Tu sais, là, assise seule sur mon banc en face de la statue qui représente le soldat fièrement dressé sur son cheval à trois pattes, j'pense à toi. Normal, je suis là pour toi. Tu me manques, tu sais. L'endroit parait vide sans toi.

Les souvenirs me reviennent par centaines,  ils m'assaillent, j'ai envie d'en vomir. Les images m'étouffent, les sons m'assomment. Et ma poitrine me griffe, me brûle, j'ai envie d'en arracher la peau pour voir enfin les émotions qui la détruisent glisser le long de mon ventre, goutter sur la terre humide et disparaître.

J'te revois assis avec moi sur ce banc vermoulu, la tête posé sur l'accoudoir en métal et tes Vans précautionneusement essuyées dans l'herbe posées sur mon jean troué. J'revois les p'tits éclats qui témoignaient de la présence subtile de tes deux iris plongés dans l'obscurité de ta capuche. J'revois ta façon nonchalante, avec tes doigts tellement crispés sur ta clope que tes jointures en blanchissaient, à cracher ta fumée pour faire comme Gandalf et ses anneaux voluptueux.

J'aimerais tellement que tu sois là. Sans toi, il me manque quelque chose. Tu sais, comme si tu remplissais un vide qui était imperceptible avant. Il était là pourtant, juste dans le creux de mon ventre, à l'endroit où mes côtes se quittent pour partir chacune de leur côté. Maintenant il pulse, il me fait mal, c'est comme un monstre constamment affamé.

Une nébuleuse infinie qui dévore chacun de nos souvenirs pour m'assaillir de nostalgie. Mes souvenirs. Pardon, j'oublie souvent que t'es mort.

Alors ouais, j'suis là parce que tu me l'avais demandé. Y'a dix ans, tes semelles nettoyées de toute trace de boue potentielle posées sur mes cuisses, les genoux pliés et la nuque tordue par le bout d'acier, tu m'as demandé de me promettre qu'on se reverrait ici, aujourd'hui, même si nos vies s'étaient séparées, même si on s'était engueulés, même si on avait décidé d'être assez cons pour se détester.

Et là, j'ai l'impression que t'es à nouveau là. En plus c'est la pleine lune. On a pas fait exprès hein, mais c'est un beau symbole. T'as juste à choisir si tu veux la voir comme la preuve de quelque chose d'accompli ou comme celle que le cycle va se terminer et qu'on va enfin pouvoir dormir, doucement avalés par les ténèbres.

J'ai l'impression que si je tourne la tête, j'vais voir ton sweat noir et ta fumée, les étoiles dans tes yeux et ton sourire de soleil. Que si je ferme les yeux j'vais sentir la masse de tes baskets sur mon jean. Que si j'y crois vraiment très fort, tu vas revenir pour te lover dans le creux de mon estomac et qu'il sera rempli pour toujours.

Parce qu'ensemble on a toujours été plus forts. Tu te rappelles ? Quand je te racontais un truc qui m'angoissais en commençant ma phrase par "je", tu secouais la tête. 

- Nan Ce', tu disais, pas "je". On. On est ensemble tu te souviens ?

Parfois, je faisais exprès, juste parce que j'avais besoin de te savoir avec moi. Et maintenant alors, t'es où ? Je me sens seule. C'est quand qu'on se retrouve ?