V - Ministre Rusée - Partie 1
25 février 1875 — Arkhess
Assise sur un fauteuil de cuir dans le bureau de Solèna, Lunera était en proie à une grande panique. Elle se sentait toute nauséeuse et ses mains ne cessaient de trembler.
Comment ça, « reine d'Arkhess » ?
Avec un regard confus, elle scruta la bague qui reposait docilement sur son annulaire gauche. Le Sceau de l'Ange représentait beaucoup trop de choses qu'elle n'était capable de gérer.
Mère et père étaient sur le trône, il y a quelques années de cela... Mais je n'ai jamais ambitionné d'être à leur place ! Je voulais simplement défendre Aria, moi... Comment en suis-je arrivée là ?
L'écho des paroles de la ministre, clamant devant tous qu'elle était la future souveraine d'Arkhess, résonnait encore dans son esprit. D'ailleurs, celle-ci était assise en face d'elle et traitait des dossiers dont Lunera ignorait tout. Parfois, elle levait la tête et lui jetait un regard froid derrière ses lunettes métalliques.
Dans quelle affaire me suis-je embarquée... ?
☾☾☾
Les minutes s'écoulèrent lentement. Lunera n'en pouvait plus. Rester assise alors que son avenir prenait une voie hasardeuse la rendait malade. Plus d'une fois, la jeune fille levait ses yeux pour s'entretenir sérieusement avec Solèna, toujours penchée sur ses parchemins. Mais la ministre l'intimidait. Alors chacune de ses tentatives se soldait par un échec et Lunera baissait la tête, penaude.
Ils ne vont quand même pas me prendre au trône, c'est insensé ! Je n'ai aucune expérience, ni rien. Et puis, Sultakara et le reste de l'Adrastée me retrouveront facilement !
Dans l'expectative de son entretien avec Solèna — si celle-ci daignait lui adresser la parole — Lunera songea à des arguments pour essayer de s'émanciper poliment des tâches qu'on tentait de lui incomber. Les carcans à son cou étaient déjà nombreux, elle ne désirait nullement s'incommoder de davantage de tracas.
Une fois tout ceux-ci réunis et organisés en un argumentaire qu'elle estimait remarquable, Lunera leva sa tête avec une assurance feinte. Malheureusement, au moment où elle s'apprêtait à s'exprimer, Solèna lui lança un de ses regards glaciaux dont elle avait le secret.
— J-je... euh, bredouilla Lunera, perturbée par la ministre austère.
— Un souci ?
— Je... euh... voudrais... enfin, je pense que nous devons parler, dit Lunera timidement.
— Ah. Moi qui pensais que vous aviez perdu votre langue depuis les événements de la grande place.
Lunera ignora les sarcasmes de la ministre — sa ministre, pensa-t-elle avec horreur — et se rapprocha du bureau.
— Les « événements de la grande place », comme vous dites, ont pris de court tout le monde, moi la première.
— Oh, je le conçois bien. Sauf votre respect, ricana Solèna, il est certain qu'en vous levant ce matin, vous n'imaginiez sûrement pas coucher au château, ce soir-là.
— Ce n'est pas drôle ! s'enflamma Lunera. « Reine d'Arkhess » ? Vous rendez-vous seulement compte de ce qu'implique votre décision totalement arbitraire ? Je n'ai jamais choisi d'être reine d'Arkhess et je ne souhaite pas l'être ! Gérer un pays tout entier, c'est de la folie ! C'est beaucoup trop que je ne puisse accomplir ! Je n'ai ni la force d'administrer les affaires arkhasiennes, ni la finesse pour être sur les devants de Terhera avec les autres pays dont l'Adrastée, ni rien du tout !
— Dame Ari-
— Laissez-moi finir ! l'interrompit Lunera d'une voix stridente. Je n'ai que dix-sept ans, il est clair que je serais totalement incompétente au trône. Alors je refuse catégoriquement d'être reine de ce royaume de fous. Je ne suis pas intéressée. Ce ne sont pas mes affaires.
Lunera s'interrompit, la poitrine haletante. Son discours n'était pas aussi cohérent que dans son esprit, mais au moins pensa-t-elle, son coeur avait déversé son trop plein d'émotions.
— Dame Ariès, reprit froidement Solèna. Pour vous répondre, sachez que le monarque Arkhasia, douzième du nom, était un jeune homme d'onze ans. Il a mené le royaume d'une main de maître pendant plusieurs décennies avant de-
— Je ne suis pas votre monsieur Arkhasia douze ! répliqua Lunera avec véhémence.
Solèna écarquilla ses yeux. Si les nobles du royaume entendaient le « monsieur Arkhasia douze », ils en feraient une syncope, pensa-t-elle.
— Précisément, vous êtes la dame Arkhasia, cent soixante-neuvième du nom.
— Rien que ça, commenta Lunera avec un sourire sans joie.
Solèna soupira. Elle enleva ses lunettes et posa ses coudes sur la table.
— Ma chère Dame Ariès. Je comprends bien vos appréhensions. Sachez néanmoins que-
— Non, vous ne comprenez rien ! Sinon vous ne m'auriez pas piéger devant toute la capitale.
— Sachez néanmoins que, répéta Solèna en haussant le ton, que ce n'est pas moi qui ait fait ce choix.
Lunera cligna des yeux bêtement avant de s'embraser de plus belle.
— Vous me prenez pour une idiote ?
— Ayez au moins l'obligeance de m'écouter, Dame Ariès.
Irritée, Solèna lui lança un énième regard froid avant de se masser les tempes.
— La bague qui orne votre main, dit-elle en la désignant de son menton. C'est elle qui vous a choisi. C'est le Sceau de l'Ange.
— Je n'ai jamais entendu parler d'une espèce d'alliance capable de décider du destin d'autrui, souffla Lunera, butée.
— Enfin, Dame Ariès, ne faites pas l'enfant ! Tout est possible à Terhera. Le Sceau de l'Ange n'est pas un simple bijou.
Perdue, Lunera observa le fameux sceau. Taillé dans un métal précieux, trois paires d'ailes miniatures se déployaient. Voyant que la nouvelle reine ne répliquait pas, Solèna reprit.
— Arkhess est la Terre Mère. Toutes les nations découlent de notre pays, que ce soit Assenass, notre allié, ou Viridis avec qui nous entretenons des relations polies...
Lunera prit peur en entendant ces noms de royaumes. Tant de relations à entretenir, tant de conventions à respecter, c'était trop pour elle.
— Sachez qu'en tant que Terre Mère, Arkhess se rattache à ses origines et ses traditions avec beaucoup de conviction et d'amour. Notamment en ce qui concerne la royauté. Le Sceau de l'Ange, cher à notre pays, est un artefact antique doté d'un pouvoir décisionnaire. Il ne se lie qu'avec la personne qu'il estime être le plus apte à diriger le royaume.
Lunera agitait ses mains, les yeux fermés. Ces explications alambiquées ne contribuaient qu'à entretenir sa confusion.
— Estimer ? Le plus apte ? Je ne suis apte à rien du tout, vous comprenez ! Je ne sais pas sur quoi se base cette bague, mais je n'ai rien d'une reine.
— Le Sceau ne pense pas de cette manière. Il vous a choisi, c'est tout.
— Non ! Ce n'est pas tout ! Peut-être m'a-t-il choisi, mais c'est sous votre impulsion ! s'écria Lunera en pointant son index vers la ministre.
— Certes, mais-
— AH ! Vous avouez enfin !
— Non, mais-
— Comment... comment avez-vous pu ? l'interrompit Lunera.
Des larmes de colère emplirent ses yeux verts et violets.
— Vous m'avez mise dans une situation détestable. Moi ? L... Ariès, la reine d'Arkhess ? Une pression terrible reposera mes épaules. Je devrais supporter chaque jour une charge colossale pour gérer un royaume dont je ne connais rien ! Saurais-je me conduire comme une reine ? Me regardera-t-on comme une reine ? Je n'ai pas l'étoffe nécessaire pour mener les arkhasiens. Je ne veux pas... je ne veux plus subir la contrainte. Je n'obéis qu'à mes propres choix !
La dernière fois qu'elle avait accepté de suivre la voie d'un autre, elle avait beaucoup souffert, pensa Lunera amèrement. Darkodem n'était pas étranger à ces afflictions.
Solèna l'observait, les lèvres pincées. Une veine sur sa tempe pulsait férocement, menaçant d'exploser à tout moment.
— Laissez-moi finir mes explications, par pitié, pria-t-elle d'une voix maîtrisée. Il est vrai que j'ai invoqué la décision du Sceau de l'Ange. Je suis la ministre d'Arkhess, le seconde autorité après le monarque en exercice. Bien sûr, je n'ai aucune influence sur le sceau mais la situation était si instable — vous veniez de renverser Sawse N — que je pouvais intervenir.
« Je vous disais qu'Arkhess était rattaché à ses traditions. Parmi les neuf royaumes de Terhera, Arkhess est le seul à obéir toujours aux Anciens Décrets d'Uraera. On dit qu'Uraera elle-même les aurait écrites, l'ainée des Trois Soeurs. Jahanama, Janna et Uraera.
Lunera écarquilla ses yeux. L'expression lui disait quelque chose ; Nani lui en avait parlée.
— Parmi ces nombreuses lois, une stipule — je suis certaine que vous la connaissez, ajouta-t-elle en voyant l'air perdu de la jeune fille — que la royauté d'Arkhess passe des mains d'un roi à un autre par la force. Je ne vais pas vous faire un cours de droit arkhale, mais ce décret est ce qu'il est. Vous avez renversé Sawse lors de votre duel alors vous héritez de son trône. Dans tous les cas, même sans mon intervention, le Sceau de l'Ange vous aurait choisie.
— Alors pourquoi vous-êtes vous mêlée de cette affaire ? apostropha Lunera agressivement.
Solèna soupira.
— Un des patriarches de la noblesse, Dlavonine, est intervenu pour juguler les arcanes invoquées par Sawse N. Son sang-froid, remarquable il faut l'avouer, aurait pu menacer le choix du Sceau de l'Ange. Je suis alors intervenue plus tôt pour éviter que la bague ne penche en sa faveur.
Lunera ne répondit rien. Les yeux froncés, ses méninges semblaient tourner à grande vitesse. Elle réfléchissait tant que l'on aurait pu s'attendre à voir de la fumée sortir de ses oreilles. Soudain, elle releva la tête, les yeux écarquillés à l'extrême, comme si la lumière s'était faite dans son esprit.
— J'aurais donc pu... j'aurais donc pu éviter ça, dit-elle d'une voix blanche. C'est donc vous, qui êtes la responsable de mes maux !
Elle se tut. La colère la rendait coite. Elle s'agrippa les tempes pour essayer de modérer les affres dévastatrices de son courroux.
— De quel droit... De quel droit avez vous décidé pour moi ? explosa-t-elle.
— Nous tournons en rond, Dame Ariès, constata Solèna, glaciale. Vous êtes la reine d'Arkhess, désormais. Assumez vos responsabilités, c'est tout ce que je vous demande. Je serais là pour vous seconder autant qu'il le faut jusqu'à que vous preniez pleinement vos marques.
— Mais, je-
— Assez ! s'exclama Solèna, agacée. Nous n'arrivons à rien. Les Anciens Décrets d'Uraera et le Sceau de l'Ange font force de loi. En tant qu'arkhasienne, conformez-vous y.
Révoltée, Lunera s'apprêta à répliquer qu'elle n'avait rien à voir avec ce royaume, avant d'y réfléchir à deux fois.
La ferme, Lunera... Ce n'est pas judicieux.
Sournoise, Solèna profita de cette apparente faiblesse et réagit au quart de tour.
— À propos d'Uraera. Ne serait-ce pas sa marque sur votre main droite ?
Lunera cacha lestement ladite main sous le bureau et lança un regard d'effroi à Solèna. Avait-elle percé le secret de son identité ?
— Vous êtes une Sorcière, n'est-ce pas ? Je pense avoir reconnu l'éveil, tout à l'heure...
La jeune fille glapit, médusée que Solèna évoque aussi crûment son état. Elle craignait que sa condition Sorcière ne la lie à Darkodem. Les paroles de Nani firent écho dans son esprit.
« Darkodem est une personnalité peu aimée à Arkhess. Il ne faut surtout pas que l'on rattache à lui, que ce soit de près ou de loin ! Il en est question de ta sécurité. »
Ravie d'avoir trouvé de quoi détourner la conversation, Solèna poursuivit.
— Une Sorcière... C'est si rare... Je pensais que seule l'héritière sultakaroise en était une.
— Qu'est-ce q-que cela change ? demanda Lunera, courageusement.
Son coeur menaçait de rompre ses côtes tant il battait fort. Pourtant, elle soutint le regard de Solèna.
— Pas grand chose. Quelques personnes, surtout chez les nobles, doivent avoir reconnu votre héritage. Je pense que c'est tout. Du côté du peuple, je crois que vos pouvoirs sont inconnus. Les Sorcières ne courent pas les rues. Peu connaissent les caractéristiques de ces êtres d'exception.
Lunera se retint à grande peine de dire à la ministre qu'elle était évasive et que sa réponse ne lui apportait rien.
— Ceci dit, je pense qu'en tant que reine, le peuple vous suivra. Vous avez fait preuve d'une remarquable puissance contre Sawse N. Les arkhasiens devraient vous être loyaux pour ce dernier fait. Vous avez chassé celle qui les opprimait. Tout naturellement, ils se rangeront derrière vous et personne ne se risquera à contredire votre place au trône.
Lunera souffla et s'avachit sur son fauteuil. Ces belles paroles ne lui inspiraient rien.
Que c'est fatigant...
— Pour vous donner une réponse, c'est votre pouvoir si particulier qui m'a séduit. Une Sorcière à la tête d'Arkhess, voilà... voilà un symbole extraordinaire, ajouta Solèna, presque fébrile.
La jeune fille haussa les épaules. Même si l'idée de servir de marionnette ne lui plaisait guère, peu lui importait du temps que son identité n'était pas révélée.
— Je ne vous apprends rien en vous disant que les Sorciers et Sorcières Hératerra sont les élus de Terhera. Le superbe élan rejeté par le Coeur Arkhale dans la période autour des vingt-sept janvier a toujours été l'objet d'une grande fascination. C'est si rare ! Je vous avoue être très surprise. Les historiens, professeurs en magie avancée, arkhalogues et-
— Arkhalogues ? demanda Lunera, surprise.
— Ou spécialistes du Coeur Arkhale, si vous voulez, expliqua Solèna.
Son visage s'était délesté de toute froideur. Intéressée, elle semblait parler de ce sujet avec passion.
— Tous s'accordent à dire que l'impulsion de l'Âme de la Planète a lieu en fin janvier. Le vingt-sept est une date assez arbitraire, mais il est vrai qu'en cette période, aucune naissance ne survient. Le mécanisme précis est inconnu, c'est bien dommage. De nombreuses hypothèses tendent à dire qu'à ces moments, les pulses de magie brute rejetées par le Coeur Arkhale inhibent totalement les contractions utérines d'une femme à terme.
Lunera la regarda d'un air suspicieux. Elle ne comprenait pas pourquoi la conversation prenait une telle tournure.
Où veut-elle en venir ?
— Vous savez bien que tous les individus de Terhera sont doués de pouvoirs magiques. Apparemment, ceux-ci sont un don du Coeur Arkhale. Il offre à chaque vie la capacité de disposer d'une infime fraction de ses pouvoirs. Bien sûr, ce n'est qu'une métaphore ! Le Coeur Arkhale n'est rien d'autre que le noyau de la planète. Il n'est nullement question d'une entité ou que sais-je... Ceci dit, en ce qui concerne les êtres spéciaux Hératerra, les arkhalogues s'accordent à dire qu'à leur naissance, la bénédiction magique reçue est infiniment plus importante que celle d'une simple personne. D'où leurs pouvoirs démesurés. Ils ont en eux une source énorme de magie, une part significative des forces arkhales.
Lunera restait silencieuse. Elle ne savait toujours pas où Solèna désirait en venir et ça l'angoissait. Si jamais elle venait à évoquer un quelconque lien avec Darkodem, elle ne s'en remettrait pas.
— Comprenez, Dame Ariès, que ce sont des sujets tellement intéressants... Et tellement de mystères n'ont pas été résolus... Notamment en ce qui concerne l'éveil ! Cette période fantastique où les Sorcières et Sorciers acquièrent une force effarante. Beaucoup de questions restent encore sans réponse... Quel lien les Sorcières entretiennent avec Uraera ? Quels sont les événements qui propulsent leur éveil ? Sauriez-vous... me répondre ?
Ayant retenue sa respiration tout le long de la tirade de la ministre, Lunera expira brutalement. Elle en aurait presque ri de soulagement. Fascinée par les mythes de Terhera, Solèna voulait des réponses quant à la plus grande des légendes qui soit. Tant que ça ne touchait pas à son identité, Lunera aurait répondu à toutes les questions du monde.
— Euh... Eh bien, dit-elle en réfléchissant. Je me rappelle juste de m'être endormie quand cette Sawse N m'a enfermée dans la glace. Je pense avoir perdu connaissance. Quand j'ai repris mes esprits, je flottais dans les cieux.
Le sourire de Solèna se flétrit quelque peu.
— Vous n'avez rien ressenti de particulier, encouragea-t-elle néanmoins. Certains spécialistes s'accordent à dire que l'éveil est une sorte de transe. Les êtres Hératerra exprimeraient des sentiments exaltants, une rage de vivre transcendant tout autour d'eux. Qu'en pensez-vous ? la pressa la ministre.
Lunera ne répondit rien.
Peut-être que ma mort imminente a stimulé ma magie ?
— Je sais pas, répondit-elle finalement.
— Même à propos d'Uraera ? demanda Solèna, la suppliant presque.
Lunera jeta un coup d'oeil au symbole qui ornait son poignet. La lune faite de gracieuses arabesques entrecroisées était merveilleuse. Elle l'avait vue tant de fois auparavant...
— Non plus, répondit-elle enfin. Je ne savais même pas que cette marque était celle d'Uraera.
Cette fois, le sourire de Solèna disparut tout bonnement. Ses lèvres se pincèrent et son visage reprit sa froideur habituelle. Lunera comprit que la ministre ne la croyait pas.
Soudain, un petit pop ! retentit et une lettre se matérialisa, dissipant ainsi le bref moment de gêne qui s'était installé. Solèna l'attrapa d'une main leste, déplia le papier et parcourut les quelques lignes griffonnées hâtivement. Elle acquiesça, ramassa ses dossiers et se leva.
— Venez avec moi, Dame Ariès. Nous allons dans votre bureau. J'en profiterai pour vous faire visiter rapidement le palais.
— Que dit cette lettre ? demanda Lunera
S'attendant à recevoir une remarque désagréable, elle s'étonna d'entendre Solèna lui répondre simplement :
— Vos appartements sont prêts. Aria a gentiment accepté de débarrasser le plancher des affaires de Sawse afin que vous puissiez vous installer dès ce soir.
Lasse, Lunera soupira et se leva. Elle lança un regard noir à la ministre juste avant de lui emboîter le pas. Quoiqu'elle dise, Lunera sentait que cette Solèna serait intransigeante. La royauté lui reviendrait de gré ou de force.
☾☾☾
25 février 1875 — Arkhess
La visite du palais d'Arkhess avait été agréable. Lunera en vint même à penser que la vie entre ces murs devait être plaisante.
Même le Palais des Chimères n'est pas aussi grand !
Le château était composé de quatre grandes et larges tours, toutes reliées par un ensemble de bâtiments qui rendait le complexe gigantesque. Les grandes tapisseries, les larges baies vitrées, les sculptures de marbre, les boiseries, tout dans le château royal respirait le faste et le luxe. Tout au long de leur passage, d'affables servantes et d'honorables majordomes s'affairant à l'entretien du palais s'inclinaient avec déférence devant Lunera. Apparemment, la nouvelle avait largement fait le tour alors qu'elle n'était même pas encore intronisé, pensa-t-elle, amère.
— Les lieux sont-ils à votre goût ? s'enquit Solèna.
Avec une mauvaise foi criante, Lunera répondit un « Non ! » sec. Solèna ne se laissa point démonter et poursuivit :
— C'était un peu rapide, comme visite. Nous sommes pressées, c'est pour cela. Mais n'ayez crainte, je-
Lunera ne l'écoutait plus. Elle était ailleurs. Alors qu'elles marchaient silencieusement, Lunera prit soudain la parole :
— Vous parliez d'un noble tout à l'heure... Vous savez, celui à qui la royauté aurait normalement dû revenir. Il est intervenu pour contrer les Arcanes de Sawse N. Que sont les Arcanes ?
Solèna lui jeta un coup d'oeil peu amène, agacée par la pique.
— J'ai compris qu'il s'agissait de grands pouvoirs... mais d'où viennent-ils ?
— Cela ne m'étonne guère que vous ignorez ce que sont les Arcanes, répondit Solèna. C'est le secret le mieux gardé par les hautes-sphères royales des pays de Terhera. Votre question est pertinente, ceci dit. Vous me faites penser que dès demain, nous devons nous rendre dans la salle du cristal.
Perplexe, Lunera regarda la ministre étrangement.
— Je vous parlais de l'héritage arkhale. Vous souvenez-vous lorsque je vous disais qu'Arkhess était la Terre Mère ? Il y a bien des millénaires, Arkhess était le seul pays qui existait à Terhera. Tous les autres royaumes sont apparus plus tard, dérivant tous d'Arkhess. Notre pays s'en est trouvé réduit, en ce qui concerne son territoire et sa population.
« Mais ce n'est pas tout ! En effet, le Coeur Arkhale est un artefact de haute puissance. Ses pulses de magie brute nous atomiseraient, nous, les humains à la bien frêle constitution. Ceci dit, depuis toujours il existe à la surface de Terhera un cristal catalyseur. Il est l'intermède entre le Coeur Arkhale et nous-mêmes. Il reçoit les forces démentes de l'Âme de la Planète, les canalise, et en abreuve les cieux, la terre, les arbres, la nature, et nous-mêmes.
Intéressée, Lunera suivait de près ces explications.
— En revanche, avec la séparation des peuples et la constitution des nouveaux royaumes, des mécréants scindèrent le cristal catalyseur. Chaque nouveau pays emporta une part du cristal afin de prospérer dans les terres où ils élurent territoire. Ainsi, Arkhess s'est retrouvé avec un infime fragment de sa gemme.
— Vous êtes bien gentille avec vos explications mais je ne comprends pas où vous voulez en venir.
Nullement décontenancée, la ministre l'ignora et poursuivit ses explications :
— Cette gemme, même réduite, possède des pouvoirs extraordinaires car le cristal catalyseur est toujours capable d'assurer l'uniformisation du flux magique provenant du Coeur Arkhale. Si jamais il venait à être détruit, le flux deviendrait instable et Terhera essuierait de fâcheuses conséquences. Nous recevrions de plein fouet les élans brutaux du Coeur Arkhale et nous serions réduits à néant.
« Et comment peut-il se léser, me diriez-vous ? Les monarques des royaumes ont directement accès à leur cristal catalyseur et peuvent user de leurs pouvoirs. Ceux-ci sont appelés Arcanes.
— Oh ! s'exclama Lunera.
Solèna lui lança un regard interrogateur mais Lunera était déjà loin dans ses pensées.
C'est donc pour ça qu'Assad était devenu aussi puissant ! Il s'est gonflé aux pouvoirs du Coeur Arkahle !
— Un grand pouvoir implique un grand prix, Dame Ariès. Tâchez de vous souvenir que l'usage de ces Arcanes entraîne un afflux de magie considérable depuis le Coeur Arkhale vers le cristal catalyseur. Celui-ci n'est pas apte à juguler une telle ardeur et ses capacités sont dépassées. Inéluctablement, il se lèse et de larges fissures viennent érafler sa surface cristalline.
— C'est pour cela que les nobles étaient tellement en colère après Sawse N !
— C'est cela. Ils craignaient — à raison ! — que le cristal d'Arkhess ne se détruise à cause de cette idiote. J'espère que nous ne serons pas confrontées à de mauvaises surprises, murmura-t-elle avec un frisson.
Lunera, elle, jubilait. Imaginer la tête que ferait Assad en constatant les énormes fissures sur le cristal catalyseur de Sultakara était réjouissant.
Avec la déferlante d'Arcanes employée, le cristal arcanique de Sultakara doit être dans un piètre état...
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