25 Retraite anticipée
Chapitre 25 : Retraite anticipée
Quand mon réveil se met à sonner tôt le lendemain matin, j'ai juste envie de l'envoyer valser par la fenêtre. Quel jour on est déjà ? Ah oui, lundi. Je hais les lundis, et les mardis aussi d'ailleurs. Ils sont encore beaucoup trop éloignés du week-end. Passés ces deux premiers jours de la semaine, je commence à accepter ma condition de salariée qui cotise ses cinq semaines de congés payés par an.
James dort comme un bébé. Je me lève doucement et prends soin de remettre la couette sur lui avant de quitter la chambre. Pas le temps de rêvasser, café, douche, métro. Pour une fois, je n'arrive même pas en retard au boulot. C'est Jérôme qui va être content...
***
Cette journée pluvieuse est sans fin. Vautrée dans mon fauteuil de bureau sur roulettes, je piste dix fois par heure l'horloge en bas à droite de l'écran. Il pleut comme vache qui pisse dehors, et j'ai oublié mon parapluie.
Midi, pause déjeuner, enfin. J'ai une heure devant moi. Je verrouille ma session d'ordinateur, enfile mon manteau et file me chercher un truc à grignoter sur le pouce. Je ne vais pas trop m'éloigner vu la météo. Je n'ai même pas de capuche. Le MacDo au coin de la rue fera bien l'affaire. Le feu piéton passe au vert, je me dépêche de traverser. Alors que je m'apprête à entrer, quelqu'un m'interpelle. Je reconnaîtrais cette voix entre mille. Je me retourne et découvre James en train de courir au ralenti jusqu'à moi, un peu comme dans Alerte à Malibu, mais version à Paris sous la grisaille.
— Salut, ma beauté. Oublie le fast-food, je t'invite au restau.
— Mais c'est mon parapluie que tu tiens ? m'exclamé-je en le voyant dans sa main.
— Oui, j'ai pensé qu'il te serait utile ce soir en quittant ton boulot.
— Minute papillon, tu as parcouru tout ce chemin sous l'averse pour m'inviter à déjeuner et m'apporter mon parapluie ?
— Ben ouais.
Je souris aux anges, touchée.
— Mais ce n'est pas toi qui me disais que tu ne serais jamais ce petit ami pour moi, celui qui attend devant le lieu de travail de sa copine pour l'emmener au restau, bla-bla-bla.
— Pff. Tais-toi ou je repars.
Il pose sa main dans mon dos pour me faire avancer.
— Tu sais, James, il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis, le raillé-je.
— Tu ne perds rien pour attendre quand tu rentreras enfin à la maison.
« À la maison »... C'est si joliment dit, si doux à mon oreille. C'était comme si lui et moi étions devenus un foyer chaleureux, une famille soudée qui se retrouve chaque soir après le taf.
Il me donne une petite tape sur les fesses. Je lâche un hoquet de surprise.
— Alors, on va où ?
— J'ai réservé au Palais de Krishnaa, princesse.
— Princesse ? N'importe quoi. En tout cas, je ne connais pas, c'est de la cuisine indienne, non ?
— Non, c'est Basque, plaisante-t-il.
— Pff, t'es con.
Quand nous entrons dans le restaurant, un serveur vient aussitôt nous accueillir et nous montrer notre table.
— Vous désirez un apéritif ?
— Volontiers, vous avez des cocktails sans alcool ?
— Bien sûr, je vous apporte la carte.
Alors que le serveur s'éloigne, James me dévisage.
— Tu ne bois pas ? Tu es enceinte ? De moi, j'espère.
Je fais trois infarctus d'affilés.
— Mais non, pas du tout. Je travaille cet après-midi, je te signale.
— Ce n'est pas pour un verre...
— ça se voit que tu n'es pas comptable.
— Pouah, quelle horreur !
Je le fusille du regard.
— Merci, c'est sympa.
— Non, mais je ne voulais pas te vexer, Prune. C'est juste que moi devant un ordi toute la journée, je me ferais chier comme un rat mort. J'aime le terrain, l'action, l'adrénaline quoi.
Le serveur apparaît en me tendant la carte :
— Tenez, mademoiselle. Tenez, monsieur. Je reviens dans cinq minutes. N'hésitez pas si vous avez une question.
Je le remercie poliment en le regardant disparaître dans la cuisine. Puis, je me mets à chuchoter.
— Tu réalises que tu compares mon métier au tien, qui, je te le rappelle , n'est pas une vraie profession. Tu risques la prison. Et encore, je ne sais même pas toutes les horreurs que tu as commises. Rien que d'y penser, ça me file des sueurs froides.
— Alors, n'y pense pas, ou remets ton manteau.
— C'est nul.
— Qu'est-ce que tu veux que je te dise sinon ?
— Par exemple, que tu arrêtes tout ça, que c'est du passé.
— Tu crois qu'on peut démissionner en un simple claquement de doigts, aussi facilement ?
— Et pourquoi pas ?
— Tu vis au pays des bisounours.
— Et toi dans les entrailles des Enfers.
— Vous avez choisi ? nous demande le serveur, nous surprenant.
— Non, lui répond-on en chœur.
— Euh... je reviens dans cinq minutes.
Il repart, pris au dépourvu.
— Donc, si je comprends ton raisonnement, tu vas poursuivre ton horrible dessein et tuer des gens en étant payé pour ça ? Puis le soir, tu rentreras bien sagement t'ouvrir une bière devant le match de foot avant d'aller border nos gosses ?
— Tu n'as qu'à le crier sur tous les toits tant que tu y es, je crois que le vieux avec son sonotone là-bas ne t'a pas entendu... Euh... tu as dit « nos gosses » ?
Je serre les poings.
— James, on ne peut pas continuer comme ça. Tu ne peux pas jouer le rôle du parfait petit ami la journée et en parallèle faire ce que tu fais la nuit ou je ne sais quand d'ailleurs. Impossible. Je deviendrais ta complice, c'est impensable. Je suis une citoyenne lambda moi, je paye mes impôts, ma redevance télé, je trie mes déchets et je donne dix euros par mois à une asso qui vient en aide aux déficients visuels et aveugles.
Il prend un air pensif.
— J'en ai conscience, Prune. Mais c'est compliqué. Et puis, je n'avais pas prévu de re-débarquer dans ta vie. Si tu n'avais pas entrepris cette lap dance aguicheuse avec ce Simon, on n'en serait pas là.
— Lap dance ? Toujours plus. N'importe quoi.
— Je voulais juste te protéger en te surveillant de loin et en attendant de pouvoir coincer Jo. Il est malin, tu sais, et il me connaît. Autant que je le connais. Il se planque quelque part, je n'arrive pas à mettre la main dessus. Ce monde dans lequel j'ai grandi et évolué est un monde de prises de pouvoir et de règlements de comptes. Il ne me lâchera pas et moi non plus. L'un de nous deux devra perdre la partie tôt ou tard . Et dans ce milieu, perdre signifie...
— Mourir ? lâché-je, remplie d'effroi.
— Oui, c'est le jeu.
— Ce que tu me racontes me rend folle. Tu t'es cru dans Jumanji ou quoi ? Ta vie n'est pas un putain de jeu, James, elle est précieuse, unique.
— Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre comme connerie. On doit tous crever un jour ou l'autre de toute façon.
Je lui attrape les deux mains.
— Ta vie est inestimable pour moi. Je ne veux pas te perdre, tu m'entends ? Je t'a...
Je rougis et m'arrête net. Je vois à sa tête déconfite qu'il a eu la frousse que je finisse ma phrase. Il prend les devants pour éviter un blanc interminable et gênant.
Il fait mine de plaisanter :
— En somme, tu exiges que je prenne ma retraite, comme ton John Wick ?
— Oui, lui réponds-je, on ne peut plus sérieuse.
— Messieurs dames ont-ils enfin choisi ?, s'impatiente le serveur.
A suivre...
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