Trois
"Oh. Nous avons un problème."
C'était la première remarque qui m'était venue à l'esprit quand ma conscience s'est réveillée et que je pus découvrir le spectacle qui s'offrait à moi.
Face à moi, se tenaient deux hommes vêtus d'une blouse de scientifique, parfaitement identiques. La même barbe de trois jours clairsemée, les mêmes fines lunettes carrées, le même large front et la même expression de surprise gravée sur le visage.
D'exactes copies de moi-même.
"Trois..."
"Nous sommes trois." confirmai-je, imprimant à la réalité cette indiscutable anomalie.
"Et nous devrions être deux." enfonça l'un de mes doubles, celui qui se tenait à ma droite.
Il prit sa tête dans ses mains et se mit à faire les cent pas, en vue de tourner et de retourner mentalement le problème. L'autre prit alors la parole, tentant de résumer la situation :
"Nous sommes ici pour régler le problème qui se pose avec les clones... Et transmettre nos information génétique à la base de données."
"Oui." repris-je, "Il nous faut l'ADN d'un clone, et celui de l'original. Et alors le calculateur pourra le comparer et identifier l'origine du problème."
"On nous a envoyé à travers le temps afin d'empêcher le problème avant même qu'il n'existe..." continua l'autre double, comme si il suivait le fil de mes pensées... Non, nos pensées.
"Parce que le problème a eu des conséquences gravissimes dans le futur qu'on est en train d'empêcher. C'est évident, c'est comme ça qu'on fait depuis qu'on a inventé le voyage temporel. Le problème, c'est qu'on est obligés d'oublier ces conséquences..."
"Et les raisons exactes de notre voyage, sinon, il est paradoxal." compléta le moi à ma gauche.
Nous hochâmes la tête simultanément, en signe de confirmation. L'impression produite était extrêmement désagréable. J'avais envie de terminer cette mascarade au plus vite.
"Alors, il a du y avoir un problème de duplication lors du voyage. Il faut déjà qu'on trouve qui de nous est l'original." annonçai-je, avant d'enchaîner immédiatement, exactement en même temps que mes doubles :
"Bien sûr, c'est moi."
Cette fois-ci, les trois scientifiques enfermèrent leur crane dans leurs mains d'un même mouvement.
"Oh, non, qu'est-ce qui se passe ?" protestai-je. "Les clones sont censés savoir qu'ils sont clonés !"
"Peut-être que c'est ça... Le problème avec les clones ?" suggéra l'homme à ma gauche.
"Alors, si c'est le cas, on fait comment ?" objecta l'autre.
"Allons messieurs, nous sommes dans un laboratoire !" leur rappelai-je d'un ton amusé. "Faites tous une prise de sang, les clones portent le marqueur B54, il seront faciles à identifier."
Chacun de nous se dirigea donc vers les petits appareils prévus à cet effet. Les seringues automatiques lancèrent leurs procédures : stérilisation, pressurisation, collecte (ça pique toujours un peu !) et analyse.
Les résultats mirent à terre notre dernier espoir d'y comprendre quelque chose :
"Il n'y a pas...de clones parmi nous ?"
Troublé, je bégayais un début d'explication :
"Le marqueur B54 est un différentiel...Une comparaison avec l'original. Peut être que nous sommes tous des clones."
"Ha, non !" clama le double de droite, "Ça, nous le saurions !"
"Pas forcément." remarqua l'autre. "Si les clones ne se souviennent pas qu'ils le sont."
"Peut être que le problème des clones est que leur marqueur ne fonctionne plus, aussi." proposai-je.
"Dans ce cas on n'a qu'à soumettre notre ADN à tous les trois."
"Ça n'a aucun intérêt, on n'a pas d'échantillon témoin ! On ne sait pas nous différencier, l'analyse ne servirait à rien..."
"Mais...Pourquoi sommes-nous trois ? Je ne vois pas l'intérêt pour nos personnalités du futur de nous compliquer la tâche de cette manière. Ça aurait été tellement plus simple si nous avions été deux..."
"Oui, c'est ça la question !" acquiesçai-je... "Pourquoi sommes-nous trois ?..."
L'évidence était aveuglante. Cela aurait été beaucoup, beaucoup plus simple si nous avions été deux. Si nous avions été deux...
Mes yeux lorgnèrent sur un instrument du laboratoire que je n'avais pas pris en compte jusqu'ici. Un chromatographe spécialisé dans une tâche très précise...
Mes doubles suivirent mon regard.
"A moins que...ce ne soit à nous de faire en sorte que nous ne soyons plus que deux." lâchai-je d'un ton amer. Je ne sais pas qui avait organisé cette expérience, mais elle était particulièrement sadique. C'était contraire à tous les codes d'éthique jamais mis en place.
"Le chromatographe qui sert à identifier le marqueur B78..." remarqua le double à ma gauche.
"Le marqueur qui se forme dans le sang d'un clone dont les organes vitaux ont cessé de fonctionner. Impossible à falsifier." compléta l'autre.
"Sauf qu'il faut un clone mort pour ça." fis-je tout simplement, laissant planer les conséquences de cette remarque dans une atmosphère maintenant alourdie.
"Je doute que, si il y avait un clone parmi nous, il se dénoncerait."
"Les clones ont hérité de notre instinct de survie." acquiesçai-je. "Mais ils peuvent aussi faire preuve de notre sens du sacrifice. Il faut se souvenir que nous sommes certainement ici pour régler un des problèmes majeurs de l'humanité !"
"Si un clone se cache parmi nous trois, il a certainement repéré le chromato dès qu'il a ouvert les yeux et il a décidé de se cacher ! Les autres éléments du labo sont inutiles, on n'utilise le B78 qu'en cas de force majeure, quand les autres marqueurs ne fonctionnent pas..."
"Mais si par erreur on tue un humain original..." évoqua le double de droite.
"Alors on ne sera plus que deux dans la salle et la comparaison des ADN fonctionnera forcément." l'autre termina son raisonnement d'une voix implacable.
Je remarquai alors qu'ils me fixaient bizarrement. Je déchiffrai ce regard : c'était le mien, celui que j'affichais quand je regrettais amèrement quelque chose que je m'apprêtais à faire.
"Non..." suppliai-je. "Non, pitié, je vous jure que je suis un original."
"Pitié ? Tu n'en appellerais pas à la pitié mais à la raison si tu n'étais pas un clone."
"On l'a trouvé."
"Non ! Noooon !"
Mes cris de désespoirs étaient inutiles.
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Rapport d'expérience numéro 18, par Marie Delerme.
Les amnésiques dupliqués à travers le temps semblent avoir une capacité augmentée à retrouver un raisonnement utilisé par le passé. Le KTX-196 est l'hypothèse la plus probable pour l'augmentation de cette caractéristique.
En revanche, il est à constater une baisse statistique du caractère empathique d'environ 20% par rapport à l'utilisation du KTX-195.
Une nouvelle série de tests pour l'amélioration du produit est à prévoir.
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