XX - Secours Vipérin - Partie 2
L'heure des séparations ne manqua pas d'arriver au plus grand soulagement de Lunera. Elle se promit que sauf circonstances exceptionnelles, plus jamais elle ne remettrait les pieds dans les grottes du nord-est. Elle n'avait même pas pu récupérer des informations à propos de Garland V. De son côté, Solèna ne pouvait s'empêcher d'afficher une mine défaitiste, peinée que son plan soit tombé à l'eau.
La Grande Dame Vipérine était remontée avec ses invitées jusqu'à leur convoi, où le cocher attendait docilement leur retour. La remontée des cavernes s'était fait sous un silence tendu, malgré les vaines tentatives de la lamia de faire la conversation. Lunera et Solèna répondaient laconiquement, chacune ressassant avec tristesse l'échec de leur mission.
— Il est temps de nous dire au revoir, Ange d'Arkhess... Merci de votre visite et pardonnez-nous encore de nos manières brusques pendant le dîner.
— Il n'y a pas de mal, répondit Lunera en feignant un sourire.
J'aurais encaissé autant de manières brusques qu'il le faudrait si cela me permettrait de retrouver ce maudit Garland.
— Avant... hésita la prêtresse. J'aimerais vous dire un mot en privé.
Se retenant de grimacer, Lunera jeta un coup d'oeil à Solèna qui se tenait en retrait. Dans des occasions pareilles, elle préférait toujours avoir Solèna à ses côtés. Néanmoins, elle lui fit un signe de tête et la ministre salua leur hôtesse avant de monter dans le fiacre, laissant les deux souveraines discuter à leur aise.
— Ange d'Arkhess, faites attention, la mit en garde la Grande Dame.
— Vous parlez de Solèna ? demanda Lunera d'un ton cassant.
Cette fois, ce serait elle qui se montrerait vexée. Elle ne permettrait à personne de médire sur sa chère ministre. La Grande Dame Vipérine leva ses mains en signe de paix.
— Certainement pas... Votre ministre est d'une belle loyauté à votre égard, gardez-la bien précieusement.
Lunera se radoucit.
— Je parlais de votre vie d'avant, reprit la lamia. Comme je vous l'expliquais tout à l'heure, j'ai suivi votre aura assidûment depuis votre naissance, pour des raisons évidentes.
Intriguée, la reine d'Arkhess s'était faite toute ouïe. Quelle mise en gardait allait-elle lui faire ?
— Depuis votre naissance, je ressens sans cesse une terrible présence graviter autour de vous.
L'expression de la jeune fille n'aurait pas été différente si elle avait encaissé un coup de poing. Au vu des pouvoirs de ces créatures, une telle déclaration était juste renversante.
— C-comment ? bégaya-t-elle.
— Ne vous affolez pas, la conjura la Grande Dame, se voulant apaisante. Cette présence ne vous suit pas à proprement parler. Je ne me trompe pas en affirmant que vous viviez à Ganymède ?
Lunera hocha la tête impatiemment, n'attendant que la suite des explications.
— Eh bien, l'aura profane dont je vous parlais demeurait en votre compagnie tout le long de votre vie là-bas.
— Comment ça ?
— Ce que je veux dire, c'est que cette aura vivait avec vous. Elle n'est pas en vous.
— Elle vivait ? couina Lunera, mortifiée.
Ses méninges se mirent en marche, tentant de décrypter les mystères délivrés par la Grande Dame.
Ferait-elle... référence à Darkodem ?
— Cette aura a-t-elle déjà quitté Ganymède ? questionna Lunera.
Si c'est Darkodem, elle parlera sûrement de ces va-et-vient incessants.
— Jamais. Encore aujourd'hui, je la ressens à Ganymède, au même emplacement. Depuis que je suis Grande Dame Vipérine, elle n'a pas bougé d'un iota.
Mâchouillant l'ongle de son pouce, les yeux de Lunera s'agitaient dans tous les sens, intriguée - inquiète même - par les confidences de la lamia.
Personne ne vivait au Palais des Chimères avec moi pourtant... De quoi parle-t-elle donc... ?
— C'est tout ce que j'avais à vous dire. Faites attention, Ange d'Arkhess.
Derrière elles, les chevaux de la voiture s'agitaient. Le cocher héla :
— Majesté ! Ils s'impatientent !
Lunera secoua sa tête. Elle aurait tout le voyage du retour pour y repenser. Elle tendit une main à la Grande Dame Vipérine.
— Au revoir, Grande Dame. Prenez bien soin de vous.
— Merci à vous Ange d'Arkhess. Faites un bon voyage et n'hésitez jamais à me solliciter. Je me ferais un plaisir de vous aider du mieux que je peux. J'insiste.
Lunera lui sourit et serra vigoureusement les mains de la lamia avant de faire volte-face. Arrivant devant le convoi, le cocher ouvrit la porte et l'invita à monter. Elle monta une marche sous le regard triste de Solèna, profitant sûrement de sa solitude momentanée pour se morfondre quant à leur plan raté. Lunera resta en suspens tout et grimaça à la vue de sa ministre. Rentrer à Arkhess dans une atmosphère aussi morbide ne lui seyait pas. Et puis, elle avait besoin à tout prix de le retrouver.
Pardon, Solèna. Cette fois, je ne vous écouterai pas. Et puis... La Grande Dame a insisté.
Lunera bondit du marche-pied et cria :
— Grande Dame !
Étonnée, la prêtresse serpenta vers la reine d'Arkhess qui accourait à elle.
— Justement, expliqua Lunera avec un sourire contrit. J'ai besoin de votre aide.
La lamia haussa un sourcil amusé et inclina sa tête, ravie de pouvoir apporter son aide.
— Je recherche quelqu'un. C'est... dans le cadre de mon périple dont je vous parlais tout à l'heure. C'est très important pour moi. Pouvez-vous... hésita-t-elle, me renseigner... avec l'Empyrée Arkhale.
Le sourire de la créature se flétrit quelque peu et avec, celui de Lunera.
J'en demande peut-être trop...
— C'est contraire à nos préceptes, murmura la vipère d'une voix triste.
Lunera cilla. Elle eut l'impression de recevoir un soufflet en plein visage. La Grande Dame la guetta attentivement pendant quelques instants et leva sa tête vers le ciel.
— Anciennes prêtresses... soupira-t-elle. Pardonnez-moi. Ange d'Arkhess, je suis prête à vous aider.
La jeune fille recouvra immédiatement son sourire. Toute fébrile à l'idée d'approcher de la vérité, elle sentait son coeur pulser intensément dans sa cage thoracique.
— Toutefois, s'excusa la Grande Dame, mon pouvoir est très limité. Comme je vous le disais, on me prête des dons d'omniscience que je n'ai point. Je ressens les auras magiques mais je ne sais pas à qui elles appartiennent, sauf pour de rares exceptions.
— Essayons quand même, supplia Lunera, n'ayant pas écouté un traître mot de sa consoeur. Je cherche Garland V.
La mention de l'ancien roi d'Arkhess suscita un vif engouement auprès de la Grande Dame Vipérine.
— Décidément, Ange d'Arkhess, vous vous complaisez à vous entourer d'auras profanes, plaisanta-t-elle.
— C'est-à-dire ? débita Lunera rapidement, n'attendant que la réponse finale de la lamia.
— Je ne saurais répondre à votre question précisément. Cependant, je sais reconnaître l'aura de Garland V, ayant été le roi d'Arkhess pendant près de quatre-vingt-dix ans. D'étranges phénomènes gravitaient autour de son étoile, cependant. Elle s'atténuait de jour en jour.
— Son âge, peut-être ? Solèna m'a dit qu'il était très vieux.
— Non, ce n'est pas ça... En plus de perdre de la vigueur, son aura se faisait plus ténébreuse.
— Et maintenant, où est-elle ?
— Voilà plusieurs mois qu'elle s'est éteinte.
Choquée, Lunera se sentit défaillir.
— M-mort ? parvint-elle difficilement à articuler.
— Non... Je ressens toujours la part de ténèbres qui est liée à Garland. Elle aurait disparu s'il serait mort.
Lunera soupira de soulagement.
— Son aura est similaire à la souillure présente à Ganymède.
— Avant qu'il ne s'éteigne, où était-il ? questionna Lunera.
— Dans l'Adrastée, affirma la lamia.
— Vraiment ? s'étonna la reine d'Arkhess. Pourtant, il était roi d'Arkhess. C'est bien le dernier continent où vivrait un arkhasien.
— Je suis certaine, affirma la créature.
— Une idée du pays ?
— L'Empyrée Arkhale ne fournit qu'une représentation vaporeuse des continents. Je suis incapable d'évoquer précisément quel pays de l'Adrastée a-t-il fréquenté.
— Ce n'est pas grave. Vous m'avez déjà été d'une grande aide, la remercia Lunera.
Elle lui prit la main et la serra avec vigueur, transmettant ainsi toute sa gratitude à la Grande Dame qui pourtant semblait mal à l'aise.
— Majesté !
Lunera jeta un coup d'oeil derrière elle. Les chevaux s'agitaient de plus en plus et le cocher semblait irrité de devoir juguler leurs ardeurs.
— Je pense qu'ils m'attendent. Je pars, Grande Dame, la salua Lunera en reculant. Merci pour-
— Attendez, Ange d'Arkhess !
Elle s'approcha de la reine et plongea ses pupilles les siennes. On pouvait y lire une grande appréhension.
— Je pense... enfin, j'en suis presque certaine... je crois que votre étoile est entrée en contact avec celle de Garland V, il y a quelques mois. Quelques jours avant qu'il ne disparaisse pleinement de l'Empyrée Arkhale.
— Q-quoi ? s'étrangla Lunera, soufflée par la nouvelle.
— Je suivais votre trajet de Sorcière et quelques jours après votre bref contact, son aura a disparu. C'est tout ce que j'ai à vous dire sur celui.
Tétanisée, Lunera réfléchissait à toute vitesse. Elle n'en croyait pas ses oreilles.
— Vous devriez y aller... l'intima la Grande Dame avec douceur. J'espère que ces informations vous seront utiles.
— O-oui... murmura Lunera, absente.
Elle secoua sa tête et remercia son hôtesse.
— Nous... nous quittons en amie ? hésita la prêtresse, tandis que ses joues rosirent.
Lunera esquissa un grand sourire et hocha la tête. La jeune fille n'hésita même pas.
— Je m'appelle Lunera.
— Et moi, Daea.
☾☾☾
08 juillet 1875 — Arkhess
Très tard dans la nuit, alors que l'aube approchait, Lunera montait quatre à quatre les escaliers du palais d'Arkhess.
— Je réfléchis, je vous ai dit ! s'écria-t-elle.
— Doucement ! cingla Solèna. Vous allez réveiller tout le château !
Après les révélations de la Grande Dame, elles avaient cogité sur la question de Garland V pendant tout le trajet. En arrivant à la capitale, d'un commun accord, elles avaient décidé avant d'aller dormir de remonter au bureau de Solèna pour revoir l'affiche de Garland. Fébrile, Lunera sentait qu'elle approchait du but.
— Dépêchez-vous, Solèna !
En contrebas des marches, la ministre se tenait à la rampe, essoufflée.
— A-attendez-moi... Je ne suis plus toute jeune !
Lunera ricana, fit volte-face et entra droit dans le mur. Elle tomba à la renverse en gémissant « Aïe ! ». Se massant sa pauvre hanche qui avait encaissé le choc, elle releva sa tête et vit que ce qu'elle avait pris pour un mur n'était nul autre que l'imposante Sawse N.
— Ne pouviez-vous pas faire attention ? cracha la reine, irritée.
— Pardon, croassa Sawse.
Et celle-ci s'éloigna promptement. Lunera observa son ombre s'éloigner puis se mêler aux obscurités du palais.
— Bah, que faites-vous par terre ? s'étonna Solèna, une fois arrivée au sommet des marches.
Elle lui tendit une main que Lunera saisit distraitement tout en guettant le couloir d'où venait de disparaître Sawse.
— J'ai percuté... Sawse...
— Oh, ce n'est que ça ?
— Que fait-elle donc réveillée ? se demanda Lunera, méfiante.
— Peu importe, répondit impatiemment Solèna en agitant ses mains comme si elle chassait des mouches invisibles. Sawse N est une femme bizarre. Ou bien elle est en train de fouiner, ou bien elle cherche quelque chose à se mettre sous la dent.
Lunera se crispa au mot « fouiner », mais elle n'eut pas le temps de se poser plus de questions que sa ministre la houspilla :
— Allez ! Nous avons mieux à faire !
— Hum.
Elles se précipitèrent dans le bureau de Solèna à quelques couloirs d'ici et s'y barricadèrent à l'intérieur. La ministre s'attela à allumer toutes les bougies pour pallier à l'obscurité de son cabinet tandis que la reine se rua sur les parchemins des Quêtes Éternelles.
— Vous avez fréquenté tous les pays de l'Adrastée ? demanda la ministre entre deux formules magiques.
— Je vous ai déjà dit que non.
— Faisons encore la liste des endroits du continent que vous avez visité.
— Solèna, je-
— Faisons, insista-t-elle en faisant les gros yeux.
Lunera se releva et souffla. Elle reprit ses recherches.
— Où avez-vous mis cette satanée affiche ?
— Sultakara ?
— Oui, mais que la capitale.
— Le Village ? Éterneige ?
— Je n'y suis jamais allée. Ah ! La voilà !
— Yaqutane ?
— Je n'y suis allée qu'une fois, répondit distraitement Lunera en dévisageant la représentation réaliste de Garland V. J'ai piqué un vaisseau.
— Ah bon ? s'étonna Solèna.
Lunera s'arracha de la contemplation du visage ridé et des yeux jaunes du vieil homme et se tourna vers Solèna.
— Oui, gloussa-t-elle. C'était le fleuron de l'aéronautique, paraît-il. Le Rubis Rouge.
— Oh ! s'exclama Solèna. Suis-je bête ! J'avais lu un article à ce propos !
La reine n'écoutait plus, pleinement accaparée par son observation minutieuse. Elle se jeta sur le fauteuil tout en ne quittant jamais des yeux le regard hautain de Garland V. Elle avait comme une impression de déjà vu.
— Et dans aucune de ces destinations vous n'avez vu de vieil homme semblable à Garland ?
— Non, soupira Lunera en posant l'affiche. Comme je vous l'ai dit, je suis allée une première fois à Sultakara, à dos de dragon. Puis, j'y suis retournée une deuxième fois mais là... ils ont tué Dracaena, murmura-t-elle, sombre.
Elle secoua la tête, horrifiée à l'idée de revivre cette effarante scène.
— Après j'ai rejoint Yaqutane pour trouver un moyen de rentrer. J'ai fait une halte dans un petit patelin pour trouver mon chemin, dit-elle, mais...
Elle s'interrompit soudainement, tétanisée.
— Solèna ! glapit-elle.
Lunera fit volte-face, attrapa férocement l'affiche parcheminée de Garland V qu'elle avait déposé sur la table-basse et la détailla une énième fois. Un flot de souvenirs ressurgit.
Le village de Nara... Le vieil homme sur la stèle... Le sortilège de la Mort... Cet oeil jaune qui l'avait toisée... Cette gifle qui l'avait mise dans tous ses états...
La ministre accourut, fébrile.
— La Grande Dame Vipérine avait raison, haleta-t-elle. Je sais où est Garland V.
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