
Chapitre 3
- Mon père était un solitaire et ma mère une louve d'une meute des Montagnes.
Le loup noir dévisagea Anémone, comme pour attendre une réaction de sa part. Mais il n'en fut rien. Ouragan soupira alors et continua.
- Le problème c'est qu'une relation entre solitaire et loup de meute ne se fait pas, surtout quand ces derniers ont des petits...
Ouragan marqua un temps pour reprendre son souffle avant d'enchaîner.
- Au début tout aller bien. Nous vivions en cachette, nous chassions en cachette... Nous étions réunis et c'était tout ce qui comptait.
Anémone commençait à comprendre où il voulait en venir.
Le loup noir déglutit. Il baissa les oreilles accablé, lorsqu'il se remémora ce qu'il s'était produit.
- Il y a plusieurs cycles lunaires déjà, la meute de ma mère nous a découvert. Son Alpha s'appelait Foudre.
Sa voix trembla de colère mêlé à d'une profonde tristesse quand il prononça son nom.
- Lui, il n'aimait pas les solitaires, il les haïssait. Dès que ma mère l'apprit, elle nous avertit et nous nous sommes enfuis.
Anémone hocha la tête. Elle comprenait de mieux mieux à présent. Tout devenait plus clair.
- Malheureusement ma mère se fit prendre, (son regard partit dans le vague) ainsi que mes deux sœurs et mon frère.
Anémone se rendit compte alors que son nouvel ami agrippait de toutes ses forces une branche qui traînait sur le sol avec ses pattes. Elle fut prise alors d'empathie envers lui. Elle, qui n'avait connu que le confort du Refuge jusqu'à présent, réalisait ce qu'était la véritable vie.
- Je me souviens encore du regard de ma mère et de son courage sans faille lorsqu'elle a tenu tête à l'alpha pour empêcher qu'il tue mes frères et sœurs.
Les yeux de son ami se brouillèrent rapidement.
- Nous étions cachés, mon père et moi, nous ne pouvions rien faire, (il planta son regard vert dans le sien), nous les avons laissé mourir. Ils sont morts sous nos yeux sans qu'on puisse rien y faire.
Le loup noir hoqueta un instant avant de se répondre rapidement et de secouer la tête.
- Je suis désolée, commença Anémone mal à l'aise. Je ne voulais pas ressortir ce souvenir douloureux. Ce n'était pas mon intention.
- Je sais bien, sourit-il tristement en levant les yeux vers elle. Ne t'inquiète pas, ça fait un moment maintenant... Presque deux cycles lunaires.
Elle croisa son regard. Il était empli de tristesse.
- Mais si tu veux savoir la fin de l'histoire, mon père a succombé à une maladie alors que nous étions en direction des collines.
Anémone sentit son cœur se serrer. Elle, qui n'avait pas connu ses frères et son père, ne pouvait pas comprendre. Et, pourtant, elle commençait à comprendre avec sa mère qui était non loin de la mort. Il doit se sentir extrêmement seul, réalisa-t-elle alors.
- Donc t'imagines bien que quand je vous ai aperçues, je suis tout de suite venu à votre secours, conclu le loup noir en esquissant un petit sourire.
- Merci, souffla la jeune louve, alors qu'un silence embarrassant s'installait.
- Voilà maintenant tu sais tout.
Elle regarda son nouvel ami. Une ombre passa sur son visage.
- Tu n'aurais jamais dû me raconter ça.
Le jeune loup haussa les épaules et grimaça un sourire
- Peut-être, mais ça fait du bien d'en parler à quelqu'un, et puis maintenant on est quitte.
- Un bien triste sort pour un si jeune loup, fit tout à coup une voix râpeuse.
Les deux jeunes loups tournèrent la tête simultanément.
- Maman !
Anémone se précipita vers sa mère. Un énorme soulagement l'envahit. Elle était en vie.
- Je te laisse, Anémone, déclara Ouragan alors en s'en allant, qui avait compris qu'il fallait les laisser seules. Je vais chasser.
La jeune louve acquiesça d'un signe de tête. Puis elle se retourna vers sa mère et se pencha. Cette dernière ouvrit les yeux un instant pour les refermer aussitôt.
- Ecoute-moi bien, Anémone, murmura aussitôt sa mère. Je n'en ai plus pour longtemps...
La jeune louve se figea instantanément.
- Mais si ! (sa voix se brisa sous l'émotion) Ouragan va revenir et il va te guérir !
- Ouragan n'y est pour rien, il a fait de son mieux. Mes blessures sont trop importantes.
Hortensia se mit brusquement à tousser et du sang s'échappa de sa gueule. Anémone sentit son cœur battre rapidement dans sa poitrine. Que pouvait-elle faire pour la sauver ?
- Il est temps pour moi de rejoindre les Loups-esprits, continua-t-elle d'une voix rauque.
- Non ! Reste ! Ne me laisse pas ! Je t'en supplie !
Anémone sentit les larmes rouler le long de ses joues. Tout son être criait de douleur. Elle ne voulait pas la perdre, ce n'était pas possible.
- Une dernière chose (sa voix se fit moins audible), reste avec Ouragan jusqu'à ce que tu sois capable de te débrouiller... La nature est pleine de surprises et de danger.
- Non ! Tu seras là avec moi !
Anémone regarda autour d'elle. Elle devait faire quelque chose pour empêcher les saignements, elle devait chercher des feuilles pour calmer ses douleurs...
- Maman, reste avec moi, déclara la jeune louve, d'une voix qui se voulait ferme. Je vais trouver de quoi te sauver.
Hortensia ouvrit une nouvelle fois les yeux et la regarda tendrement.
- Anémone... Tu es si belle...
Son corps se prit de convulsions et elle cracha à nouveau du sang. Ses yeux vitreux rencontrèrent une dernière fois ceux de sa fille.
- Surtout... Surtout prends soin de toi... Crois en toi ; et surtout n'oublie pas, (elle hoqueta et se fit violence pour finir sa phrase), je suis et je serai toujours avec toi.
Hortensia ferma alors les yeux, un sourire aux lèvres. Un dernier murmure s'en échappa :
- Je t'aime.
Ces deux derniers mots semblèrent s'envoler vers les étoiles. Anémone regarda le ciel bleu puis Hortensia. Son corps bougea une dernière fois avant de raidir et de se figer. Anémone se pétrifia instantanément, comprenant ce qu'il venait d'arriver. Des larmes roulèrent sur son visage.
- Non ! Non ! Ce n'est pas possible !
Elle enfouit son museau dans sa douce fourrure. La jeune louve se sentit soudain seule, très seule...
- Maman ! Maman !
Une violente douleur surgit dans sa poitrine. Elle avait terriblement mal... Pourquoi était-elle morte maintenant ? Elle n'était pas prête...
- Maman, réveille-toi, gémit-elle, entre deux sanglots. Je t'en prie, maman...
Elle entendit soudainement des bruissements derrière elle. Elle jeta un coup d'œil. Ouragan venait d'arriver. En la voyant, il lâcha immédiatement le lapin qu'il tenait dans sa gueule.
- Anémone, calme toi, murmura-t-il en s'approchant d'elle. Il faut la remettre aux Loups-esprits maintenant. C'est la seule chose à faire.
- Je... D'accord, renifla-t-elle en se détachant enfin du corps chaud de sa mère.
Les deux jeunes loups l'amenèrent au pied d'un sapin et commencèrent à creuser. Puis en silence ils la déposèrent dans le trou et le rebouchèrent. Une fois le travail terminé, Anémone esquissa un sourire. Ça y est c'était terminé.
- Voilà, maintenant elle peut rejoindre les Loups-esprits, déclara Ouragan. Elle est en paix.
- Oui, elle est en paix, répéta-t-elle tristement.
Elle sentit une boule se former au creux de sa gorge. Sa mère était partie. Elle ne se réveillera pas. La douleur présente dans sa poitrine était toujours là. Elle ne réalisait pas vraiment ce qui venait de se produire. Tout était allé si vite. Un silence pesant s'installa.
- Et si on mangeait un peu ? proposa son ami gentiment. Ça te ferait du bien.
Anémone hocha la tête. Il alla alors chercher le lapin et le déposa doucement sur le sol.
- Sers-toi, tu en a plus besoin que moi, fit le jeune loup en le désignant.
- Mais...
- Allez, mange-le. J'en chasserai un autre.
Alors elle se jeta sur sa proie et la dévora-en un rien de temps. Son corps était encore chaud. C'était très différent de ce qu'elle mangeait habituellement mais c'était bon. Manger lui faisait du bien. C'est alors qu'elle sentit quelque de chose de dur sous ses crocs. La jeune louve recracha cette étrange texture et regarda perplexe.
- C'est quoi... ce truc ?
Ouragan suivit son regard avant d'exploser de rire.
- Pardon, s'excusa-t-il devant son regard noir. Ce n'était pas le moment de rire mais... c'est un os !
Anémone ouvrit la gueule pour répondre avant de se rendre compte de sa bêtise. Elle sentit alors son visage la chauffer.
- Comment je pouvais savoir, grommela-t-elle vexée. Je n'en avais jamais vu avant...
A peine avait-elle fini sa phrase qu'un sentiment de tristesse la submergea. Avant... Quand sa mère était encore en vie... La jeune louve ferma les yeux et inspira profondément pour enfouir cette douleur au plus profond d'elle même.
- On fait quoi ? demanda-t-elle rassasiée, en léchant le sang qui restait. Maman est morte, (sa gorge se noua et elle se fit violence pour ne pas pleurer), où est-ce qu'on peut aller maintenant ?
- On est sur le territoire de Foudre et je ne crois pas que ce soit une bonne idée d'y rester, réfléchit Ouragan à voix haute.
Anémone acquiesça.
- On peut aller vers les Loups des Collines, il parait que leur Alpha Majeur, Ronce, accueille les étrangers, proposa alors le loup noir.
Les jeunes loups commencèrent à marcher. Anémone se rappela subitement les paroles de son ami avant de se tourner vers lui et de lui demander étonnée :
- Il y a plusieurs sortes de loups ?
- Oui, bien sûr ! s'exclama-t-il surpris.
- C'est que ma mère ne m'en a pas beaucoup parlé... expliqua-t-elle, le regard au loin.
La vie au Refuge avec sa mère lui paraissait bien loin à présent.
- En fait, il y a trois « clans » de loups différents : les loups des Collines dirigés par Ronce, les loups des Montagnes dirigés par Eclair, d'où je viens, et les loups des Dunes dirigés par Typhon. Ce sont les Alphas Majeurs. Et dans chaque groupe de loups, il y a plusieurs meutes dirigées par différents Alphas, appelés Alphas Mineurs, comme la meute de Foudre.
Anémone hocha la tête pour montrer qu'elle comprenait. Le jeune loup contourna une souche et continua ses explications :
- Les trois Alphas Majeurs de chaque clan étaient appelés les Unisseurs car au temps des Glaces, ils s'unissaient pour affronter le mal et les Sans-griffes ensembles. Ce qui n'est plus le cas aujourd'hui ! Ronce et Eclair se battent quasiment tout le temps, ils trouvent toujours une raison pour se quereller ; souvent à cause des étrangers et des loups solitaires...
- Je comprends mieux maintenant... dit Anémone doucement en sautant au-dessus d'une grosse pierre. Tu sais au moins t'y rendre ?
- Oui, à peu près. On est à une lune de la frontière.
La jeune louve regarda une dernière fois derrière elle. Elle soupira. Il ne faut pas rester dans le passé mais toujours avancer, c'est ce qu'elle me répétait souvent. Elle secoua la tête pour chasser les larmes qui perlaient à ses yeux. Allez, s'encouragea-t-elle. Tu as un ami, tu vas bientôt rejoindre une vraie meute ; à quoi bon s'inquiéter. Lorsqu'on va arriver, tout ira mieux.
- Tu crois qu'elle va bien ? demanda-t-elle d'une voix tremblante en s'arrêtant soudain.
- Ne t'inquiète pas, elle est heureuse, lui sourit avec gentillesse Ouragan. Elle veille sur toi maintenant.
La jeune louve acquiesça d'un hochement de tête. Il avait raison mais ne plus être en sa compagnie, ne plus avoir sa présence à ses côtés, la rendait seule...
- Tu veux faire une pause ? demanda alors son ami.
- Oui, je veux bien, je n'osai pas demander, ajouta-t-elle avec un petit sourire gêné.
- Je commençais à avoir faim, répondit le loup noir en lui rendant son sourire. Je vais chasser, tu veux m'accompagner ?
- Oui, bien sûr !
Les jeunes loups s'élancèrent aussitôt silencieusement vers un petit bois. Anémone huma l'air. Le bois sentait l'odeur de pins et... de lapins ! Aussitôt elle se lécha les babines. Le lapin qu'avait attrapé son ami, ne l'avait pas rassasiée pour autant. Tandis qu'ils marchaient, elle regarda la vallée. Des forêts et des collines à pertes de vue. C'était fantastique ! Surtout lorsqu'elle sentait le vent s'engouffrer dans sa fourrure. Ce fut Ouragan qui la sortit de sa rêverie :
- Chut ! Ecoute !
La jeune louve fit ce qu'il demanda. Elle percevait des chants d'oiseaux, un lapin qui courait, un mulot qui creusait...
- C'est génial ! S'écria-t-elle.
- Mais tais-toi ! chuchota son ami. Regarde !
Anémone plissa les yeux. A quelques pas d'eux, à côté d'un buisson, il y avait un lapin. D'ailleurs il regardait tout autour de lui.
- Maintenant il sait qu'il n'ait pas seul !
- Désolée. répondit-elle en baissant les oreilles. Euh... Ouragan ?
- Quoi ?! murmura-t-il agacé en fixant sa proie.
- Je... Euh... Je ne sais pas chasser, avoua la jeune louve mal à l'aise.
Ouragan la dévisagea, surpris.
- Bah ce n'est pas grave. Regarde-moi, c'est facile.
A peine avait-il prononcé ces mots, qu'il s'élança. Le lapin eut juste le temps de tourner la tête et de pousser un petit cri. Un craquement retentit et le lapin devint tout mou. Ouragan venait de le tuer. Anémone grimaça.
- Tu étais obligé de le faire craquer comme ça ?
Ouragan se jeta sur sa proie.
- Ouaip ! répondit-il entre deux bouchées. Maintenant à toi, si tu veux manger !
Aussitôt il s'élança à travers les rochers suivit d'Anémone qui se hâtait de le rattraper.
***
Cachée derrière des buissons épineux, la jeune louve retenait son souffle. Cinq loups gris ou noirs avançaient sur les rochers. Parmi ce petit groupe, elle remarqua qu'un loup, d'une couleur plutôt gris sombre, était le plus imposant.
- C'est Foudre, lui glissa Ouragan.
Anémone lui jeta un coup d'œil. Elle vit les muscles de son ami se crisper. Elle lui lança un regard rassurant et pointa son attention devant elle. La meute de Foudre semblait chercher quelque chose. Un loup gris de couleur pierre, s'approcha soudainement de leur cachette. Anémone se raidit. Malgré les branches du buisson, elle se doutait bien qu'il ne tardait pas à les découvrir. Mais finalement le loup repartit vers le reste de la meute.
- C'est toi qu'ils cherchent ? demanda-t-elle à mi-voix.
Le jeune loup ne répondit pas immédiatement. Finalement il hocha la tête.
- Mais... Pourquoi ?
Ouragan haussa les épaules et continua de fixer le petit groupe de loups. Anémone soupira. Foudre semblait prendre son temps. Heureusement pour eux le vent était avec eux, ils avaient une chance de s'en sortir.
- Tu es sûr qu'il est là ? fit une voix la faisant sursauter.
Un grognement retentit.
- Où veux-tu qu'il soit ? Il ne peut pas être partit vers les glaciers, il est intelligent. Et son odeur est encore fraîche, ajouta l'Alpha en humant l'air.
Foudre se déplaça et arriva dans le champ de vision d'Anémone. Il était effrayant. Il paraissait sur le point de bondir un instant à l'autre.
- Il doit déjà être arrivé aux collines, renchérit un autre loup.
- Mm... réfléchit l'Alpha. J'espère bien, sinon nous le retrouverons...
Sur ses mots, Foudre se tourna vers leur cachette. Anémone crut instant croiser son regard mais ce ne fit qu'une impression. L'Alpha se mit à marcher suivit du reste du groupe et disparut. Ils attendirent un long moment afin d'être sûr d'être à nouveau seuls et sortirent enfin de leur cachette.
- Ça va ?
Ouragan poussa un long soupir et hocha la tête.
- On y a échappé belle.
Anémone croisa son regard et se mit à marcher.
- Allez, allons-y, déclara le loup noir en la rejoignant.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro