Épuisés par leur longue marche, ils durent finalement passer la nuit à se reposer. La nuit était fraîche, le sol humide regelait, il n'y avait pas une once de bruit. Les collines étaient particulièrement silencieuses. 

Flocon entrouvrit en oeil. Il n'arrivait pas à dormir. Son corps était fatigué mais trop d'événements étaient arrivés ces dernières lunes. Il observa les points scintillants dans le ciel noir. Certains étaient plus lumineux que d'autres. Il soupira. Tu ne dois pas être très loin papa... Son coeur se serra à cette pensée. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas pensé lui. Une pointe de culpabilité naquit aussitôt dans sa poitrine. Il se retourna sur le sol et ouvrit son deuxième œil. Malgré les branches du sapin qui les protégeaient du froid, il pouvait distinguer la lune à travers les nuages. J'espère qu'il ne neigera pas. 

Il laissa à nouveau échapper un soupir. Il fallait qu'il se repose, il en avait besoin. Il devait être en forme pour le lendemain. Il savait que ce serait un jour important. Peut être reverrai-je Anémone ? A cette pensée son rythme cardiaque s'accéléra. Elle lui manquait énormément. Il espérait qu'Edelweiss et Mimosa n'arriveraient pas trop tard... Ses paupières se refermèrent lourdement sur ses yeux et il se laissa emporter par le sommeil.

***

Ils s'étaient réveillés à l'aube pour ne pas perdre de temps. Ils n'avaient même pas chassé, le repas de la veille était encore suffisant. A présent le soleil se trouvait plus haut dans le ciel, réchauffant les collines blanches, couvertes de givre et de neige. Le brouillard qui s'était installé se levait peu à peu, révélant un paysage immaculé de blanc.

- Tu reconnais ?

Flocon se tourna vers Ouragan. Celui-ci le regardait inquisiteur.

- On vient d'entrer dans le territoire des loups des collines, admit-il en voyant le paysage qui lui était familier. 

Le visage de son ami s'éclaira.

- On se rapproche alors.

Le loup blanc acquiesça doucement. Pourtant cette nouvelle ne le rassurait qu'à moitié. Il savait que des meutes des collines s'étaient ralliées à Abysse. Ils ne devaient donc pas tarder.

- Je ne sens plus l'odeur des louves, ajouta-t-il en humant l'air.

Ouragan plissa le museau et confirma ses dires.

- Ça doit être le regel de cette nuit...

Flocon jeta un coup d'œil au Sorcier. Ekhi ne paraissait cependant pas hésitant tant à la direction à emprunter que les zones à traverser. Il décide donc de lui faire confiance et lui emboîta le pas. Ils approchaient du but.

***

Alors que cela faisait un long moment qu'ils marchaient parmi les collines, leur progression devenait moins aisée. Le soleil qui était à présent à son point culminant avait fait fondre tout le givre de la nuit et une partie de la neige. Le sol se transformait donc peu à peu en boue. Flocon grimaça en sentant la texture collante s'agripper à son pelage. Marcher dans la neige était beaucoup plus simple, surtout dans les collines. Elle n'était pas profonde et il suffisait de marcher dans les pas du premier loup. Tandis que dans de la terre humide, les loups formaient leurs propres traces pour éviter de s'enfoncer davantage, ce qui contribuait à les fatiguer.

- Comment te sens-tu ? s'enquit-il à Ouragan qui peinait à avancer.

Son ami, qui se trouvait être légèrement plus lourd que lui, paraissait fatiguer plus rapidement. 

- Je commence à avoir faim, avoua-t-il.

Flocon sourit, il était souvent le premier à la ressentir. Mais il se ravisa rapidement en sentant à son tour son ventre réclamer de la viande.

- Je ne sais pas si nous pouvons trouver quelque chose d'appétissant dans ces conditions, leur informa Ekhi en ralentissant le pas.

- Et ça reste dangereux de s'arrêter dans ces territoires, on prendrait le risque d'être repérés, ajouta Flocon en regardant autour d'eux.

Mais le paysage ne montrait aucun signe d'ennemis. Il percevait seulement le ruissellement continue de la neige qui fondait.

- Mais nous ne pouvons pas continuer le ventre vide, lâcha Ouragan en levant le museau. Je suis sûr que nous pouvons dénicher un petit mulot, ou du moins je vais essayer.

Flocon hocha la tête et suivit du regard son ami qui partait en contrebas.

- Fais attention quand même Ouragan, murmura-t-il en observant les collines inquiet.

Ekhi lui lança un regard entendu et ils partirent tout d'eux vers une direction opposée pour se trouver quelque chose.

***

Le loup blanc mastiquait avec énergie le rongeur qu'il avait chassé. C'était loin des chamois dont il avait l'habitude de chasser mais s'il n'avait pas envie de se faire repérer, il devait rester discret et se contenter de petites proies. Il lécha les os jusqu'à la dernière trace de chair afin de ne rien laisser. Malgré sa maigre trouvaille, cela lui faisait du bien de remplir son estomac qui criait famine depuis un moment. Il s'empressa de lécher le sang sur ses babines. Puis il regarda autour de lui et parti à la recherche de ses compagnons.

Le terrain glissant était toujours aussi instable. Il se dépêtra comme il put pour remonter sur une colline un peu plus haute que les autres. Aux aguets, il humait continuellement l'air afin d'anticiper toutes odeurs inconnues. Mais il fut rassuré de reconnaître celle d'Ouragan. Ce dernier arrivait au loin en courant. Ekhi le rejoignit quelques instants plus tard.

- Ce n'est vraiment pas pratique cette terre boueuse, marmonna le loup noir en arrivant essoufflé. 

 - Ça va empirer jusqu'à la tombée de la nuit, confirma Ekhi. Alors ne tardons pas.

Flocon esquissa un sourire en voyant le fourrure de son ami encore couverte de sang par endroit. Au moins, nous avons pu reprendre des forces. Son cœur se serra. Même si nous avons perdu pas mal de temps. 

Le petit groupe traversa progressivement les collines. Peu à peu de nombreux sapins se faisaient voir. Ce n'était plus des arbres isolés mais qui constituaient des bosquets voire des bois. Dans ceux-ci il était nettement plus facile marcher. L'épaisse couche que formait les épines de pin absorbait l'eau qui gouttait des arbres. Flocon se sentit aussitôt davantage en sécurité parmi ses arbres. Il percevait un semblant de chez lui. Mais malgré cela, ses pattes commençaient à devenir douloureuses, notamment son moignon, fatigué par la longue marche. Il serra les crocs. Ce n'était clairement pas le moment que ses pattes le lâchent. 

- Eh mais... Flocon !

Le cri d'Ouragan le sortit de ses pensées. 

- On dirait le bois dans lequel ta meute nous avait trouvé avec Anémone !

Son ami me dévisagea les yeux pétillants. La ressemblance était frappante. À l'époque, il n'était qu'un jeune loup, c'était pourquoi il venait rarement dans cette partie du territoire. Ce bois se trouvait tout juste à la frontière et cela était devenu dangereux. Les chiens d'Abysse rôdaient énormément dans le coin.

- Soyons prudents dans ce cas, murmura-t-il en se faisant le plus silencieux possible.

Devant lui, Ekhi s'arrêta brutalement. Inquiet, Flocon s'approcha.

- Que se passe-t-il ? 

Le Sorcier se retourna vivement. Son visage trahissait une profonde inquiétude.

- Ekhi...?

- C'est Anémone, le coupa-t-il. Je dois vous laisser.

Le cœur de Flocon bondit aussitôt dans sa poitrine.

- Quoi ? Il lui arrive quoi ? Ekhi !!

Le Sorcier venait de s'envelopper d'un tourbillon de lumière argentée. Ses os glissèrent sous ses muscles qui devinrent des plumes. Son museau s'allongea et s'affina. Le corbeau croassa. Ses yeux dorés trahissaient son inquiétude. Flocon sentit la panique le gagner. Des larmes étaient sur le point d'éclore. Si Anémone était en danger, il devait se trouver auprès d'elle, mais pas au milieu d'un bois !

Je vais entrer en elle,

Partager mes ailes,

Retarder le déclin,

Avant que n'arrive la fin.

La gorge nouée, Flocon hocha de la tête gravement. Il essayait de reprendre ses esprits. Ekhi allait empêcher Anémone de sombrer. C'était le plus important. Le temps que les Guérisseurs lui administrent le remède. Il prit une profonde inspiration pour contrôler les battements de son cœur. 

- Allons-y, lâcha Ouragan, une fois qu'ils furent seuls. Elle va s'en sortir, il le faut.

Ils échangèrent le même regard. Ils avaient peur d'arriver trop tard. Mais ils ne pouvaient aller plus vite.

- Tu crois pouvoir trouver le chemin jusqu'au camp ? 

Flocon grimaça, incertain.

- Approximativement...

Instinctivement le loup blanc accéléra le pas. Il était hors de question de la laisser rejoindre son père. Tout à coup un bruit de pas précipités attira son attention devant lui. Oh non... Pas Abysse... supplia-t-il intérieurement alors que son cœur venait de s'ouvrir sous la nouvelle d'Ekhi.

- J'y crois pas ! Ouragan ! Flocon !

Une voix familière les appela. Une forme blanche se dessina rapidement devant eux. C'était un  grand loup blanc. Il était suivit de près par deux louves grises et un... husky.

- Venez, on vous ramène au camp, lança Clam s'en plus attendre en faisant demi tour.

Stupéfait par leurs apparitions, Flocon resta un instant figé.

- Je ne plaisante pas, insista Clam d'une voix rauque, les yeux graves. Les retrouvailles se feront plus tard, nous avons plus important à gérer.

Les deux amis échangèrent un regard inquiet et emboîtèrent le pas à leur amis.

- Le remède est bien arrivé, lança Clam, tout en marchant rapidement.

Un sentiment de soulagement envahit aussitôt le corps du loup blanc.

- Mais Abysse est également au courant, ajouta Myosotis. Il faut qu'on agisse avant eux.

Le petit groupe accéléra le pas. Les deux amis avaient dû mal maintenir le rythme, épuisés. Un sentiment de joie de les retrouver mêlé à l'incrédulité prenait place en eux. A côté de lui, Blizzard jeta un coup étonné à son moignon mais ne posa pas de question.

- Le problème, enchaîna Tornade. C'est qu'Abysse compte éliminer tous les Guérisseurs capables de fabriquer le remède pour qu'il soit le seul qui puisse le maîtriser.

- Quoi ? lâcha Ouragan éberlué.

Brume ! pensa presque aussitôt Flocon paniqué.

- On vous expliquera quand on se sera arrivé. Vous comprendrez mieux, leur assura Clam, le regard sombre.