Prologue
L'air saturé par l'odeur de détergents prenait aux narines et fit grimacer l'homme qui marchait dans les couloirs blancs et vides, interminables. La lumière vive, artificielle et aveuglante, éclairait son uniforme noir, les médailles d'honneur à sa poitrine, l'arme à sa hanche et ses cheveux qui grisonnaient finalement, après de longues années.
Ses épaisses bottes s'arrêtèrent devant une grande fenêtre teintée. Il observa les infirmiers qui s'occupaient des bébés à peine nés, rangés en ligne dans des berceaux identiques et aussi blancs que le reste de la salle et l'uniforme des infirmiers.
Aucun son ne filtrait au-delà de la fenêtre, mais l'homme pouvait presque entendre les pleurs aigus, les chouinements, juste avant qu'un de leurs surveillants n'enfonce un biberon dans la bouche des plus bruyants. Il se remercia d'être du bon côté du mur.
Et pourtant, bientôt, très bientôt, ce serait à lui de s'occuper de ces petits êtres patauds. Dans un demi-cycle, ils seraient tous sous son commandement. C'était si pénible de devoir attendre si longtemps pour renflouer les rangs militaires de jeunes corps frais, prêts à se battre, mais personne n'y pouvait rien avant que le département des sciences finisse leur travail.
Le commandant détourna la tête de la vision chaotique du baby-sitting en entendant les pas d'un infirmier qui s'approchait d'un pas pressé. Son regard froid se posa sur lui, l'observant retirer son masque pour parler clairement.
Mais le représentant militaire ne lui en laissa pas le temps.
— "Quelles sont les pertes ?"
Les mots moururent prématurément sur la langue de l'infirmier, avant qu'il ne se presse de rattraper l'homme en voyant que celui-ci avait repris la marche dans les couloirs.
— "Hum, 25 % monsieur. Les porteuses sont épuisées depuis la hausse de la demande, beaucoup ne survivent pas aux accouchements, si même elles tiennent les grossesses", déclara-t-il en arrivant à la hauteur du commandant, après avoir désespérément cherché dans les papiers qu'il tenait contre sa poitrine.
— "Je n'ai pas demandé les pertes des porteuses."
La réponse fut froide, et l'infirmier avala nerveusement sa salive.
— "10 %, si on compte les enfants dans les couveuses, qui n'ont une chance de survie que de…"
— "Et si on ne les compte pas ?"
— "... 6 % de pertes, monsieur."
Le commandant hocha la tête avec un air satisfait, alors qu'ils entraient dans le cœur de l'usine. L'atmosphère était encore plus antiseptique que les couloirs ; tout était ordonné, rangé en une ligne stricte, les longues tables en rangs devant une fausse fenêtre qui offrait une vue artificielle sur un jardin d'herbes rases. Assis sur ces tables, des bambins mangeaient dans le plus grand silence, interrompu seulement par un bip occasionnel venant des nombreuses machines de l'autre côté de la pièce, reliées à chacune des électrodes sur le bras des enfants, calculant, inspectant chacune des données sous la supervision de plusieurs infirmiers. Étaient-ce vraiment des infirmiers ? Leur uniforme blanc, leur masque chirurgical et les dossiers sous leurs bras le laissaient penser, mais cela ressemblait plutôt à une bande de scientifiques fous analysant des animaux.
À l'arrivée du militaire, tous les enfants se levèrent d'un même mouvement à côté de leur chaise avant de se mettre au garde-à-vous et faire un salut officiel, strict, le poing sur le cœur. L'homme les regarda avec un léger sourire, les retenant dans cette position encore un instant pour sa pure satisfaction.
— "Repos. Continuez vos activités", ordonna-t-il, sa voix résonna dans toute la pièce. Il vit certains enfants flancher, avant de s'asseoir rapidement pour continuer leur dîner avec empressement. D'autres s'étaient mis à parler avec ferveur à leur voisin, avant qu'une règle en bois ne vienne s'abattre sur leur nuque, de la part des hommes en blanc.
Il se tourna de nouveau vers l'infirmier qui était resté à côté de lui jusqu'ici. "Quel âge ont ceux-ci ?"
— "Un quart de cycle, monsieur." L'infirmier serra les documents dans ses bras et hocha vivement la tête, comme pour confirmer ses propres dires. "Ils sont tous destinés à rejoindre le VOID 3, sous votre commandement."
— "Leur formation vient de commencer, visiblement."
Si l'infirmier hocha vivement la tête et ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, l'homme l'interrompit de nouveau.
— "Durcissez les sanctions. Et commencez la formation plus tôt pour les prochaines générations, nous avons besoin de soldats des plus optimaux. Quand commencent les entraînements de résistance physique ?"
— "Ceux-ci ? Dans quatre dixièmes, Monsieur. Les…" L'infirmier toussa un peu, comme si les mots avaient du mal à sortir de sa gorge, "les entraînements commencent toujours à vingt-neuf dixièmes pour ne pas perturber le développement physique des enfants."
Le militaire parut perdre sa satisfaction à cette nouvelle, fronçant les sourcils en regardant les enfants manger de nouveau en silence, certains regards inquiets passaient sur lui.
Et comme en réponse à son insatisfaction, il y eut des cris presque hystériques dans le couloir d'où ils venaient. La porte qui y menait s'ouvrit en fracas, découvrant une silhouette en robe blanche qui semblait se battre avec plusieurs infirmiers.
Si l'infirmier sursauta et se retourna vers le son avec panique, comme le firent toutes les autres personnes, enfants ou adultes, présentes dans la pièce, le commandant garda un calme plat.
Il observa avec lassitude une femme en tenue d'hôpital tachée de sang, essayant de frapper une des infirmières qui la retenait, alors que ses cris devenaient enfin intelligibles :
— "Rendez-moi mon bébé ! Rendez-moi mon bébé !" pleura-t-elle en tendant les bras vers l'une des femmes qui tenait un paquet de tissus, laquelle recula légèrement en appelant la sécurité.
Le représentant militaire fronça de nouveau les sourcils en voyant plusieurs autres infirmiers accourir pour aider leurs collègues.
Il y eut un clic reconnaissable avant que l'homme ne lève l'arme jusqu'alors confortablement rangée à sa ceinture.
Il n'y eut qu'une seule détonation, il n'y avait pas besoin de plus. Puis, les pleurs de peur plus forts encore du bébé enveloppé dans les tissus, et les sanglots de la femme qui s'était écroulée au sol au coup de feu, ses bras autour de son ventre. Les taches de sang sur sa robe s'étendirent rapidement, finissant par tacher le sol de carrelage blanc et, avant cela, immaculé.
— "C'est la deuxième fois que tu fais une scène, porteuse E765. La mauvaise graine n'engendre que de la mauvaise graine, j'aurais dû nous débarrasser de toi dès le premier que tu as fait." L'homme s'approcha de la femme dont les épaules se secouaient en silence. Sa botte épaisse la retourna sur le dos et appuya sur la plaie à son ventre, "Quel gâchis."
Le silence tomba dans la pièce, seulement coupé par la machinerie et les pleurs aigus. Tous les regards s'étaient figés sur la silhouette du général, sur la porteuse qui se vidait de son sang. Les enfants avaient les yeux écarquillés, les infirmiers étaient hésitants.
Le militaire se redressa rapidement, et son regard se porta sur la sécurité qui arrivait, ses soldats, qui se mirent au garde-à-vous rapidement.
— "Débarrassez-vous d'elle, emmenez-la à l'incinérateur du VOID 6", déclara-t-il avec un geste évasif de la main. Ses hommes exécutèrent les ordres sans qu'il ait besoin de les répéter.
Une longue traînée de sang traversa le couloir, là où le corps de la femme fut traîné. Les infirmiers restèrent muets devant ce morbide spectacle, avant que le militaire n'aboye quelques ordres supplémentaires.
— "Ne restez pas plantés là, reprenez vos activités. Immédiatement !"
Ce fut un peu confus, les infirmiers obéissant promptement aux ordres en se rentrant dedans les premières secondes avant de s'éloigner de la scène rapidement, distribuant des consignes aux enfants pour qu'ils quittent les tables, d'autres ramenant de quoi nettoyer.
Le général de l'armée du VOID 4 se détourna des travailleurs de l'usine maladroits pour se tourner vers l'infirmière qui tenait le nourrisson, celui-ci pleurant toujours quoique plus doucement.
— "Monsieur, elle ne l'a pas encore nommé", informa-t-elle avec une certaine hésitation. "Est-ce qu'il ne faudrait pas la laisser…"
Le militaire émis un petit bruit désinvolte, mais sa main veineuse se releva de ses côtés pour écarté les tissus de coton qui couvrait le corps du nouveau-né. Les pleurs de celui-ci se renforcèrent.
—"C'est un garçon. Sur les territoires en dehors du VOID nous serions... L'année des Z ? Appelez-le donc Zacharias."
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