Après s'être désaltérée et reposée, la petite troupe était repartie en direction des montagnes enneigées. Ils traversèrent quelques plateaux herbeux bien que la végétation devienne de plus en plus rare. Alors qu'ils s'apprêtèrent une nouvelle fois de franchir une montagne, Topaze s'immobilisa sur la crête.

Le vent soufflait doucement, faisant frémir les rares brins d'herbe. Flocon leva les yeux devant lui. De grandes montagnes se dressaient devant eux. En plissant les yeux, il pouvait apercevoir la neige scintillante sur leurs pentes et à leur sommet. Derrière se trouvaient les glaciers.

- Nous allons nous remplir le ventre avant de s'attaquer aux Grandes Montagnes, annonça Topaze. Nous devons reprendre des forces.

Flocon ne répondit pas. Cela faisait plusieurs lunes qu'il n'avait pas mangé, au contraire de ses camarades, qui pendant sa convalescence, avaient pu dénicher un chamois. Et pourtant il n'avait pas faim.

- Nous allons redescendre un peu, les grosses proies se trouvent rarement si haut.

A ces mots, la petit groupe entreprit une descente escarpée. Depuis leur hauteur, Flocon distingua des mouvements en contre bas. Il voulut se pencher un peu pour les voir de plus près, mais sa vision devint instantanément trouble. Il s'éloigne aussitôt du bord.

Ouragan lui lança un regard interrogateur par lequel il répondit par un petit sourire crispé. J'ai encore le vertige...

Alors qu'ils arrivaient sur un terrain pourvu d'un peu plus de végétation, Topaze les entraîna derrière une butte.

- Il y a des bouquetins derrière cette pente, chuchota-t-il à leur intention. Soyez prudents, leurs cornes sont dangereuses.

- Et pour Flocon ? demanda Edelweiss.

A la mention de son nom, l'intéressé ferma les yeux. Il avait l'impression d'être un poids que l'on traînait.

- Je reste avec lui. A trois vous devriez vous en sortir.

Les trois chasseurs s'entre-regardèrent. Ils se léchaient déjà les babines de leur futur festin.

- Je te ramène le meilleur bouquetin, lui glissa son ami, les yeux pétillants.

Flocon lui sourit, tandis qu'ils s'en allèrent à la chasse. Il entendit furtivement Mimosa dire qu'elle n'avait jamais chasser ce genre de proie et ils disparurent.

- Flocon.

Le loup blanc reporta son intention sur le Guérisseur.

- Montre moi ta patte.

Il fit ce qu'il lui demandait et leva le moignon vers le Guérisseur. Enfin pas bien haut, étant donné que la douleur ressurgit immédiatement. Topaze examina rapidement son membre, sans montrer l'ombre d'une émotion.

- Il n'y a rien d'alarmant pour l'instant, mais il ne faut pas qu'on traîne, ajouta-t-il en se tournant vers lui.

Le loup blanc déglutit difficilement. Même s'ils arrivaient à rejoindre ce fameux Sans-griffe, il doutait fort de ces compétences. Rien qu'à l'idée d'être sauver par l'un d'entre eux lui donnait la nausée. La seule pensée qui le rassurait était qu'Anémone avait vécu parmi eux et semblait les apprécier. Il était toujours pessimiste à cette idée mais si c'était la seule solution, alors il se laisserait faire.

- Il y a de l'eau là-bas si tu veux, lui proposa le Guérisseur en lui désignant du menton, une source d'eau qui dévalaient les roches.

Sans hésiter, Flocon s'élança dans leur direction. Il était tellement épuisé qu'il ne l'avait pas remarqué. Il boitilla jusqu'au liquide glacé et rafraîchi sa gorge sèche pour la même occasion.

Lorsqu'il releva la tête, il rencontra son reflet dans l'eau. Le loup qui lui faisait face était méconnaissable. Sa fourrure auparavant blanche se teintait en marron. Son visage était creusé par la fatigué et ses os étaient d'autant plus visibles suite au peu de nourriture qu'il avait avalé. Il croisa son regard dans son reflet. Il y vit alors des yeux creusés, fatigués, et vitreux.

Désarçonné par ce qu'il venait de voir, Flocon se détourna immédiatement de la source d'eau. Topaze, qui l'avait rejoint, bu à son tour.

- Je...

- C'est normal, ne t'en fais pas, le rassura le Guérisseur comme s'il avait lu dans ses pensées. Ton corps est juste affaibli. Il suffit que tu manges et ça ira mieux.

- Mais je... je n'ai pas faim...

Flocon sentit les larmes monter dans le coin de ses yeux. Épuisé par ce qu'il venait de lui arriver ces dernières lunes, il était sur le point de craquer. Avec la mort de Rivière, Anémone qui était condamnée et lui qui ne semblait pas aller mieux, il était dépassé.

- Topaze ! Flocon ! Venez vous régaler ! s'exclama Ouragan de l'autre côté de la pente.

Le vieux loup lui lança un regard entendu avant qu'il ne l'accompagne jusqu'au cadavre du fameux bouquetin. Ouragan n'avait pas menti, c'était un beau spécimen.

- Je t'en prie, les blessés d'abord, lui glissa son ami avec un sourire au coin.

Flocon le lui rendit et hésita en regardant la viande fraîche qui se trouvait devant lui. Son ventre ne donnait aucun intérêt à cette proie, bien au contraire...

- Bon, dépêche Flocon par contre. J'ai faim moi...

- Ouragan... le reprocha Mimosa à côté de lui.

Cependant la remarque de son ami ne le dérangea pas. Il la fit même sourire. Il finit par plonger son museau dans la chair sanguinolente. Au contact de la viande fraîche dans sa gueule, Flocon saliva. Il la mastiqua goulûment et finit par engloutir un bon morceau de ce bouquetin.

Il releva finalement le museau teinté de rouge du cadavre et se tourna vers les Grandes Montagnes. Leur but leur semblait si loin et si proche à la fois. Flocon jeta un coup d'oeil à ses camarades qui dévoraient le bouquetin avec appétit. Une nouvelle énergie l'envahît. Il était prêt à vaincre cette fichue patte et sauver Anémone.

- Petite pause pour digérer et ensuite nous reprendrons la route vers les glaciers, déclara Topaze en allant d'un coin un peu plus herbeux pour s'y allonger.

Flocon sourit et hocha la tête. Manger lui avait fait du bien au fin de compte. Un battement d'aile le fit tout à coup lever la tête. Ouragan et lui s'entre-regardèrent. Ekhi ?

Le loup blanc plissa les yeux pour essayer de percevoir le volatile dans le ciel bleu parsemé de nuages. Cependant lorsqu'il l'observa à nouveau, il remarqua que sa taille était beaucoup trop grande pour être un corbeau. C'est un aigle. Dans le ciel, le rapace fit des arcs de cercle autour de la proie. Intrigué, Flocon fit signe à Ouragan de s'écarter. Lorsque les deux amis eurent rejoins le Guérisseur, le loup blanc se retourna vers la carcasse. Un œil rouge perçant rencontra le sien. Ce n'est pas Ekhi, réalisa-t-il, le cœur battant. Le nouveau venu déchiqueta à coup de bec les restes. Ce n'est pas non plus un aigle normal. Le rapace se releva brusquement, le faisant sursauter. Alors qu'il s'apprêtait à s'envoler, à côté de lui, Topaze jura.

- Ombre.

Flocon écarquilla les yeux. C'est un sorcier. C'est la sorcière qui était dans le corps d'Elbaïte, comprit-t-il abasourdi.