XV - Métronome Funeste - Partie 1
Complètement sonnée, Lunera ne s'attendit pas à autant de suffisance de la part de Dlavonine. Pensant à ce qu'il s'effondrait d'effroi à l'idée de devoir affronter la grande reine d'Arkhess, celui-ci avait au contraire manifesté un amusement malaisant. Solèna profita du désarroi des membres de l'assemblée pour mettre fin à la réunion et tirer Lunera hors de la salle, décidée à mettre les choses au clair avec elle.
— Lâchez-moi ! siffla Lunera.
Mais Solèna fut intransigeante. Elle agrippait la manche de son pourpoint avec une force insoupçonnée. La ministre tourna au bout d'un couloir, bifurqua à l'embranchement d'un autre, monta des escaliers, avant d'ouvrir violemment une porte et d'y entrer avec la reine, traînée tout le long comme un sac de légumes.
— Explications, rugit Solèna.
Sa poitrine se relevait et s'abaissait au gré de son souffle furieux. Lunera la fusilla du regard tout en se massant le poignet.
— Je voulais lui faire peur !
Solèna ne l'écoutait plus. Elle s'était prise le visage dans les mains tout en poussant des gémissements plaintifs.
— Une noble famille... se lamenta-t-elle. Un pouvoir puissant... mon Dieu...
— Que craignez-vous, Solèna ? demanda doucement la reine en se penchant vers elle. Je le vaincrai comme j'ai vaincu Sawse, ça ne peut pas être plus-
— NON ! cria Solèna, en se redressant d'un coup.
Lunera sursauta violemment et bondit en arrière.
— Vous ne comprenez pas ! Dlavonine aurait pu écraser Sawse, s'il le désirait ! Mais l'indolence de cette empotée lui permettait de mener toutes ses magouilles en paix !
La ministre s'affaissa sur une chaise qui se trouvait là, en proie à une angoisse terrible.
— Tant d'efforts réduits à néant... murmura-t-elle, la voix larmoyante.
— Mais, Solèna... se défendit timidement Lunera. Ne m'en voulez pas ! Que pouvais-je faire ?
La ministre se releva d'un bond, une colère noire déformant ses traits.
— Vous n'avez même pas été capable de vous calmer pendant la réunion ! l'accusa-t-elle en pointant un doigt menaçant vers elle. N'avez-vous pas songé UN SEUL INSTANT que si Dlavonine venait à vous vaincre, il invoquerait le Sceau de l'Ange pour vous forcer à abdiquer ?
Lunera pâlit mais ne se laissa pas démonter pour autant.
— Comment pouvez-vous dire ça ? s'embrasa-t-elle. Vous l'avez pourtant entendu ! C'est lui qui a démarré les hostilités ! Et puis... Et puis... IL SAIT !
Clamer tout haut sa plus grande peur calma immédiatement Lunera, et la ministre par extension. Comme si une gerbe d'eau froide s'était abattue sur elles, les deux femmes demeurèrent silencieuses pendant de longues minutes tout en se regardant dans le blanc des yeux.
— Nous voilà dans de beaux draps, murmura Solèna, mortifiée.
— Je...
— Cela ne fait aucun doute... Cette suffisance... Ses allusions... Ses allures triomphantes... Je connais ce scélérat : il envisageait sûrement de vous trahir auprès de la haute assemblée d'Arkhess.
— Vous comprenez donc pourquoi-
— Maintenant, poursuivit Solèna avec dureté, il vous trahira devant le peuple tout entier.
— Pas si je le vaincs, déclara Lunera. Au moins, je me donne une chance de sortir de ce guêpier.
Elle parlait avec beaucoup plus d'assurance qu'elle n'en ressentait. La franche terreur de Solèna, dont la reine pensait pourtant qu'elle adhérerait à son plan, n'était pas étrangère au sentiment de panique qui se distillait lentement, mais sûrement, dans ses veines. La ministre ne répondit pas tout de suite. Elle s'était subitement redressée et ses méninges semblaient s'être activées à grande vitesse.
— Ça ne fait aucun doute, murmura-t-elle. Oui... Absolument aucun doute... Avez-vous vérifié si aucun document ne manquait dans votre bureau ? demanda-t-elle, impérieuse.
— M'avez-vous laissée le temps de chercher ? répondit Lunera avec mauvaise humeur. Quand bien même, je serais incapable de dire si l'on m'a volé quelque chose.
La ministre émit un grognement méprisant, mais sa colère se mua vite en tristesse, comme si une fatalité implacable menaçait de s'abattre sur elle.
— Tous nos - MES ! - efforts réduits à néant... gémit-elle. J'ai tout fait pour donner à Arkhess un avenir meilleur...
— Arrêtez de geindre et ressaisissez-vous ! la houspilla la reine. Nous pouvons trouver un moyen de renverser la situation en notre faveur !
— Et comment ? répliqua Solèna d'un ton acerbe.
— Si Dlavonine connaît mon identité alors il est clairement coupable dans l'affaire du meurtre de Shân, vu qu'il est établi que le criminel a fouillé mon cabinet.
— Vous vous basez sur des suppositions qu'Arkhess trouvera ridicules, ricana Solèna d'un air dédaigneux.
— Pas besoin de monter sur vos grands chevaux ! se fâcha Lunera. Au moins, moi, j'essaye de trouver une solution.
— N'avez-vous donc pas compris quel genre d'hommes est Dlavonine ? Il nous a pris au piège. Si nous cafardons, il n'hésitera pas à dévoiler vos origines. Alors, nous sommes forcées de nous taire et donc il peut nous mener au doigt et à la baguette.
— Et Shân, alors ? demanda Lunera, abasourdie. Il l'a tuée !
— Pas lui, soyez-en certain... Sûrement un de ses larbins, Dlavonine en a un paquet sous ses ordres. S'il parvient à jeter la reine plus bas que terre, il n'aura aucun mal à mentir sur le compte de cette pauvre Shân.
— Que vous pouvez être pessimiste ! s'écria Lunera. La Solèna que je connais ne baisserait jamais les bras !
Celle-ci secoua sa tête en signe de négation.
— La Solèna que vous connaissez n'est pas suicidaire et ne s'attaque pas aux trop gros morceaux.
Mais la reine ne l'écoutait plus.
— La seule solution, c'est de le vaincre lors du duel.
— Toujours cette tendance à la violence, maugréa la ministre, non sans un regard courroucé.
— Vous me démoralisez... soupira Lunera. Je suis une Sorcière, ne l'oubliez pas.
— Vous misez trop sur vos prétendus pouvoirs, remarqua Solèna d'un ton cassant.
— Mes « prétendus » ? cria Lunera, outrée. C'est bien vous qui ne cessiez de me poser des questions à ce propos lors de mes premiers jours dans le château, tant vous étiez émerveillée !
— Tout à fait, acquiesça Solèna, mais vous en oubliez que face à vous, il y a des personnes tout aussi fortes.
— Ça ne change rien au fait que-
— SI ! La confiance maladive que vous avez vous pousse à prendre des décisions irréfléchies et sottes !
Blême, Lunera fit un pas en arrière.
— Je... Je ne vous permets pas !
Solèna se leva, une expression dure plaquée sur la face.
— Si jamais Dlavonine venait à vous vaincre... Je ne vous pardonnerai jamais !
— Et qu'est-ce que votre bon pardon m'apportera ? ricana Lunera, se voulant être méprisante.
— Puéril, pour ne pas changer... Arkhess n'est pas votre terrain de jeu ! Vous êtes la reine, comportez-vous donc de manière à honorer ce statut !
— La reine, exactement ! affirma Lunera. Je défends donc ma personne-
— Assez ! vociféra Solèna. ASSEZ ! Vous n'avez rien d'une reine en vous tenant de la sorte ! On dirait une enfant ! Peut-être que vos adversaires de l'Adrastée étaient des amateurs, mais ici, la réalité est tout autre !
— Quel rapport avec l'Adrastée ? demanda Lunera, la bouche sèche.
— Vous ne vous souvenez pas ? C'est ce continent où vous avez froidement assassiné plusieurs personnes dont l'épouse Sulta, lui rappela méchamment la ministre.
— Retirez... murmura la jeune fille. Retirez ce que vous venez de dire !
— Ah ! Serait-ce l'expression de remords ? Venant de vous, je suis étonnée.
La mine décolorée, Lunera observait Solèna comme s'il elle l'avait giflée.
— La vie humaine ne devait pas avoir une grande valeur à vos yeux... Avez-vous seulement penser à vos sujets ? Ce bon peuple respire d'aise depuis votre venue et à cause de votre orgueil, il retombera sous le joug de la terreur !
— Vous êtes affreuse d'utiliser mes secrets pour-
— Vos secrets ? s'esclaffa la ministre. Vos secrets ? Qu'elle est bonne celle-là !
Les dents serrés, elle s'avança vers la reine. Celle-ci était livide et tremblait imperceptiblement.
— Sachez que seule votre identité est inconnue, cracha-t-elle. Pour autant, vos crimes, eux, sont connus de tout Terhera. Aussi détestables soient l'Adrastée et Sultakara, jamais je ne cautionnerais une telle barbarie.
Lunera cligna des yeux, terriblement vexée.
— Sortez... murmura-t-elle d'une voix blanche. SORTEZ !
Les lèvres serrées comme la bourse d'un avare, Solèna recula de quelques pas avant de faire volte-face et de sortir de la salle par de grandes enjambées, sans un regard en arrière. Sentant une douleur terrible dans sa poitrine, Lunera posa une main sur son coeur et agrippa le tissu de corsage. Elle tomba à genoux, meurtrie par les dures paroles de son amie. Elle ne pleura pas, mais les paroles de celle-ci se répétaient en boucle dans sa tête.
Soudain, un petit « pop ! » retentit et une enveloppe se matérialisa dans un petit nuage de fumée avant de tomber aux pieds de la reine. Croyant à une lettre de Solèna, la reine se rua sur le courrier et décacheta le sceau. Elle en sortit une feuille de parchemin parfumée. Déçue, elle ne reconnut pas l'écriture de sa ministre. Elle parcourut rapidement les mots qui y figuraient.
— Tayitoma et Dediaja souhaitent passer dans une heure... Que me veulent-elles ?
Soupirant, Lunera se releva tant bien que mal. Elle n'avait aucune envie de recevoir les deux matriarches alors qu'elle était au plus mal.
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