X - Opportunistes - Partie 2
09 mars 1875 — Arkhess
Chassé sans cérémonie par cette paysanne, comme la nommait furieusement son ami Dlavonine, Qatmon se tenait caché dans l'obscurité du couloir qui menait au bureau de Solèna. Broyant du noir, il ruminait dans son coin, n'en revenant toujours pas de la manière dont la reine Ariès l'avait traité. Personne ne le respectait au château, du personnel administratif aux souillons. Il en avait lourd sur le coeur.
Caché comme il l'était, il avait des allures d'assassin. Le noble semblait attendre le moment opportun pour commencer à remplir la mission dont l'avait chargé Dlavonine.
BAM ! Dlavonine avait frappé la table sur laquelle il s'entretenait avec Andrade et Qatmon, ses alliés de toujours. Épris d'une colère noire, il tempêtait à tout va. Andrade conservait son habituelle indifférence tandis que Qatmon se recroquevillait lâchement sur sa chaise, presque terrorisé par les sautes d'humeur de Dlavonine.
— Cette paysanne est une usurpatrice ! avait-il hurlé, son visage aussi rouge que ses cheveux. La royauté aurait dû me revenir et-
— Vous nous l'avez déjà dit, patriarche, l'interrompit durement Andrade, ne supportant plus ses cris de forcené. Maintenant si vous le voulez bien, je suis curieux de savoir pourquoi vous nous avez convoqués.
Dlavonine lui lança un regard, furieux de l'impudence de son confrère.
— Il y a quelque chose d'anormal autour de la reine Ariès, répondit-il néanmoins d'un murmure presque inaudible. Il faut que l'on découvre ce que ça peut bien être. Mes recherches m'ont bien confirmé ce dont je soupçonnais à son propos : c'est une Sorcière.
— Vous nous avez déjà exposé ce fait, soupira Andrade avec lassitude.
Dlavonine cilla, médusé que cette annonce ne faisait toujours pas réagir les patriarches. Qatmon demeurait silencieux, comme toujours lors de leurs petites réunions.
— Mais enfin ! Le fait en lui-même est une nouvelle explosive ! C'est beaucoup trop étrange qu'une Sorcière d'un si jeune âge soit présente à Arkhess... Je ne donnerais pas à Ariès plus de vingt ans !
— Et alors ?
— Et alors... ? ET ALORS ? hurla Dlavonine, hors de lui, en se levant.
— Patriarche Dla... commença Qatmon d'une voix tremblotante.
— La ferme, pauvre idiot !
— Ne criez pas, Dlavonine ! ordonna Andrade en se levant à son tour. Cela suffit. Nous sommes alliés et nous sommes tous irrités par l'arrivée de cette fille au trône. Si vous n'êtes pas capable de parler en gens comme il faut, je sortirai d'ici et vous laisserai vous débrouiller seul pour organiser l'éviction d'Ariès. Les Andrade se suffisent à eux-mêmes, ne l'oubliez jamais.
— Comment osez...
— Assez, déclara Andrade. Je ne suis pas Qatmon, restez poli dans vos mots.
Les lèvres pincées, Dlavonine se fit violence pour se calmer et se rassit. Andrade lui lança un regard sévère et regagna à son tour sa propre chaise. Quant à Qatmon, il regardait la scène d'un air de chien battu, peiné qu'on ne lui donne aussi peu de considération. On parlait souvent de lui comme s'il n'était qu'un être hybride sale et idiot, incapable de comprendre le langage humain et doué qu'à s'attirer le mépris des autres.
— Arkhess n'a connu aucune Sorcière durant ces dernières décennies... reprit Dlavonine, un peu plus calmement. Qui est-elle ? D'où vient-elle ? Ariès n'a pas pu garder un tel secret aussi longtemps.
Le noble s'embrasa à nouveau.
— Imaginez un instant qu'elle puisse être une bâtarde ! Ah ! Le comble ! Une ascendance imparfaite et bourbeuse qui gouvernerait notre cher royaume, tandis que nous, respectables nobles, devons ramper à ses pieds.
Le patriarche Dlavonine frappa la table de son poing massif.
— Il faut que je perce le secret d'Ariès !
— Au risque de subir le même sort que Sawse N, remarqua Andrade en bâillant ostensiblement.
— Cette remarque n'était pas nécessaire, cingla Dlavonine en lui lançant un regard venimeux.
— La présence de cette Ariès au trône m'incommode, soyez-en certain, patriarche. Mais après son coup de force, je ne veux pas me risquer à tout perdre.
— C'est à cause de gens comme vous qui, attaché à leur confort et à leur routine minable, qu'Arkhess est relégué au dernier rang, cracha Dlavonine avec mépris. Moi, je ferais bouger les choses. Et Qatmon aussi...
Ce dernier glapit et ses petits yeux larmoyants entrèrent en contact avec les yeux pourpres de Dlavonine, où brillait une lueur déterminée.
— Demain, Solèna s'absente. Qatmon, tu iras fouiller son bureau. Peut-être que nous trouverons des informations ou quelques papiers importants sur notre chère reine. Solèna est intelligente ; je suis prêt à parier qu'elle a compris ce qu'est la véritable forme d'Ariès. Avec le procès de ces immondes crapauds de gouverneurs, j'ai appris à ne pas sous-estimer Solèna. Il serait bien dommage que son intelligence ne nous serve pas, ajouta-il avec un sourire torve.
Qatmon tenta de protester, arguant que le danger était trop grand. Sans aucune vergogne, Dlavonine s'approcha de lui, agrippa son col et le souleva.
— Les bienfaits de la noble famille des Dlavonine envers les Qatmon sont infinis... susurra Dlavonine à son oreille. Si ton nom n'a pas été traîné dans la boue, c'est bien grâce à moi. La gratitude que doit avoir tes siens envers moi doit être éternelle. Alors... tu vas m'obéir sagement. Je n'ai pas demandé ton avis, Qatmon. Tu iras dans le bureau de Solèna demain matin, et tu veilleras à être discret. Sinon...
Il le lâcha et Qatmon tomba par terre, atterrissant sur ses fesses. Andrade se leva et observa Dlavonine. Celui-ci soutint son regard, le défiant presque de contester sa manière de faire.
— Eh bien... Je repasserais demain. J'avoue être curieux de savoir ce que nous ramènera Qatmon.
C'est ainsi que Qatmon se retrouvait à fureter dans le palais royal, à chasser ce qu'il considérait comme des chimères.
Chercher des informations sur Ariès...
Il soupira, le visage défait.
— Autant chercher une aiguille dans une botte de foin, maugréa-t-il. Dlavonine ne se contentera pas d'un retour avec les mains vides.
Le bureau de Solèna n'était pas gardé, ce qui représentait un avantage indéniable. Qatmon demeurait tout de même sur ses gardes, car il ne s'agissait pas d'un cabinet quelconque... C'était celui de la ministre d'Arkhess, la personne la plus influente après la reine. Tout en vérifiant que personne n'empruntait le couloir, Qatmon s'avança devant la porte fermée et murmura :
— Unlocke Kléidoma.
Un cliquètement métallique lui confirma le succès de son sortilège. Étonné par cette entrée en matière simplette, Qatmon entra en se promettant d'être encore plus vigilant. D'agencement similaire à celui de l'Ange d'Arkhess, le bureau de Solèna s'étalait en trois parties : salon, bureau à proprement parler et armoires de rangement.
Sans attendre, Qatmon se jeta directement sur les lourdes armoires qui semblaient pleines à craquer de dossier. Il approcha sa main décharnée d'une des poignées avant de pousser un petit cri de douleur. Auparavant invisible, une protection azurée s'était soudainement révélée au grand jour et avait envoyé une décharge électrique au noble.
— Argh, rugit-il avec fureur tout en massant ses doigts endoloris.
Quel idiot, c'était pourtant évident...
Solèna n'allait certainement pas laisser le premier venu fouiller dans ses précieuses archives. Il n'eut pas le temps de réfléchir davantage que surgirent de la protection deux appendices électrifiés semblables à des tentacules. À une vitesse fulgurante, ils s'enroulèrent autour des poignets du nobles l'entravant net. Pourtant, celui-ci ne s'en inquiéta nullement.
— Humpf... s'enorgueillit Qatmon. C'est mal me connaître.
Une obscurité profane couvrit son corps trapu et ses avants-bras disparurent sous des vapeurs noirâtres. N'ayant plus aucun support à enchaîner, les vibrisses de l'égide de Solèna tombèrent par terre. La masse ténébreuse qui enveloppait Qatmon implosa et ses bras reprirent leur apparence originelle. Il attendit quelques secondes que le sortilège ne redevienne invisible, en vain.
Solèna saura que quelqu'un est passé par ici... Il ne sera pas content.
Il soupira, dépité, et fit volte-face prêt à continuer ses recherches.
— Comme dit le proverbe, maugréa-t-il, « une fois le vin tiré, il faut le boire ».
Le patriarche contourna le bureau massif de Solèna et s'y assit derrière. Il souleva les quelques documents qui s'y trouvaient, lisant quelques bribes en diagonales, espérant trouver de quoi satisfaire l'infernal Dlavonine. Ne trouvant rien d'intéressant, il repoussa le divan sur lequel il demeurait et guetta les tiroirs du secrétaire. Qatmon en ouvrit au hasard et plongea sa main pour attraper la paperasse qui y traînait.
Tout à coup, un sifflement retentit et il poussa un hurlement à en glacer le sang tout en retirant vivement sa main du tiroir. Sans même qu'il ne comprenne comment, Qatmon remarqua sa main sanguinolente.
— M-mes doigts ! Mes doigts ! couina-t-il d'une voix larmoyante.
Ses doigts étaient coupés en deux, tranchés sec par une sorte de guillotine horizontale installée par Solèna en guise de défense contre les voleurs. Seul son pouce était épargné. Choqué, il vit ses phalanges sectionnées gésir au fond du tiroir, barbouillant de sang les papiers de la ministre.
— RAH ! beugla-t-il. Explodor !
Son sortilège avait neutralisé la guillotine de Solèna, le danger était écarté. En pleurs, Qatmon attrapa ses morceaux de chair avant de les fourrer dans sa poche.
— Pauvre idiote, ragea-t-il en sanglotant.
Il reconnaissait bien la marque de Solèna. Elle ne pardonnait pas aux fouineurs et aux voleurs. Le patriarche se maudit de ne pas avoir été assez vigilant. Des larmes de douleur coulant sur son visage replet, Qatmon serra sa main en sang par celle valide tout en sanglotant. D'une pâleur de spectre, le noble fit un pas, s'apprêtant à prendre la poudre d'escampette. Il trébucha par mégarde et tomba sourdement sur le luxueux tapis de la ministre. La vue brouillée par les larmes, Qatmon se releva tout en se lamentant sur son sort.
— An-andrade ! Andrade... il... pourra me soigner ! haleta-t-il.
Titubant vers la porte, serrant toujours avec ferveur ses doigts coupés, Qatmon essayait tant bien que mal de retrouver ses esprits.
Où... où le trouverais-je ?
Soudain, il s'arrêta net et se redressa comme un pic.
— Dlavonine ! Chez... lui ! AH !
Il se frappa le visage en pleurant de plus belle, repensant aux dangereux avertissements de Dlavonine. Qatmon ne l'avait pas écouté, il n'avait pas été discret...
Qatmon resta debout bêtement pendant une bonne minute, pesant le pour du contre. Rentrer et recevoir une correction de la part de son confrère, ou effacer toute trace au détriment de sa santé et de sa douleur. Sa raison lui criait la première option, mais il avait si peur de Dlavonine...
— Comment... comment en suis-je arrivé là ? gémit-il.
Des flots de souvenirs resurgirent dans son esprit, retraçant les tensions dans sa vie de patriarche qui avait mené Dlavonine à le commander au doigt et à l'oeil.
— Invisiaja ! bredouilla-t-il.
Le Charme d'Invisibilité, de médiocre qualité, cacha la protection de Solèna, à découvert. Il ouvrit la porte du bureau et s'échappa, se profilant dans les ombres du château pour s'évader, chères amies qu'il apprivoisait depuis toujours.
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