~Défi n°1~
Seule dans sa grande maison, Noémie angoissait. Elle, une vieille dame de quatre-vingt-quatre ans, se retrouvait perdue au milieu de nulle part au beau milieu de la pandémie du COVID-19. Ou serait-ce que le début ? C'était, en tout cas, le début d'une grande période difficile.
Alors que tout le monde sortait encore au maximum avant d'être complètement confiné, elle évitait de sortir. Elle le savait bien, que le virus était particulièrement dangereux pour les personnes âgées. On le répétait bien assez souvent ! Pas plus tard que la semaine dernière, elle avait parlé au téléphone avec sa fille. Après quelques minutes d'échange, celle-ci lui avait passé Sara, la petite-fille de six ans de Noémie. La fillette lui avait annoncé, toute contente, qu'elle ne courait aucun danger parce qu'elle avait "entendu à la télévision que le Corona Virus ne touche que les vieux !". Coup dur pour Noémie. Elle avait entendu le "Sara !" que sa fille avait laissé échapper après cet incident. La petite fille avait repassé le téléphone à sa mère, qui s'était confondue en excuses.
"- Laisse tomber, ce n'est pas grave, ma chérie. Elle ne pouvait pas savoir. Sara est encore petite." avait répondu Noémie.
Elle le pensait, du moins la deuxième partie. Elle ne pouvait pas en vouloir à son petit ange d'être maladroite, mais bien sûr que c'était grave. Bien sûr que ça ne l'avait pas rassurée du tout. Mais ça, qu'est-ce que sa fille y pouvait ? Rien. Alors elle ne relevait pas. Elle gardait pour elle, dans l'espoir qu'un jour cette angoisse qu'elle portait à longueur de journée se dissiperait.
Si seulement son mari était encore de ce monde, tout irait mieux. Lui, au moins, saurait comment la rassurer. Il la prendrait dans ses bras, lui dirait que tout irait bien. Une larme coula. Depuis qu'il était parti, il y a dix ans de cela, jamais il ne lui avait autant manqué. Noémie avait besoin de lui. Elle avait besoin de lui comme elle avait besoin de respirer.
Elle se leva du fauteuil où elle était assise et se dirigea à pas lents vers sa chambre. C'était une grande pièce lumineuse, avec une grande porte-fenêtre sur le mur du fond, donnant sur une terrasse. Contre le mur de droite trônait une grande garde-robe en bois noir, finement gravée de motifs floraux. Elle lui avait été offerte par ses parents, pour son mariage. À côté de la porte, un petit bureau couvert de photos. Sur le dernier mur, celui de gauche, une porte donnant sur une salle de bain, et un grand lit en bois assorti avec la garde-robe. De chaque côté du lit, il y avait une petite table de chevet à tiroirs. Noémie ouvrit le tiroir du bas de celui de droite, duquel elle retira un petit étui. Elle l'ouvrit et prit délicatement entre ses doigts le petit anneau en or qui se trouvait dedans. C'était l'alliance de son mariage. Elle porta l'objet à ses lèvres et l'embrassa.
Comment allait-elle faire ? C'était la question qui lui tournait en boucle dans la tête depuis des heures. Elle ne pouvait pas sortir, du moins ne le voulait pas. Certes, elle pouvait faire ses courses en ligne, ou demander de l'aide dans un de ses forums faits pour ça. Mais... Il faut dire que la vieille dame ne vouait pas une confiance absolue aux sites en ligne... Elle ne leur faisait même pas du tout confiance. Pendant qu'elle réfléchissait à la situation, elle se remémora des paroles de sa fille, hier, quand elle l'avait appelée pour prendre de ses nouvelles :
"- Tu sais, maman, si tu as besoin de quoi que soit", avait-elle dit, "appelle-moi immédiatement. J'en ai parlé avec Pierre et les enfants, ils sont d'accord pour que l'on vienne tous chez toi le temps que ça se calme."
Elle avait rétorqué que les enfants rateraient leurs cours, et qu'elle et Pierre, son mari, ne pourraient pas aller travailler.
"- De toute façon les enfants n'auront pas cours à partir de lundi, et notre travail nous permet de travailler en ligne. Tu fais comme tu veux, mais si besoin, on peut venir, même pour quelques jours."
"- J'y réfléchirai", promit-elle.
La vérité est que cette conversation lui était complètement sortie de la tête. Maintenant qu'elle y pensait, un peu d'aide ne serait pas de refus. Mais si sa famille voyageait, et qu'elle se contaminait, Noémie aussi serait contaminée par le COVID-19. D'un autre côté, leur présence la rassurerait, lui éviterait de sortir, et si elle attrapait le virus, ils pourraient toujours s'occuper d'elle. Si, dans le pire des cas, elle devait y passer, au moins elle aurait vu sa famille une dernière fois.
Cela lui semblait la meilleure solution. Mais il restait un point sur lequel Noémie restait réticente : elle ne voulait pas paraître faible en demandant de l'aide. C'était ridicule, et elle le savait, mais depuis toujours elle rechignait à paraître faible. Et demander de l'aide, c'était s'autoproclamer faible. Et ça, il en était hors de question !
Toutefois, une petite voix lui disait que c'était la meilleure solution, et que faible, elle l'était déjà.
"- La nuit porte conseil. Je trancherai demain" décida-t-elle.
Elle traversa le couloir et entra dans son salon. La plupart des murs étaient recouverts d'étagères elles-mêmes remplies de livres et de photos. Seul un mur était nu, à l'exception d'une réplique de "La nuit étoilée", le tableau de Vincent Van Gogh. L'espace en dessous était occupé par un canapé en cuir. Noémie attrapa un livre sur une étagère, mais, en même temps, en fit tomber un autre. Elle se baissa pour l'attraper, faisant en même temps craquer ses articulations douloureuses. La couverture du livre était couverte de poussière. Elle souffla dessus, et la poussière s'envola comme des feuilles mortes au premier vent d'automne. En lettres d'or sur fond blanc était gravé le titre : "Le garçon, la taupe, le renard et le cheval", de Charlie Mackesy. Un livre plein de sagesses et de vérités. Noémie l'avait complètement oublié, ce livre qu'elle avait dû recevoir en cadeau un jour et qui était resté des semaines sur sa pile de livres à lire, avant d'être rangé. Par la suite elle avait balayé toute trace de son existence. Elle laissa l'autre ouvrage pour se pelotonner sur le canapé et se plonger dans la lecture de ce beau livre illustré.
Elle se laissa aller dans cet univers de promesses et de beautés.
Elle lut vérités brutes et impensables.
Elle lut amour et amitié.
Elle lut émerveillée et fascinée.
Elle lut d'une traite, dévora le roman, vite, si vite.
Mais elle buta sur un passage. Le relut maintes et maintes fois, sans comprendre.
"- Quelle est la chose la plus courageuse que vous ayez jamais dite ? demanda le garçon.
- Aidez-moi, dit le cheval."
Comment paraître faible pouvait être considéré comme un acte de courage ?
Et puis, entre les nuages de doutes qui obscurcissaient son esprit, apparut une éclaircie. Elle relut la phrase et comprit. Qu'est-ce qu'elle redoutait par-dessus tout en demandant de l'aide à sa fille ? Paraître faible. Mais n'était-ce pas courageux d'accepter d'être faible ? Noémie avait compris, et ne comptait plus oublier.
Elle n'hésita pas. Elle attrapa le téléphone fixe de sa maison et composa le numéro de sa fille. Celle-ci décrocha sans tarder. Après l'échange de quelques politesses, Noémie fut droit au but, quoique avec quelques petits détours :
« - Ma chérie, je ... J'ai compris que demander de l'aide n'était pas un signe de faiblesse, mais de courage, et... J'ai réfléchi à ta proposition, je hum...
- Tu veux qu'on vienne ? demanda sa fille, un sourire dans la voix.
- Je... oui, si ça ne vous dérange pas...
- On est là dans cinq heures. On a déjà tout préparé au cas où tu nous appellerais. Le temps de couvrir la route et on est là !
- Merci...
- C'est naturel, maman ! À tout de suite.
- Je t'aime, ma chérie.
- Moi aussi je t'aime, maman. »
Après cette conversation, Noémie se sentait légère comme une plume. Son soulagement pourrait la faire monter jusqu'aux nuages, et son bonheur serait un soleil sur la vie des gens.
~1365 mots~
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