XVII - Résonance Arkhale - Partie 1
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Un océan de ténèbres accueillit l'esprit embrumé de Lunera. Elle trempait à plat dans une eau noire, face et buste vers le ciel teinté d'une inquiétante lueur rouge. Point de lune, ni de soleil, ni aucun autre astre. Seulement une vaste étendue purpurine, s'étendant à l'infini. Les eaux obscures dans laquelle elle baignait étaient calmes, ne se perturbant jamais. Elle-même demeurait immobile, en proie à une stase étrange.
Ses souvenirs se mêlaient tous ensemble dans un méli-mélo incompréhensible, ne laissant place à rien d'autre que la confusion. Entrecoupés de brefs moments de main-mise sur son esprit, la jeune fille était assailli par un délire où elle revoyait des images défiler les unes à la suite des autres. Des pans de son enfance... Des scènes de son périple... Des extraits tirés de sa nouvelle vie à Arkhess...
Tout se mélangeait dans sa psyché. Ses souvenirs cogitaient avec fureur dans sa boîte crânienne, comme une tempête cérébrale. Au centre de cette tempête, un visage indistinct réapparaissait toujours, qu'elle ne parvenait jamais identifier. Elle ne sentait qu'une aura, qu'une oppressante présence qui la faisait suffoquer toute entière. Ce visage aux yeux terribles qui la lorgnaient de loin disparaissait assez vite cependant, vite étouffé par les extraits de sa vie qui ne cessaient de repasser en boucle.
Ses yeux s'ouvrirent subitement. Lunera ouvrit et ferma ses paupières plusieurs fois, perdue. Le ciel rouge... Les eaux noirâtres... Son corps flottant et immobile... Elle comprit qu'elle demeurait dans un moment de lucidité, particulièrement intense cette fois.
— Est-ce que... je peux bouger ? murmura-t-elle.
Résonnant dans ce grand espace, sa voix lui fit peur. Elle remua ses doigts avant de soupirer de soulagement. Au moins, elle n'était pas paralysée. Lunera inspira un bon coup et bascula son torse en avant pour essayer de se redresser pour de bon. Elle y parvint sans trop de souci mais paniqua un peu lorsqu'elle se rendit compte qu'elle n'atteignait pas le fond de cette étrange mer avec ses pieds.
— Où... où suis-je ?
L'océan s'étendait à perte de vue devant elle. Tout en battant des jambes pour maintenir sa tête hors de l'eau, la jeune fille regarda de tous les côtés.
— Ah !
Un peu plus loin, à sa droite, un monticule rocheux se détachait de la morne étendue ténébreuse. Dessus, un tronc d'arbre défraîchi se dressait. Ses branches dénuées de feuilles pendaient tristement vers le sol. Le végétal mort fit sensation auprès de Lunera, mais après courte réflexion, elle décida de s'y rendre, le préférant à l'océan.
Elle nagea avec une certaine raideur, ne s'étant jamais aventuré dans l'eau auparavant et atteignit la petite crique qu'elle grimpa aussitôt arrivée. Elle s'adossa sur le tronc penché et s'autorisa une petite pause.
— Je ne suis même pas mouillée... remarqua-t-elle en jaugeant ses vêtements et ses cheveux.
Même sa peau était sèche, immaculée d'ailleurs, même pas souillée par la noirceur de la mer.
— Quel étrange lieu...
Soudain, un violent mal de tête l'assaillit. Gémissant de douleur, elle plaqua sa paume sur son crâne. La douleur était insoutenable. Des images floues défilaient dans son cerveau et entre eux, ce même visage oppressant dont elle ne discernait pas les traits.
— Ah... Ah...
Lunera haleta, la respiration soudain difficile. Ses oreilles bourdonnaient. De vives sensations s'emparaient d'elle.
— Que...
La crise s'évanouit soudain, aussi vite partie qu'elle était venue. Terrifiée, la jeune fille ne s'attarda pas sur son mal. Seule la présence menaçante occupait son esprit. Elle se releva et jeta des regards craintifs tout autour d'elle. L'être étrange qui la perturbait la guettait-elle, terré dans un coin ?
Il n'y avait rien autour d'elle si ce n'était l'étendue obscure qui s'étendait à perte de vue, se mêlant au loin avec la rougeur céleste. Lunera s'appuya sur l'arbre mort et pencha sa tête sur le côté.
— Oh...
Un peu plus loin, une grande construction cristalline barrait l'océan. Avait-elle toujours été là ? Ou était-elle apparue entre-temps ? La jeune fille n'en savait rien.
Semblable à un aqueduc, le cristal était teintée d'un rouge tirant vers le rose, semblable au ciel au-dessus. Une des extrémités s'élargissait en une vaste plateforme, sur laquelle trônait une grande sculpture dont elle ne voyait pas les contours depuis sa position. L'autre côté de l'aqueduc était invisible aux yeux de Lunera, noyé dans une vapeur étrange d'allure cotonneuse comme un nuage.
Tout à coup, un cri retentit et avec, une nouvelle migraine de Lunera. La souffrance était double cette fois et une franche terreur venait s'y ajouter. Stridente, la plainte emplissait tout l'espace et perforait les tympans de la pauvre fille.
— Arrêtez ! Arrêtez ! cria-t-elle, en agrippant ses cheveux.
Sonnée, elle tomba à la renverse, trébuchant sur une racine noueuse du végétal desséché et s'affala sur l'inégale butte rocheuse, dos au sol.
Juste au-dessus d'elle et nulle part ailleurs, le ciel s'était gâté. Il devint plus sombre, comme si des orages menaçants s'amoncelaient. Les ténèbres célestes se réunirent et offrirent la vision la plus effarante qui soit à Lunera.
Un visage. Un visage se dessinait dans le firmament.
— Non... non... gémit-elle, tétanisée.
Transie de peur, Lunera ne put arracher ses yeux de cette face terrible. C'était la même que celle qui la hantait, elle en était certaine. Semblables à des constellations, des filets noirs reliaient des points plus sombres créant ainsi un visage des plus réalistes, dont les moindres détails étaient respectés.
Une fois le dessin céleste terminé, les ombres ténébreuses qui le composaient se rassemblèrent toutes ensemble avant de fondre vers le sol à une vitesse phénoménale, laissant derrière elles une brume noirâtre, semblable à de la fumée.
La vapeur s'abattit avec force sur la colline où était toujours allongée Lunera et une personne se matérialisa. La jeune fille souhaita se redresser pour ne pas rester sans défense face au nouveau venu mais ses muscles refusaient de répondre.
Elle entendit des bruits de pas s'approcher d'elle, bientôt masqués par les bruits de son coeur qui battait à une allure folle. La cadence des pas s'accélérait et Lunera se demandait si elle n'allait pas faire une crise cardiaque tant elle était en panique. Craignant une attaque, elle ferma ses yeux, ses paupières farouchement clignées.
Elle sentit une vive préhension au niveau du col de son corsage et sentit qu'on la souleva. Si haut qu'elle ne touchait même pas le sol de ses pieds.
— Viens... me rejoindre.
Cette voix étrangement déformée fit frémir l'âme de la jeune fille, qui sentit sa peau se hérisser d'effroi. Un timbre plutôt masculin, aux aspérités écorchant ses tympans.
— Viens... me rejoindre, répéta l'être étrange.
Cette fois, sa voix était clairement féminine. Veloutée à souhait, ces mots étaient prononcés comme une caresse. Pourtant, ils inspirèrent encore davantage de peur à la fille prisonnière.
Terrifiée, elle ouvrit ses yeux et hurla à l'instant où ils se déposèrent sur la personne qui la maintenait captive. À la place du visage, il n'y avait que des bords flous. Ni yeux, ni nez, ni bouche, ni rien. Seuls des contours indistincts, cerclés par une cascade de longs cheveux noirs et vaporeux. Un étrange rire retentit et Lunera se demanda comment cet être pouvait s'exprimer sans bouche.
Soudain, des perturbations saisirent la face floue, comme une onde troublant la surface d'une mare, et l'espace d'un instant, le visage de Darkodem apparut.
— Père ! cria Lunera, abasourdie.
Il disparut aussitôt. Court mais juste assez pour que Lunera décèle une inquiétante perfidie dans son expression. Elle déglutit.
— Père... Arrête... Laisse-moi ! Où suis-je ? Je...
— Je t'attends... et la vérité aussi. Il faut... que tu me rejoignes ! insista la voix masculine.
— Non... Je ne veux pas !
Lunera regretta aussitôt ses paroles. Pris d'un accès de violence, l'être l'agrippa à la gorge et la serra à l'en étouffer. Suffoquant, la jeune fille se mit à bleuir, manquant d'air.
— Arrête ! parvint-elle à hurler, craignant de mourir sous la main de son géniteur. Arrête ! Arr... ête... Argh !
— Il faut ! Il faut ! IL FAUT !
Le dernier hurlement fut prononcé par la voix caressante cette fois. Le visage flou se perturba une seconde fois et des traits féminins se dessinèrent. Des traits que jamais Lunera n'avait vu auparavant. Ceux-ci étaient cerclés de marques violettes en forme d'éclairs qui ressemblaient à des tatouages. En les voyant, Lunera eut comme une impression de déjà-vu.
Étouffant toujours, Lunera lorgnait la femme avec une expression médusée. Ses orbites menaçaient d'exploser tant elle enserrait sa gorge avec une force phénoménale. La femme ricana d'un air dédaigneux et lâcha la pauvre fille qui s'écroula par terre, en massant son cou endolori où des traces s'étaient imprimées.
— Je t'attends... susurra la dame, de cette voix mielleuse qui avait le don de susciter une vive crainte chez Lunera. Je te facilite grandement le travail...
Lunera leva sa tête vers elle mais n'eut à peine le temps de constater que cette femme était très grande - plus grande que son père - que cette dernière s'était précipitée vers, collant son visage sur celui de la jeune fille. À peine quelques centimètres séparaient leurs pupilles où Lunera pouvait y lire une froideur terrible. D'inédites pupilles en croix, qu'elle n'avait jamais vu auparavant.
— Retrouve le Saphir Sidéral caché chez Assad et viens me trouver, murmura-t-elle. Garland V tient la clé. Utilise le Rituel de la Clairvoyance pour identifier précisément le lieu où a été dissimulé le Saphir Sidéral. Garland V... tient la clé !
Ne comprenant rien, Lunera essaya de repousser l'étrangère, horrifiée. La femme n'attendit pas d'être bousculer et se releva. Elle appliqua sa paume sur son propre visage qu'elle balaya, lui donnant ainsi l'apparence de Darkodem. Lunera put quand même identifier une lune formée de grandes arabesques, tatouée par une encre violette sur le front de cette femme énigmatique.
— Lunera... appela la voix de son père. Je t'attends. Lunera... Je ne cesserais de te hanter jusqu'à que tu me délivres.
— Laisse-moi tranquille ! cracha-t-elle, sentant les larmes monter. Comment peux-tu dire ça ? Tu m'as fait assez de...
— Chut... murmurèrent les deux voix, celles de Darkodem et de la curieuse femme.
Le visage flou était revenu et l'être s'agenouilla à hauteur de Lunera.
— Nous t'attendons... lui dirent-ils. Tu... ne nous... oublieras... pas ! Jamais !
Pour appuyer leurs dires, il saisit la paume de la jeune fille et sortant un tison enflammé de nulle part, il appliqua un coup sec sur le dos de sa main imprimant une marque qui carbonisa sa peau. Levant la tête au ciel, hurlant à l'agonie, Lunera tomba à la renverse.
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