L'envie de prendre mes jambes à mon cou refait brusquement surface lorsque nous nous arrêtons devant l'établissement Saint-Joseph. Je ne veux pas y retourner et continuer à prétendre que tout est normal est chez moi. Benny attrape discrètement ma main ce qui me donne le courage de rejoindre les sombres couloirs de ce bahut.

Les manches de ma veste camoufle nos mains ce qui me convient parfaitement. Quelques regards curieux se tournent dans ma direction. Je suis probablement considérée comme la nouvelle complètement folle. J'entends des chuchotements dans mon dos, cela fait à peine cinq minutes que je suis de retour et pourtant certains en profitent déjà pour se moquer de moi. Je ne devrais pas accorder d'importance à un tel comportement malheureusement je ne peux m'empêcher d'écouter ces mots blessants. Nous nous arrêtons à mon casier afin que je récupère les affaires dont j'aurais besoin. Je ne me sens absolument pas en sécurité dans cette école aux allures de prison.

J'attrape mon manuel de littérature lorsque mon regard se pose sur Erin. Elle discute avec quelques filles en secouant sa chevelure brune et se comportant comme n'importe quelle lycéenne. Personne ne peut se douter ce qui se cache derrière ce visage angélique, un véritable monstre. Je trouverais un moyen de l'éliminer et mettre la main sur les autres Abominations. Nous devons absolument améliorer le radar que chaque Gardien possède afin de traquer nos ennemis.

Je claque la porte de mon casier puis m'éloigne à toute vitesse. Ma présence n'échappera pas à Erin cependant je ne suis pas prête à lui faire face. Je me précipite dans les toilettes les plus proches abandonnant Benny. Je m'enferme dans l'une des cabines puis m'écroule sur le sol, les joues baignées de larmes. Tout ce qui se passe actuellement est beaucoup trop difficile à gérer, je suis en train de perdre pied.

— Lena ?

La voix de Rachel rompt le silence ce qui me pousse à entrouvrir la porte. Elle s'agenouille en me voyant assise sur le carrelage blanc. Elle dégage une mèche de ses cheveux noirs puis me lance un sourire. Notre bonne entente me surprend après ces mois durant lesquels nous nous détestions mutuellement. J'ai beaucoup de mal à croire que j'ai une amie sur laquelle compter après la mort de Juliette.

— Ne lui accorde pas de l'importance, elle n'en mérite pas.

— Difficile d'oublier le genre de monstre qu'elle est.

Rachel hoche la tête.

— N'oublie jamais que tu n'es pas seule.

Elle me tend la main pour m'aider à relever ce que j'accepte aussitôt. J'efface rapidement les traces de larmes afin de ne pas dévoiler ma faiblesse à nos ennemis. Je ne veux pas paraître faible aux yeux de ces créatures.

— J'ai l'impression que tu gardes des choses pour toi, mais sache que si tu éprouves l'envie d'en parler, je serais présente pour t'écouter. Peu importe ce que tu révéleras, je ne le répéterais à personne.

— Merci pour cette proposition.

Je ramasse mon sac de cours puis accompagne Rachel hors des toilettes. Les garçons discutent tout en veillant à ce que personne ne nous surveille. Je replace correctement mon sac sur mon épaule puis marche en direction d'un endroit où nous pourrions discuter en toute liberté. Quelle est la meilleure attitude à adopter ? Nous pouvons difficilement sortir des armes de nos sacs et traquer ces monstres.

Un froid glacial me picote la nuque ce qui m'agace sérieusement. J'écarquille les yeux en comprenant exactement ce que cela signifie. La présence des Abominations m'est signalée à travers ce froid désagréable, apparaissant systématiquement avant une attaque. Je n'y avais pas prêter attention auparavant parce que je croyais que c'était une simple apparition de ma soeur, mais je faisais fausse route !

— Qu'est-ce qui se passe ? demande Chris.

— Pas ici.

Je les entraîne dans un placard contenant des fournitures scolaires. Je verrouille la porte dans mon dos puis appuie sur l'interrupteur. Mes trois amis me lance des regards interrogateurs cependant je pose mon index sur ma bouche. J'extirpe de ma poche mon téléphone, je tape le message puis l'envoie aussitôt.

Taylor
Je crois savoir comment repérer les Abominations.

Benny est le premier à me répondre.

Benny
Comment veux-tu t'y prendre ?

Taylor
J'éprouve une vague de froid intense à chaque fois que l'un d'eux est dans les parages. Je n'avais pas compris pourquoi avant aujourd'hui, mais je suis certaine que c'est le fameux radar que Suzanne nous enseigne.

Chris
Je ne veux pas être grossier, mais pourquoi aurais-tu développé ce don avant nous ? Cela ne fait que quelques mois que tu es une Gardienne. Tu es certaine de ne pas te tromper ?

Taylor
Avant que Juliette ne soit officiellement kidnappée par les Abominations, j'avais ressenti ce même sentiment. Je n'étais pas encore une Gardienne confirmée à ce moment-là. J'ignore pourquoi ce don s'est développé plus rapidement pour moi, mais je suis certaine qu'il nous permettra de retrouver ces autres Abominations et les éliminer.

Nous entendons des pas résonner dans le couloir, je m'empresse d'éteindre la lumière puis couper mon portable. J'entends mon coeur battre la chamade dans mes oreilles cependant, la main chaude et réconfortante de Benny. Saint-Joseph est un lycée privée possédant un grand nombre de règles, je doute que nous puissions trouver une excuse si nous étions découvert dans un placard. Par chance, les pas s'éloigne rapidement. Je soupire de soulagement puis sors de nouveau mon portable afin d'envoyer un dernier message.

Taylor
Il est possible que ce don ne se manifeste pas de la même façon que moi. Chaque Gardien est unique, il est probable que ce don apparaisse différemment selon les familles. Je ne suis pas une spécialiste, mais j'ai appris beaucoup de choses en rejoignant la cause des Gardiens.

Je verrouille de nouveau mon appareil puis débloque la porte afin de sortir, en espérant ne croiser personne. Les couloirs sont vides et silencieux ce qui ne signifie qu'une chose : les élèves sont en cours. Nous ne sommes pas des élèves modèles en arrivant en retard, mais bon tant pis. Chris et moi prenons la direction de notre salle de classe, mon ami active son pouvoir afin d'embrouiller des esprits en cas de besoin.

Heureusement, notre professeur n'est pas encore arrivé lorsque Chris et moi pénétrons dans la classe. Je m'installe à ma place habituelle, les mains tremblantes. Ce nouveau frisson apparaît ce qui me pousse à lancer un regard à Erin. Celle-ci secoue la main dans ma direction en esquissant un faux sourire mielleux. Cette comédie échappera à tout être humain, Erin possède un certain charme ce qui pousse les gens à lui faire confiance. Ils ne verront qu'en elle, une fille sympathique qui salue une camarade.

Quinze minutes s'écoulent et aucune trace de notre professeur. J'échange un regard avec Chris qui secoue la tête. Je ne connais pas vraiment notre enseignant d'histoire cependant je sais que celui-ci n'est pas du genre à être en retard. Je serre un crayon dans la main en fixant le tableau ne comportant aucune écriture. J'ai été absente une bonne semaine cependant je suis certaine que rien de grave ne s'est produit. Chris, Rachel et Benny serait tout de suite intervenu. Est-ce que notre professeur est simplement malade ou bien une chose bien plus abominable lui serait arriver ?

Un hurlement strident attire l'attention de toute la classe. Mes camarades se précipitent aux fenêtres, des filles poussent des cris. Je quitte ma place puis regarde à mon tour derrière la vitre en craignant ce qui se trouve derrière. Je recule de quelques pas en voyant une tête accrochée sur la grande grille de l'établissement.

— Un peu de calme ! déclare une voix autoritaire.

Une surveillante visiblement alarmée par le chahut de notre classe essaie de remettre de l'ordre cependant il est bien trop tard. Elle s'approche à son tour de la fenêtre puis écarquille les yeux en découvrant la raison de ce trouble. Nous rangeons nos affaires puis suivons la surveillante qui tente de rester calme. Elle nous emmène dans une salle de permanence puis emmène le surveillant à l'écart. Cet acte barbare ne peut être que l'oeuvre d'une Abomination cependant je doute que cela soit directement Erin, mais plutôt un autre agissant sous ses ordres.

Chris s'installe à côté de moi, les sourcils froncés.

— Il faut que nous les traquions un par un, déclare-t-il.

— Nous le ferons.

— Le temps est contre nous, Lena.

Un morceau de papier est déposé sur mon pupitre par une des amies d'Erin. Je le déplie d'une main tremblante craignant ce qu'il contient. Chris ne me quitte pas du regard et semble comprendre de qui provient ce message.

Je suis sincèrement navrée de cette macabre découverte surtout lors de ton retour, mais c'était nécessaire afin que tu te souviennes du danger que nous représentons. N'oublie pas que nous sommes bien plus nombreux que tes amis et toi. Considère cette tête tranchée comme un avertissement à ce qu'il adviendra de toi si tu décides à ne pas respecter nos règles.
Une personne proche souhaite absolument faire ta connaissance et je peux difficilement lui dire non. Tu es libre de venir avec ceux que tu considères comme des amis, mais je ne te promets pas de pouvoir tenir mes semblables. Il faut admettre que votre odeur est un véritable délice auquel nous aimerions goûter.
Rendez-vous à minuit ici-même.

E

Accepter cette rencontre serait de la pure folie, mais je doute que nous ayons le choix. Le meurtre était une mise en garde en cas de refus. Il y a encore une heure, je croyais qu'Erin était la grande meneuse cependant je me trompais. Une personne extérieure utilise les Abominations comme des marionnettes. Cela ressemble à la méthode des Addison, mais cela semble trop gros. Pourquoi un membre de ma famille voudrait me rencontrer ? Mon père ne s'était pas gêner pour nous kidnapper.

Je plie de nouveau le papier puis le range dans ma poche en réfléchissant à cette demande. Ne pas nous rendre à ce rendez-vous serait stupide et causerait davantage de pertes cependant y aller serait également du suicide. Je ne peux pas prendre cette décision toute seule, il faut que nous en parlions tous ensemble.

— Qu'est-ce qui se passe ? demande Chris.

— Il faut que nous retournions immédiatement à la maison, c'est une affaire urgente.

Mon ami ne me questionne pas davantage et rassemble ses affaires en un simple mouvement puis quitte la salle le premier. Je ne tarde pas à le suivre malgré les protestations du surveillant. Hors de question de traîner davantage dans cet établissement alors que notre simple présence cause tant de souffrance et de mort. Chris et moi descendons les escaliers afin de trouver la salle de classe de Rachel et Benny. En nous voyant, ils se lèvent d'un même mouvement en ignorant les remarques du professeur.

Nous décidons de prendre la seconde sortie afin de ne pas attirer l'attention sur nous. Suzanne s'occupera des conséquences de notre fuite le moment venue. Nous nous mettons à courir loin de l'école avant que la police n'arrive sur place. Je cours sans me préoccuper de mon coeur qui s'emballe ou de mes pieds qui me font souffrir. La cicatrice de ma blessure fait beaucoup moins souffrir cependant je crains de ne me faire mal à nouveau.

— Qu'est-ce qui se passe exactement ? demande Rachel, le souffle court.

— Nous avons droit à un rendez-vous ce soir.

Je donne le papier à Benny, les mains crispées.

— Quelqu'un d'autre est derrière ces Abominations ? déclare-t-il surpris.

— C'est aussi mon impression.

— Mais qui ? ajoute Chris.

Personne n'est en mesure de répondre à cette dernière question cependant nous craignons l'identité de cette mystérieuse personne.

— Qu'allons-nous faire ? demandé-je finalement.

— Il faut que nous y allions, dit fermement Chris.

— Et si c'était un piège ? ajoute Benny.

— Nous devons savoir qui est derrière toutes ces Abominations et c'est le meilleur moyen.

C'est probablement un nouveau piège cependant c'est notre meilleure chance. J'ignore qui est responsable de cette mystérieuse invitation, mais nous ne pouvons pas la refuser. Nous risquons peut-être nos vies, mais ce n'est pas la première fois. Peu importe qui se cache derrière les Abominations, nous sommes prêts à lui faire face et le tuer.

15.01.2022