XIV - Entre Loyauté et Déloyauté - Partie 3
19 juin 1875 — Arkhess
L'aube arriva et avec, la confirmation des dires de Solèna. Après une courte nuit, lorsque la reine prit le temps de s'informer sur les nouvelles du royaume, pas un journal ne mentionnait pas le meurtre en tête de couverture. Sa tension monta d'un cran. Elle était désignée sous des termes très peu élogieux. Des périodiques qu'elle savait être sous la botte de Dlavonine en venaient même à remettre en question son accès au trône.
— À en voir votre tête, marmonna Solèna lorsqu'elle croisa la reine, je conclus que vous avez lu les journaux.
— Bonjour à vous aussi, grinça Lunera entre ses dents.
— Dépêchons-nous, la réunion commence bientôt.
Silencieusement, les deux femmes se rendirent dans les sommets du palais, dans la même salle où Lunera avait tenu son premier rassemblement lors de sa nomination au trône. En entrant, elle sentit les regards scrutateurs des conviés, l'observant avec de grands yeux tout en émettant des commentaires inaudibles. Sa tension grimpa d'un nouveau cran.
En s'asseyant, elle fit un rapide tour visuel de la table. Patriarches, matriarches, gens de l'administration, lieutenants, secrétaires, maires des villes, personne ne manquait à l'appel. Il y avait aussi Aria, les majors ainsi que Sawse. Arkh lui fit un petit sourire qui fit chaud au coeur de la reine et Akman s'enquit d'un clin d'oeil. Elle avait été tellement saisie par les évènements qu'ils étaient totalement sortis de son esprit.
— Il ne manque que Dlavonine et Andrade, chuchota Solèna en se penchant vers elle.
— Peu importe, répondit la reine. Mesdames et messieurs... commença Ariès en haussant la voix. Nous allons commencer.
— Gloire à l'Ange, clamèrent-ils d'une seule et même voix.
— Prospère soit-il. Merci d'être ve-
La porte s'ouvrit en grinçant, interrompant l'élan de la monarque. De sa place, elle vit une chevelure rouge et hérissée s'avancer, suivit d'une silhouette au crâne dégarni.
— Oh... susurra Dlavonine. On commence sans nous ?
Nullement incommodé par son retard, il s'avança et prit place parmi l'assemblée. Avant de s'assoir, il veilla tout de même à lancer son sourire le plus mielleux à la reine. Sa tension bondit de trois crans, cette fois.
— Les gens bien élevés font en sorte d'arriver à l'heure, remarqua-t-elle, énervée.
— Calmez-vous ! Ne commencez pas les hostilités ! murmura Solèna entre ses dents.
— Ma foi... Je suis un homme très occupé, vous savez. Je-
— Cette réunion d'urgence que nous avons organisé, Solèna et moi, le coupa la reine, a pour but de vous faire part des nouvelles mesures que nous avons prises.
Tous retinrent leur souffle, se demandant comment aller réagir le patriarche face à un pareil affront. Il ne dit rien, se contentant de sourire avec cet air supérieur qui le caractérisait tant.
— Notre très regrettée Shân, greffière de la reine, est décédée hier, froidement assassinée dans l'après-midi. Jamais encore Arkhess n'a connu un tel bouleversement, un meurtre dans le château !
— Naturellement, ricana Dlavonine. Depuis votre arrivée, beaucoup de faits inattendus arrivent.
En fait, aux yeux de tous, cette nouvelle réunion n'était qu'un match retour depuis la cérémonie d'investiture d'Ariès. Son ego et celui de Dlavonine luttaient pour savoir qui aurait la mainmise sur les personnalités du royaume.
— Excusez-moi ? s'enflamma Lunera.
Sa patience atteignait déjà ses limites.
— Déjà, votre arrivée même est inattendue, mais-
— Dlavonine, intervint Tayitoma, sa voix claquant comme un fouet. Ça suffit.
Son chapeau pointu tomba sur la table tant la matriarche était en colère.
— Laissez la reine finir.
— Taisez-vous, matriarche Tayitoma et laissez moi finir. Je vais maintenant mettre fin à cette mascarade qui dure depuis trop longtemps. Mascarade portant le nom d'Ariès.
— Restez poli, murmura Dediaja de son habituelle voix éthérée, patriarche Dlavonine.
Il se pencha vers Lunera, ses pupilles de braises brillant d'une lueur féroce. La dureté de son regard la fit frémir. Sa tension grimpa de dix crans, tout cela ne lui disait rien qui vaille. Solèna sentit l'entourloupe à plein nez. Tayitoma, non habituée à ce que Dlavonine lui tienne tête, resta coite de stupéfaction. Le reste de l'assemblée regardait les deux protagonistes à tour de rôle.
— Non... Ma chère Dediaja... Vous allez, vous aussi, vous taire et m'écouter. Ce n'est pas bon, ce que vous faites... Je vous montre la lune et vous, vous fixez mon doigt.
Lunera perdit toute couleur sur son visage et échangea un regard d'effroi avec sa ministre.
Il sait.
— Dlavonine, cessez ! le reprit-elle courageusement. Quand je parle, on ne me coupe pas la parole !
Dans un grand coup d'éclat, Dlavonine frappa la lourde table de son bras, faisant sursauter tout le monde et réduisant la reine au silence.
— Ariès, s'en est assez ! Nous sommes ici dans un des neufs royaumes du monde, prospérant depuis des millénaires. Près de cent soixante-dix rois sont passés avant vous, et bien qu'Arkhess ait connu des périodes difficiles, jamais encore il n'y eut de telle disgrâce au sein même de notre territoire.
— Mais enfin-
— Ne me coupez pas la parole ! ordonna-t-il sévèrement. Arkhess n'est pas un terrain de jeu, j'en ai assez de vos enfantillages et de votre politique laxiste. Vous dirigez si mal ce royaume qu'un meurtre est survenu au sein du domaine royal, ce qui n'est jamais arrivé à Arkhess. S'en est presque une offense au Sceau de l'Ange.
Qatmon et Andrade hochaient la tête vigoureusement pour appuyer les dires du patriarche Dlavonine. Ennuyées, les deux matriarches foudroyaient du regard leur confrère.
— Ne mélangez pas le Sceau de l'Ange à cette histoire ! se défendit Lunera d'une voix perçante.
— De même, ma chère Ariès, vous rendez-vous compte ? l'interrogea Dlavonine, ignorant royalement sa dernière réplique. Où sont les gardes censés patrouiller dans le château ? Qui aurait assuré la défense de notre pays en cas d'attaque de grande envergure ? Comment la défense est-elle assurée dans notre royaume ? Si le château a pu être ébranlé, alors je n'ose pas imaginer ce qu'il en sera pour le reste de la capitale et les villes périphériques ! Ce sont des questions extrêmement importantes auxquelles notre regrettée Shân y a répondu, aux frais de sa vie.
— Vous n'en pensez pas un traître mot ! beugla-t-elle, la voix déformée par la colère, outrée par de tels raccourcis.
— Ah... soupira-t-il. Vous vous énervez lorsque l'on pointe les défaillances de votre régime... Quel dommage... Je vais quand même continuer ! Votre régime laxiste a rendu la défense beaucoup trop molle, au point qu'une telle atrocité s'est produite au sein même de nos murs, chose qui n'est jamais arrivée depuis les balbutiements d'Arkhess. Si les autres royaumes en entendaient parler, nous serions la risée de Terhera ! Nul doute qu'Arkhess souffre de maux depuis votre sacre.
— Ce que vous dites n'a absolument aucun sens ! cracha Solèna. Le peuple prospère depuis l'arrivée de Sa Majesté ! Comment pouvez-vous tenir de tels propos ? De quels maux parlez-vous ? Serait-ce parce que vous ne parvenez plus à mener vos affaires douteuses comme au temps de Sawse N ?
— Ne soyez pas impertinente, Solèna, cela pourrait vous coûter bien plus que votre poste.
— Comment-
— Pour vous répondre, reprit-il en la coupant net, le premier mal auquel Arkhess a été confrontée est le retour de la sale engeance.
Lunera bouillonnait tellement de rage qu'elle demeurait incapable de répondre sans vociférer comme une forcenée.
— Vous nous embarrassez, Dlavonine ! s'exclama Tayitoma.
— Attendez, ma chère, laissez-le finir... susurra Dediaja. Nous nous occuperons de lui à la fin.
— Je n'ai aucun doute, dit-il durement, qu'Ariès souhaite apporter le mal à Arkhess. Une bâtarde galeuse de son genre — l'assemblée toute entière poussa des exclamations scandalisées — n'aurait aucun scrupule à venir ternir l'image d'un noble pays, dont elle ne parvient pas à saisir la grandeur, tant elle est médiocre. Mais moi, patriarche de la noble maison de Dlavonine, j'ai découvert ses vilains desseins et ses sec-
La fureur de Lunera atteignit un point de retour et se manifesta par un débordement de magie qui prit tout le monde de court. Sans même qu'elle ne parvienne à se contrôler, un Charme Mutique vint sceller les paroles de Dlavonine, le rendant temporairement aphone.
— Patriarche Bahamut Abaddon Dlavonine.
Tous les regards se tournèrent vers elle. On s'entendait à une voix saccadée, haletante de colère, mais Lunera était parvenue à la juguler.
— Pour vos propos indécents, la diffamation à mon égard, ainsi que mon honneur que vous tentez de salir, je vous provoque, en vertu des anciennes lois, en duel. Prendre votre honneur sera ma réparation.
L'annonce jeta un froid dans l'assemblée. Le Sceau à sa main réagit à la mention des Anciens Décrets d'Uraera et brilla d'une intense lumière. Médusée, Solèna ne se contrôla pas non plus et se frappa le visage d'effroi. De son point de vue, la situation ne pouvait pas se gâter autant.
Les habitués de la reine l'observaient avec des yeux ronds, surtout Arkh, choqué, dont la bouche était grande ouverte. Dediaja semblait complètement sonnée et le chapeau de Tayitoma était par terre, cette dernière n'ayant même pas remarqué qu'il était tombé. Sawse gloussait dans sa barbe, Qatmon regardait Ariès et Dlavonine à tour de rôle et Andrade souriait négligemment, comme si la victoire était remportée d'avance.
— Partez, sortez de mon château ! cria-t-elle d'une voix perçante. Vous n'y êtes pas le bienvenu !
— Soit, sourit Dlavonine, ayant retrouvé la parole.
Il prit sa riche cape rouge sang et esquissa quelques pas vers la sortie.
— Nous règlerons donc nos différents sur le terrain... C'est parfait, je ne pensais pas qu'une pareille s'occasion s'offrirait à moi. Pensez à bien convier le peuple tout entier.
— Quelle impudence, chuchotait-on dans l'assemblée. Quelle insolence !
— Je vous laisse trois jours pour me contacter, comme le stipulent les Anciens Décrets. Sans ça, vous m'offrirez votre vie.
Et il sortit, non sans un grand sourire aux lèvres.
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