Je me réveille après une longue nuit, blottie contre Liam, malgré la chaleur étouffante de l'air, qui lui, en revanche, n'a pas dormi pour monter la garde.

Les rouquins se sont assoupis sur leur passerelle et ne semblent pas encore avoir émergé.

Toujours pas de Carrières dans les parages, ils sont probablement partis à la chasse aux tributs. Une chance !

Boum. Boum. Comme pour confirmer ma pensée, deux coups assourdissants retentissent.

Hier soir, c'est la tête du garçon du District 9, Wil je crois, qui a envahi le ciel sombre. Il ne serait en rien étonnant qu'il ait été assassiné par l'un de ces bourreaux des districts riches.

"Cette nuit, c'est nous qui surveillons."

Chukk dit cela à l'intention de sa 《petite soeur》qui acquiesce sans rechigner.

"Vous pensez qu'on peut leur faire confiance ?"

Il désigne d'un coup de tête rapide, la fratrie endormie.

"Je pense que oui. Ils ne sont pas là pour tuer, ça se voit. Je les ai vus pendant les entraînements, ils sont bien meilleurs en survie qu'en combat. De toute façon, si leurs intentions étaient mauvaises, ils nous auraient déjà tirés dessus pendant la nuit."

Mon argument semble les convaincre et je change de sujet.

"Il ne reste plus beaucoup d'eau, on a beau n'en boire qu'un tout petit peu, par petites gorgées, nos ressources diminuent. On devrait rejoindre la cascade pour remplir nos gour... Mince ! Il n'y avait pas de teinture d'iode dans nos sacs ! Et vous ? Vous en avez ?
- Oui, mais seulement un flacon. Peut-être que les jumeaux en ont..."

Alix et Alexi sont enfin debout et ils nous rejoignent pour le petit déjeuner, si l'on peut appeler cela comme ça.

Après de courtes présentations, chacun se met à manger une part de ses réserves (pour ma part, la fin de mon paquet d'amandes) puis nous levons le camp dans l'espoir de remplir nos bouteilles, voire de pêcher quelques poissons.

"Alix a réussi à prendre un sac mais pas moi.
- Et vous avez de la teinture d'iode ?
- Oui on en a, par contre le flacon est déjà entamé, notre gourde était vide."

La marche est calme mais pas pour autant lente. Il ne faut pas plus de 10 minutes pour rejoindre la cascade. Le courant laisse échapper une douce musique apaisante.

"Bon, il faut se dépêcher, on est à découvert."

Pendant que les garçons remplissent les récipients et s'abreuvent de ce qu'il restait au fond, je ramasse un galet plat de petite envergure.

Je m'assois sur un rocher isolé et commence à graver à l'aide d'un couteau, trois bâtons. Comme trois jours.

"Tu fais quoi ?"

Je me retourne vers mon interlocuteur qui n'est autre que Liam.

"Je marque depuis combien de temps on est ici pour pas perdre la notion du temps...
- C'est une très bonne idée."

Je me perds dans mes pensées et les interrogations affluent. Cependant la voix d'Alix me fait revenir sur Terre :

"He ! Regardez ! J'ai attrapé un poisson !"

On accourt vers elle et découvrons avec stupéfaction l'animal. Il n'est pas plus long que ma main, mais c'est déjà ça ! Un dard est planté près de ses bronches ; la tribut du District 5 utilise une sarbacane comme toute arme et semble douée avec. 

"Maintenant, il faut le vider et le faire cuire. Qui a un couteau ?"

Je lui en tends un qui paraît adapté. Elle coupe la tête du poisson et lui entaille le ventre pour en faire sortir les entrailles.

"Où as-tu appris à faire ça ? "

Alix ne vient pas d'un district de pêcheurs, il est donc étonnant qu'elle en sache autant. Elle ne réponds rien, trop concentrée dans sa tâche mais son frère réplique finalement :

"Il y a un ruisseau qui borde notre maison. L'été, notre père nous y emmène pour pêcher."

Il paraît que leur district est loin d'être le plus à plaindre. Un climat tempéré et une météo variée, des travaux intérieurs ou de faible exposition...

Enfin, c'est ce qui l'en est raconté.

Je fixe les vaguelettes qui se dessinent en cercle dans le bassin d'eau claire à cause du mouvement incessant de liquide chutant à pic.

Quand on pense que cette cascade n'est même pas naturelle !

Les buissons derrière nous émettent soudain un bruissement. Quelqu'un est là, juste là, à quelques pas de nous, probablement armé.

"Qui est là ?"

Chukk s'avance, sa lance bien en main, prêt à l'enfoncer dans la poitrine de l'inconnu.

Deux petits bras, paumes en l'air surplombent les fougères en signe qu'il ou elle n'est pas armé.

Elle. C'est inévitablement Berry.

"Chukk ! Rien à craindre."

Elle sort de sa cachette et commence d'une petite voix plaintive :

"J'étais alliée avec les tributs du 8 et avec le garçon de mon district mais il est mort hier. On a réussi à s'échapper tous les trois mais les carrières nous sont tombées dessus à notre réveil. Ils sont morts eux aussi. Pouvez-vous m'accueillir ?"

Voilà à qui appartenaient les coups de canon de ce matin. La pauvre, comment refuser ? Elle n'est encore qu'une gamine, dorénavant livrée à elle-même. Il est de notre devoir de la protéger.

"Bien-sûr."

Maintenant qu'elle est entièrement debout devant moi, je remarque qu'elle n'a vraiment aucune affaire avec elle.

"Tu n'as aucune arme ? Aucun sac ?
- Si, enfin... plus maintenant, on avait un sac à dos mais je n'ai pas eu le temps de le reprendre quand j'ai dû m'enfuir."

Le poisson est toujours étalé sur le rocher, suintant de tous les côtés.

"Il est peut-être toxique, on devrait le faire cuire.
- Ok, on fait un petit feu. Alexi passe-moi le bâton qui est jusque-là. Non à ta droite !"

Pendant que les jumeaux se prennent la tête sur des banalités, Floya et Berry font plus amples connaissances.

Cette dernière tombe d'un seul coup sur le sol rocheux.

D'une traite, nous nous mettons sur nos gardes et cherchons la meurtrière de l'enfant.

Entre les arbres, à moins de 100 mètres de nous, une fille à la chevelure blonde se tient, un sourire sadique accroché à son visage. Je la reconnais. C'est Océann.

D'autres dagues au creux de ses paumes, elle recule doucement dans les fourrées mais à peine a-t-elle fait un pas en arrière, qu'une flèche, celle de 5, lui transperce le cœur. Elle s'effondre à terre telle une poupée de chiffon.

Boum. Boum. Deux morts et sous nos yeux.

Berry, allongée sur les galets, les paupières encore ouvertes, les yeux révulsés semble éteinte. Elle l'est.

Un maigre filet de sang s'échappe de son dos et part rougir l'eau de la cascade.

Je savais qu'il fallait quitter les lieux au plus vite ! Nous avons oublié un instant que nous étions dans les Hunger Games et la vie d'une petite fille est déjà finie !

Je pleure abondamment et laisse couler mes larmes, peut-être pas les dernières néanmoins. Après un rapide baiser sur son front, on s'enfonce dans la forêt, qui j'espère sera plus sûre, loin de cette scène de crime.