement avant qu'enfin, les formes floues ne se précisent. C'est un blond et un brun, deux visages penchés vers moi avec exactement la même expression. Seo-jun et Emerens, qui m'encadrent et me fixent avec la même panique.
C'est à cet instant que je me rends compte que je suis allongé sur le sol.
C'est étrange, je crois que j'ai un déjà-vu...
Je pousse un grognement avant de me relever. Aussitôt, deux bras se calent sous mon dos et me soutiennent, tandis que deux sourires se dessinent sur leurs deux visages.
« Est-ce que ça va, Thibs ?
— Tu nous as fait une belle peur, sourit Seo-jun. À peine rentré dans l'entrepôt, tu t'es effondré... »
L'entrepôt... Je crois que j'ai un écho. Nous sommes donc dans l'entrepôt. Je vois. Mais ça n'explique pas ce qu'il se passe. Je secoue de nouveau la tête, avant de grogner de douleur. Emerens me prend immédiatement l'arrière du crâne.
« Doucement. Je crois que tu t'es pris un sacré choc sur la tête, Thibs, pouffe-t-il, un son sans la joie qu'on y trouve d'habitude. Repose-toi un peu avant de faire des gestes trop brusques...
— .... Qu'est-ce qu'il s'est passé ? »
Seo-jun et Emerens échangent un regard. Un regard un peu gêné, je crois... Qu'est-ce qu'ils ont ? Et pourquoi ça pue autant ?
« En fait... finit par soupirer Emerens, quand tu es rentré, l'alarme a retenti. Comme si on avait encore le moindre doute... Et puis tu... tu t'es effondré après avoir vu... ça. »
Il s'écarte légèrement. Et je le vois.
Ça.
Les débris de chair, les clous, le couteau.
Le corps, les messages de haine.
Le sang.
Et je me souviens.
Une nausée aussi soudaine que violente me tord l'estomac. Sparrow mort. Son corps mutilé et cloué à la table, le sang dont il s'est vidé qui tache absolument tout ce qu'il y a dans cet entrepôt. L'insupportable odeur, qui est celle du cadavre en décomposition, de la chair putréfiée et du sang séché. Et maintenant que cette foutue porte est ouverte, les mouches, ces foutus insectes, sont légion. Le pire, c'est que je ne peux même pas les écraser. Certains d'entre eux sont peut-être mécaniques... Alannah en aura besoin... Pour se rendre compte... De... De...
De nouveau, mon ventre se noue, et je sens la bile me monter à la gorge. Bien insouciant j'étais de ne pas avoir cru en les capacités meurtrières de ces gens. De penser vivre dans mon petit rêve où nous nous en sortions à seize. De croire ne jamais voir un putain de cadavre.
Je vais vomir. Je crois que je vais vomir. Non, c'est sûr que je vais vomir.
J'ai à peine le temps de faire un signe. Emerens me traîne dehors, suivi par Seo-jun. Et je vide mon estomac dans le buisson le plus proche, au son des animaux qui hurlent à la mort de toutes les manières possibles. Derrière, je sens une main me caresser doucement le dos, et une voix que je reconnais comme celle d'Emerens me murmure des paroles rassurantes que je sens pourtant si vides.
À quoi bon rassurer ?
Il y a eu un mort.
Monokuma a gagné.
On a perdu.
Je revomis encore, dégageant toute la bile de mon estomac, et les larmes se mettent à couler en même temps. Incapable de les contenir, je laisse tout sortir, le contenu de mon estomac, celui de mes canaux lacrymaux, tout. Et les hurlements des animaux couvrent mes hoquètements et mes bruits de régurgitation.
Il me faut longtemps pour réussir à me redresser. Le buisson derrière moi est plein de bile, l'odeur me donne encore plus envie de vomir, mais je n'ai plus rien à recracher. J'ai les yeux irrités, les joues blessées, et j'ai froid. Mais au moins, mon corps a fini de m'échapper.
Emerens, à qui je dois reconnaître une certaine loyauté, est toujours à côté de moi. Il me tend un paquet de mouchoirs en silence, dont je me sers pour m'essuyer la bouche, puis les yeux ; puis, nous nous éloignons de l'entrepôt, et rejoignons Seo-jun devant la porte. Il essaie d'empêcher les animaux de rentrer. Je me demande pourquoi. Quoique en fait, je n'ai pas envie de me demander.
« Ça va aller ? » Me demande Emerens alors que nous tournons le dos à cet affreux bâtiment.
Je grimace, ignorant sa question. Je ne peux de toute façon pas y répondre.
« ...... Et maintenant ? »
Seo-jun grimace.
« L'alarme a retenti il y a cinq bonnes minutes, mais le temps que les autres trouvent cet entrepôt... Il va falloir attendre. Et ensuite... J'imagine qu'il faudra enquêter. »
Enquêter... Oui, enquêter. L'état du corps ne laisse pas beaucoup de place à l'interprétation. Quelqu'un a fait ça. Et ce quelqu'un, c'est l'un d'entre nous.
Qui a fait ça ?
Qui a été assez cruel pour créer une horreur pareille ?
Qui est-ce qu'on va condamner parce qu'il a craqué ?
De qui il s'agit ? Est-ce que c'est un de ceux qui plaidaient l'obtention de leur liberté d'action ? Est-ce qu'il s'agit de quelqu'un trop confiant en Ansgar, pour qui Sparrow avait dépassé les bornes ? Est-ce qu'il s'agit de l'un des deux garçons qui sont à mes côtés ? Est-ce que les mains qui me soutiennent ont été un jour tachées de sang, est-ce que ce regard inquisiteur guette le moment où il pourra effacer les preuves ?
Est-ce que...
Est-ce que ?
Je secoue la tête, m'arrachant de nouveau un petit cri de douleur. Je crois que me suis effectivement salement cogné l'occiput. Je vais avoir une bosse à tous les coups. Et ce n'est pas Emerens qui me masse doucement le crâne qui y changera quoi que ce soit. Mais j'apprécie l'attention. Je crois que ça me fait beaucoup de bien autre part.
Un profond soupir m'échappe.
« ... Comment on va faire... »
Seo-jun et Emerens échangent un regard, mais n'ont pas le temps de dire quoi que ce soit. Une troupe complète d'Ultimes se précipite vers nous, les neuf autres chercheurs au grand complet, précédés d'Ansgar, Nako et Aldéric. Ils sont tous là. Et se figent tous en voyant nos expressions défaites.
Ansgar est lae premier.e à s'avancer.
« Sparrow ? »
Emerens secoue doucement la tête.
Et une clameur horrifiée retentit parmi les onze autres Ultimes.
Ansgar est, du groupe, lae seul.e à garder son calme. Iel tourne son regard vers Seo-jun, avant de lui poser une question muette. Ce dernier répond aussitôt.
« Dans l'entrepôt, madame. Il y est depuis longtemps, vu l'état du corps. D'ailleurs, je suggère à madame et à... Tous ceux présents ici... De n'y aller qu'en ayant le cœur bien accroché. La scène est affreuse, au point que Thibault s'est évanoui. »
Pardon ? J'avais vraiment pas envie qu'on se serve de mon accès de faiblesse contre moi, là ! Et la soudaine énergie que je puise dans cet accès de colère me donne la force suffisante pour me redresser sur mes jambes. Bon, pas pour aller taper Seo-jun, de toute façon même au meilleur de ma forme je n'ai pas assez de force pour taper Seo-jun, mais au moins pour faire bonne figure...
Ansgar me jette un regard, mais heureusement pour mon orgueil iel se désintéresse vite de moi. Iel se contente de se retourner vers Seo-jun.
« Il va falloir que nous menions l'enquête. Et l'avantage de cette alarme, c'est qu'elle désigne quelqu'un d'innocent à coup sûr, peu importe la situation. Alors, Seo-jun, dis-moi. Qui est rentré dans l'entrepôt avant et au moment où l'alarme a sonné ?
— Moi d'abord, soupire Seo-jun. J'ai défoncé la porte et ça m'a entraîné à l'intérieur. C'est là que je l'ai vu.
— Moi ensuite, ajoute Emerens. Et lorsque Thibault est rentré, l'alarme s'est déclenchée. Il était bien derrière moi. J'en suis certain. »
Tous les regards se tournent vers moi.
Et Ansgar pousse un profond soupir.
« Je crois que je n'ai pas grand-chose à dire de plus. »
Je mets quelques secondes à réaliser. Et puis, les implications me heurtent comme un boulet de canon.
« Wow, wow, wow, wow, wow ! Une minute ! Vous êtes en train de me dire que vous voulez que je prenne en charge cette foutue enquête ?!? »
... Eh bien la grande majorité des têtes sont plutôt évocatrices. Ansgar hausse les épaules.
« Dans l'état actuel des choses, sans indices ou quoi que ce soit, nous sommes tous suspects. Mais l'alarme sonne lorsque trois personnes, meurtrier non inclus, découvrent un corps. Ce qui fait que nous pouvons déjà éliminer des possibilités.
— Moins vite, soupire Houshang. Je peine à traduire à Ester et comprendre en même temps. Vous pensez donc que c'est aussi simple ? Si le meurtrier cette fois a un complice, ou même si Monokuma change les règles de l'alarme sans nous le dire, on risque de confier notre vie au meurtrier. Je vous rappelle que...
— ... C'est une situation sans précédent, soupire Ansgar. Je sais ; c'est justement Thibault Laangbroëk qui m'en a fait part. Mais peu importe à quel point Monokuma change les règles, s'il faisait en sorte de la programmer sur l'arrivée du meurtrier dans la salle, il condamnerait ce dernier à être démasqué immédiatement. Laangbroëk est le plus susceptible de nous tous d'être innocent ici.
— Exact ! Et en plus, si je faisais ça, l'alarme sonnerait tout de suite après le meurtre, et c'est vraiment pas drôle... »
Cette voix... Je me retourne, pour constater qu'effectivement, Monokuma se tient juste derrière nous, un grand sourire et seize tablettes à la main. Son long manteau noir et blanc est orné d'une broche dorée, cette fois. Et évidemment, il semble ravi de la situation.
Tout le monde le fixe avec hostilité, et plus ou moins de haine. Mais ça ne l'empêche pas de sourire, sourire encore renforcé par la cicatrice qui lui déchire la joue.
« D'ailleurs je suis venu vous rassurer, mes loulous ! Si je faisais en sorte que le meurtrier soit inclus d'une manière ou d'une autre dans le compte des élèves qui ont vu un corps, autant tout de suite fixer l'alarme au premier qui verra le corps... Il faut bien vous donner une excuse pour accorder toute votre confiance à quelqu'un, non ? Allons, allons, ne faites pas ces têtes...
— Qui nous dit que tu ne nous mens pas, Monokuma ? Crache Ansgar avec toute la froideur possible.
— Rien ! Mais vous n'avez pas beaucoup d'autre choix que de me croire, ricane Monokuma. Sans personne pour mener l'enquête, vous allez être aussi perdus que des nouveaux-nés ! Ce qui m'amène à la principale raison de ma visite... »
Il ricane de nouveau, avant de se diriger vers moi. Et tous les grondements d'Emerens ne l'empêchent pas de pencher son visage dans ma direction, si proche que je crois que nous respirons le même air, avant de me tendre les tablettes qu'il tient sous son bras avec un grand sourire.
« Cadeau, Laangbroëk ! C'est une petite surprise que je gardais pour... Hmmm, plus tard, on va dire, ricane-t-il. Seize monodossiers tous frais tout chauds, même si vous n'aurez pas besoin de tous, upupupupupupu... Ils contiennent des informations sur le corps, serviront à stocker vos données d'enquête, mais surtout contiennent le code pour passer au cercle suivant, donc... Ne les perdez pas ! Et, termine-t-il en élargissant son sourire, je te laisse choisir à qui les donner... Ou pas. »
Il est trop près. Son haleine me chatouille les narines, et je n'ai vraiment pas envie de décrire l'hygiène corporelle trop pointue d'un Monokuma assez près de mon visage pour pouvoir me mordre le nez sans même avoir à se pencher. J'ai tout juste la force de lui prendre les tablettes des bras avant qu'une main ne passe dans mon champ de vision, et que Monokuma esquive la tentative d'Emerens d'éloigner son visage du mien. Ou lui tordre le cou, au choix.
Ça ne semble cependant pas beaucoup l'affecter. Il ricane, avant de se redresser et de sourire à ce dernier.
« Possessif, la poupée blonde ? Ne t'en fais pas, je ne vais pas te le piquer... Sur ce, je vous laisse, les enfants ! Vous avez douze heures jusqu'au procès, pas une minute de plus ou de moins ! Et vous avez intérêt à tous être là, sinon, je pourrais bien oublier qu'il s'agit d'une magnifique œuvre d'Art... »
J'entends Aldéric déglutir et Ade murmurer quelque chose alors que Monokuma s'éloigne à grands pas, toujours en train de rire. Mais je m'en fiche. Monokuma m'importe peu en cet instant. Je crois que je suis anesthésié de l'intérieur. Je ne sens que le froid.
Une enquête. Et c'est moi qui la mène.
Je n'ai pas le choix.
Je dois réfléchir.
Monokuma a dit que les monodossiers étaient sur ces tablettes. Sans me préoccuper des autres, je prends la première du tas et je l'allume. Le nom d'Emerens s'affiche sur l'écran avant qu'une interface d'accueil ne le remplace. Tiens ? Ces tablettes sont donc nommées... intéressant. Et nous n'avons pas de code.
Réfléchir.
En tout cas, je peux y accéder sans problème. Donc autant en profiter pour fouiller. Il y a trois dossiers sur l'écran : Deux sont verrouillés, et un, intitulé « première enquête », s'ouvre au premier appui de mon doigt. Il ne contient pour le moment qu'un seul fichier, le fameux monodossier.
« Regarde, Thibs, me chuchote Emerens. Il y a un stylet dans le creux, là. »
Il a raison. Je viens de voir le petit bout de métal sortir d'un espace dédié dans la tablette. Je le tire de son creux, et tape sur le monodossier. Un fichier s'affiche immédiatement sur la tablette. Une sorte de fiche d'autopsie...
Réfléchir.
De ce que je vois, les informations sont bien trop rares. Date et heure de la mort. Blessures. Lieu où se trouve le corps. Rien d'autre. Pas même la cause de la mort, qui m'aurait pourtant été bien utile.
Tout ce que je vois, c'est que sa mort a été atroce.
Réfléchir.
Je dois réfléchir.
Réfléchir...
Je soupire. C'est un vrai sac de nœuds, cette histoire. Je ne sais même pas par où commencer. Avec un meurtre aussi ancien, il n'y a aucun alibi que je peux directement récupérer, ou des suspects que je peux éliminer à coup sûr... on est tous potentiellement coupables.
Tous...
« Alors, Laangbroëk. Comment veux-tu qu'on s'organise. »
C'est Ansgar qui vient de me parler. Elle me fixe avec une certaine froideur. Je me souviens de ses paroles sur la passivité. Ce qu'elle fait est délibéré. Elle veut me forcer à prendre la main.
Mais ça, c'est impossible.
______________
Helllow!
Et c'est le début de la grande enquête de Thibs!
Voyons voir ce que lui pense de ce magnifique sac de nœuds~
Ah là là, c'est dur la plor armor.
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