• Chapitre 5 •
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Timothy Shortell ~ When We Will Meet Again
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• 8 mars 2015 – Paris •
Le café qui a fermé pas moins de cinq heures plus tôt a obligé Loona à se rendre ailleurs. Traînant ses deux valises derrière dans les rues avoisinant celui-ci, elle sert les dents face au froid qui commence à ronger sa peau. Après un long moment de travail acharné, la fermeture l'a calmé et elle s'est décidé à faire une pause en allant manger un morceau, sans oublier de prévenir son amie qui tarde à venir à cause de son travail. Cependant, le petit restaurant a, lui aussi, fermé ses portes et là voilà qui déambule sous les lampadaires depuis vingt-deux heures trente dans l'espoir que Mynie ne l'ait pas oublié et la retrouve en un morceau, même si c'est sous forme de glaçon. De temps à autre, elle paresse devant des devantures chics ou devant les vitres de bâtiments sur son chemin. Mais le plus souvent, elle évite les coins sombres, les gars bourrés jusqu'à l'os et le papy qui la suit depuis un bon moment, tout en manquant de perdre ses bras auxquels pendent ses deux énormes bagages. Alors qu'elle fuit encore et toujours en surveillant ses arrières, elle fonce dans un torse.
— Regardez-moi ça les gars ! Une bourge qui se promène par ici ! T'es perdue mademoiselle ? Tu veux qu'on te tienne compagnie avec les mecs ? Je te promets qu'on est des anges ! souffle une grande perche pliée en deux pour se retrouver à la hauteur de la brune.
— Non, merci ! s'entend-elle dire avant de réaliser un écart pour s'enfuir de nouveau et surtout, échapper à l'haleine alcoolique du blond musclé à la peau bronzé qui semble se croire parfait.
— Et si, moi, j'ai envie que tu restes pour nous tenir compagnie... Eh bien, tu resteras ! déclare-t-il avant de partir en fou rire, suivi de près par un troupeau de hyènes, si ce n'est des adolescents en rut.
— J'ai dit : non ! s'exclame la brune avant de grimacer, se rendant compte que toute l'attention est dirigée vers le groupe de garçons et elle, principalement.
— T'as entendu le chef, non ? S'il veut que tu restes, alors tu restes ! l'agresse un homme brun aux yeux bleus un chouïa plus petit, dont le visage est parsemé de piercings.
— T'as beau être mon type de gars, tu peux te courir sur le haricot pour que j'écoute ! siffle la brune avant de bouger la main devant son visage comme pour repousser le fantôme d'une mouche.
— La bourge kiffe les rebelles ! Ramenez-vous, elle est pour nous ! annonce un autre de leur acolyte en se décalant de derrière son chef.
— Je crois que la demoiselle, ou la bourge selon vos dires, a dit non ! les interrompt une voix féminine que reconnaît entre mille Loona.
— Mynie ? Qu'est-ce que tu fais là ? commence-t-elle en se retournant tout en évitant le brun qui tente de lui mettre une main sur les fesses, avant de croiser le regard de sa meilleure amie perchée sur des talons noirs ainsi que sa main entrelacée avec celle d'un homme blond aux yeux gris. C'est qui lui ? grommelle Loona les yeux écarquillés.
— Elle est avec nous, cocotte ! Reste avec ton gars et va voir ailleurs si on y est ! réplique le rebelle au goût de la brune en posant une main sur l'épaule de celle-ci.
— Ça n'empêche pas le fait que la jeune femme ait dit non ! Ça s'appelle du harcèlement de rue et si je ne me trompe pas, ça peut être condamnable ! Vous ne voudriez pas finir avec des amendes ou en prison, ça serait bien difficile pour boire ou tirer une taffe, me tromperai-je ? intervient l'accompagnateur de Mynie en s'avançant pour se glisser entre eux et la brune.
— Tu veux pas faire comme les autres bourges et te mêler de ton cul ? grogne un autre gars en s'approchant furieusement afin de donner un coup de poing dans l'épaule du blond.
— Appelez les flics, Mlle Var ! ordonne l'homme bien taillé, sauveur de ses dames.
Comme coupée du monde extérieur, Loona se retourne pour observer la réaction de son amie. Mynie semble bien plus affecter par cela qu'elle ne veut le montrer et ses yeux qui pétillent ne peuvent tromper personne, et encore moins sa sœur de cœur qui s'approche pour l'enlacer la gorge nouée, tout en fuyant la main perverse du séduisant brun qui s'était discrètement faufilée sans que le blond aux iris argentées ne s'en soit rendu compte. Pour l'instant, la voyageuse préférait ne rien faire concernant le sujet, sans savoir si tôt ou tard, elle réussirait à être honnête envers la fonctionnaire. Celle-ci semble d'ailleurs bien démunie et résignée à obéir au vu de la vitesse à laquelle elle a repoussé la brune pour que son téléphone se retrouve entre ses faux-ongles noirs et que ceux-ci frappent avec acharnement son clavier numérique. Une paire d'yeux bleu sombre observe ce brin d'hésitation qui foudroie la demoiselle dont le pouce est suspendu au-dessus de la touche pour appeler. Deux iris verts se plantent dans le regard et un échange visuel opère sans que quiconque ne puisse comprendre, à part elles.
— Alors ! Ça vient, oui ou non, Mlle Var ? s'égosille le blond en évitant un coup de poing volant.
— Oui, j'ai... Je suis en train d'appeler ! ment Mynie, toujours le pouce tremblant au-dessus de la touche qui pourrait les tirer de cette mauvaise situation.
— C'est bon ! T'as gagné ! On s'tire ! Allez, viens chef ! Et toi la brune, on se retrouvera, poupée ! déclare le genre idéal sur patte de Loona.
— C'est ça ! Cours toujours ! marmonne la concernée entre ses dents.
En moins de deux, le trottoir est vidé de toute mauvaise présence. Les quelques spectateurs qui se sont jusqu'alors agglutinés finissent par se disperser également en direction d'autres rues ou juste pour aller dans le bar dont l'entrée est enfin libre d'accès. Seuls Mynie, son amie et son « gars » sont encore présents, comme si le temps les avait figés. C'est une sonnerie qui les réveille. La blonde sursaute laissant tomber son portable dernière génération face contre terre. La brune s'effondre sur ses genoux libérant des larmes de stress. Le dernier, lui, tire juste un téléphone à clapet d'une de ses poches et répond comme si de rien n'était. Mynie finit par réagir et s'approche de Loona pour la réconforter à l'aide d'un long câlin, ignorant royalement l'homme et ses regards persistants avec qui elle a passé la soirée. Quand la dunkerquoise se rend compte que son maquillage prend l'eau, soit pas moins de deux minutes après avoir commencé à pleurer, elle renifle bruyamment et lance un regard désespéré à la blonde. Par chance, celle-ci sort de son sac à main noir un paquet de lingettes démaquillantes – sans trop avoir besoin de chercher – et l'aide à se débarrasser des dégoulinures noires qui prennent vie sous ses yeux.
— Allez, debout, belle gosse ! On rentre ! Je vais te faire un plat maison dont tu me diras des nouvelles ! lui sourit sincèrement la parisienne en aidant la brune à se relever et en la tirant à sa suite dans le sens inverse par lequel elle est arrivée tantôt jusqu'ici.
— Oublie pas ton téléphone ! s'exclame Loona avant de lui lancer un sourire espiègle tout en attrapant ses deux valises qui ont regardé le spectacle sans pop-corn malheureusement. Il y a sûrement bien des choses dedans qui pourraient expliquer le pourquoi du comment j'ai dû rester dehors depuis mon arrivée. Surtout que depuis que tu travailles pour cette entreprise, tu n'as jamais quitté plus tard que dix huit heures tapantes !
— Touchée ! Coulée ! répond simplement la concernée en se baissant pour attraper le fameux objet.
— On y va ? demande la brune lorsque son amie réussit enfin à se remettre debout perchée sur ses talons noirs.
— Je suis ready. Bonne soirée monsieur le directeur ! lance la blonde avant de regarder l'homme en question, qui vient de ranger son téléphone dans une de ses poches de costume, et de s'accrocher à un des bras encombrés de Loona.
— Tu plaisantes j'espère ? s'exclame le concerné alors qu'elles s'apprêtent à tourner à une intersection non loin.
— Pas vraiment ! On se voit au bureau demain ou un de ces jours ! lui sourit la fonctionnaire en disparaissant un faux-sourire plaqué aux lèvres.
— Putain, Mynie ! Reviens ici tout de suite ! hurle une voix déjà trop loin pour elle.
— T'as entendu ça ! C'est qu'il a deux de tension le coco... souffle-t-elle en chassant une larme qui s'échappe de son œil gauche, faisant couler son mascara au passage.
Loona la regarde tristement avant de se reconcentrer sur le trottoir couvert de détritus et de crottes de chien, espérant ne pas se salir par mégarde. Au fond, c'est juste un moyen de détourner son intention. Elle aimerait aider son amie, la réconforter, lui dire que tout irait bien, qu'il finira par se rendre compte de son importance ou autre, mais à quoi bon ? Elle ne sait rien de ce qu'il s'est passé. Peut-être que ce n'est juste qu'une histoire à sens unique, qui courra à sa perte, ou bien le début d'une puissante romance, qui gravira monts et merveilles. Elle ne peut le dire. En revanche, ce qu'elle sait, c'est qu'à l'heure actuelle, ce directeur est probablement le gars le plus con et le plus retardé qu'elle ait croisé. Et c'est sans doute ce qui l'a partagé quant au sujet de cette « relation ». Mais à part le destin ou l'avenir, personne ne peut dire ce qu'il adviendra de ces deux-là. La brune se promet juste de profiter de l'instant présent et des quelques heures qu'elle pourra passer avec sa blonde préférée devant une bonne pizza et les potins qu'elle a raté ses derniers mois pour lui faire tout oublier, un moment. Et cela prendra effet lorsque Mynie aura réussi à retrouver ses clés pour ouvrir la porte qui les mènera à son appartement.
— Tu vas pas me croire... Mais, si j'en crois mes souvenirs, j'ai oublié mes clés... Hum... Euh... Là où toutes mes affaires se sont retrouvées à terre il y a pas moins de vingt-quatre heures... marmonne la parisienne en ramassant tout le contenu du sac qu'elle venait de vider sur le sol pour espérer les trouver.
— Quoi ?! s'écrie Loona, récoltant uniquement le regard noir d'un jeune couple qui s'embrasse à pleine bouche sous un lampadaire non loin, comme si le monde n'était rien pour lui.
— T'as bien entendue belle gosse... Je suis désolée... Je me dépêche... Promis ! lui annonce la blonde avant de détaler comme un lapin, espérant qu'il ne soit pas allé trop loin.
— Mais... Enfin, tu peux juste l'appeler ! conseille un peu trop tard la brune, les bras ballants.
— On ne peut même plus être tranquilles ! s'indigne une voix féminine à sa droite, ce qui fait tiquer la dunkerquoise.
— Mais vous savez quoi ? J'en n'ai rien à faire qu'on vous ait dérangé, d'accord ? Vous n'aviez qu'à aller ailleurs, au lieu de choisir une entrée d'immeuble ! Et puis, jusqu'à preuve du contraire, les hôtels ça existe si vous êtes pas fichus de faire ça chez vous ! Vous croyez qu'à l'heure qu'il est, j'avais vraiment envie de voir deux personnes se galocher à ne plus pouvoir en respirer tout en se tripotant comme s'ils étaient seuls au milieu de nulle part ? Non ! Alors, oui, je vous insupporte peut-être, et sûrement tout autant que vous vous me dérangez, mais moi, je me suis permise de me taire sur le sujet. Mais très bien, je m'exprime et si ça vous ennuie, vous n'avez qu'à aller voir ailleurs si j'y suis ! s'emporte Loona, rouge comme une tomate à cause de la colère.
— Foutue vieille ! Même pas fichue de respecter la jeunesse ! Viens, on s'tire d'ici ! siffle le jeunot – dont les muscles saillants auraient fait baver la trentenaire à une autre époque – en embarquant par la main sa copine qui peine à marcher avec ses talons aiguilles.
La jeune femme se retrouve bien vite seule, ou presque. Essoufflée comme un bœuf et aveuglée par ses quelques larmes de rage, elle ne remarque pas à quelques mètres de là, un homme brun, frêle, dans un trois-pièces gris usagé. Il se tient bouche-bée devant ce qu'il vient de se passer. Lui qui à l'origine se trouvait là pour entretenir un échange concernant la relation entre Mynie Val et son patron, Chial Hameth, le secrétaire se retrouve à devoir à assister à une scène qui en boucherait un coin à n'importe qui. Si on lui avait raconté cela, Keith n'en aurait jamais cru un traître mot et il le sait très bien, mais là, il ne peut nier l'évidence, cette femme à l'allure princière semble en tout point différente de ce qu'elle veut laisser transparaître par les vêtements et objets de marque qu'elle trimballe. En soit, il aurait pu le comprendre en cherchant à savoir pourquoi elle avait choisi un café loin d'être luxueux plus tôt dans la journée. D'habitude, les riches ne s'intéressent qu'à eux, elle fait exception. Il se surprend à apprécier cette différence et est près à vouloir en savoir davantage.
— Qu'est-ce que tu regardes toi là-bas ? entend-il souffler jusqu'à ses oreilles.
— Pas de doute, elle n'est pas ordinaire ! pense le brun en croisant un regard marin intense.
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