XXXIII - Le Véritable Traître - Partie 1
21 août 1875 — Arkhess
La reine, Lunera désormais, et sa fidèle ministre furent mises aux arrêts. Elles ne tentèrent aucune riposte, toutes deux anéanties, autant par la débâcle de la bataille à Sultakara que par l'ordre implacable d'Akman. Sous les vociférations du peuple, des menottes leur furent passées. L'échine courbée, tenaillées par deux soldats, les deux femmes traversaient lentement la grande place arkhasienne, souffrant de la déloyauté du général et de la haine du peuple, qu'elles avaient pourtant servi avec dévotion.
— À bas, la pourriture de Darkodem ! À bas, la maudite Lunera !
— Nous ne voulons plus de rois égoïstes !
— Emportez-la, elle et sa damnée ministre !
— Qu'on leur coupe la tête !
Honteuse, Solèna restait la tête baissée, estimant qu'il y avait du vrai dans les accusations de la population. Accablée, les yeux tout plein de larmes, la reine relevait sa nuque parfois. Parmi les rangées de visages hargneux qui hurlaient à sa mort, elle vit sa chère tante Nani. Lunera se détourna aussitôt de son visage pâle secoué de sanglots, ne supportant pas de voir la peine infinie de cette bonne femme.
La reine déchue regarda autour d'elle, espérant voir autre chose que les visages malveillants des arkhasiens. Hélas, là où s'aventurait son regard, elle ne rencontrait que le mépris et le dédain de ses sujets. Par ici, Dediaja et Tayitoma demeuraient choquées. Malgré les étroits liens d'amitié qu'elles entretenaient avec la reine, elles ne consentirent à lui porter secours, beaucoup trop secouées par ce mensonge renversant. Là-bas, Aria restait tétanisée, derrière la silhouette massive d'Akman qui observait Lunera d'un oeil vindicatif. Et surtout, Dlavonine. Lunera ne le rata pas du regard.
Enveloppée dans sa riche pelisse, il jouissait déjà du rang royal qu'il ne détenait pas encore. Riant grassement, il s'évertuait à descendre Lunera plus bas que terre tout en se glorifiant pour s'attirer les faveurs d'Arkhess. La reine déchue sentit une vive rage lui tordre l'estomac. Voir son ennemi de toujours triompher d'elle aussi facilement en tirant des conclusions hâtives lui donnait envie de hurler. Hélas, la tristesse et l'accablement dépassaient toute colère. Elle n'avait plus la force de lutter contre cette injustice.
Soudain, un vieil homme se détacha des rangs de la populace et pointa la reine d'un doigt tordu en jurant mille imprécations.
— C'est vous ! grinça-t-il. C'est à cause de vous !
Lunera reconnut le père de Shân, sa greffière dont justice n'avait été encore rendu.
— C'est à cause de vous que ma pauvre Shân est morte ! Tout est de votre faute !
Comme s'il l'avait violentée d'un soufflet, Lunera détourna le visage, rouge de honte. Ah ! S'en était trop ! Arkhess l'accablait de tous les maux. Le poids de la culpabilité écrasait son coeur tout entier. Elle essuyait toutes les avanies possibles et imaginables.
Tout ça... tout ça c'est de la faute de Darkodem ! Tant que je resterai dans son sillage... je ne m'en sortirais jamais.
— NON ! NON ! LÂCHEZ LA REINE !
Ce cri tonitruant l'arracha de ses pensées. De quelle vexation allait-on l'accuser cette fois ? Solèna, devant elle, s'était retournée et observait l'horizon derrière la reine, un air de confusion troublant ces traits. Lunera se retourna à son tour et vit les patriarches Qatmon et Andrade accourir sur le parvis du palais royal, sortant d'une des ruelles adjacentes à la place.
— LÂCHEZ LA REINE !
La voix d'Andrade, magiquement amplifiée, fit sensation une nouvelle fois et la rumeur des conversations cessa. Il lança un « Explodor ! » enragé vers les soldats d'Akman qui n'obéissaient toujours pas et ceux-ci s'écartèrent, rendant à la reine et à la ministre leur liberté. Satisfait, il clama devant tout Arkhess :
— La reine n'est pas coupable... Elle est libérable ! Ce n'est pas une traîtresse, elle-
— TAISEZ-VOUS ! rugit Dlavonine, furieux devant cette menace à sa pleine victoire.
Dlavonine s'avança d'un air dangereux et poussa de toutes ses forces le patriarche Andrade, juste avant de se faire surprendre par un...
— Immobilis ! couina Qatmon, contre toute attente.
L'éclat de lumière verte qui l'immobilisa tout à fait. Andrade s'affala par terre devant tout Arkhess.
Ne supportant guère un tel affront, les familles Andrade et Dlavonine soulevèrent leurs rangs et s'avancèrent pour défendre leur patriarche.
— Restez à votre place ! Je ne demande l'assistance de personne ! cria Andrade en se relevant.
Arrêté dans leur élan, le troupeau de noble resta entre deux feux, bousculés par les Dlavonine qui s'avançaient toujours.
— Immobilis Maxima ! couina Qatmon à nouveau, une délectation malsaine dans sa voix.
Surpris de nouveau par un éclat éblouissant, ce fut, cette fois, tous les membres de l'éminente famille qui furent immobilisés.
— QATMON ! ragea Dlavonine, s'étranglant de colère. Comment... comment osez-vous, seulement ! Libérez-moi ! Libérez-moi, idiot !
Tout autour, les habitants d'Arkhess, les autres nobles, les soldats survivants, Solèna, Lunera, Aria et même Akman, s'échangeaient des regards étonnés. Que se passait-il ? On savait ces trois nobles et leurs familles très comme il faut entre eux ! Ils faisaient toujours front commun ensemble ! Quelle raison poussait à un tel déchirement, à un tel fratricide nobiliaire ?
— Vous savez pourtant à quel point la famille Qatmon dépend de la mienne ! Si vous ne me libérez pas, je vous jure, oh oui, je vous jure, qu'Arkhess verra une autre famille de noble s'écrouler ! Je vous détruirai tous, je vous pourchasserai jusqu'à...
Un murmure courait et éveillait les foules, tandis que Dlavonine poursuivait ses malédictions enragées. Les farouches opposants de Dlavonine semaient le venin : sans doute, il y avait quelqu'affaire louche là-dedans ! Andrade avait mentionné la reine : ce n'était pas une traîtresse ? Elle n'était pas coupable ? On le savait pourtant fermement opposé à son règne.
Faisant preuve de plus de courage que jamais encore, Qatmon s'avança tout en soutenant le regard de son confrère.
— V-votre temps est fini, Dlavonine, lâcha-t-il.
Cette remarque, bien que non hurlée, résonna avec force dans l'esprit du patriarche qui arrêta de crier. Sentant une peur sourde naître dans ses entrailles, il jeta des regards tout autour de lui, guettant les toitures des hauts bâtiments qui entouraient la grande place, comme s'il attendait qu'un évènement ne se produise.
— La prochaine fois, railla Andrade, entraînez mieux au combat vos ayants-droits. Vous savez... ceux qui devaient nous tuer. Avec Qatmon, nous n'en avons faits qu'une bouchée avant de venir ici. Personne ne nous empêchera de faire jaillir la vérité. Vous avez dépassé les bornes, Dlavonine.
Dlavonine blêmit. Il était étrange de voir cette face constamment sanguine, surmontée de ses cheveux pourpres aussi raides que des épines, virer soudainement à une blancheur maladive.
— Peuple d'Arkhess, reprit Andrade après un regard méprisant envers son confrère. Vous avez ouï dire que la reine Ariès est...
— Lunera ! Lunera ! criait-on.
— La fille de Darkodem ! vociféra un vieillard.
— Une traîtresse !
— Oui ! éclata la voix d'Andrade dans un superbe élan magique. Vous le dites si bien ! La fille de Darkodem ! Qu'importe, dans le fond ? Auriez-vous oublié tous ses bienfaits ? Toute sa bonté envers vous ?
On se tut devant ce fond de vérité. Solèna et Lunera échangèrent un regard, médusées. Andrade venait-il vraiment de prendre sa défense devant tout Arkhess ?
— La reine est coupable d'avoir menti, gronda Akman. Elle cache beaucoup plus que vous ne pouvez le penser.
— Les rôles s'inversent, décidément, murmura Solèna, cassante.
L'étincelle du major embrasa la foule et une nouvelle indignation surgit : c'était Darkodem qui avait causé la guerre civile arkhasienne, à cause de son départ inopiné ! Il n'était pas foncièrement mauvais mais son égoïsme avait ravagé la capitale et propulser cette haïssable Sawse au trône, et avec, des années de misère. Qu'attendre alors de sa fille ? Surtout après la défaite glaçante à Sultakara.
— Je connais votre passif, général Akman. D'abord votre père puis...
Andrade jeta un regard au corps d'Arkh qu'il tenait toujours entre ses bras.
— Votre frère...
— Vous ne connaissez rien de moi ! se braqua Akman. Je sais des choses sur la reine qui vous ferait-
Andrade pointa la reine du doigt.
— Vous vous trompez d'ennemi, général Akman.
— Ha ! Qui est donc le véritable ennemi ? Je ne vois pas d'autres traîtres à part la reine.
— Oh, mon garçon, détrompez-vous, susurra Andrade d'un ton caressant.
Lentement, le noble pivota son doigt jusqu'à le pointer vers Dlavonine, cette fois.
— Terhera n'a pas porté pire traître que Dlavonine.
Une grimace de haine déforma le visage de ce dernier. Il resta silencieux, cependant.
— Que vous arrive-t-il, Andrade ? Hier, vous cherchiez des noises à la reine avec ce... cette pourriture, persifla Akman, et aujourd'hui, vous vous retournez contre lui. N'était-ce pas votre allié ?
— Certes... je ne le nie pas... mais je me suis fourvoyé. Il se trouve, cher Akman, que j'ai des valeurs et des principes auxquels je me tiens.
Andrade se détourna et embrassa Arkhess du regard.
— Dlavonine a trempé dans le pire crime qui soit, rugit-il. Au-delà de la reine, il a trompé Arkhess et le Sceau de l'Ange. Si le pays a perdu sa bataille contre l'Adrastée... ce n'est ni plus, ni moins car-
— NON ! cria Dlavonine, suppliant cette fois.
— ... il a vendu la mèche à Sultakara !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro