15 Changement de plan
Chapitre 15 : Changement de plan
Nous sommes allongés tous les deux sur le canapé. Ma tête posée contre son torse, mon pied caressant son tibia. J'entends son cœur. Il bat si fort, si vite.
Est-ce qu'il bat pour moi ?
— James, ce n'est pas très courant en France comme prénom, remarqué-je soudain.
— Ma mère était anglaise.
— Ah ? Tu n'as aucun accent, je trouve.
— Elle est morte avant de me le refiler.
Je regrette ma dernière réflexion d'une débilité sans nom. Bien sûr qu'il n'a pas d'accent, lui qui s'est retrouvé orphelin à trois ans à peine.
Je lui caresse le ventre.
— Tu me chatouilles, se plaint-il en se contorsionnant dans tous les sens.
Sa réaction me fait sourire. Il se conduit parfois comme un enfant. C'est un gamin meurtri qui a dû grandir trop vite et qui aujourd'hui a l'air fatigué, blasé, lassé. J'ai envie de l'aider, de lui redonner goût à la vie. Une vie qui a abîmé son cœur. Après tout, on n'en a qu'une. Je ne crois pas à une suite après la mort. Un second opus ou second tome. Je crois que tout s'efface pour toujours. James est encore jeune, mais le milieu dans lequel il baigne depuis si longtemps, pour ne pas dire toujours, va finir par le tuer. J'aimerais m'emparer de ses chagrins, de cette douleur palpable pour qu'enfin il se sente normal. Simplement normal dans ce monde de fous.
— Arrête-moi si je me trompe, mais la série de chiffres dont vous parliez tout à l'heure avec l'autre débile, il s'agit d'un numéro de compte en banque, n'est-ce pas ?
Son visage se ferme.
— Ne te mêle pas de mes affaires, je te l'ai déjà dit.
Il se relève et se rhabille. Je fais de même.
— Tu sais, je ne suis pas aussi conne que j'en ai l'air, j'ai deviné depuis le début qu'il s'agissait d'une histoire de pognon. Parce que déjà que je suis comptable. Et aussi parce qu'il s'agit presque toujours d'une histoire de pognon. Sauf dans John Wick, là, c'est une histoire de vengeance.
— Vengeance ? John Wick ? Mais qu'est-ce que tu racontes ?
Il ne connaît pas non plus ce film. Dommage. J'aurais voulu débattre sur ce sujet, savoir si le monde de James ressemblait à celui de John. Je présume que non, que c'est très différent, beaucoup moins classe.
— Rien, laisse tomber. Enfin, il faudra quand même qu'un jour, je te fasse découvrir tous ces films cultes parce que tu as de sacrées lacunes !
— J'aimerais beaucoup les regarder avec toi, approuve-t-il en m'enlaçant.
Sa réponse, quoique conjuguée au conditionnel pour un hypothétique voire impossible avenir ensemble, me fait quand même chaud au cœur.
Son téléphone, posé sur la table de la cuisine, se met alors à sonner. James se relève avec l'agilité d'une panthère pour aller répondre.
— Allô ?
Bien sûr, il me tourne aussitôt le dos. Comme si ça changeait quelque chose.
J'entends quand même, imbécile !
— Da, ya ponyal. Tri dnya...
Bon, certes, c'est audible, mais je ne comprends rien à ce qu'il baragouine. Je crois qu'il parle russe. J'hallucine. Si ce n'est pas un gros cliché, ça ? Vendredi soir, je matais pour la énième fois John Wick qui élimine toute la mafia de l'est en un peu plus d'une heure trente, et me voilà trois jours plus tard à écouter mon amant/kidnappeur parler la même langue que Poutine au téléphone. Tout ceci est absurde, et pourtant, je ne crois pas à une caméra cachée. C'est réel. Mais comment ai-je pu atterrir au beau milieu de tout ça, sans rire ?
Inutile de l'attendre allongée à poil sur son vieux canapé poussiéreux. Je me redresse, récupère par terre le tee-shirt et le boxer que j'ai piqués à James puis me rhabille. Je me relève ensuite pour aller finir mon bol de Chocapic pendant que mon geôlier continue ses longues tirades en russe.
J'ai le temps de m'en enfiler deux bols quand il raccroche enfin.
— Alors, quel est mon sort ? Bain de langoustes affamées dans une caisse que vous scellerez et jetterez à la mer, ou pâté pour cochons mangeurs d'hommes ?
Il rigole.
— Tu as une imagination débordante. Mais je te rassure tout de suite, je ne parlais pas de toi au téléphone.
— Ah, de Nina alors ?
— La curiosité est un vilain défaut, tu le sais ça ? me répond-il, avant de finir à son tour son bol de céréales.
— La luxure aussi... À croire que nous sommes tous les deux bourrés de défauts.
— C'est carrément un péché capital, celui-là, me reprend-il.
— Ce qui veut dire que tu iras en Enfer, blagué-je.
— J'y suis né, en Enfer. Je ne pense pas que ce qui m'attend après ma mort soit pire que ce qu'il se passe sur Terre.
Je baisse la tête, l'air contrit. Qu'est-ce que je peux être nulle quand je veux ! Et ce n'est hélas pas la première fois que je sors une maladresse de ce genre avec lui, ô mon beau et vulnérable orphelin devenu une ombre menaçante sévissant dans la nuit ; et qui est beaucoup trop mignon quand il est en train de manger ses céréales au chocolat, le regard songeur.
— À quoi tu penses ? l'interrogeaié-je, attendrie.
— À ton petit cul tout chaud et rond comme une brioche moelleuse et gourmande.
Je pouffe.
— Pervers glouton !
— Haha, c'est toi qui me rends aussi vorace.
Écarlate, je me lève pour débarrasser mon bol et le mettre dans l'évier.
— Et sinon, je rentre quand chez moi ? Tu ne devais pas partir faire un truc aujourd'hui ?
— C'est repoussé.
Je me retourne, paniquée.
— Repoussé ? Comment ça ? Tu ne comptes pas me garder ici indéfiniment, si ?
Je blêmis.
— Ne t'inquiète pas, Raiponce, encore quatre jours à tenir dans ma tour avec moi, et tu seras de retour chez toi, saine et sauve, c'est promis.
— D'où tu connais la princesse Raiponce ? Tu es un fan de Disney ou quoi ?
— Non, j'adorais les frères Grimm quand j'étais gosse. C'étaient les seuls bouquins que je pouvais lire ici.
— Personnellement, je préfère la version édulcorée et joyeuse des dessins animés.
— Jamais vus.
— Pourquoi ne suis-je pas étonnée ?
— Peut-être parce que tu commences à me connaître, me dit-il avec un sourire.
Sourire que je lui rends, touchée.
— Et du coup, tu as des jeux de société ? Un Monopoly ou un jeu de cartes ? Parce qu'il va falloir trouver des occupations, enfermés ici pendant ces quatre jours de plus, sans TV..., essayé-je de relativiser.
Après tout, il a promis qu'ensuite, il me libérerait. Alors, maintenant, il faut attendre et le croire sur parole. Je n'ai plus que cette option en stock.
Il se lève soudain et fait le tour de la table pour venir me rejoindre.
— Oh, t'inquiète, je doute qu'on s'ennuie tous les deux ici, je vais nous entrouver moi, des occupations..., m'assure-t-ilavant de m'embrasser fougueusement.
A suivre...
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