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XVIII - Les Quêtes Éternelles - Partie 1

29 juin 1875 — Arkhess

Peu avant minuit, Lunera, qui ne dormait toujours pas, reçut une lettre hyper-express de la main de Solèna.

« J'arrive bientôt. Dormez-vous ? »

La ministre avait tardé mais Lunera n'en était pas dérangée. Elle attendait patiemment sa venue, espérant l'arrivée de réponses avec elle. Bien qu'elle somnolait quelque peu, l'annonce de Solèna l'éveilla comme un électrochoc.

« Non. Venez, je vous attends. »

Elle griffonna ses mots au dos du papier et le renvoya. Une dizaine de minutes plus tard, la ministre arriva, déconfite.

— Je n'ai rien trouvé, je suis désolée.

Un peu déçue malgré elle, Lunera haussa les épaules.

— Merci d'avoir quand même cherché. C'est gentil.

— J'ai fouillé tous les livres que j'avais et j'ai même sollicité les bibliothécaires du palais. Rien.

Les lèvres pincées, Lunera haussa les épaules à nouveau. Elle bailla ensuite à s'en décrocher la mâchoire.

— Je n'aurais peut-être pas dû passer aussi tard, s'excusa la ministre, mal à l'aise.

— Non, non, ne vous en faites pas ! s'écria immédiatement Lunera. C'est juste que... j'ai un peu peur de dormir.

— Comment ça ?

— J-je... ne veux pas revivre une telle terreur, avoua-t-elle en détournant le regard, les joues rouges.

— Je comprends mais... vous ne pouvez pas rester comme ça !

— Oui, Solèna, mais j'ai si peur ! C'était tellement réel ! J'en ai assez que Darkodem me hante !

— Il faut que ça cesse... Sinon, vous ne pourrez jamais être en paix avec vous-même...

— Avec Darkodem, toute tentative de paix est vouée à l'échec, ricana Lunera d'un rire sans joie. Mais, ceci dit, je suis heureuse que nous soyons arrivés à la même conclusion : il faut que ça cesse.

— Vous... vous avez une idée ? s'étonna la ministre.

— La présence de Darkodem ne cesse de planer au-dessus de moi, ces jours-ci. Encore plus avec ce rêve... Il m'attire de plus en plus ! J'ai essayé de l'ignorer au début, mais c'est impossible. Cette marque est la preuve que quelque chose se trame...

— Je ne comprends pas... murmura Solèna, la bouche sèche.

— Pour moi, et moi seule, je pense qu'il faut que je continue la mission stupide qu'il m'a confiée.

— C-comment ? R-ressusciter Darkodem ? balbutia-t-elle, foudroyée.

— Je veux taire une bonne fois pour toutes les démons qui me hantent ! Finir avec Darkodem pour pouvoir reprendre une vie sereine à Arkhess ! Je ne veux plus jamais vivre un pareil cauchemar.

— Une telle chose est-elle possible ?

— D'après lui, oui... Vous vous souvenez de ma lettre ?

— Oui, acquiesça Solèna. Quand bien même ce serait possible... Comment vous y prendriez-vous ?

— À ce propos...

Elle lui confia les propos adressés par Darkodem et l'étrange femme dans son rêve. Après s'être creusée la cervelle pendant plusieurs heures, elle s'en était enfin souvenue. Écoutant attentivement, Solèna glapit et tomba de sa chaise à la mention de Garland V.

QUOI ? rugit-elle, médusée. Garland V ?

Surprise, Lunera hésita un instant.

— Vous... vous le connaissez ?

— N'évoquez jamais, au grand jamais, l'identité de cette personne, murmura Solèna en frémissant. Darkodem n'est qu'un piètre personnage face à Garland V, le pire roi qu'ait pu connaître Arkhess. Il fut le prédécesseur de votre père et c'est d'ailleurs celui-ci qui l'a chassé du pouvoir. Un vieil homme qui resta plus de quatre-vingt-dix ans sur le trône et apportant autant de temps de misère et de répression. Il était d'une telle cruauté que nos plus anciens aïeux tremblent à la simple évocation de son nom.

— C'était un roi d'Arkhess ? s'étonna Lunera.

Solèna hocha la tête.

— Je n'ai pourtant pas vu son portrait dans la Galerie des Rois... remarqua la reine, songeuse.

— Il était tellement haï que son tableau fut souillé et détruit. Le peuple a refusé de reconnaître un tel être comme roi.

— Il est toujours vivant ? demanda Lunera.

— Apparemment, il était déjà d'un âge extrêmement avancé avant même de monter au trône. Rajoutez-y quatre-vingt-dix ans de règne et vingt ans depuis sa déchéance... Il est sûrement mort...

— Pourtant, Darkodem m'a dit qu'il était la clé, remarqua Lunera. Il a parlé aussi, comme je vous le disais, du Rituel de la Clairvoyance et du Saphir Sidéral.

Actionnant ses méninges à toute vitesse, Solèna réfléchit pendant quelques secondes avant de frapper le plat de ses mains sur le chevet de la reine.

— Mais oui ! cria-t-elle. Le Rituel de la Clairvoyance permet d'identifier des personnes, des objets où tout autre chose dont on aurait besoin. Mais comme tout rituel, le sacrifice initial est lourd pour espérer profiter de cette magie. Il nécessite la mise à mort d'une personne sur un Cercle d'Uraera et... et plus la personne est âgée, et plus la clairvoyance sera précise !

Elle s'agrippa le visage, horrifiée.

— Garland V étant extrêmement âgé... si jamais le rituel venait à s'accomplir en sacrifiant sa vie, vous pourrez parfaitement identifier le Saphir Sidéral caché à Sultakara... et donc le récupérer pour ouvrir les Sanctuaires... et... rejoindre Darkodem... Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, se lamenta-t-elle.

— Tout s'emboîte parfaitement, murmura la reine, choquée. Tout concorde !

Solèna ne répondit rien, bouleversée.

— Je ne connaissais même pas l'existence de Garland V et pourtant... et pourtant... et pourtant Darkodem a réussi à m'insuffler cette idée ! Ça ne relève plus du rêve ! couina la reine, presque hystérique. Vous avez vu, Solèna ! Darkodem me hante ! Il faut... il faut que j'accède à la vérité, affirma-t-elle, livide.

Solèna secoua sa tête.

— N'avez-vous pas peur que cette vérité... vous propulse dans les ténèbres ?

— C'est-à-dire ? Je ne comprends pas.

Soudain tendue, Solèna s'appliqua à lui raconter les histoires contées par Nani à propos de Zahira et Darkodem. Elle veilla à être la plus délicate possible et à ne jamais évoquer la vieille dame. Troublée par le rapport de Solèna, davantage de questions vinrent se bousculer dans la tête de la jeune fille.

— Ce... ce n'est pas possible... Mère ! cria-t-elle, agitée. Mère ! Je ne peux pas le croire ! C'est sûrement faux, Solèna ! Qui... qui vous a dit ça ?

Ses ongles griffant le visage, les orbites fous, Lunera se sentit défaillir. Elle s'accrochait à l'espoir que tout ceci ne soit qu'une fausse information.

— Les rapports d'Arkhess... mentit Solèna, d'une voix toute tremblotante. Ils sont formels.

Lunera se pencha devant elle, sentant une terrible douleur dans sa poitrine. Ainsi, Darkodem avait été horrible même avec sa pauvre mère ?

Qu'est-ce que père a fait de Mère ? Était-elle le jouet de lui et de cette horrible femme ? L'a-t-il maltraitée comme moi ?

— En fait, ce n'est plus seulement pour moi, Solèna... haleta la reine. Mais aussi pour ma mère ! Je veux percer le secret de mon existence et comprendre pourquoi Darkodem a fait tout ça.

Soudain, un bruit retentit derrière la porte, comme si un objet - ou une personne ! - était tombé. Les deux femmes sursautèrent et Solèna s'empressa de se rendre dans le couloir. Elle jeta un Sortilège de Lumière Mineur et guetta d'un coup d'oeil le boyau obscur, maintenant éclairé.

— Il y a quelqu'un ? demanda Lunera, horrifiée à l'idée que leur conversation ait pu être entendu.

— Je ne pense pas... répondit Solèna. Cette boîte en fer est tombée...

— Ouf... souffla la reine. Je n'ai pas pensé à insonoriser la porte...

— Nous... nous en reparlerons demain. Dans mon bureau, tranquillement. De toute manière, j'ai besoin de réfléchir, avoua Solèna. C'est... tellement gros...

Lunera acquiesça. Même si elle demeurait habituée à ce genre de nouvelles giflantes, elle n'en était pas moins bouleversée. Que dire alors de cette pauvre Solèna, sûrement ébranlée par ces effarantes coïncidences ? Quelque chose se tramait, aucune d'entre elles n'en doutaient. 

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