Deuil
Abandonnée.
Ses larmes coulaient sans qu'elle n'en puisse avoir le compte. Ses mots flétrissaient au fond de sa gorge sans qu'elle ne puisse saisir la chance de les prononcer. Les ombres ne recouvraient pas seulement ses vêtements mais voilaient aussi son regard. Un regard terni par les pleurs et la douleur, dénué de la petite lueur tendre qui y brillait autrefois. C'était cela; mise à nue, face à ces montagnes russes d'émotions. C'était ce qu'elle ressentait en passant le pas de la porte de sa chambre chaque matin. Ses yeux restaient bas craignant de faire face à une violente réalité qui briserait ce mur de cristal qui protégeait son cœur de la destruction. De cristal; en réalité il ne la protégeait de rien. Il suffisait d'un rien pour que ses yeux se remplissent à nouveau, cependant si il était possible d'éviter de poser les yeux sur quelque chose qui la mènerait assurément à se morfondre: elle n'hésitait plus.
Chaque matin elle ouvrait les yeux ayant une pensée pour ce qu'elle avait perdu. Les petites habitudes lui manquait. Autrefois les rêves lui donnait envie, désormais ses rêves la faisait souffrir: pourquoi ne pouvaient-ils pas devenir réalité ?
Ne pouvait-il pas y avoir un semblant de justice ? Un bouton retour, un moyen de profiter à nouveau de choses anodines.
Y-avait-il un moyen de ne plus seulement se souvenir mais de vivre ?
Rationnelle elle tentait de se convaincre que la vie était injuste. N'était pas ce qu'elle avait appris il y a peu ? La leçon était trop dure à apprendre, tout autant qu'il était difficile d'assimiler les mots:
Elle est morte.
Morte.
Morte.
Morte.
Morte.
Impossible à prononcer.
Qu'est-ce que l'on aurait pu dire de plus ? Cela ne se suffisait-il pas ?
Pouvait-on y mettre fin ? La blague avait assez duré, quelque que soit le film qu'ils tournaient à son insu ils se devaient de le rendre plus rose qu'il ne l'était.
Comment les producteurs de l'enfer de sa vie avaient pu inclure dans le décor une porte close aussi cruelle ? Une porte close derrière laquelle se cachaient des milliers de souvenirs. Des photos, des odeurs, des regards, sa voix, des sourires, des boissons glacées mauvaises pour la santé et au milieu de toutes ces belles choses: le vide. La protagoniste de cet univers s'était envolée, laissant derrière elle toutes ces choses et plus terrible encore: ce vide.
Ainsi chaque matin elle devait se faire violence pour ne pas céder aux larmes en regardant la porte de la chambre de sa sœur. Cette porte qui ne s'ouvrirait plus et resterait fermée sur un ange.
Cela semblait tiré de la fiction mais tout lui semblait gris. Comment le monde pourrait-il devenir soudainement gris de lui-même ? Mais là était un fait: tout était devenu gris et fade àses yeux.
Le soleil était caché, présent dans le ciel et lumineux, mais elle ne pouvait plus de toute évidence le remarquer ou s'attarder sur sa chaleur et sa lumière. Devant elle il lui manquait, derrière les nuages elle l'oubliait. Il n'était que faible réconfort car son soleil à elle avait, lui, disparu pour toujours.
Positive, énergique, motivante, optimiste et joyeuse: un véritable soleil de sourires qui avait illuminé ses jours pendant treize ans de sa vie venait d'exploser pour être réduit au rang de souvenir.
Injuste: cette issue était injuste.
Rien ne pourrait soulager la peine qu'elle ressentait sinon le temps. On ne guérissait pas d'une telle blessure: jamais. Les livres et les films l'exprimaient parfaitement: jamais la perte d'un membre de sa famille ne serait une plaie que l'on pourrait recoudre par de simples points de suture.
Elle avait toujours su que ce genre de peine était insurmontable et que raisonner sur le sujet ne menait à rien avec les victimes.
Maintenant victime: elle parvenait bien à comprendre sa situation et le regard que les autres, comme elle autrefois, pouvaient avoir et elle n'en souffrait que plus. Toutes ces fois ou elle avait essayé d'aider les autres à surmonter leur peines en dissimulant les siennes lui remontaient à la figure tel un uppercut. Down. K.O. Maintenant qu'elle était celle qui était incapable de se concentrer sur autre chose que sur sa douleur elle refusait d'assumer les mots qu'elle avait dit autrefois:
"Le temps atténuera la douleur."
Mensonges.
"Il faut continuer de manger même si cela semble insurmontable."
Futile.
" N'oublie pas que tu n'es pas seule."
Je suis seule. Tu ne fais partie que du décor de mon malheur.
"Je suis là si tu as besoin de parler."
Tu n'es là que pour te donner bonne conscience. Tu ne comprends pas un centième de ce que vis et endure. Hypocrite.
"Parler c'est important, communiquer permet de se libérer de sa peine."
Parler m'étrangle, murmurer me brise, souffler me casse, crier me vide, chanter me détruit.
Crier. Elle l'avait fait, elle avait prit le temps, s'était rendue sur le pont Alexandre III de nuit pour pousser un long cri de désespoir. Elle avait ignoré le jugement des passants enivrés, avait continué de crier à s'en casser la voix. S'était écroulée pour pleurer - maudire tout ce qu'il était possible de maudire - insulter tout ce qu'elle pouvait insulter - jurer et crier de nouveau. La tristesse avait laisser le temps d'une heure place à la colère. Mais, finalement, contre quoi pouvait-elle être en colère ? C'est ce qui l'avait peu à peu reconduite vers la morosité, la tristesse et l'impuissance.
Crier l'avait vidée de tout mais si la colère n'était pas revenue les autres parasites avaient comblé le vide avant qu'elle ne puisse avoir soufflé de soulagement. Rien ne la soulageait. Rien.
Elle avait engloutit un gâteau avait fondu en larmes. Avait commandé la boisson favorite de sa sœur l'avait bue entièrement sans prêter attention au dégoût qu'elle ressentait. Elle avait vue deux amies à elle rire au fond de la cours. Rien ne la soulageait.
De quel droit pouvait-elle les empêcher de rire; d'être heureuses ? Elle avait été rassurée que ses amies ne partagent pas sa peine. Puis, irrationnelle à nouveau, c'est avec remords qu'elle les avait détestées pour lui avoir exposé leur bonheur. Elle se sentait ridicule d'agir ainsi mais préférait ressentir cela plutôt que de se soucier du bonheur des autres au détriment du sien. Elle était malheureuse, il était exclu d'y additionner de la jalousie.
Désormais qu'importe ce que les autres lui dirait cela serait comme du vent. Pourquoi aurait-elle besoin de leur aide ? Ils continuaient de rire: pourquoi leur montrer son malheur ? Elle ne serait pas égoïste comme ceux qui était en manque d'attention. Elle allait préserver le sourire de ses amis en dissimulant le pire.
Elle en était capable, elle l'avait bien fait pour toutes ses peines jusqu'à lors. Personne ne l'avait vue triste ou défaite, pourquoi cela devrait-il changer ? Mais pourquoi cela la contraignait-elle autant ?
Cette fois cependant... Ses amis savaient tout de sa perte et s'attendaient à en voir sur elle les résultats. Même eux connaissait sa petite sœur, eux aussi avaient au moins une fois ris et partagé leur joie avec elle. Ils étaient tous venus la voir se produire sur la scène du collège et avaient apprécié les maladresses de la troupe dont ils étaient les aînés.
La conséquence de cette proximité fut leur compassion, quand la jeune femme riait en leur compagnie un court silence s'installait avant que la discussion ne reprenne, il la fixait alors tous d'un air attendri, heureux de la voir rire même si ils savaient qu'elle s'y forcait sans doute.
Un rire de sa part équivalait à un geste d'affection ou de support et de nouveau:
"Nous sommes là."
Et alors ? Restez à votre place.
"Tu peux nous dire si tu ne te sens pas bien."
Jamais. Je veux garder de vous des sourires: pas des larmes.
"Si tu veux parler n'hésite pas."
Inefficace.
Rien ne la ferait changer d'avis. Ses amis ne partageraient pas sa peine. Jamais.
Et pourtant le jour même, quand elle avait reçu l'appel elle s'était evanouie aux yeux de tous. Puis avait pleuré à son réveil vivant les yeux ouverts le plus atroge des cauchemars. La plupart des gens ne comprenaient pas ce qu'il venait de se passer puis reprenant ses esprits; si il y en avait à reprendre, elle s'était relevée pour rejoindre sa famille venus la chercher. Elle ne pouvait pas y croire.
La famille était son ancrage, le reste, incluant ses amis, était le sucre pour lui faire passer la pilule. Et à moins d'être chimiste transformer le sucre en médicament n'était pas coutume.
Elle refusait de parler à la psychologue mais ne manquait aucune séance. La plupart du temps elle passait une heure assise en face de la jeune femme qui posait des questions auxquelles elle répondait calmement par oui ou pas non avant de se mettre à pleurer silencieusement.
La psychologue notait alors calmement les progrès: nuls, sans aucun doute. Pour lui faire passer l'envie de la mettre sous anti-dépresseurs elle lui ferait sans doute lire ce qu'elle avait écrit sur son deuil.
Sa sœur était son soleil. La personne avec qui elle avait tout partagé, qui la comprenait mieux que tous. Elles avaient eues des disputes mais les avaient toutes aussitôt oubliées, complices elles avaient ri de tout et de rien sans se poser de questions.
Elle voulait garder sa voix, son odeur, le son de son rire, le bruit de ses pas et son toucher en mémoire et son cœur se déchirait quand elle se rendait compte que ces précieux souvenirs s'estompaient et continueraient à s'effacer peu à peu. Bientôt, songeait-elle, il ne lui resterait que la tristesse et le manque.
La nourriture était fade qu'importe son goût ou sa qualité et le soir venu rien ne l'intéressait plus. Autrefois elle aurait pu se gaver d'une série, d'un bon livre, d'un reportage ou même aurait-elle pu écrire à en avoir mal aux mains sous le coup de l'inspiration. Faire cela désormais lui semblaient impossible, la peine, avide, avait annihilé tout le reste pour se faire une place toujours plus importante.
Elle avait oublié comment elle faisait pour se détendre autrefois. Désormais elle serrait son oreiller sans le relâcher en fantasmant un contact avec sa cadette jusqu'à ce que le sommeil l'emporte définitivement jusqu'au matin.
Parfois, le temps d'un moment, elle oubliait... Le retour à la réalité la conduisait à vomir, pleurer, angoisser se lamenter et surtout à s'en vouloir: comment pouvait-elle oublier quelque chose d'aussi important ? Elle avait analysé ça comme une auto-protection de son esprit contre la douleur persistante, c'était très peu efficace et risible.
Elle s'était sentie désœuvrée, impuissante et démunie. Désormais elle préférait le vide à tout. La joie n'était qu'un écran de fumée insaisissable et nocif, la tristesse un torrent d'eau glacée s'abattant sur elle, le vide, lui, la privait des deux. Certes il éliminait aussi le reste et la plongeait dans un état léthargique mais il empêchait la douleur de se frayer un chemin plus profond encore en elle.
Elle espérait alors aveuglément que tout cesse et même en sachant cela impossible elle avait continué de prier pour cela.
Elle avait été abandonnée. Ce manque, ce vide, cette vague impression de néant, désormais elle devrait apprendre à vivre en tentant de les oublier. Elle les oublierait un temps avant qu'ils ne reviennent à la charge sans aucune forme de pitié pour tout remettre en cause. Que serait sa vie si sa sœur avait vécu ? Que serait-elle devenue ? Sans doute sportive ou artiste, elle adorait les travaux manuels et le sport. Aurait-elle eu des enfants ?
Dieu que c'était cruel de priver un si jeune être de son avenir.
Mais il ne se remet pas en question lui, qu'aurait-elle ou faire pour la sauver ? Rien, sans doute.
La vie était faite de nœuds, tout aurait fini par arriver un moment ou un autre.
Si seulement nous avions eu plus de temps. Désormais nous en avons plein mais à quoi nous sert-il ? Passe-t'il réellement sans que l'on s'en rende compte ? Non, j'en ressens tous les passages et chaque secondes apportent en moi une douleur supplémentaire. Cette idée insupportable de penser que ce temps elle ne le vivra jamais, cette pensée que jamais elle ne pourra plus ressentir le temps passer au fil des rires et des moments de bonheur. J'aurais aimé revivre chacun de nos moments, que puis-je faire sinon les écrire ? L'inscrire dans le papier pour ne jamais les oublier, les garder avec moi et ce pour toujours.
Ces souvenirs deviendront figés noir sur blanc et heurteront ma sensibilité chaque fois que j'en tournerai les pages.
Merci ? Au revoir ?
Adieu plutôt... Un adieu non pas pour moi qui demeurerait ici pour le plus longtemps que je le puisse mais pour celle qui a prit son envol.
J'espère qu'au moment de ta mort tu n'as pas juste eu peur.
J'espère que tu as ressenti de la quiétude.
J'espère que tu n'as pas eu de pensées tristes envers nous, que tu ne t'en es pas voulue de nous laisser.
Que tu n'as pas cru que tu nous abandonnais.
J'espère que désormais tu as trouvé ta place, je viendrais te rejoindre quand le temps sera venu: attends-moi.
Je t'aime.
Je ne t'oublierai pas.
Mes promesses resteront les mêmes.
Je t'aime.
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