CHAPITRE 12
Une douce odeur de lavande virevolte autour de moi et m'extirpe d'un sommeil profond et apaisant. Des points noirs dansent sous mes yeux ce qui me force à les fermer une seconde fois. Je me redresse difficilement en sentant une horrible odeur remonter le long de mon dos. Mon regard se pose sur un vieux lustre que je n'avais encore jamais vu auparavant. Je ne suis donc pas auprès de Suzanne. Où suis-je dans ce cas ? Je repousse une couverture en laine recouvrant mon corps puis regarde la pièce dans laquelle je me trouve.
Le mobilier est particulièrement ancien, principalement du bois. Je suis allongée dans un vieux canapé en cuir marron. Je pose difficilement mes pieds sur le parquet en bois et me lève. Malheureusement, ma vue se trouve aussitôt. Je m'accroche au canapé puis tente de marcher lorsque l'on attrape délicatement mon bras.
— Comment te sens-tu ?
Je me retrouve de nouveau dans le canapé, toutes mes forces envolées. Mon regard rencontre celui de l'acolyte de Silas. L'unique personne en qui il a confiance ce qui me trouble énormément. Pourquoi Diable suis-je auprès de lui ? Que s'est-il passé après ma sortie de l'établissement ? Je tourne nerveusement ma bague autour de mon doigt en essayant de me remémorer ce qui est arrivée.
— Qu'est-ce que je fais avec vous ?
Ezra passe une main dans sa chevelure corbeau en me regardant. Je ne l'ai pas observé plus que ça lors de notre première rencontre. Il est bien plus jeune que son attitude le laisse paraître. La vingtaine tout au plus cependant une certaine forme de maturité brille dans son regard noir. Je n'ai jamais vu des yeux aussi foncés.
— Un appel urgent de Silas m'expliquant ce qui est arrivée du moins dans les grandes lignes. Je t'ai trouvé inanimé dans cette ruelle.
Il dépose une tasse sur la table basse puis s'installe dans le fauteuil face à moi. Je ne comprends pas la raison de cet évanouissement, j'ai à peine utiliser mes pouvoirs ces derniers temps.
— Que s'est-il vraiment passé ?
— Pourquoi ferais-je confiance à un homme que je ne connais pas ? Silas est le premier à me demander de ne pas faire confiance aux autres et pourtant me voilà dans votre salon.
Je serre à contrecœur la couverture réchauffant mes paumes froides.
— Silas est mon petit frère, les choses sont différentes. Nous avons une relation très particulière.
— Votre frère ?
J'écarquille les yeux face à cette découverte. Je n'aurais jamais pu admettre un lien de parenté entre eux, ils sont radicalement opposés. Silas possède une chevelure blanche unique tandis que ceux d'Ezra sont particulièrement sombres.
— Notre différence est un avantage dans notre situation. Je suis navré que mon frère ne s'ouvre pas davantage.
Cela explique pourquoi mon camarade de classe accorde sa confiance à cet homme. Je continue de le regarder attentivement, les mains tremblantes.
— Je ne peux pas en dire davantage car cela serait trahir la confiance de mon frère. Nous avons besoin de comprendre ce qui est arrivée.
— Une camarade de classe est une des leurs, elle affirme qu'ils sont nombreux. Je l'ai trouvé très... disciplinée.
Je me penche vers la table basse afin de prendre la tasse entre mes mains. La chaleur les réchauffe ce qui fait un bien fou. Erin est une Abomination, mais elle est la première qui s'intéresse à autre chose qu'à se nourrir ce qui m'effraie. Ces monstres n'avaient aucune ambition alors pourquoi en avoir maintenant ?
— Les disparitions sont-elles fréquentes dans cette ville ?
— Cela fait quelques semaines que le rythme s'est particulièrement aggravée. Il y a eu une vingtaine de disparitions depuis trois semaines.
Cela correspond plus ou moins à la date de notre arrivée. Je me mords nerveusement la lèvre en songeant à la catastrophe que notre présence provoque. Je savais que nous ne serions jamais tranquilles cependant je ne pensais pas que les Abominations se développeraient aussi rapidement. Aucun doute, ma famille est derrière ces disparitions. Mon père était peut-être fils unique cependant mon grand-père a une soeur qui a eu trois enfants de son côté. Ils sont étroitement liés à moi et n'hésiteront pas à me poursuivre ainsi que mes amis.
— Les Gardiens n'interviennent pas ?
— Malheureusement nos nouveaux ennemis sont bien plus redoutables. Ils savent quel comportement adopter et se camouflent parmi les humains.
Nous n'avions pas ce problème auparavant malheureusement les choses se compliquent de plus en plus. Je serre fermement la tasse entre mes mains froides en réfléchissant à la meilleure façon de procéder. Attaquer serait clairement du suicide, mais nous ne pouvons pas laisser ces monstres en liberté.
— Nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour mener une attaque aussi grande et je doute que nous parvenions à les abattre avec notre magie. Il existe probablement des Gardiens plus puissants que nous.
— La plupart ne veulent pas de cette vie.
Je soupire tout en buvant une gorgée de la boisson préparée Ezra en méditant sur les paroles de celui-ci. Comment peut-on combattre ces créatures à quatre ? Laïa n'est pas suffisamment remise pour combattre à nos côtés et je doute qu'elle en soit capable un jour. Nous ne pouvons pas de nouveau prendre la fuite, cela serait une preuve de lâcheté.
— Pourquoi Silas décide-t-il de veiller sur moi ? Nous nous connaissons à peine !
— Je ne suis pas en mesure de comprendre la logique de mon frère cependant je peux affirmer qu'il croit en tes capacités de Gardienne. Il possède un sens de l'observation étonnant pour son jeune âge.
Les deux frères ne ressemblent peut-être pas physiquement, mais la mentalité est presque la même. Je soupire puis repose le thé ne le trouvant pas très agréable à boire. Ils luttent contre les Abominations cependant aucun d'entre eux ne semble suffisamment courageux pour attaquer.
— Je ne suis pas un Gardien. Mon aide est malheureusement est limité, je me contente de suivre les demandes de mon frère en essayant de faire de mon mieux. J'aurais avoir la chance d'appartenir à ce monde.
— Je suis le papillon violet, soufflé-je.
J'ignore s'il est bien sage de révéler à un inconnu ma véritable identité cependant j'estime qu'ils méritent de le savoir. Je peux bien me cacher derrière un pseudonyme dans les lieux publics, mais lorsqu'il s'agit de ma mission, je ne peux pas échapper à la vie de Taylor Addison. Je retire l'élastique puis secoue ma chevelure brune révélant ainsi mes mèches violettes.
— Selon les recherches de Silas, ce pouvoir correspond à ceux des Addison. Mais nous n'avons aucune trace des derniers descendants.
— Je suis la seule de ma famille.
Il attrape rapidement un crayon ainsi qu'un calepin et note cette information dessus. Je décide de lui révéler ce qui est vraiment arrivée passant par la disparition de Juliette à notre kidnapping organisé par mon propre père. Les images défilent dans mon esprit au fur et à mesure de mon récit ce qui réouvre des blessures. Je garde pour moi les véritables circonstances de la mort de mon père.
— Donc tu es la première Addison Gardienne depuis des générations ? C'est impressionnant et étrange à la fois.
— Je ne comprends pas la raison pour laquelle je suis une Gardienne, mais j'accepte lentement ma condition.
Je ne doute pas que celui-ci aille répéter ces informations à Silas. J'espère ne pas m'être trompée en lui confiant toutes ces choses. J'expose mes amis à un terrible danger s'ils s'avèrent être des ennemis.
— Honnêtement toutes ces révélations sont surprenantes. Silas est celui qui connaît le mieux les familles de Gardiens, il pourra sûrement t'apporter une réponse.
Malheureusement je ne suis pas certaine que celui-ci puisse m'aider. Je suis toujours en train de lire le livre familial qui m'aide à découvrir des parcelles de mon histoire familiale. Je doute qu'il y ait une explication au sujet de l'absence de Gardiens ces dernières année. Silas est peut-être calé sur de nombreux sujets cependant je doute qu'il puisse expliquer cette anomalie.
— Tu devrais attendre le retour de Silas afin que vous ayez une conversation. De plus, tu es encore faible.
Je ne peux pas nier cette réalité, mon énergie est proche du zéro. Je suis physiquement épuisée comme si ma magie était vidée.
— Comment puis-je être aussi fatiguée ? Je n'ai pourtant pas utilisé ma magie.
— Une accumulation provoque ce genre de fatigue, ce n'est pas anormal. Il faut absolument que tu te reposes un peu afin d'aller mieux.
Une accumulation ? Ce n'est pas étonnant, je ne cesse de courir depuis des semaines afin de survivre. Nous avons peut-être un toit et de la nourriture dans notre assiette cependant notre vie n'est pas calme pour autant. La crainte d'être retrouvée par la police, ma famille et ces créatures hantent notre quotidien. Je me réveille chaque jour avec la crainte au ventre.
Je dépose de nouveau la tasse de thé sur la table basse puis repousse la couverture sur le côté afin de me relever. Mes jambes vacillent de nouveau ce qui me force à agripper l'accoudoir du canapé. Je déteste cette sensation de faiblesse et être incapable de me débrouiller seule. Je stoppe mes mouvements puis lève les yeux vers le nouveau venu.
— Il me faut immédiatement mon ordinateur portable, déclare-t-il à Ezra.
Silas et moi restons silencieux un long moment avant que je ne décide de prendre la parole. Il passe une main tremblante dans sa chevelure blanche puis extirpe de sa poche une sucette qu'il place dans sa bouche.
— Tu étais au courant ?
— Oui bien sûr.
— Pourquoi n'as-tu rien fait dans ce cas ?
Il hausse les épaules.
— Parce que je ne suis pas capable d'affronter toute une horde de créatures.
— Oui mais tu connais d'autres Gardiens.
— Absolument pas.
J'écarquille les yeux de surprise.
— Je ne prends jamais contact avec les Gardiens que je croise parce que la plupart ne mérite pas mon attention. Tu es bien plus intéressante et j'avais besoin d'une véritable Gardienne à qui parler en toute sécurité.
— Comment pouvais-tu savoir que j'étais plus intéressante que les autres Gardiens ?
Son regard se perd quelques secondes dans le vide.
— Parce que tu as encore cette lueur d'innocence dans son regard et c'est tellement rare.
— Tu plaisantes j'espère ?
— Le regard d'une personne révèle un grand nombre de choses sur les épreuves de sa vie. Tu as cette façon de regarder le monde avec espoir et innocence. C'est très rare dans un monde aussi complexe que le nôtre.
Ezra interrompt notre conversation en revenant avec l'ordinateur portable de Silas. Celui-ci le pose immédiatement sur la table basse puis débute un concert sur son clavier. Il tape à toute vitesse en ne me prêtant plus la moindre attention. Le frère aîné pose une main sur mon épaule en souriant chaleureusement.
— Est-ce que tu veux que je te raccompagne ?
— Non il est préférable que je rentre seule afin de ne pas éveiller les soupçons.
J'ai encore beaucoup de mal à marcher cependant j'essaie d'adopter une attitude décontractée afin de ne pas paraître faible. Ezra me donne la veste que je portais un peu plus tôt et me raccompagne tout de même à la sortie. J'espère avoir suffisamment de réseau pour suivre le GPS et retrouver mon chemin.
— Merci d'avoir répondu à mes questions, déclare-t-il.
— C'est tout naturel.
— Essaie de faire attention ces prochains jours et te reposer.
Je hoche la tête me promettant de suivre ce conseil. Je me retrouve dans une rue calme dans laquelle personne ne se promène. J'espère ne pas avoir trop de problèmes avec les autres en rentrant à la maison. La mauvaise habitude des deux frères de m'emmener comme bon leur semble risque de m'attirer bien des problèmes.
J'attrape mon portable reposant au fond de ma poche puis grimace en voyant le nombre d'appels sur celui-ci. Je soupire puis marche en suivant le chemin indiqué par mon mobile en espérant ne pas me tromper. Mon sac de cours pèse lourd sur mon épaule, je regrette de ne pas avoir le même pouvoir que Silas. Lorsque mon mobile sonne une nouvelle fois, je me contente de l'ignorer et poursuis ma route.
Le domicile de Silas et Ezra n'est pas située très loin de notre établissement scolaire. Je retrouve facilement mon chemin en m'arrêtant à plusieurs reprises afin d'avoir la certitude de ne pas être suivie. Je marche un long moment en regardant la nature reprendre lentement vie, le printemps s'est installé depuis quelques semaines cependant la température fraîche donne toujours l'impression d'être en hiver. Je réalise soudainement que nous nous rapprochons lentement de mon anniversaire. Avril touche bientôt à sa fin et je serais bientôt majeur ce qui ouvrira des portes, je l'espère. Je n'envisage même plus d'aller à l'université maintenant que mes chances de mourir sont aussi grandes.
Je m'arrête finalement devant ma maison puis m'avance d'un pas déterminé. La porte s'ouvre à la première sonnerie sur Laïa. Elle me lance un sourire puis m'invite à entrer. Notre nouvelle recrue s'habitue à cette vie de calme et nous ne pouvons lui imposer de devenir une Gardienne. Elle a perdu bien trop de personnes pour qu'elle accepte de se joindre à notre cause, nous devrions la laisser vivre.
— Il semblerait que tu sois la plus indisciplinée, déclare froidement Suzanne.
— Je n'ai aucun ordre à recevoir de vous.
— Pardon ?
— J'avais besoin de faire le vide dans ma tête et couper contact avec le monde extérieur.
Ma tutrice n'accepte pas cette remarque et me fusille du regard. Je la pousse légèrement puis monte rapidement les marches de l'escalier lorsque je m'arrête subitement. Un souffle chaud m'entoure et immobile mes mouvements.
— Cette conversation n'est pas terminée !
Ses pupilles prennent une teinte orangée identique à ceux de Chris. Elle utilise volontairement ses pouvoirs sur moi afin de prouver sa valeur de Gardienne. Je fronce les sourcils en essayant de repousser cette intrusion mentale malheureusement je suis épuisée. Je n'arrive pas à faire apparaître le moindre champ de force à mon plus grand malheur.
— Stop ! crie une voix masculine.
Je m'agrippe fermement à la rampe des escaliers afin de ne pas tomber heureusement l'intervention de Chris tombe pile au bon moment. La pression disparaît aussitôt me laissant tremblante.
— Tu as perdu la tête ou quoi ? déclare-t-il à l'attention de sa tante.
— C'était notre première leçon de magie.
— En quoi attaquer une autre personne est-elle une leçon ? Tu as un sérieux problème, maman n'aurait jamais dû t'accorder cette nouvelle chance.
Des bras enroulent ma taille puis me hisse hors des escaliers.
— Tu es brûlante !
Je me contente de fermer les yeux puis me laisser bercer par la voix du garçon dont je suis amoureuse. J'entends des éclats de voix dans mon dos cependant elles disparaissent lorsque Benny m'emmène directement dans ma chambre. Je m'agrippe à lui lorsque je suis allongée sur mon matelas.
— Est-ce que tu vas bien ? demande-t-il.
— Je suis épuisée, avoué-je.
— Repose-toi, tu en as besoin.
Il m'embrasse tendrement le front puis s'installe sur ma chaise de bureau. Je tente de lutter contre le sommeil cependant il vient à moi sans que je ne le demande. Mes rêves sont bercés par les visages de mes ancêtres ainsi que la berceuse de ma mère.
13.09.2021
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