CHAPITRE 17
SAMEDI 20
AVRIL 2019
Les jours passèrent avec une ambiance morose dans l'Antique. L'humeur de Caoihme s'était améliorée certes, mais elle n'était pas aussi joyeuse que Magalie avait pu connaître. Elle ne savait définitivement pas ce qu'il se tramait entre ses deux protégées, ne voulant pas déranger la brune, mais il fallait que ça change. Alors, elle avait concerté Julian et d'un commun accord, ils avaient décidé qu'en sortant du travail, un soir, Magalie irait voir Victoire.
Cette dernière fut d'abord étonnée de la voir à son appartement mais avait accepté de discuter. Elle lui avait expliqué dans les grandes lignes ce qu'il s'était passé, n'étonnant guère la sexagénaire. L'attirance entre les deux se sentait, elles avaient développé une connexion spéciale et ne pas les voir ensemble lui faisait beaucoup de peine. Elles étaient faites pour s'entendre même si ce n'était pas sous une relation amoureuse. Victoire lui promit d'aller s'excuser auprès de Caoihme de son comportement dès qu'elle retournerait à l'Antique.
Ce fut donc une semaine après la dispute entre Léopold et la blonde que celle-ci retourna au café, prête à s'excuser. Elle arriva assez tôt mais Caoihme n'était pas là. Elle s'installa sur la table au fond de salle après avoir commandé un jus de fruit à Julian. En attendant l'arrivée de la brune, elle se mit à lire et à surligner ses cours. Elle avait réussi à remonter la pente grâce à ses facilités mais il lui restait encore beaucoup à travailler si elle voulait valider son année.
Plongée dans ses devoirs, la jeune fille ne vit pas Caoihme arrivée, contrairement à celle-ci. La brune préféra l'ignorer, la dernière fois lui restait en travers de la gorge. Elle préféra aller parler à Madame Morteau assise avec son vieux chien près d'une fenêtre. En voyant cette scène, Magalie leva les yeux au ciel. Ces deux jeunes femmes lui ajoutaient des cheveux blancs. Elle décida de prendre les choses en main, une fois de plus. Alors elle alla débarrasser le verre de Victoire et lui souffla d'aller parler à Caoihme, d'un ton rude.
Seulement, la blonde ne savait pas de quelle manière l'aborder. Paniquée, elle appela d'une voix forte Caoihme à travers le café. Elle se mordit la lèvre, elle ne pouvait pas l'appeler d'une façon plus méprisable, elle allait lui en vouloir ! Elle ne pouvait pas faire marche arrière quand la brune fut à sa table. Celle-ci la questionnait du regard : pourquoi l'appeler ? Victoire ne savait pas où se mettre devant le visage neutre de son « amie ».
— C'est à cette table que tu m'avais parlée la première fois, commença-t-elle ne sachant pas comment agir.
— C'est vrai, se remémora la Caoihme en esquissant un sourire.
— Euh... Du coup... Je voulais savoir, tu m'en veux ?
— Tu m'as blessée en m'ignorant ainsi, répondit-elle en haussant les épaules, mais non je ne t'en veux pas, on a tous nos raisons.
— Oh !
Victoire ne savait pas quoi rajouter, elle ne s'attendait absolument pas à cette réponse. Avant qu'elle n'ait pu trouver quelque chose à dire, Caoihme fut appelée en urgence par Magalie. Leur patron arrivait dans cinq minutes avec une dizaine de personne et il ne fallait mieux pas qu'il la trouve à parler. La brune sourit rapidement, désolée de ne pas pouvoir continuer la conversation, pour se diriger vers le bar.
— Attend, Cao ! Tu peux venir ce weekend ? Chez moi pour que je puisse t'expliquer ? S'empressa d'ajouter Victoire.
Caoihme haussa la tête en lui faisant le signer de l'appeler ce soir pour en parler, elle n'avait pas le temps actuellement. Comme disait souvent Mag' « code rouge », si le gérant la voyait encore discuter avec des clients, elle allait être sur un siège éjectable.
Déçue de ne pas avoir pu se livrer à la brune, Victoire rangea ses affaires. Il fallait mieux qu'elle rentre pour finir d'étudier. En regardant l'heure, elle se questionna. Était-ce une bonne idée d'avoir voulu inviter son amie chez elle ce weekend ? Aurait-elle le courage à nouveau de lui expliquer la difficulté de ses sentiments ? Cette histoire était bien trop dure à gérer, elle ne voulait blesser personne. Depuis des années, elle agissait de la même manière : ne faire du mal à personne quite à mentir ou ne pas être sincère avec soi-même. Magalie lui avait bien fait comprendre que cette méthode ne pouvait plus durer, qu'elle devait s'écouter. Toute cette situation l'épuisait, elle n'aurait jamais pensé qu'en rencontrant cette brune dans un café, il y aurait autant de complications. Étrange comment une simple personne peut changer des relations stables depuis des années. Peut-être était-ce le piment qu'il manquait pour éviter qu'elle ne se lasse ?
La blonde souffla en levant les yeux au ciel. Elle a donné rendez-vous à son amie, alea jacta est comme disait souvent Susie. Encore une de plus dont elle s'est éloignée. Elle se prenait trop la tête.
En sortant de l'Antique, Victoire décida d'envoyer un message à ses amies. Il fallait que toute cette pression s'en aille, elle allait prendre les choses en main et arrêter de subir cette situation. Elle ne comptait pas gâcher cette année avec ces histoires, elle va assumer ses sentiments, ses pensées, mettre au clair ses relations.
Le soir même, Caoihme rappela son amie et convinrent qu'elle irait manger chez la blonde le samedi soir suivant. Elle en parla à Magalie, qui bien sûr savait déjà mais ne laissa rien paraitre. Elle lui confia qu'elle ne savait plus trop où se placer par rapport à Victoire. Elle en avait marre de cette bipolarité dans leur relation. C'à quoi son ainée lui répondit qu'elle également, le manque de confiance de la blonde lui causait bien des misères. Elle rappela à Caoihme que son amie avait beaucoup souffert pendant ses deux premières années de lycée. Avec son physique jugé trop opulent par les jeunes filles là-bas, sa confiance avait été détruite, jusqu'à ce qu'elle rencontre Léo et qu'ils s'aident mutuellement. Mais elle avait toujours des failles et par peur de se faire rejeter, elle préférait cacher ses pensées aux autres pour ne pas les déplaire.
Ainsi, chacune de leur côté, les deux amies tentèrent tant bien que mal de se rassurer en pensant à samedi. Comment une simple soirée pouvait-elle leur mettre autant de pression ?
☼
— J'arrive ! J'arrive !
Victoire courut vers la porte d'entrée en coinçant ses mèches blondes derrière ses oreilles. Elle avait passé une éternité dans la salle de bain sans savoir comment s'apprêter, quelle coiffure, quel maquillage... Des questions qui lui avaient donné un tel mal de tête qu'elle avait dû se servir un café avec un doliprane. Meilleur remède contre une migraine soudaine selon sa tante. Elle avait fini par opter pour une tenue basique et un chignon trop lâche qu'elle devait raccommoder alors qu'elle allait ouvrir à son invitée. Elles s'étaient donné rendez-vous à dix-neuf heures trente et Caoihme n'avait pas une minute de retard. Son horloge interne était parfaitement réglée, avait pensé la blonde. Elle accueillie son amie en la débarrassant de son manteau. La soirée se déroula dans une ambiance chaleureuse. Il fallait se l'avouer, cela faisait un moment qu'elles voulaient se retrouver. Leur complicité leur avait manqué. Entre rires, douces gorgées de vin et la musique soul en fond, les deux jeunes femmes s'échangeaient des sourires et des regards qui ne mentaient pas. Magalie aurait été heureuse de les voir aussi proches.
Quand la lune fut levée, éclairant entièrement les pièces endormies des voisins de Victoire, elles s'étaient retrouvées allongées sur le lit qui faisait office de canapé dans le petit appartement. Elles observaient le ciel sombre à travers le velux, laissant redescendre doucement l'alcool qui leur était monté à la tête. Seule des douces notes de musique retentissaient dans la pièce, les berçant.
La blonde entrouvrit les lèvres, cherchant ses mots. Par où devait-elle commencer ? S'excuser peut-être ? Lui dire à quel point cette situation lui pesait sur le cœur, qu'elle était lâche, qu'elle voyait bien la souffrance qu'elle causait en évitant ses sentiments, que ce soit chez la noiraude ou chez Léopold. Léo. Elle avait toujours pensé à lui comme « son amant », « son copain », « son amoureux », mais c'était la première fois depuis qu'elle le voyait comme Léopold et rien de plus. Ses pensées s'embrouillèrent, il était définitivement temps qu'elle assume, qu'elle soit plus centrée sur ce qu'elle voulait. Oui, on pouvait la voir comme égoïste à vouloir être appréciée de tout le monde, à toujours parler pour les autres ou attirer l'attention, mais s'écoutait-elle vraiment quand elle agissait ainsi ? Mais avant qu'un son ne sorte de sa bouche, son amie la coupa dans son élan.
—Tu sais, Vic, je te n'en veux pas, souffla son ainée. Je te comprends.
Victoire se mordit l'intérieur de la joue. Une nouvelle fois, ce n'était pas elle qui abordait la conversation.
— Je- Caoihme, merci... est-ce que tu peux ne pas me couper ?
La cadette tourna sa tête pour voir sa réaction. Elle ne s'attendait pas à ce qu'elle la fixe de cette manière. Ses yeux sombres la regardaient d'une intensité qui fit frissonner Victoire. Elle était vraiment magnifique et d'une bonté pure. Elle s'en voulait de l'avoir torturée avec sa lâcheté. Elle lisait dans ses yeux toute la bienveillance du monde qui l'apaisait et lui donnait le courage de continuer. Se livrer de cette manière était bien plus difficile qu'elle aurait pu le penser.
— Je- je ne sais pas par où commencer, ricana la blondinette nerveusement avant d'enchainer rapidement alors que Caoihme allait parler, non, laisse-moi parler, s'il te plait...
Elle se tourna sur le côté pour faire face à la brune. Chose qu'elle regretta de suite, la proximité et son regard la déstabilisèrent, mais elle n'avait plus le choix à présent.
— Je ne vais pas te sortir le côté mélancolique et égoïste du « tu sais ça n'a pas été facile pour moi » car j'ai rendu mes relations compliquées. Je sais que c'est puéril, j'aimerai me cacher derrière des évènements ou des personnes pour ne pas assumer tout cela. J'ai été lâche, et j'en suis désolée. C'est plus simple d'agir dans le sens des autres, de faire ce qu'on attend de moi que de se jeter dans l'inconnu. Je préférais rester dans ma zone de confort plutôt que d'affronter mes réelles envies. J'ai mal agit et je t'ai fait du mal. Et pas qu'à toi, à Léo, à mon groupe de potes, à moi-même, parce que j'étais perdue entre rester dans mon cocon ou ouvrir les yeux et faire face à ce que je ressentais.
Le silence les engloba quand les dernières paroles de la blonde sortirent d'entre ses lèvres. Elle souffla doucement tandis que son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Elle avait baissé les yeux, n'osant affronter le regarder de son ainée, il était encore trop tôt. Celle-ci approcha doucement sa main de son visage pour remettre une mèche de ses cheveux blonds derrière l'oreille, l'incitant à continuer.
— Je ne peux pas nier ce que je ressens. Cela fait un moment que mon attirance n'est pas fixée aux hommes. Seulement, je ne m'y attendais pas, je ne pensais pas faire réellement face à ça, les regards des autres allaient changer puis je n'en ai jamais parlé... Alors, quand- quand j'ai commencé à avoir certains sentiments à ton égard je t'ai fui... Je te vois sourire, laisse-moi finir avant de prendre la confiance ! Je t'ai fui, j'ai eu peur, c'est complètement ridicule, j'ai paniqué refoulant mes émotions. La pire idée que j'ai eue. Mon cœur allait dans un sens tandis que je voulais aller dans l'autre. Je me suis détestée pour ça, que cette peur agisse autant sur les autres. Je suis vraiment désolée Caoihme. Je ne voulais pas, tu m'as tellement manquée, ajouta-t-elle doucement tandis que des larmes perlaient dans le coin de ses yeux. J'ai aimé Léopold pendant longtemps, il était mon premier copain à me faire sentir bien mais cette relation avec le temps est devenue une habitude plus que de l'amour et tu es apparue. Tu as fait s'accentuer ce sentiment d'être las mais j'étais si bien dans cette zone de confort, tout était simple... Je- tu me fais me sentir spéciale, j'aime passer du temps avec toi, te voir sourire quand les lumières s'allument le soir, quand tes sourcils se froncent devant tes textes à étudier, le tic que tu as de toujours humer l'odeur de tes cafés ou la manière dont tu replaces ta frange. Tu es toujours là pour les autres, bienveillante, à complimenter les grand-mères et jouer avec les enfants... Je-
Caoihme avait posé un doigt sur sa bouche tandis que le croissant de ses lèvres étaient remontées dans un sourire ému. Elle essuya doucement les perles au coin des yeux de la blonde et laisse glisser ses doigts sur ses joues.
— Ce n'est pas grave... Je sais que ce que c'est, ne t'en veux pas. Moi aussi, j'aime ta passion pour les fleurs, ta mauvaise habitude te faire tout au dernier moment mais je crois que ce que j'ai préféré chez toi, c'est le goût sucré de tes lèvres, finit-elle avec une lueur espiègle dans les yeux.
Cette dernière phrase fit rire la plus jeune qui remercia l'obscurité de cacher le rose de ses joues. Elle était devenue timide, ne sachant que faire, que dire. Elle avait quelques fois aperçut le côté charmeur de la brune lorsqu'elles n'étaient que deux, et elle pouvait affirmer que cela lui allait bien, l'effet était toujours au rendez-vous. Le regard plongé dans celui de l'autre, les deux amantes profitaient du silence de la nuit pour se contempler. Caoihme laissa dériver ses yeux sur le visage de la blonde, contemplant les courbes, la finesse de son nez et le rebondi de ses lèvres pleines.
— Est-ce qu'elles sont toujours aussi douces ? demanda-t-elle dans un murmure à peine audible.
Victoire sourit et approche doucement son visage de celui que son amie. Les yeux fermés, elle sentait le souffle de la brune s'abattre sur ses lèvres. La main toujours sur la joue de la blonde, Caoihme descendit celle-ci sur son cou frôlant ces croissants de chair qui l'attiraient tant. Cherchant ses yeux, elle demanda l'accord de la blonde avant de continuer plus loin. Combien de fois l'avait-on embrassé sans qu'elle ne le veuille ? Elle ne comptait pas imposer ce malaise à celle qui lui avait manqué.
Alors quand Victoire murmura qu'elle n'attendait que ça, son ainée fondit sur ses douceurs rosées, laissant s'entrechoquer leur souffla, passant ses mains dans le chignon lâche. Perdues dans leur baiser, ne cherchant à ne faire plus qu'une après tout ce temps, aucune des amantes n'avaient remarqué le regard sombre qui les observaient. Un bouquet à la main, Léopold sentit sa gorge se nouer.
THE END
☼
krrrkrrr
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro