19 Routine
Chapitre 19 : Routine
— Hey, du con, t'es daltonien ou quoi ?
J'aboie sur le cycliste qui vient de prendre le feu rouge pour un « Go, go, go, accélère, écrase la meuf et continue ta course. ». Bien sûr, il est déjà loin, et moi je me suis fait ma petite frayeur matinale en traversant pourtant sur un passage piéton. Les gens ne respectent rien, ça me rend dingue.
Alors que je descends nonchalamment les marches du métro, je jette un coup d'œil à l'heure sur mon téléphone. Eh merde, je suis déjà en retard. Jérôme va encore me sermonner avec le même genre de tirade qu'il m'a sorti l'autre jour :
— Prune, j'essaye d'être compatissant, je t'assure... Ça fait six ans que tu bosses pour moi, je te connais bien, tu as su gérer beaucoup de gros dossiers, mais depuis ton retour, tu n'as jamais été autantssi à l'ouest. Tu n'es pas vraiment là. Au début, d'accord, mais bon, les semaines ont passé, Prune. Moi, ce que je vois, c'est que tu bâcles ton boulot. Des clients se sont plaints. Je comprendrais si tu avais encore besoin de refaire un break. Arrête-toi le temps qu'il faudra. Tu sais, notre boîte prend très au sérieux les risques psychosociaux de ses salariés.
Bla-bla-bla...
Ouf. J'arrive à me faufiler dans la rame du métro juste avant que les portes ne se ferment. Je trouve direct une place assise. Quel luxe. ! Je me dépêche avant que quelqu'un ne me la pique. Je sors mes écouteurs de mon sac, déverrouille mon téléphone, ouvre Spotify et sélectionne dans ma playlist Killing Strangers de Marilyn Manson. J'augmente le volume. L'agitation des gens autour de moi ne m'intéresse pas. Je ferme les yeux et repense à James. Cette musique était celle qu'il avait mise dans sa voiture juste après m'avoir enlevée. Cette chanson, je l'écoute à longueur de journée depuis que je suis rentrée chez moi. Ça fait trois mois. Trois mois sans nouvelle de lui, à l'imaginer dans les bras d'une pute à Amsterdam ou en Espagne.
Le métro s'immobilise à l'arrêt Place d'Italie. Je descends. Direction le taf pour une journée de plus d'accomplie ou une journée de moins à tirer avant la retraite, tout dépend le point de vue. Dans les deux cas, c'est assez déprimant.
Au moment où j'arrive devant chez Store Industrie, je reçois un SMS. C'est Clémentine.
«
« Coucou, oui, et toi ? »
« Yes. Écoute, je sais qu'on devait se faire une soirée bières/TV, mais Julien m'a invitée au ciné. J Ça te dérange si on décale à demain ? »
Je souffle, déçue et lui envoie :
« Non, t'inquiète, profite. ;-) À demain, Clem »
Hop, je range mon portable dans la poche de ma veste et file au pas de course jusqu'aux portes de l'ascenseur qui, alléluia, s'ouvrent direct. J'entre et appuie sur le bouton du quatrième étage. Et comme je m'y attendais, je pose à peine un pied dans les locaux que Jérôme me saute dessus. Je sens que ce vendredi ne va jamais se terminer...
***
Il est 18 heures trente quand je rentre enfin chez moi. J'ouvre le courrier qu'il y avait dans ma boîte aux lettres. Youpi !, une facture d'EDF. Je retire mes chaussures et enfile mes chaussons en forme de fraises . C'est bien ma veine, il n'y a plus rien dans le frigo. J'irai faire des courses demain. En attendant, je me contenterai d'un pot de glace trois chocolats. J'ai voulu essayer ce nouveau parfum. Je ne suis pas fan. Mais ça fera l'affaire devant Bridget Jones, l'âge de raison.
Minuit. Impossible de trouver le sommeil malgré les trois quarts d'une bouteille de Saint-Émilion 2015 que j'ai bus. Je tourne et vire dans mon lit. Tantôt j'ai trop chaud. Tantôt trop froid. Je repense à mes moments passés auprès de James. Je me rappelle de chaque détail. Les bons comme les mauvais. Je n'arrive pas à oublier. Et contrairement à ce que les policiers qui m'ont interrogée des heures durant pourraient penser, je voudrais n'être jamais repartie de cette maudite maison. James me manque. Ses menaces me manquent. Ses ordres me manquent. La vérité est que je suis perdue et que personne ne le sait. Personne, pas même Clémentine à qui je n'ai de toute façon rien dit, ne pourrait comprendre la situation absurde dans laquelle je m'enlise un peu plus chaque jour. J'ai l'impression de perdre pied. Je n'ai goût à rien. Les glaces sont fades. Le vin est fade. Mes discussions entre copines sont sans intérêt et les repas de famille le dimanche sans la moindre saveur. Je veux que James revienne me chercher, me drogue et me ramène de force dans un lieu caché de tous, notre bulle. Parfois, je veux tellement croire à son retour que j'ai des hallucinations et j'ai alors l'impression de le voir à l'angle d'une rue ou sur le quai du métro d'en face.
Mais ça n'arrivera jamais, et je vais devoir m'habituer tôt ou tard à cette nouvelle liberté.
Une liberté oppressante qui petit à petit est en train de m'étouffer.
Qui l'aurait cru ? J'ai été enfermée presque une semaine sans voir la lumière du jour, sans savoir ce qui allait m'arriver, et maintenant que je suis libre et que j'ai retrouvé ma petite vie d'avant, je la boude en repensant à James. Même les soirées TV avec Clémentine, que j'ai toujours adorées et attendues avec impatience, me saoulent au final. Je pense aussi que c'est parce que Clémentine me regarde différemment depuis mon retour. Ça se voit, elle analyse chacune de mes émotions, réactions, comme si elle s'attendait à ce que je pète un boulon à tout moment. Comme si j'étais une espèce de bombe à retardement.
Pour elle, j'ai vécu l'Enfer aux côtés du trouduc qui m'a enlevée juste après ma soirée Xinder auprès de James. Pour elle, je l'ai tué pour m'échapper. Et forcément, on ne sort pas de ce genre d'histoires indemne, sans encombre. Sauf que je n'ai tué personne moi. Ma conscience se porte à merveille, il n'y a aucun démon intérieur en train de me détruire à petit feu parce que j'ai ôté la vie d'un être humain. C'est pourtant simple, je veux juste que James revienne, c'est tout. Il me manque. J'ai l'impression d'avoir quinze ans. En fait, je suis une lycéenne qui a perdu son premier amour parce que ses parents ont déménagé à l'autre bout du pays en l'embarquant avec eux. Alors depuis, je fais la gueule dans mon coin en repensant à lui.
Mais ça, je ne peux pas l'expliquer à ma meilleure amie, et je pense que c'est pour cette raison que notre relation n'est plus la même depuis que je suis revenue. Parce que je dois lui mentir sur ce que j'ai réellement vécu afin de protéger James.
C'était mon plan.
De toute manière, moins Clémentine en saura, et mieux elle se portera. Surtout si les flics s'amusent encore à interroger mon entourage pour les besoins de l'interminable enquête qui suit toujours son cours.
Deux heures du matin passé, et je m'endors enfin. Mais depuis trois mois, mes nuits sont hélas de courte durée. Encore un cauchemar. Je me réveille une nouvelle fois en sursaut, paumée et en sueur.
C'était si réel.
James se faisait torturer par le frère jumeau de Jerem. Les coups pleuvaient, violents, sans fin, sans relâche, et moi, comme d'habitude, j'étais impuissante. Juste, je regardais.
Quatre heures du matin. J'ai les yeux qui piquent. Je donnerais n'importe quoi pour une bonne nuit de sommeil. Je me lève pour aller boire un verre d'eau dans la cuisine, accompagné d'un petit cachet de Xanax. Au point où j'en suis.... Puis, je repars me coucher.
Dans le lit, les yeux mi-clos, je me demande si James va bien et si lui aussi pense à moi.
A suivre... :-) Et bonne fête des pères à tous les papas. :-)
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