XXI - Retour en Adrastée - Partie 1
08 juillet 1875 — Sultakara
Sultakara se relevait de sa blessure. La cicatrice béante laissée par la perte de la reine se refermait petit à petit, pansée par le temps. La sérénité regagnait le coeur d'Assad. Un peu moins sombre, une certaine douceur venait embellir ses traits auparavant constamment froncés et tendus. Il parlait davantage, ne se contentait plus de réponses laconiques, était plus expressif et surtout, Assad souriait de temps à autre. Un sourire frêle certes, mais un sourire quand même. L'omniprésence de ses amis, chaque jour, n'était pas étrangère à cette lente guérison.
Encore ce jour-là, ce fut Néalia qui vint à Sultakara, accompagnée de son fils. Après avoir déjeuné ensemble, ils marchèrent un peu dans le château, discutant tranquillement de divers sujets. Leurs pas les menèrent aux remparts inférieurs du palais.
— Ne serait-ce pas... la jeune Saphir, là-bas ? dit Néalia, étonnée.
Assad se pencha et vit dans la cour en contrebas sa fille et Fenrir en train de disputer un duel amical contre Grenat. Le roi ne répondit pas immédiatement, esquissant un bref sourire à la vue du visage éclatant de la princesse qui réapprenait à manier l'épée.
— Notre chère princesse a l'air de se porter beaucoup mieux... remarqua la reine de Yaqutane.
Assad releva ses yeux saphiréens vers elle et acquiesça.
— Je suis surpris de sa force d'âme... Elle a récupéré si vite, tu sais.
— Elle peinait encore à se déplacer quand nous sommes venus, il y a deux semaines.
— C'est vrai, répondit Assad. C'est comme un phénix qui renaît de ses cendres.
Il leva ses yeux au ciel et inspira profondément, se délectant de l'air frais qui parcourait ses poumons.
— Nous sortons d'un cauchemar, Néalia... Saphir récupérait lentement mais je craignais qu'elle ne soit brisée à jamais. Elle restait toujours alitée, comme paralysée, ressassant d'éternels cauchemars. Des crises de larmes la surprenaient chaque jour. Elle n'en pouvait plus. J'allais moi-même étouffer.
Assad s'accouda à la rambarde, suivant les moulinets maladroits de sa fille qui cherchait à parer les coups parfaits de Grenat. Fenrir, à ses côtés, sautillait partout en soutien, bloquant de justesse les attaques de la générale que la princesse ne parvenait à éluder. Grenat les arrêtaient à intervalles réguliers pour leur donner des conseils. Ils plaisantaient tous ensemble et un sourire, tout aussi frêle que le sien, s'affichait sur le visage pâle de la princesse. À cette vision, Assad sentit comme une douce chaleur diffuser en son sein. C'était comme si un rayon de soleil venait réchauffer son coeur.
— J'ai eu peur, Néalia... Si peur qu'elle ne retrouve jamais sa joie de vivre. Je me rappelle encore de ses escapades hors du château, se souvint-il, rêveur. Elle esquivait tous les chevaliers affiliés à sa garde et rejoignait Grenat dans ses missions en extérieur. Shems lui passait un savon ! J'étais moi-même mécontent de ses escapades... mais j'aurais tout donné pour que Saphir redevienne comme avant. Elle était notre soleil, Néalia. Notre soleil.
Attendrie, Néalia se posa près de lui, l'écoutant tranquillement. Chaque fois que l'un d'entre eux venait, Assad racontait à nouveau leur histoire, mettant son âme à nue. C'était là, se disaient-ils, sûrement un moyen de soulager le trop plein de tension qu'accumulait son être.
— J'ai fait de mon mieux pour la soutenir mais je ne savais pas comment faire, avoua-t-il, soudain amer. Je passais toutes mes nuits avec elle... Son état restait stable sans pour autant évoluer. Je m'inquiétais tellement ! Et puis...
Il se radoucit.
— Il y a une trois semaines, raconta-t-il, en me levant le matin, je l'ai vue debout, accoudée à la fenêtre. Elle se tenait là à regarder paisiblement l'horizon. C'était la première fois qu'elle se déplaçait seule. Puis, Saphir a enchaîné progrès sur progrès. Elle se déplaçait seule, pleurait moins, et souriait même, parfois. Ses nuits étaient moins agitées. Je sentais qu'elle se remettait même si... Ah !
Assad sursauta. En bas, Saphir s'était écroulée, complètement épuisée. Soucieuse, Grenat s'agenouilla près d'elle tandis que Fenrir s'en alla chercher de l'eau. Respirant à plein poumons, essoufflée et le front moite, la princesse rassura Grenat en lui faisant signe de se calmer. Au-dessus, Assad se détendit. Ce n'était rien d'autre qu'une grosse fatigue.
— Le destin est curieux... constata-t-il, songeur. Quoiqu'il en soit, comme maintenant, elle est encore sujette à de l'épuisement. Et elle n'a toujours pas recouvert la parole. Mais elle fait des efforts. Elle lutte pour vivre ! s'écria-t-il, des étoiles dans les yeux. Et j'en suis si heureux.
Dans la cour, Saphir buvait dans la petite gourde que lui avait rapporté le prince de Yaqutane. Abreuvée, elle se releva ragaillardie et croisa alors par hasard le regard de son père, qui l'observait toujours avec Néalia. Elle agita sa main pour le saluer, son visage se fendant d'un sourire radieux.
— Je suis si content, souffla-t-il en essuyant une larme, ému.
— Et nous donc, Assad... lui dit-elle en posant une main sur son épaule. Tu ne l'as jamais laissée. Elle n'est pas seule et a beaucoup de chance de t'avoir.
La gorge nouée, Assad serra fort la fine main de Néalia, lui témoignant alors toute la force de sa gratitude.
— Je n'ai aucun doute que Saphir retrouvera la parole, affirma-t-elle. Un peu de patience, seulement. Regarde-là donc ! Elle est maintenant capable de s'entraîner à l'épée, comme avant !
Il se mit à rire.
— C'est vrai... Elle a écrit sur un bout de papier à Grenat, il y a deux jours, qu'elle désirait absolument reprendre ses duels réguliers avec elle. Elle ne ménage vraiment aucun effort, regarde ! lui montra-t-il en pointant son doigt en contrebas.
Saphir se concentrait intensément et était même parvenue à briser la garde de la générale.
— Avec une telle résilience, elle fera une brave reine.
— Une des plus grandes que Sultakara portera, promit Assad. J'en fais le serment !
Ils échangèrent un coup d'oeil entendu et reprirent leur marche, d'un pas léger.
— Toujours aucunes nouvelles ? marmonna Assad.
Comprenant l'allusion à Lunera, Néalia secoua négativement sa tête.
— Je songe sérieusement à ce qu'elle se soit noyée à Callisto, soupira la reine de Yaqutane. Après autant de mois, toujours aucun signe de vie ?
Assad émit un grognement rageur. Le temps pansait peut-être les blessures mais ne flétrissait guère son humeur vindicative. Au contraire, la flamme de la vengeance brûlait encore plus ardemment qu'au premier jour.
— Assad, voyons... souffla Néalia. Tu sais bien à quel point cette fille est folle à lier ! Elle ne jure que par son père et cherche à le faire renaître. Pourtant, si elle est toujours vivante, elle sait que le Saphir Sidéral est toujours en ta possession. Or, elle n'a jamais rien tenté contre Sultakara et on a perdu sa trace depuis... ce jour.
— C'est vrai... grommela Assad, de mauvaise humeur. Mais je ne sais pas... Ça ne peut pas finir comme ça. Cette fin me laisse un goût amer. Bref... Nous devrions nous réunir tous et en parler. Ça fait... longtemps d'ailleurs que l'on ne s'est pas vu tous ensemble, remarqua-t-il en grimaçant.
— Oui, nous devrions nous organiser ça ! se réjouit Néalia. Comme au bon vieux temps.
— Le bon vieux temps, soupira Assad. À qui le dis-tu ?
☾☾☾
À la demande de Néalia, ils remontèrent dans la salle où étaient entreposés les Miroirs Double-Sens.
— Je pars avant, mais veille à m'envoyer mon petit Fenrir quand-
— Tu sais, la coupa-t-il, j'ai reçu une lettre de Talius, hier.
Sa main ayant déjà traversé la surface bleutée du miroir, Néalia la retira vivement, intriguée. Assad regardait à ses pieds et Néalia s'empressa de suivre son regard. Des éclats de verre gisaient dans un coin.
— Quand j'ai vu ces débris, j'ai pensé à lui. C'était sa deuxième lettre. À la première, avoua-t-il honteusement, j'étais tellement énervé que j'ai brisé le miroir qui connectait nos pays d'un coup de poing.
—Ce coup de poing aurait trouvé une meilleure place sur sa figure, déclara Néalia, sarcastique.
Les lèvres d'Assad tressautèrent, amusé.
— Que voulait-il ?
— Prendre des nouvelles... Beaucoup de parlotte pour pas grand chose. Il a beaucoup parlé de Saphir aussi. La première fois, j'ai cru comprendre qu'il voulait venir à Sultakara, d'où...
— ... le miroir cassé, compléta Néalia en se mordillant la lèvre pour éviter de rire.
— Et la deuxième fois, il a clairement dit qu'il souhaitait venir à Sultakara.
Néalia écarquilla ses yeux, stupéfaite.
— De la part de Talius ? C'est étonnant !
Assad acquiesça.
— Tu as accepté ?
— Je n'ai pas donné suite et je n'en donnerai pas, déclara-t-il, buté.
Néalia soupira et s'avança vers le roi.
— Assad... Talius n'est certes pas allé en ta faveur lors de la Conférence, mais-
— Je sais ! grinça-t-il.
Il devenait amer chaque fois qu'on lui rappelait la débâcle du Conseil des Rois.
— Alors, ne laisse pas tes sentiments prendre le dessus, lui conseilla-t-elle. Ne ternis pas les relations que tu as avec Viridis. Pense à Sultakara. S'il souhaite venir, pourquoi pas ?
Elle se tut avant d'ajouter d'un air conspirateur.
— S'il vient, traite-le avec autant de froideur qu'il le fait habituellement. Ramène Amèrius avec toi, il s'en donnera à coeur joie.
Assad éclata de rire, imaginant déjà les piques que ne manquerait pas de lancer le glacial roi d'Éterneige. Contente de le voir aussi joyeux, Néalia le salua et franchit le miroir qui la ramena à Yaquane.
Sultakara allait mieux, c'était un fait.
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