Orchestre pt.1
Baguette à la main, Arthus Edenor nous menait avec une souplesse étonnante pour un mardi soir. Il était connu pour posséder une rigidité sans pareille, intransigeante. Et cela faisait deux fois que nous jouions devant un large public en sa compagnie. Pour moi c'était ma deuxième fois que je jouais devant un public tout court. J'étais apprenti et je ne savais pas comment je m'étais retrouvé au milieu de l'orchestre professionnel, je n'étais pas premier Alto mais j'étais à côté de lui et je devais à quelques notes près suivre toutes ses cadences. La première partie pour les cordes était terminée et j'avais donc reposé mon Alto sur ma cuisse le temps que la seconde arrive. J'entendis le son distinctif d'une caisse claire étant mon repaire et pris le temps, comme mes collègues, de remettre en place mon instrument sur mon épaule. L'archer à la main j'attendis le signal de mon maître d'orchestre et quand Arthus Edenor abaissa sa baguette dans notre direction, ses lunettes reflétèrent l'éclat d'une lumière provenant de l'éclairage du ballet qui se déroulait sur scène. Cet éclat me permis d'apercevoir quelques gouttes de sueur s'envoler au dessus de sa tête. Jamais je n'oublierai ce visage tendu et pourtant si tendre qu'avait eut Arthus Edenor à cet instant précis. Le premier violon avait suivi la baguette et accompagné des autres violons il jouait les aiguës tandis que mon voisin, premier alto, frottait comme moi son archer sur les graves.
J'avais pour habitude de décrire cet instant de la partition comme étant un combat entre les instruments. Les cordes se disputaient le monopole sonore, les percussions ne cessaient de bousculer le rythme et les vents, eux, en parfaite harmonie accompagnait aisément le thème principal.
La musique arrivait à son apogée, les dernières notes n'étaient plus dans notre fosse mais hautes dans les airs si bien que les spectateurs levaient yeux vers le plafond de l'opéra. La dernière note des altos arriva et le premier alto la fit durer aussi longtemps que possible. J'étais exténué, mes yeux qui n'avait quitté la partition depuis un moment se fermèrent pour que je puisse profiter du grand final. Je voyais distinctement la danseuse s'élancer comme aux répétitions pour faire un trois quart et atterrir deux ou trois mètres plus loin au bras du danseur. Fin théâtrale du ballet Arthus Edenor donna un grand geste large de la baguette qu'il rabattit vers le sol et les instruments cessèrent de jouer pour laisser place à un tonnerre d'applaudissements. J'ouvrais les yeux à ce moment précis. Tout autour de moi mes collègues ne souriaient pas, ils restaient concentrés jusqu'à la dernière seconde. Arthus se retourna et ce fut le signal pour nous qu'il était temps de se lever, nous l'étions tous à temps pour suivre le salut de notre maître d'orchestre. Quand nous eûmes fini de saluer les danseurs revinrent sur scène pour saluer à leur tour. Les applaudissements redoublèrent et nous fûmes plongés dans l'obscurité, ce fut assez pour que nous ayons le temps de disparaître de la salle par la porte menant sous la scène. Nous prenions chacun nos instruments et partitions laissant nos pupitres pour la répétition du lendemain matin. Il nous restait une vingtaine de représentations, alors que j'allais tout droit pour retourner à la loge des musiciens un homme me bouscula et je sorti du rang, cela m'obligeais à attendre que tous mes collègues passent avant moi. Cela ne prendrait pas trop de temps en temps normal, alors que je m'apprêtais à reprendre ma marche derrière un saxophoniste un voix m'interpella. Je me tournais et reconnu un danseur, il avait un grand sourire aux lèvres et sur son front restait de nombreuses luisantes gouttes de sueurs. Son sourire éclatant me donna envie de lui répondre mais je me contentais d'un simple salut de la tête respectueux. Il ne sembla pas s'en satisfaire et souriant il s'approcha: "- Si vous avez encore de la force j'aurais besoin de votre aide." Demanda t'il d'une voix fluette.
- Attendez quelques instants je vous prie, je m'en vais poser mon instrument et vêtir ma tenue courante et je vous rejoins." Répondis-je très formellement.
Il acquiesça et me laissa partir vers la loge. Je l'entendais courir légèrement et me retournais pour le voir entrer dans la loge des danseurs à quelques mètres. Je me précipitais sur mon étui et en quelques minutes j'étais nu et près à me précipiter à la douche. Le premier alto y était déjà et je lui glissais des félicitations pour sa performance et il m'encouragea en retour me donnant le sourire. J'avais alors l'espoir de l'égaler et peut-être même de le surpasser. Je sortis de la douche rapidement me séchais et me revêtit de mes vêtements courants qui étaient une chemise blanche et un pantalon à bretelle accompagné d'une veste brune et d'un béret. Je mis ma veste au bras et portant mon instrument de l'autre main je quittais les loges par le couloir menant sous la scène pour retrouver le danseur. Je le reconnu à peine dans sa tenue courante, je reconnaissais uniquement le maquillage qu'il avait du vouloir retirer en vitesse car il en restait une grande partie. Il me salua aimablement et je l'interrogeais donc sur la raison pour laquelle il avait besoin de mon aide et il répondit: "- Vous êtes sûrement un bon violoniste pour faire partie de l'orchestre de Paris. On m'a demandé de choisir un musicien pour accompagner mon entraînement. Vous en êtes ?"
Je fronçais les sourcils, il m'avait pris pour un violoniste. Sans exprimer plus d'émotions et reprenant mon air neutre je serrais la main sur la poignée de mon étui je m'excusais en m'inclinant légèrement: "- Je ne suis pas violoniste. Je regrette de ne pas pouvoir vous aider. Au revoir." Sans lui laisser le temps de parler je m'étais déjà engouffré dans la loge des musiciens et ressorti par l'autre côté pour en suivant un long couloir sortir par la porte des artistes. Quand je fus dehors j'aperçus Giuseppe un de mes amis jouant de la contrebasse dans l'orchestre. Il me salua cigarillo à la main, il était avec plusieurs autres de nos camarades et je les saluais à mon tour retrouvant mon sourire. L'un me donna une tape à l'épaule et un autre me mit une cigarette dans la bouche que je ne me privais pas de tirer. J'étais pourtant réticent à l'idée de laisser la fumée couler dans ma gorge alors comme à mon habitude je la soufflais aussitôt hors de ma bouche. Je rendis sa cigarette à mon collègue qui rit: "- Tu as bien joué Archi ! Comme vous tous mais je suis sûre que toutes les filles se levaient pour Archibald Augustin Pierre Bachin !
- Je t'en prie Thomas tu me gènes." Ris-je en lui donnant une tape sur l'épaule faisant rire les autres hommes autour de nous. Giuseppe fit une blague sur mon coup d'archer et épuisés tous finirent par partir. Mon ami et moi nous partîmes peu à près pour rejoindre notre logement que nous partagions avec une autre artiste qui était depuis peu bien plus proche de Giuseppe qu'elle n'en disait. Quand nous entrâmes dans la pièce, elle était affalée sur notre petit divan. Nous entendant rentrer elle jeta son livre avec énergie et nous tira tous deux dans la cuisine. Giuseppe défit son étui de son dos tandis que je posais le mien dans un coin. Notre repas était près. Nous avions peu mais nous nous en contentions car mine de rien nous n'étions pas à plaindre. Notre appartement était peu salubre mais habitable et nous l'avions obtenu pour une bouchée de pain. Il était plutôt grand et Marianna notre colocataire avait son espace pour peindre.
Les rues étaient sombres et étroites dans notre quartier et la vie était si dure pour nos voisins qu'ils prenaient plaisir à nous écouter répéter Giuseppe et moi. Nous habitions au deuxième étage entre deux appartements et ainsi tous les dimanche nous jouions nos morceaux. Nous entendions alors les cris des enfants et les bruits de pas au dessus de nous cesser pour laisser place au seul bruit de notre musique. Ils reprenaient aussitôt nos répétitions finies. Marianne nous apportait alors une tasse de café comme nous l'aimons et cette petite routine nous détendait et nous faisait oublier notre pauvreté.
Je ne mentais à personne quand je prétendais ne posséder aucune richesse si ce n'est mes mains mon Alto et mon cœur. Un chanteur n'aurait juré que par la portée de sa voix et bien moi je savais bien mieux m'exprimer au travers de cordes frottées par un archer qu'au travers de ma voix.
Ainsi ce soir j'avais donné le meilleur de moi même et jamais je n'aurai imaginé ma satisfaction quand le public s'est levé pour tous nous applaudir. Nous devions rester neutre mais le sentiment d'être compris et applaudi par tant de gens m'avait soutiré un sourire en coin. Épuisé je terminais rapidement ma soupe et partais me coucher dans la seconde chambre. Au départ je la partageais avec Giuseppe mais depuis peu il dormait avec Marianne : j'avais donc un lit pour moi seul.
Il ne me fallu que peu de temps pour tomber dans un sommeil profond et rêver de mon archer volant au dessus d'un public heureux et admirant.
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