28 Spaghettis et confession
Chapitre 28 : Spaghettis et confession
Une bonne odeur de sauce ayant mijoté l'après-midi vient me chatouiller les narines dès que j'ouvre la porte d'entrée de l'appartement.
J'enlève mes chaussures, assise sur le petit banc en bois dans l'entrée, et demande d'une voix assez forte pour être entendue dans tout l'appartement : .
— Hum, ça sent trop bon, tu prépares quoi ?
— Spaghettis bolognaises.
Je rejoins James dans la cuisine. Il dresse la table. Je me pointe par-derrière et le serre dans mes bras, fort et longtemps. Que ça fait du bien. Son odeur. Sa chaleur. Cette étreinte m'apaise. Puis, curieuse, je pars soulever le couvercle de la casserole pour y découvrir ce qu'il nous a concocté.
— ça me donne trop faim, et pourtant l'appel que je viens de passer à mon père m'avait coupé l'appétit.
— Ah merde, pourquoi ?
— Bah, c'est mon père, j'ai l'habitude.
— Explique. Pourquoi tu dis ça ?
Je l'aide à poser les couverts et en profite pour remplir le pichet d'eau fraîche avant de le poser également sur la table.
— Disons qu'entre lui et moi, ça a toujours été compliqué. Enfin non, je suis mauvaise langue, pas toujours. Je dirais depuis l'adolescence surtout. C'est à partir de là que notre relation s'est dégradée.
— Oui, jusque-là, rien d'anormal, si ? Tous les ados s'éloignent de leurs parents tôt ou tard. Ils coupent le cordon.
— Peut-être. Mais nous, depuis, on ne s'est jamais retrouvés.
— Et il y a une raison à ça ?
— Pas vraiment. Je suis toujours un peu gênée en face de lui, pas naturelle, tu vois ce que je veux dire ? J'ai l'impression de marcher sur des œufs, de jouer le rôle de la gentille fifille, sauf que je fatigue, je vieillis, je n'ai plus douze ans et je ne dors plus avec des dauphins en peluche.
— Des dauphins en peluche ? répète-t-il en se marrant.
— Ben oui, tu n'as jamais regardé Flipper ? C'était la série incontournable à l'époque.
— Connais pas.
— Pas grave, ce n'est pas le sujet. Toujours est-il que je ne suis plus une gamine, mince, me plains-je.
— Hum... Non, c'est vrai, tu n'es plus une enfant, tu es une belle jeune femme au tempérament bien trempé.
Il pose ses mains sur mes fesses, qu'il se met à malaxer.
— Et tu suces comme une déesse aussi.
Un frisson désagréable me traverse de la tête aux pieds.
— Euh, si tu peux éviter de parler de pipe quand je suis en train de te raconter des trucs sur mon père, s'il te plaîit, ça m'arrangerait.
— Oups, pardon. Allez, assieds-toi va. Mes bolos préparées avec amour vont te remonter le moral.
Je lui souris, reconnaissante qu'il soit aussi gentil et attentionné. Tandis qu'il récupère mon assiette pour aller me servir directement dans la casserole qui est toujours sur le feu, je repense à cette semaine enfermée chez lui. Je peine encore à réaliser les circonstances de notre rencontre, que cette parenthèse malsaine fut réelle, et que mon kidnapping fait et fera toujours partie de notre histoire abracadabrante.
— Tiens, ma belle, régale-toi.
Il dépose mon assiette devant moi, puis va remplir la sienne.
— Et ta mère, tu t'entends bien avec elle ? s'intéresse-t-il soudain.
J'ai failli avaler mes spaghettis de travers.
— Oula... Si on compare la relation que j'ai avec ma mère et la relation que j'ai avec mon père, alors celle avec mon paternel est un long fleuve tranquille.
— Ah ouais, à ce point ?
— Ma mère est une femme, comment dire... assez compliquée.
— Ouais, c'est une femme quoi.
Je lui donne une légère tape sur l'épaule.
— Pff, quel stéréotype à deux balles. Moi, je ne suis pas si compliquée que ça d'abord.
— Haha, je crois que s'il fallait rédiger une notice sur toi, laisse tomber, elle serait plus épaisse que le Code civil. Plus de trois mille pages écrites en chinois !
— Pff ! Eh bien, après le Russe, apprends le Mandarin alors !
Je lui fais un clin d'œil, pas peu fière de ma petite boutade. Il rigole.
— Et du coup, vous ne vous entendez pas du tout ? poursuit-il.
— Hum...
Je réfléchis deux minutes pour trouver les mots justes.
— Ma mère est atteinte de fibromyalgie depuis des années, ce qui signifie qu'elle vit avec des douleurs chroniques.
— Des douleurs de quel genre ?
— C'est ça le plus fun, de tous les genres. C'est une anomalie du système nerveux. Enfin, je n'ai jamais tout compris ni tout suivi. Elle m'a expliqué à plusieurs reprises qu'elle a mal partout. Ça se diffuse dans son corps, et c'est plus ou moins intense en fonction des périodes. Elle subit des tensions musculaires, des maux de ventre, des migraines, mais elle est aussi extrêmement fatiguée et un tantinet dépressive.
— Dur... Jje ne connaissais pas cette maladie. Jamais entendu parler.
— Moi non plus, avant que les médecins ne le lui diagnostiquent enfin, il y a trois ans. Disons que c'est encore vague, je crois qu'ils tâtonnent, qu'il n'y pas de guérison ni remède miracle. Le truc, c'est que du coup, je n'ai jamais vu ma mère heureuse. Enfin, je ne m'en souviens pas. Et ça me pèse, me bouffe de l'intérieur. Je pense que n'importe quel enfant voudrait voir sa maman épanouie, active, bien dans sa peau, dans sa tête. La mienne consulte un psychiatre, un psychologue, un ostéo et une herbologue chaque semaine, et ce depuis vingt ans. Aucune amélioration, je trouve, même qu'avec l'âge, ça ne s'arrange pas. Elle végète, elle tourne en rond, focalise. Elle ronchonne lorsque je lui propose de faire un truc en dehors de la maison. Enfin, à l'époque où j'avais encore le courage de lui proposer une sortie entre mère et fille. Ça date maintenant. J'ai abandonné. Je ne peux rien faire, ni moi, ni mon père, ni personne d'autre. Elle s'est enfermée dans une bulle néfaste qui l'empêche de profiter pleinement de la vie et de ce qu'elle a à offrir. Du coup, je me suis éloignée d'elle. Ça me déprimait trop. J'ai fini en quelque sorte par me créer une nouvelle famille afin de recevoir d'une tierce personne ce que ma mère ne peut pas m'offrir.
— Clémentine, c'est ça ?
Je suis étonnée. James est perspicace. Il me connaît depuis très peu de temps, pourtant j'ai l'impression qu'il m'a parfaitement cernée. Il parvient à lire en moi comme dans un livre ouvert, qui, apparemment, compte trois mille pages et est écrit en chinois... Ou sinon la traduction du résumé sur ma quatrième de couverture est super détaillée.
— Oui, ma meilleure amie compte beaucoup pour moi. Joyeuse, pleine de vie, toujours à me proposer x activités. Elle ne s'arrête jamais. C'est une hyper active, une amoureuse de la vie. Et surtout, je peux compter sur elle. Bien plus que sur ma propre mère, trop centrée sur ses problèmes.
— Je comprends.
— Disons qu'à bientôt trente-deux ans, je commence à peine à faire le deuil de la maman poule, dévouée et attentionnée que je n'aurais jamais.
Voilà, c'est sorti. Je me suis à mon tour confiée sur mes démons et maintenant que c'est fait, j'ai un peu honte. Comment puis-je me plaindre dans les bras d'un homme qui a perdu ses parents à l'âge de trois ans ? Son innocence. Sa dignité. Son avenir. Comment pourrait-il comprendre mes rapports conflictuels avec mon père et ma mère alors qu'il n'a connu les siens ?
Ni histoire du soir, ni câlin, ni parole rassurante. La vie lui a tout pris, arraché, et pourtant, il m'a écoutée attentivement sans jamais me juger ni se moquer.
Ainsi, je découvre ce soir une autre facette de sa personnalité. Une belle, douce et bienveillante facette.
A suivre...
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