Cette nouvelle nuit est mouvementée et ne m'apporte aucun réconfort ou de calme. Je suis seule avec mes pensées en songeant à ce qui est arrivée un peu plus tôt. Je ne m'attendais pas à devenir amie avec les autres Gardiens cependant j'aurais apprécié une certaine entente. Je me tourne de nouveau en fixant les objets dans l'obscurité. J'ai cruellement besoin de sommeil malheureusement mon esprit refuse catégoriquement de se taire. Que va-t-on faire maintenant ? Traquer des monstres et trouver des Gardiens sont toujours au programme cependant je doute que cela soit aussi simple.

Je repousse la couette sur le côté puis quitte mon lit. Je marche sur le parquet froid et ouvre la porte le plus silencieusement possible. Suzanne dort au rez-de-chaussée, elle peut donc m'entendre donc j'ai intérêt à faire attention. Je fixe les portes de mes amis puis m'avance jusqu'à celle de Benny. Ces derniers jours, je me suis éloignée de lui afin de préserver mes sentiments, mais ce soir j'ai besoin de sa présence.

La porte s'ouvre avant même que je ne toque. Ses cheveux bruns foncés sont en bataille cependant son regard est parfaitement lucide. J'entre timidement dans sa chambre en regardant plus en détail celle-ci. Elle comporte un grand lit au centre de la pièce ainsi qu'une commode et un bureau. Benny possède quelques vêtements acheté avec Suzanne lors de notre arrivée cependant ils sont toujours dans le grand sac de shopping. La lumière est tamisée donnant une ambiance douce et chaleureuse. Mon ami referme la porte derrière lui puis se tourne vers moi.

— Est-ce que tout va bien ?

— Je ne trouve pas le sommeil, avoué-je.

Ce n'est pas seulement à cause de cette désastreuse soirée que j'ai tant de mal à dormir. Je ne cesse de revoir la cage de verre et le corps de ma mère. Le visage de mon père hante chacune de mes nuits, je n'ai eu aucun scrupule à soulever chacun de ses doigts. Peut-être suis-je moi aussi destinée à une vie aussi tragique que les autres membres de ma famille.

— Tu ne peux pas jouer comme ça avec mes sentiments, Taylor.

— Ce n'est pas le cas, murmuré-je faiblement.

Il passe une main tremblante sur son visage puis s'installe dans son lit. Je reste immobile sans savoir quoi dire. Je dois renvoyer l'image d'une pauvre fille en manque d'affection. Mes sentiments pour Benny sont sincères, jamais je ne profiterais d'une personne.

— Comment te croire ? Tu es tellement distante ces derniers temps.

— J'en ai conscience et je suis sincèrement désolée.

— Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que tu souffres par la perte de tes parents ?

Les larmes montent immédiatement cependant je m'efforce de paraître forte.

— Ce n'est pas seulement la perte de ma famille qui m'angoisse, ce sont toutes ces choses qui se passent autour de nous. Cela fait deux semaines que nous sommes arrivés à Londres et aucun changement à l'horizon.

— Tu n'aimes pas cette nouvelle vie ?

— Je sais que nous n'avions pas le choix de quitter le pays cependant nous sommes coincés sous les traits de simples lycéens. Il faut que nous commencions à mettre en place les recherches pour retrouver les autres Gardiens.

Benny soupire.

— Je comprends ton inquiétude, mais il faut que tu fasses une pause de cinq minutes. Ce n'est pas en te torturant l'esprit que les choses iront plus vite.

— Tu as raison, mais c'est difficile de ne pas y songer. J'ai la crainte que les choses tournent mal.

Nous ne sommes pas en sécurité dans cet autre pays. Nos ennemis continueront de nous poursuivre encore et encore. La police est à notre recherche pour meurtres et le reste de la famille Addison. J'ai la boule au ventre rien qu'en imaginant toutes ces catastrophes.

— Est-ce que les choses s'arrêteront un jour ? Aurons-nous le droit à une vie normale ?

— Je suis incapable de répondre à ta question.

Il attrape délicatement ma main puis m'entraîne sur son lit. Nous restons silencieux un long moment. La pluie tambourine contre les vitres ce qui rend ce moment calme et agréable. Il ne faut pas toujours des mots pour exprimer ce que l'on éprouve. Je pose ma tête sur l'épaule de Benny puis ferme les yeux. La tension que j'éprouve depuis notre arrivée à Londres disparaît lentement, mais je sais qu'elle reviendra férocement dans quelques heures.

— Tu ne te demandes pas ce que serait ta vie si tu n'étais pas un Gardien ?

— Non jamais parce que la réalité offre des opportunités incroyables.

Il m'attrape par le menton puis m'embrasse tendrement. Je sens de nouveau des papillons dans mon ventre. J'ignore comment un simple baiser peut provoquer des sentiments aussi puissants. Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve cependant il ne faut pas oublier de vivre l'instant présent. Je m'allonge auprès de Benny puis me glisse dans ses bras en oubliant le futur. En cet instant, il n'y a que lui et moi.

— Est-ce que je peux dormir avec toi ?

Il entoure ma taille d'une main protectrice puis me chuchote des mots à l'oreille. Je ferme les paupières savourant la chaleur de cette étreinte. Benny est le seul capable de faire battre mon coeur blessé et répondre présent en cas de besoin. Je me déteste encore plus pour mes mensonges, mais c'est nécessaire. Je peux difficilement lui parler de Silas sans éveiller la crainte d'un potentiel ennemi. Je sombre peu à peu dans le sommeil en écoutant le chant de Benny et en souriant. Le savoir auprès de moi m'apaise et m'aide à retrouver une paix intérieure. Rien ne peut m'arriver avec Benny.

***

Je m'éveille de nouveau dans une lumière matinale réconfortante. Benny m'entoure fermement ce qui bloque mes mouvements. Il dort profondément avec un petit sourire enfantin ce qui lui donne une allure plus jeune et insouciante. Je me retire doucement de son étreinte puis quitte le lit en veillant à ne pas le réveiller. Il ne faut pas qu'on nous trouve ensemble. J'ouvre la porte et abandonne le garçon dont je suis tombée amoureuse.

— Déjà debout ?

Tremblante, je me retourne avec une grimace. Rachel sort tout juste de la douche, ses cheveux sont encore humides et elle tient son pyjama dans les bras. Mes joues prennent une teinte rosée, que va-t-elle penser de moi ? Je ne veux certainement pas créer d'autres problèmes en débutant une relation avec Benny.

— Je ne te poserais aucune question, ajoute-t-elle.

— La situation est un peu compliquée qu'on ne le croit.

— Ne te prive pas du bonheur uniquement parce que tu es une Gardienne.

Rachel retourne dans sa chambre en glissant au passage un petit clin d'oeil. J'esquisse un sourire puis regagne la mienne en réfléchissant à ses paroles. Il est un peu plus de six heures du matin, il est encore un peu tôt pour prendre son petit déjeuner. J'ouvre les rideaux afin que la lumière pénètre dans la pièce. C'est tellement agréable de voir un peu de soleil au milieu de toute cette pluie. J'attrape des sous-vêtements propres et décroche mon uniforme scolaire. Cela serait le jour idéal pour sécher cependant je doute que Suzanne soit de cet avis.

Je me rends dans la salle de bains puis passe rapidement sous la douche afin de ne pas perdre de temps. Je brosse mes cheveux puis les attache en un chignon délicat ce qui me donne un air plus sévère. Je vais de nouveau dans ma chambre afin de récupérer mon portable et y déposer mon pyjama lorsque je discerne un mouvement suspect à la fenêtre. Un homme est planté devant la maison, son visage est camouflé derrière un masque. Est-il possible que la police anglaise ait retrouvé notre trace ? Je reste immobile, tremblante de peur. Il faut qu'on se prépare à prendre de nouveau la fuite.

Le portable de Silas sonne dans ma commode, je me précipite de répondre tout en refermant la porte derrière moi. C'est étrange que celui-ci m'appelle à une heure aussi matinale, est-il au courant qu'un potentiel policier nous espionne ?

— J'ai envoyé une personne de confiance te chercher.

— Pourquoi ?

— Une simple mesure de précaution.

Je tire fermement les rideaux afin de mieux observer l'homme. Physiquement il a la carrure d'un adulte cependant je peux me tromper. Je serre le portable dans la main en essayant de comprendre le raisonnement farfelu de Silas. Pourquoi cette comédie est-elle nécessaire ?

— Tu n'as aucune crainte à avoir, il travaille pour moi.

— Qu'est-ce que je dois faire ?

— Une discussion s'impose dans dix minutes.

Je dois rompre une fois de plus ma promesse envers mes amis et rejoindre Silas. Je cache une fois de plus le portable dans sa cachette puis quitte rapidement ma chambre. Sur mon chemin, je percute Benny qui ne peux s'empêcher de sourire.

— Minute papillon.

— Excuse-moi je n'ai pas le temps.

— Il est six heures trente, tu as bien dix secondes pour me parler.

— J'aurais aimé malheureusement ce n'est pas le cas.

La confiance que Benny a pour moi ne sera pas éternelle avec mon comportement. Je passe d'une jeune fille amoureuse de lui à une personne distante se refermant sur elle-même. Il n'attendra pas éternellement que je me confie à lui. La dernière chose que je souhaite faire c'est le blesser en devenant une autre version de moi-même.

— Qu'est-ce qui se passe ?

— Ne t'inquiète pas ce n'est rien de grave.

Je l'embrasse sur la joue ce qui le trouble et me libère de cette conversation. Je descends rapidement les escaliers puis enfile mon manteau ainsi que mes bottines. Il va falloir que je me montre très prudente en allant rejoindre cet homme. Benny pourrait décider de me suivre ce qui n'est pas envisageable. J'espère que Silas a songé à cette partie du plan en me contactant. J'ouvre la porte d'entrée puis quitte précipitamment celle-ci en regardant derrière moi. La chose la plus sage à faire serait d'enfermer mes amis dans une bulle de protection cependant cela ne me ressemble pas.

L'homme patiente au coin de la rue en tenant dans la main un autre téléphone identique au mien. Il est donc l'informateur de Silas, mais pourquoi l'envoyer ? Nous aurions simplement pu discuter au téléphone. Je marche sur le trottoir d'en face en essayant d'avoir une allure décontractée et en évitant un maximum le regard de cet homme. Il travaille pour Silas cependant j'ignore si celui-ci est de confiance.

Nous nous arrêtons devant un parc complètement vide à cette heure-ci. Il est cependant suffisamment éloigné de mon domicile pour ne pas éveiller les soupçons. Je pousse doucement la grille qui grince sous mon contact puis marche dans le parc. Je discerne aussitôt la silhouette de Silas. Celui-ci est agenouillé face à un étang dans lequel des canards barbotent. Il porte une chemise bien trop grande pour lui ainsi qu'un pantalon ample noir cependant aucune trace de la moindre chaussure.

— Merci de l'avoir amené, déclare-t-il.

— Aucun problème, Silas.

Je croise les bras en attendant des réponses à toutes mes questions. Quel est le but de cette entrevue ? Nous devrions faire profil bas surtout avec mes amis dans les parages.

— Les choses ne se sont pas passées comme prévu cette nuit, cela change mes plans. Je croyais que votre rencontre permettrait une alliance, mais vos deux équipes sont radicalement opposées.

Il attrape un caillou dans sa main puis joue avec quelques secondes en ne quittant pas des yeux l'étang.

— Pourquoi m'as-tu demandé de venir ?

Il soupire.

— Pour m'assurer que tout était en ordre et que notre accord commun existait toujours malgré ce cuisant échec.

— Pourquoi ne serait-ce pas le cas ?

— Nos choix peuvent changer en l'espace d'une seconde.

Silas détourne son attention des canards puis se tourne lentement vers moi.

— Il faut que tu te montres prudente, ceux que tu apprécies te surveilleront davantage. Je n'ai aucune envie que l'un d'eux découvre mon existence.

— J'en ai conscience.

— Ezra est l'unique personne en qui j'ai totalement confiance, il sera le seul intermédiaire entre nous. Je l'enverrais lorsque je demanderais à te parler en personne.

— Pourquoi tant de complications ?

Il joue avec une mèche de ses cheveux en me regardant longuement. Sa façon de faire est tellement stratégique que je ne cesse de me poser des questions sur lui.

— Parce que ton ami peut rapidement devenir ton ennemi alors il faut toujours faire attention.

Son raisonnement n'est pas totalement infondé cependant je le trouve bien trop complexe. Silas ne fait confiance à personne et refuse catégoriquement d'être un Gardien, il passe son existence cacher dans l'espoir de vivre. J'aimerais le secouer malheureusement cela ne changerait absolument rien.

— Je t'enverrais d'autres informations dès que possible. Nous nous verrons au lycée, je suppose.

Il ne me laisse pas le temps d'ajouter un mot supplémentaire et disparaît. Je ne suis toujours pas en mesure de comprendre sa façon de faire et la logique de son esprit. Il passe à travers moi pour défendre les humains et repousser les Abominations. Cette façon de faire est étrange, mais compréhensible. Tout le monde a peur de mourir, c'est un fait. Mais le pouvoir de Silas serait un énorme plus pour notre combat face à nos ennemis. Malheureusement celui-ci n'acceptera jamais de participer pleinement à ce combat face à ces monstres.

01 Août 2021