XXV - Invités Indésirables (1) - Partie 2
Talius attendit cinq bonnes minutes pour s'assurer qu'Assad était bien hors du château. Il mit ce temps à profit pour transformer quelque peu son apparence pour éviter qu'il se fasse reconnaître lorsqu'il déambulerait dans le domaine royal. Il noua ses longs cheveux bruns en un épais chignon qu'il cacha sous le capuchon de sa toge. Il posa également sur son nez les épaisses bésicles qu'il utilisait pour lire et estima que désormais, il serait complexe de l'identifier comme étant le souverain de Viridis.
Ainsi paré, Talius ouvrit la porte du salon et tendit sa tête en dehors. Il jeta un oeil à droite et à gauche et constatant que la voie était libre, il s'aventura dans le couloir.
Maintenant, cherchons la chambre de Saphir... En espérant qu'elle y soit.
Comme si de rien n'était, il s'aventura dans le dédale des couloirs sultakarois. Bien que Talius avait l'habitude des grands complexes, que ce soit avec le gigantesque hôpital ou son propre palais, il se retrouva vite perdu dans ces embranchements infinis. Mais le roi de Viridis ne se décourageait point. Il tenta plusieurs portes qui se trouvèrent dans son chemin, osant sa chance. Entre celles qui étaient verrouillées et celles qui s'ouvraient vers des pièces ne correspondant absolument pas à la chambre princière, Talius se retrouva vite fort embarrassé.
Merci pour lui, les quelques membres du personnel royal qu'il rencontra ne lui accordèrent pas la moindre attention. Les unités de chevalier vaquaient à leur surveillance du château, les bibliothécaires avançaient mains jointes derrière le dos songeant à une quelconque savante lecture, les cuisiniers traversaient les couloirs en courant avec des cageots de légumes sur les bras, et personne de ce beau monde ne vint importuner Talius. Ils voyaient sûrement en lui un honorable médecin qui vaquait innocemment au soin de ses malades.
Ceci dit, vingt minutes passèrent que Talius ne parvint toujours pas à trouver les appartements de la princesse. Il avait descendu et monté les étages, et s'était même retrouvé à la lisière du jardin royal. Le doux sentiment de pleine puissance qui avait succédé le départ d'Assad avait vite laissé place à une lente angoisse, enflant au fur et à mesure que les secondes se distillaient dans le fleuve du temps.
Je ferais peut-être mieux de demander mon chemin à quelqu'un...
Les lèvres pincées, préférant se passer d'une tel recours, Talius n'eut pas le choix. Le temps passait trop vite et il craignait qu'Assad ne revienne et ne trouve le salon vide. Le roi de Viridis frissonna à cette idée.
Il tourna à l'embranchement d'un énième couloir et la première chose qu'il vit fut une grande femme aux cheveux vaporeux tombant en cascade derrière ses épaules, qui lui tournait le dos. Sursautant violemment, Talius bondit en arrière et se cacha derrière un pan du mur. Le coeur battant à tout rompre dans sa cage thoracique, maudissant ses fanfaronnades qui lui faisaient perdre toute prudence. Cette dame n'était nulle autre que la générale Grenat.
— J'ai hâte de voir ses progrès aujourd'hui, l'entendit-il parler seule, joyeuse. Je vais lui dégotter une belle épée et ensuite, au terrain d'entraînement !
Risquant un oeil, il la vit s'éloigner d'une démarche guillerette jusqu'à disparaître complètement.
— Pauvre fou, s'insulta Talius d'une voix sombre.
Comment avait-il pu oublier la générale Grenat ? Autant Shems semblait être avec Assad, autant il n'avait aucune idée d'où pouvait être la générale des armées dans le château. Pourtant, c'était bien la seule, outre les deux hommes, capable d'identifier sa véritable identité derrière son déguisement de fortune.
Visiblement, elle va s'entraîner... Normalement, je ne l'aurais pas entre les pattes.
Talius sortit de sa cachette et fit quelques pas, pensif. Il devait se hâter. Circulant en terrain ennemi, du moins avec des intentions comme les siennes, la prudence était une constante dont il ne devait jamais se délester.
Un chevalier vêtue de la livrée sultakaroise passa alors devant lui.
— Excusez-moi, mon brave, l'interpella Talius. Pourriez-vous-
— Je suis occupé, cingla le soldat avant de poursuivre sa route.
Médusé, Talius resta sottement debout, coi devant tant d'impolitesse.
Oh... Si je n'étais pas en incognito, je l'aurais fait occire à peine aurait-il dit de pareilles paroles !
— Excusez-moi, mon bon monsieur... murmura une voix voilée.
Talius se retourna et vit une vieille dame tenant une pile d'épais bouquins. Elle tendit se face ridée et lui dit :
— Vous bloquez le passage.
— Ah... Pardon.
Il se poussa et laissa passer la vénérable qui poursuivit sa route d'un pas lent, en veillant à ne pas faire tomber les lourdes encyclopédies qu'elle tenait dans ses bras. Talius la regarda faire pendant quelques instants avant de se précipiter vers elle.
— Excusez-moi, madame, pourriez-vous m'aider ? Je suis un guérisseur yaqutan et je viens d'arriver à Sultakara, mentit-il. Mon mentor est allé dans les appartements de la princesse mais je ne les trouve pas, si vous pouviez m'indiquer le chemin, s'il vous plaît.
Elle fit volte-face et demanda :
— Oh... Vous êtes médecin ?
— Oui, répondit-il avec impatience.
— Et vous venez soignez la princesse ?
— Pas tout à fait, mais oui, dans l'idée.
— Et vous cherchez votre chemin ?
— Tout à fait, répondit-il, empressé.
Elle resta à le lorgner d'un oeil vitreux pendant quelques instants puis acquiesça. Elle fit quelques pas hésitants et déposa ses livres sur le rebord d'une fenêtre avant de poser son coude par-dessus pour les maintenir en place. Exaspéré, Talius maudit sa malchance. Parmi toutes les personnes qui fussent dans le château sultakarois, il a fallu qu'il tombe sur celle qui s'évertuait à lui faire perdre le plus de temps possible.
— S'il vous plaît ? redemanda Talius.
— C'est au troisième étage dans l'aile est. Prenez ces escaliers - elle montra des marches au bout du couloir dont avait disparu Grenat tout à l'heure - puis une fois en haut, prenez le couloir à votre droite. C'est une porte à double battants avec les armoiries de la famille royale. Vous ne devriez pas la rater ! ajouta-t-elle en criant, alors que Talius filait déjà en jetant un remerciement.
Montant quatre à quatre les marches, il arriva vite au troisième étage, emprunta les couloirs décrit par la vieille dame et trouva comme prévu la grande porte de la suite princière. Il s'arrête devant les grands battants, le coeur battant à tout rompre, distillant une excitation fébrile, une exaltation fabuleuse qui saisissait son corps tout entier et ne laissant aucun place à la moindre parcelle de raison. Incommodé, il enleva ses lunettes qu'il rangea dans une poche de sa toge. Se faisant, sa main frôla encore le relier de l'objet caché qui le fit bondir d'une joie peu commune à l'intensité fantastique.
Il est temps... L'avènement de mes recherches... Le pouvoir des Sorcières !
Il ne prit même pas la peine de toquer et entra directement en repoussant les battants de la lourde porte de la chambre. Spacieuse, le lit à baldaquin fut la première chose qu'il vit. Agrémentée de part et d'autres par des meubles en bois décorés de cadres et de vases tout pleins de fleurs, il y avait à droite un grand tapis qui accueillait par dessus une table cerclée de chaises où la princesse pouvait accueillir son petit monde.
D'abord mortifié à l'idée que la princesse ne soit pas dans sa chambre, il fit un pas en avant. Et là, il la vit.
Accoudée à la fenêtre, la princesse goûtait à une douce paix. Elle se laissait aller à un bain de soleil, son visage caressé par la brise ardente du mois d'août. Celle-ci ne réagit pas tout de suite à la porte qui venait de s'ouvrir, pensant qu'il s'agissait de Grenat revenue la chercher pour leur entraînement.
— Vous étiez donc ici... murmura Talius, d'une voix sauvage. Depuis le temps que j'attendais...
Réagissant à la voix masculine aux aspérités animales, Saphir se retourna et son visage se fit stupéfait. Abasourdi, Talius était la dernière personne à laquelle elle pensait.
Que fait-il ici ? Que fait-il à Sultakara ? Que fait-il dans ma chambre ? Père ne m'a pas dit qu'il viendrait !
— Ne faites aucun bruit... marmonna-t-il s'avançant doucement vers elle.
Déjà acculée, Saphir ne put reculer davantage. La lueur sauvage dans le regard du roi de Viridis était terrifiante. Autant son intrusion allait à l'encontre de l'étiquette, autant son comportement l'inquiétait beaucoup. Elle ouvrit la bouche comme pour crier mais hélas...
— Ah ! ricana-t-il. J'oubliais... vous êtes incapable de proférer le moindre son. Immobilis !
Privée de voix et de mouvement, Saphir se retrouvait à la merci de Talius. Complètement paniquée, elle ne put rien faire à part écarquiller ses yeux à l'extrême où d'ailleurs des larmes s'amoncelaient. Son coeur tambourinait dans sa poitrine et terriblement confuse, la pauvre Saphir en vint à se demander comme était-elle passée d'une si tranquille paix à des instants de terreur pareils ?
Arrêtez ! Arrêtez !
Talius bondit vers elle et l'empoigna par la taille.
— Pardonnez-moi une intrusion si soudaine, marmonna-t-il avec une voix saccadée.
Il la souleva sans difficulté et la jeta sans ménagement sur son lit.
Que faites-vous ? Ne me touchez pas ! Arrêtez !
Hélas, ses suppliques mentales ne valaient rien.
— Je ne vais rien vous faire, pauvre petite... Soyez détendue.
Une telle remarque ne parvint qu'à insuffler davantage d'effroi dans le coeur de Saphir qui ne pouvait même pas se débattre et défendre sa peau.
— C'est pour la science, murmura Talius à son oreille.
Les cheveux de la princesse se dressèrent d'effroi. Il y avait une folie certaine dans ses propos. Talius n'était plus le respectable et digne roi qui l'avait soignée. Il agissait comme un dément guidé par des passions folles qui le gouvernaient comme un pantin. Talius posa sa jambe sur celles de la princesse espérant l'immobiliser si jamais son sortilège venait à s'estomper.
— Il faut bien se sacrifier dès fois... vous savez...
Maudissant son mutisme qui l'empêchait d'hurler sa terreur, la princesse ne put rien faire, totalement impuissante.
Si seulement je n'étais pas aussi faible ! Si seulement je n'étais pas aussi faible !
Sa magie ne répondait pas, incapable d'être exprimé, ni par les gestes, ni par la parole.
— Ne vous inquiétez pas... susurra Talius. Je vous jetterais un sortilège d'oubli à la fin... Ni vous... ni votre maudit père... ni personne d'autre ne m'embêtera. Et j'aurais tout ce que je veux en contrepartie.
Sa main traversée par une ardeur bouillonnante, Talius descendit sa main vers le bas de sa robe et la glissa dans la poche. Il en soutira alors une fiole où stagnait un liquide violet.
— Ceci est l'avènement de longs... très longs mois de recherches à partir du sang et des cellules de Lunera... de l'autre Sorcière.
Confuse, Saphir se contenta de le regarder avec de grands yeux.
— Merci à votre groupe stupide qui sillonne les cieux, partant follement à l'aventure. J'ai pu récupérer les précieuses matières premières pour mes recherches. Je suis parvenu à comprendre un peu mieux l'essence-même de la nature des Sorcières Hératerra.
Il ricana d'un rire dément et grinça :
— J'ai en mes mains l'élixir suprême ! La première potion capable de neutraliser le pouvoir des Sorcières ! Il n'existe pas pareille magie dans tout Terhera !
Avec un sourire torve, il ajouta :
— En tant que gentille et faible Sorcière... princesse à vos heures perdues... je vous fait l'honneur de la tester en toute exclusivité.
Il décapsula la mixture d'un geste.
— Normalement, c'est sans risque... Vous perdre juste vos pouvoirs magiques pendant quelques minutes... Tenez-vous prête !
Lorgnant la potion violâtre, semblable à du venin, Saphir la vit scintiller comme si elle contenait de la poussière d'étoiles liquide.
— Quelques gouttes sur la peau et le tour est joué !
Portant une main décharnée, il arracha le corsage de la princesse dévoilant une partie de sa gorge sans pour autant mettre à nu sa poitrine. Le bruit du tissu déchiré retentit comme une plainte terrible à ses oreilles.
Tétanisée, ce fut comme si une alarme retentit dans l'esprit de la princesse. Espérant transcender son handicap, elle rugit dans son esprit de toute la force. Pourtant, ce furent bien des sons qui sortirent de sa bouche :
— PÈRE ! GRENAT ! SHEMS ! PÈRE ! AU SECOURS ! hurla la voix de princesse, toute rauque après autant de mois de silence.
Sursautant violemment, Talius tomba en arrière faisant tomber une bonne moitié de la fiole qu'il tenait. Que la princesse retrouve la parole en sa présence était un incroyable coup de malchance.
Soudain, la porte s'ouvrit avec force, le battant fauchant l'air avant de claquer contre le mur avec un grand bruit et dévoila Grenat, toute pâle.
— Princesse ! Je venais dans votre chambre quand j'ai cru vous entendre...
Elle cilla, n'en croyant pas ses yeux.
— ... crier... murmura-t-elle.
Comme arrêté, son cerveau fut incapable d'analyser la scène dans son entièreté comme si concevoir une pareille abomination dépassait les limites de l'imagination humaine.
La princesse immobile dans son lit, les joues ruisselantes de larmes.
Un homme qu'elle identifia comme Talius, gisait à terre, les jambes culbutées.
Le corsage de la princesse, déchiré, laissant entrevoir sa gorge nue.
Talius tenant une étrange bouteille dans ses mains, semblable à un poison.
La princesse murmurant des paroles saccadées, appelant Grenat d'une faible voix.
Grenat vit rouge.
— QUE LUI AVEZ-VOUS FAIT ?
Enhardie d'une rage folle, sans foi ni loi, elle bondit avec l'ardeur d'une lionne défendant ses petits et décocha un coup de pied formidable en plein dans le torse de Talius l'envoyant s'écraser sur la commode de la princesse. Son flacon vola au mur et s'écrasa dans un grand éclat de verre laissant s'échapper le liquide violet qui salit la pièce.
Grenat se redressa de toute sa hauteur, toisant le roi de Viridis. Menaçante et austère, une expression terrible barrait son visage. Son unique oeil promettait un châtiment funeste à Talius pour son acte détestable. Sa poitrine se levait et s'abaissait, perturbée par un souffle furieux. Des plaques rouges sur le visage, elle rugit :
— Comment... comment avez-vous pu SEULEMENT oser poser vos sales mains sur la princesse ?
— Grenat, attendez... tenta de se défendre Talius. Il-
— Et vous osez parlez, en plus ? cria la générale d'une voix perçante. Immobilis ! Mutisma !
Les éclats de lumière surprirent le roi de Talius qui se retrouva dans le même état que la princesse. Elle se précipita ensuite vers la princesse et la prit dans ses bras.
— Oh... Princesse, ma pauvre princesse...
Pleurant silencieusement, la princesse sanglotait dans les bras de son amie.
— Je n'aurais jamais dû vous laissez, regretta Grenat le coeur brisé. À peine vous-ai je laissé dix minutes... ce goujat en a profité... Oh mon Dieu...
— Père... père... père... murmurait Saphir.
Grenat se releva et se précipita vers l'armoire de la princesse où elle soutira une bouteille d'encre, une plume et un parchemin.
— Ce chien n'était pas avec le roi, normalement ? se demanda-t-elle, mortifiée.
La générale leva le sortilège de mutisme et grinça à l'encontre de Talius :
— Qu'avez-vous fait à Sa Majesté ?
— Grenat, je-
— Répondez ou je vous tue. Vous savez ma lame impitoyable.
Talius déglutit. Mortifié, il était désormais à la merci des sultakarois.
— Il est allé aux frontières de la capitale pour une affaire urgente.
— Mutisma ! Eh bien, j'ai encore plus urgent. Le roi laisserait choir ciel et terre pour sa fille.
Elle griffonna hâtivement quelques mots sur le papier et l'envoya au roi à l'aide d'une formule magique. Où qu'il soit, cette lettre hyper-express ne manquerait pas de joindre rapidement son destinataire.
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