1-Au commissariat
─ C'est à cette heure-là que tu arrives ? Le capitaine t'a déjà réclamé et ça va barder pour ton matricule, fée ! clame Brenda, une grosse sorcière, qui trône derrière le guichet d'accueil de la police magique.
C'est la reine des commères ! Plus efficace à nous surveiller, qu'à diriger les plaignants dans les différents services.
─ Moins fort ! je marmonne.
J'ai des lunettes de soleil, j'aurais dû prendre des boules quies aussi ! Je zigzague pour éviter ses beuglements. Malheureusement, elle n'est pas la seule à crier.
─ Il est là ! Je parie dix sacs d'or que le capitaine le transforme en crapaud, glapit Delena, une élémentaire.
Elle est en train de me vriller les oreilles.
─ Cool, les mecs, calmez-vous ! J'ai eu une nuit agitée !
Je m'étire en bâillant ! Restant sur la version officielle, j'ai bossé tard.
En réalité c'était avant d'enchainer sur une soirée, dans une nouvelle boite gay branchée. Rien de tel qu'une bonne baise pour me sentir vivant.
Le résultat, je suis trop fatigué pour bosser, j'aurais dû aller réclamer un arrêt maladie à mon mage-médecin. Si je n'avais pas ce foutu rapport qui attend depuis un mois déjà, j'aurais joué l'homme invisible.
Le commissariat des mondes magiques de Nice est ma deuxième maison, enfin pas ce matin, car il évoque une ruche bruyante, remplie d'abeilles qui bourdonnent.
Arghhh ! Trop de bruits !
La ruche ...ou plutôt le commissariat est rempli de tous les délinquants arrêtés dans la nuit et des victimes venues déposer des plaintes. Tous discutent avec les policiers : sorciers, orcs et changeants qui y travaillent.
Je traverse l'immense salle, aux murs décolorés sable, avec des bureaux de bois en enfilade pour les policiers. De grandes fenêtres éclairent les lieux.
Arghhh ! Trop de lumière !
Mes yeux, j'ai mal.
Nous sommes dans le vieux quartier de Nice. Pour les humains, ce sont en apparence des vieilles rues moyenâgeuses malodorantes. En réalité, pour nous, qui étions là bien avant eux, ce sont toutes nos institutions, parlement, bibliothèques et les demeures des seigneurs de la ville. Des quartiers trop chers pour les magiques ordinaires. Moi, j'ai un appartement dans un immeuble moderne, dans les hauteurs de la ville, qui donne sur un jardin de palmiers. Il est un peu loin du centre magique à mon gout, surtout lorsque, comme ce matin, j'ai dû conduire au milieu des embouteillages humains.
─ Un cachet pour le mal de tête ! je réclame à la cantonade, en m'avançant parmi mes collègues qui me saluent, amusés.
Je m'arrête à hauteur d'Horio, un orc costaud, qui se dissimule sous une apparence assez réussie de mec sexy à la peau sombre. C'est une montagne de muscles de près de deux mètres de haut, il est petit pour son peuple.
Des trolls lui font face avec des grands yeux larmoyants. Ce sont des êtres crédules trop souvent victimes d'escroquerie.
─ Désolé de vous interrompre, je bouscule mon collègue.
Ta potion spéciale ? Tu en as ? C'est pour une urgence !
La famille plaignante émet des hoquets de surprise, en théorie, la nourriture orc, immondement puissante n'est supportée que par eux.
Au cours de mes années de captivité, outre un nombre inimaginable de tortures, ils m'ont aussi injecté du sang d'orc. Au moins les potions orcs me soulagent, comme quoi à tout malheur..., non à toute chose malheur est bon ! Donc ce n'est pas une mauvaise chose !
Je me tiens la mâchoire, comme si cela pouvait m'aider à me remettre le cerveau en place.
─ Je vais te la préparer mon grand, mais toi, file chez la capitaine ! Et grouille !
Des créatures ailées, puis une sirène, qui laisse des mares d'eau sur son passage, me bousculent.
Elle pourrait nettoyer, merde, maintenant j'ai les chaussures mouillées.
Une sorcière étrangère, venue sans doute se faire enregistrer, me tire par la manche.
─ Pardon, grand-père, où se trouve le bureau des registres d'immigration magique ?
Elle m'a vexé là, je ne suis pas si vieux ! J'ai les cheveux gris, à cause des mauvais traitements des monstres. En réalité, je suis tout jeune, excepté les cheveux et quand je baise on s'en rend parfaitement compte.
Je t'en foutrais des grands pères !
J'ai toujours été mince, assez grand, mes yeux sont restés verts, eux, contrairement à mes cheveux. J'ai une bouille mignonne, dont j'abuse, avec une peau pâle qui me permet d'attirer dans mes filets les mecs qui me plaisent. Parfois aussi, hélas, ceux dont je ne veux pas.
─ Tami, vas-y ! Ça ne sert à rien de la faire attendre ! insiste Horio en me désignant l'étage.
Je jette ma sacoche sur mon bureau, surpris de le trouver affreusement en bordel. Des montagnes de dossiers entassés. Il n'était pas comme ça la dernière fois que je suis venu, non ?
Qui a foutu le bordel à ma place ?
Je regarde maussade les piles empilées, telles plusieurs tours de Pise improbables.
Je m'assois en faisant attention à ne rien bouger ! C'est surement moi, tout compte fait, mon problème c'est que je suis plutôt bon sur le terrain, cependant impossible de rester assis sur une chaise à écrire les comptes rendus d'enquête. J'ai l'impression d'étouffer assis entre quatre murs, comme si l'on me mettait en cage et cela m'évoque de mauvais souvenirs.
Il y a de cela déjà cinq années, de graves évènements se sont produits à Nice. Les Brasov étaient sur le point de mettre à feu et à sang le monde magique et j'étais le gars au mauvais endroit au mauvais moment. Je suis devenu leur prisonnier, ils m'ont torturé avant de me brancher comme une pile à énergie, me faisant perdre pied avec la réalité. Je sais qu'à cette époque, mon esprit c'est lié à celui de la nature, puis, enfin, j'ai été délivré. C'est pour cette sensation, que je suis devenu policier : quand la victime comprend qu'elle est enfin sauvée.
Après ses tragiques évènements, j'ai essayé de vivre chez mon père, dans le village de notre meute. Je n'ai tenu quelques mois avant de recommencer à fricoter avec des hommes mariés, ce qui n'est pas bon pour la paix des lieux. Au moins à Nice, je fous la merde chez les truands, c'est socialement plus utile !
Mes pas me dirigent, bien malgré moi, vers le bureau de la capitaine à l'étage. Sa plaque indique département des crimes magiques.
Je la soupçonne de regretter l'époque où elle était sur le terrain. C'est une fée, elle aussi, qui a perdu ses ailes dans la grande bataille d'Uvernet. Moi, je n'en ai jamais eu, car on me les a arrachées quand j'étais bébé.
Le rapport qu'elle attend, concerne un trafic de pièces d'or des farfadets d'Irlande. Nous avons trouvé plusieurs victimes transformées en statue de terre dans un souterrain. Je frappe à sa porte, ce que j'oublie de faire une fois sur deux, mais autant la caresser dans le sens du poil, car j'ai besoin d'un délai supplémentaire.
─ Tami Charlaix ! Qui daigne se pointer au travail ! Et qui frappe à mon bureau en plus ! Il va neiger !
Je grimace, elle parle trop fort. Visiblement, elle n'est pas de bonne humeur, donc inutile de lui demande de baisser d'un ton, sinon elle va hurler.
Devant son bureau envahi de dossiers, deux canapés orange se font face. Les fenêtres donnent sur les toits de la ville et je m'assois sans attendre, rêvant de m'allonger. Elle s'assoit en face de moi.
─ Salut capitaine, j'étais sur une enquête, désolé !
─ Arrête de mentir, petit con ! Tu as fait du tapage nocturne dans une boite mal famée et en plus osé sortir ta carte de flic ! Ils viennent de déposer une plainte contre toi ! rage-t-elle.
Je sursaute, car elle m'a traité de petit con. Bon, les fées ont un léger problème avec l'âge, puisque nous sommes immortels. Elle comme moi, nous avons tous les deux un âge certain. De quel droit elle me traite de petit con !
Attends ! ils ont osé porter plainte ?
─ Quoi ?
Je m'assois, dépité. Si on ne peut même plus faire confiance aux truands pour ne pas se plaindre, mais où va le monde ?
Je sens que ce matin, les années m'ont rattrapé. Je voulais me regarder dans un miroir, que j'ai fait apparaitre, quand elle hurle.
─ Bordel ! Tami !
─ Mes oreilles, capitaine.
─ Debout ! Je ne t'ai pas autorisé à t'assoir.
─ Vous étiez plus gentille quand vous m'avez demandé mon sperme ! je marmonne amer.
Je me relève, épuisé. Je ne sais pas ce qui circule comme cachets dans le monde souterrain en ce moment, mais les amphètes magiques sont diablement efficaces.
Je ne me rappelle pas grand-chose... de ma soirée, j'ai vu des lueurs colorées partout, pendant que des mecs ...
La capitaine me regarde de travers. Je suppose que c'est lié à l'évocation de ce malheureux incident, elle cherche un donneur pour avoir un enfant fée. Il ne reste que quelques fées mâles en âge de procréer, dont moi. Notre espèce est foutue, elle l'était déjà avant moi !
─ Bon je n'ai pas pu vous fournir, on ne va pas revenir sur le sujet ! Désolé pour le blocage, mais je ne commande pas mes burnes, désolé capitaine ! Pas de bol !
Il ne reste plus beaucoup de mâles et en plus il faut que nous rencontrions notre âme-sœur ou que nous soyons actifs sexuellement pour libérer la semence. Tout le monde comptait sur moi, ils ont eu tort, car je n'ai rien pu fournir, pourtant je suis actif !
Le projet du scientifique Liam Daguerre est hasardeux. Ses machines sont conçues pour les changeants et il souhaite tenter de les utiliser pour des fées, pour sauver l'espèce, l'idée du siècle !
La capitaine Irène Lanala tape du poing sur la table, agacée.
─ Rhaaaaa! je vais te tuer maudit emmerdeur à la noix ! Ne mélange pas tout !
─ Pardon, capitaine.
─ Approche.
Je m'exécute, embêté, je peux aussi me sauver à toute vitesse et aller chez le docteur pour lui coller un arrêt maladie. Elle me lance un regard noir, si elle avait des mitraillettes dans les yeux, elle m'aurait tué.
─ Je ne veux pas que vous trompiez Anasse, capitaine.
Son mari n'est pas une fée, mais un élémentaire de l'eau, lui travaille dans le bâtiment. Il est cool ce mec.
─ Tami ! Tu vois ces étoiles sur mon uniforme ?
─ Oui elle brille trop ! J'ai mal aux yeux.
─ À ton avis, elles servent à quoi ?
─ Je ne sais pas moi !
Elle m'en pose des questions !
─ Essayer de trouver ! Un policier doit savoir faire preuve de déduction, non ?
─ Je dirais que c'est votre insigne de capitaine, c'est pour que tout le monde sache que vous êtes capitaine ?
─ Exactement ! Je partage ton analyse, donc je suis capitaine. Et toi ?
─ Ben moi je suis inspecteur, un bon poli....
─ Donc tu es sous mes ordres ! Donc tu obéis quand je donne des ordres, non ?
─ Oui, dit comme cela !
─ Alors tu vas me faire le plaisir d'arriver à l'heure, comme tout le monde et pas à midi et de taper tous ces foutus rapports ou ce sera la mise à pied ! Si tu pouvais essayer d'éviter de mêler la police à tes histoires personnelles de mœurs déplorables, cela m'arrangerait aussi. Sache que le commissaire va entendre parler de cette histoire !
Je grimace à l'évocation du grand patron qui m'a dans le pif.
─ Mais...
─ Tami ! Mes rapports avant ce soir ! Exécution !
─ Vous êtes trop exigeante. J'allais vous demander un délai ?
─ NON Tami, tu n'as le droit à aucun délai ! Tu ne pars pas ce soir avant de m'avoir remis le rapport sur l'affaire des farfadets et gare à toi !
Elle hurle au point de faire trembler les murs du commissariat.
Je retourne à ma place où une potion boueuse m'attend.
─ Bien dis donc ! Elle n'est pas contente, souffle Horio.
Il a un très bon esprit de déduction.
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