- Eh bien, on ne s'incline pas aujourd'hui ? me questionne la doyenne en me voyant m'asseoir directement.

- Pourquoi je ferais cela ? répondai-je innocemment. Je ne le fais que lorsque je vois une personne âgée, pas devant quelqu'un de mon âge, me moquai-je gentiment en me rappelant de ce que venait de me révéler le corbeau. 

Elle rit gaiement et frappe la table de la mains.

- Ça alors, on ne me l'avait jamais faite celle là ! s'amuse-t-elle en secouant la tête.

Un coup d'œil sur Eelen me permet de constater qu'elle aussi réprime un sourire.

- Nous n'avons pas toute la journée, dit-elle néanmoins.

- Qu'est-ce que tu peux être rabat-joie parfois, râle Tatiana. Cependant, elle n'a pas tort, alors commençons.

Elle tend la main vers sa jeune acolyte qui lui passe aussitôt un livre, comme si elle avait déjà tout prévu. Tatiana le pose devant moi et l'ouvre.

- Tu connais la légende de la création de ce monde je suppose ?

Je hoche la tête. Effectivement, je m'en souviens encore parfaitement.

-Très bien, ton mentor sert à quelque chose alors, hoche-t-elle de la tête. Qui est-ce au fait ?

- Leindel, répond Eelen, plus rapide que moi.

Mais là où elle met du dégoût dans sa voix, j'y aurais mis de l'affection. Et ce, malgré notre récente altercation.

- Leindel ? répète-t-elle en faisant le gros yeux. Le jeune lion ?

J'acquiesce.

- Quelle veinarde ! s'exclame-t-elle en me faisant un clin d'œil complice.

Je rigole devant son enthousiasme communicatif. Cette femme est un vrai numéro ! Elle parvient même à me faire oublier l'odieux comportement du félin. 

- Oh, fais pas cette tête, dit-elle en tapant Eelen du coude, même si tu ne l'aimes pas, tu ne peux nier que c'est un sacré morceau !

- On n'est pas là pour ça, marmonne-t-elle en lui jetant un regard noir.

Tatiana lève les yeux au ciel.

- Très bien alors, revenons à nos moutons. Si tu connais les mythes tant mieux, mais ce n'est que la base. Moi, je vais t'en apprendre beaucoup plus. Je vais te transmettre un savoir que mes semblables et moi concevons depuis des générations et des générations.

- Vos semblables ?

- Oui, dit-elle en souriant, les autres métamorphes tortues.

- Parce qu'il y en a eu d'autres ? m'exclamai-je, surprise.

- Très peu, mais oui, confirma-t-elle.

- En fait, intervient Eelen, ce que tu ne sais sûrement pas, c'est que globalement nos formes animales, même si elles correspondent intimement à ce que nous sommes, sont assez récurrentes au fil des générations.

Ma lignée par exemple comporte beaucoup de corbeaux, de loutres et de furets.

- Mais aussi des tortues, comme moi, ajoute Tatiana.

-Oui, malheureusement, le temps avançant, notre sang est de plus en plus dilué avec celui des autres. Ce n'est pas quelque chose de mauvais en soi, mais cela rend le phénomène d'apparition de tortue encore plus rare que ce ne l'était déjà.

- Effectivement, reprit la doyenne, même si nous sommes capables de vivre 300 ans s'il n'y en a qu'une par millénaire, ce n'est pas suffisant. Nous sommes obligés de transmettre tout ce que nous savons à des métamorphes qui ne vivent pas aussi longtemps ce qui augmente le risque de perte d'information, en autres. Mais il y a beaucoup d'autres problèmes.

- Tu aurais dû être une des ces personnes ? Demandai-je à Eelen.

- Oui, mais désormais, cela n'a plus d'importance, tu es là maintenant.

- Mais lorsque je vieillirai, je le transmettrai à qui ?

- La question ne se pose pas Ingrid, tu es une nymphe, répond Eelen comme si c'était évident.

- Ne me dites pas que vous croyez à l'immortalité des nymphes ? m'exclamai-je.

Elles me fixent sans rien dire. Très bien, je vois que je suis la seule à qui l'idée dérange.

- Mais l'immortalité enfin, ce n'est pas rien, c'est irréaliste ! Personne ne vit pour toujours !

- Cela te paraît plus improbable que contrôler la nature ?

J'ouvre la bouche pour protester, mais ne trouve finalement rien à dire.

Merde, j'ai l'impression de ressembler à Leindel là. Je soupire, à vrai dire, l'idée de vivre indéfiniment me terrifie.
Cela peut en tenter certain, mais voir ce que j'aime s'éteindre sous mes yeux sans rien pouvoir y faire n'est personnellement pas à mon goût.

- Bon très bien, passons à autre chose, s'exclame Tatiana pour briser la lourde ambiance qui vient de s'installer. Parlons plutôt plante ! D'après ce qu'ont transmis mes ancêtres, les nymphes sont capables de faire pousser n'importe quels végétaux, existant ou non.

J'acquiesce en pensant à la fleur que j'avais crée de moi même pour faire peur à Leindel, au début de notre rencontre.

- Une nymphe confirmée est capable d'utiliser sa magie sans même y penser. C'est comme lever le bras, c'est naturel, on y pense pas. Et les plantes qu'elles font pousser ont leurs propriétés naturelles décuplées. C'est pour cela qu'on dit que les nymphes sont des guérisseuses. Parce qu'un pavot lambda apaisera la douleur, tandis que celui d'une nymphe fera disparaître la douleur et la blessure.

Je hoche la tête, là aussi je suis totalement d'accord. Je déjà vécu tout ce qu'elle m'a dit. Mes multiples tisanes en sont la preuve.

- Faut-il ajouter une goûte de sang pour que les tisanes fonctionnent ?

- Tu as fait ça ? Demande la doyenne.

Je n'hésite pas un instant avant de lui dire la vérité. Non seulement elle m'a l'air fiable, mais en plus c'est la seule qui semble avoir des informations sur les nymphes.

- Au tout début de ma transformation, j'ai réussi à faire pousser des plantes en parlant latin. Mais après, j'avais beau essayer, je n'y parvenais plus. Alors j'ai pris des plantes du jardin et, sans y faire attention, j'ai mis une goûte de sang dedans. L'effet a été fulgurant.

- Mmm, je vois, dit-elle en hochant la tête. Tu as réussi à exprimer tes pouvoirs parce que c'était juste après ta transformation et ensuite ils ont dû être bloqués parce que tu n'étais pas encore connectée à ton arbre. Mais ton sang a agit comme catalyseur et a permis à ta tisane de finalement fonctionner.

- Oui, c'est plus ou moins ce que Leindel et moi pensions.

- Pendant les premiers temps, tu devras t'entraîner près de ton arbre, il est la source de ton pouvoir, ton corps est seulement un réceptacle.

- Où est-t-il ? Demande Eelen.

Je plisse des yeux, me demandant si je devrais lui dire. Puisque cette histoire d'immortalité semble vraie, cette arbre c'est la seule chose capable de me tuer. Et honnêtement je n'ai pas envie de mourir maintenant. Un jour, mais pas maintenant.

- Tu as tout à fait raison de te méfier de cette question, me rassure Tatiana, et en temps normal, je te conseillerai de ne pas y répondre. Mais sache que nous sommes celles qui protègent le secret  des nymphes depuis des siècles et que nous y consacrons notre vie. Plutôt mourir que de te trahir, termine-t-elle pour conclure.

- En plus de ça, ajoute Eelen, on ne peut pas t'entraîner si on ne sait pas où il est.

Son ancêtre lui jette un regard noir, maudissant certainement son manque de tact. Je soupire, mais ni l'une ni l'autre n'a tort. Comme l'a si bien dit Eelen, c'est ça ou c'est nada.

- Très bien, mon arbre est... commençai-je en hésitant encore un petit instant. C'est l'arbre de la source, terminais-je dans un souffle.

Elles me regardent en clignant des yeux pour accuser le choc. Leur visage se sont tous les deux figés dans une expression de surprise absolue.

- Et bien, commence Tatiana, voilà qui est surprenant...

Je les regarde sans trop savoir quoi faire.

- C'est tactiquement un bon point, explique néanmoins Eelen en reprenant vite la face, personne n'osera l'attaquer avec ça. Sinon ce serait prendre le risque de nous détruire tous.

- C'est vrai, surtout avec les deux autres sources en déclin, confirme la doyenne. Bon reprenons là ou nous étions, continue-t-elle.

Je hoche la tête.

- Tu as dit avoir utilisé le latin pour utiliser tes pouvoirs. Et c'est normal. Les nymphes, dans leur début, contrôlent leur magie grâce à la langue lunaire. Puis petit à petit ça devient naturel, comme je te l'ai expliqué plus tôt, et la langue n'est plus nécessaire. Or la langue lunaire est proche du vieux latin.

- La langue lunaire ? J'ai lu un livre dessus il y a peu. J'y ai d'ailleurs lu que les Furies le parlaient.

- C'est vrai, mais les Furanis aussi.

- Les Furanis ? répétai-je, connectant enfin les quelques neurones de mon cerveau. Voilà pourquoi lorsqu'il m'a parlé, j'ai eu une impression étrange ! Comme hier ! Quand vous avait dit le mot "plante". 

- Effectivement, acquiesce-t-elle, je l'ai dit en langue lunaire pour te tester. 

- Alors je le comprends ?  

- Je pense même que tu peux le parler si tu te concentre un peu, c'est lié à ton essence magique après tout ! Mais plus tu la maîtriseras, plus parler sera instinctif, tu verras. Se presser ne mène à rien.

- On commence d'ailleurs  l'entraînement ce matin, enfin aujourd'hui, ajoute le corbeau en regardant sa montre.

Effectivement, il doit bien-être 2 heures du matin maintenant. Je hoche la tête avec un air déterminé.

- Et donc après ton entraînement, reprend Tatianna, tu seras une nymphe à part entière et nous n'aurons plus grand chose à apprendre malheureusement. Mais l'essentiel tu le sais maintenant, la suite se fera naturellement.

La doyenne me sourit tendrement, me regardant avec une sorte de satisfaction légitime. Après tout elle vient d'accomplir la mission que des générations entières se sont transmises, dans l'espoir infime de pouvoir un jour revoir se savoir renaître de ses cendres.

Enfin, il reste encore le plus dur ! Justement, Eelen reprend la parole pour m'expliquer l'entraînement.

- Va dormir un peu, finit-elle par dire, on se retrouve dans 5 heures !

Elles me raccompagnent dehors et me souhaitent bonne nuit. Mais alors que j'allais sauter, une question surgit de mon esprit.

- Une dernière chose, vous ne m'avez pas dit pourquoi les Furies et les Furanis pouvait parler ma langue ?

- C'est vrai, répondit la plus vieille d'une voix douce mais maligne, d'après les textes ce serait parce que tous deux servaient les nymphes. Les Furanis, par besoin primitif, les nymphes créent la vie et eux ont besoin de cette énergie pour vivre. Quant aux Furies, je ne sais pas. Je ne sais même pas si ça s'est su un jour. Ce qui est sûr en tout cas, c'est que le départ des furies de la Source Souterraine n'est certainement pas anodin à ton arrivée.

Je la remercie automatiquement, sa réponse trottant dans ma tête. Sur tout le trajet du retour, je ne pense aussi qu'à ça.

Les Furanis et les Furies seraient des sortes de serviteurs ?

Voilà pourquoi le Furanis du conseil m'a offert une jacinthe bleu ! Comme ai-je pu ne pas y penser ! La jacinthe est  synonyme de fidélité absolue. Et le bleu, pour bien insister, représente la loyauté.
Arrgh, j'aurais du réfléchir un peu moi ! Ça me paraît évident maintenant.

Les Furies par contre, n'ont rien fait de la sorte. Et je n'ai vu que Vic et Lya, aucun autres jumeaux. Il faudra que je leur demande la prochaine fois. Si cela est vrai, j'ai une part de responsabilité dans l'attaque de la source. Si les furies ont été attirées par moi, et ont ainsi compromis la sécurité en délaissant leurs postes, je suis même très impliquée.

Je souffle profondément, tout ce complique. Tout en me massant le crâne, j'enjambe le cadran de ma fenêtre. Mais alors que je m'apprêtais à m'étaler sur le lit, je sursaute d'un coup, et me stoppe sur le champ. Mais qu'est-ce que... ? 

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Qu'est-ce que, effectivement ? Qui lance les paris ? L'Ombre ? Brenda ? Quelqu'un d'autre ? Je vous le demande ;)

En tout cas, j'espère que vous allez bien mes chers lecteurs, et que vos vacances se passent bien !! ❤❤

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