3• Si c'était le cas ?
Une fois arrivée à la maison, je pose discrètement la jacinthe sur la plan de travail. J'enlève mécaniquement ma veste et mon écharpe. À vrai dire je suis encore un peu sonnée par la petite prestation du Furanis. Et j'ai beau avoir retourné sa phrase en long, en large et en travers je suis toujours aussi peu avancée.
Je m'affale dans mon canapé en soufflant. Quelle journée désastreuse ! Ce genre de jour où le monde entier semble vouloir me faire regretter de m'être levée le matin, je n'ai qu'une envie : me rouler en boule dans mon lit et ignorer ce foutu monde. Ça ou hurler de rage. Non pas que ça me dérangerait en l'absolu, mais finalement ça serait beaucoup d'épuisement pour rien, parce que ça tomberait dans l'oreille de sourds.
Je presse mes yeux et essaye de trier mes pensées. Au début de la journée j'ai bien cru que j'allais embrasser Leindel. Et le pire c'est que je crois que ça ne m'aurait pas déplu plus que ça. En fait pour tout m'avouer j'ai plus été déçue qu'autre chose quand ce stupide corbeau soit apparu de nul part. Il faudra que je mette les choses au clair avec elle.
Parce qu'après le petit discours de ma mère, j'ai longuement réfléchis. J'ai tenté de faire le pour et le contre, et contre tout attente je n'ai pas réussi à trouver un point négatif digne de ce nom. Toutes mes inquiétudes semblent avoir été balayées par ma mère. J'ai toujours trouvé ça incroyable la manière qu'elle avait de résoudre mes problèmes comme si il s'agissait de simples problèmes de maths. Non pas qu'elle soit experte en maths, mais justement ; moi qui voit chaque choix importants comme une équation à plusieurs inconnues et qui réussit toujours à la réduire en un ridicule 2+2. Mes angoisses qui étaient alors insurmontables, paraissaient incroyablement simples après.
Et le beau casse-tête que m'offre le lion n'a pas fait exception à la règle. Ce qu'elle a essayé de me faire comprendre c'est que c'est normal d'avoir peur. Mais la peur et la bêtise sont deux choses différentes. Et je serais complètement stupide de passer à côté de lui. Qui ne tente rien n'a rien après tout. Sans parler du fait que je crois que nous sommes assez adultes pour garder une bonne entente s'il s'avérerait que ça ne se passe pas bien.
Mais de toute façon je crois que ce n'était ni plus ni moins une excuse de ma part. J'ai toujours tenu les gens à l'écart de moi de peur qu'ils me blessent. Encore plus quand cela concerne les relations amoureuses. Mes quelques liaisons n'ont jamais été sérieuses. Je n'étais pas impliquée le moins du monde, et qu'il parte ou non, je n'en avait rien à faire. Voilà pourquoi ma famille ne m'a jamais vu ramener quelqu'un, je n'ai jamais envisagé plus qu'une relation charnelle.
Mais avec Leindel c'était différent. Jour après jour, mon attachement pour lui n'a cessé de grandir et quand je m'en suis rendue compte, j'ai préféré me voiler la face. Parce que je savais que mon petit quotidien allait être dérangé. J'avais une routine avant, et finalement je l'aimais énormément. Camille, Brenda, ma famille, mes études. Voilà à quoi se résumait ma vie. Je croyais que c'est tout ce qui me fallait. Mais aujourd'hui je me rends bien compte que j'avais tort. Ouvrir son cœur à plus de monde, c'est plus souhaitable qu'évitable.
Enfin il y a des limites à tout bien sûr. Je ne risque pas d'ouvrir mon cœur à ce stupide Fleur. Rien de repenser à son nom, j'ai des envies de meurtre. Moi qui ait toujours aimé les fleurs justement, je suis tombée de haut. Comment peut-il penser ce qu'il dit ?! Exterminer tous les humains et les parias ?! Il s'entend ou quoi ?! Je ne sais pas comment ils appellent ça ici, mais pour les humains justement , ce n'est plus ni moins qu'un putain de génocide.
Moi vivante ça ne risque pas d'arriver. Et à ce qui parait je suis immortelle mon gars ! Alors tu peux toujours courir pour voir ce jour arriver.
Non plus sérieusement, il va falloir régler ce problème d'espion autrement. C'est un autre des milles sujets que je dois aborder avec Leindel. Je soupire en imaginant sa réaction quand je lui parlerai de l'ombre. Le connaissant il va se renfermer comme une huitre et me faire tout un tas de reproches. C'est à se demander ce qui m'attire chez lui. Mis à part son corps à damner une sainte, parce que ça, c'est évident et ça saute aux yeux si vous voyez ce que je veux dire.
Mais plus sérieusement, je me suis déjà demandée pourquoi lui et pas un autre. Quand je réfléchis bien, il a été odieux dès notre premier rencontre et ne m'a pas épargnée durant nos entraînements.
Je lève le bras en l'air tout en regardant ma main sous toutes les coutures. Je me rappelle très bien de la fois où je me suis coupée avec une lame pendant notre lancé de couteaux. Il m'avait troublée et j'ai tiré n'importe comment. Et au lieu de faire genre de ne rien n'y paraître, il a profité de ma faiblesse.
Pourtant j'ai beau dire ce que je veux, c'est également lui aussi qui est allé jusqu'à chercher une cible pour satisfaire mon bon plaisir. Alors malgré la fois où il m'a lancé un cheval dessus -oui, je l'ai encore au travers de la gorge-, où il m'a forcée à sauter de cime en cime, où il m'a laissée crever dehors dans le froid avec pour seule compagnie la faim, c'est aussi lui qui m'a tendu la main à chaque fois. C'est lui qui m'a bercée dans le bain pour que je reprenne petit à petit connaissance et aussi lui qui est resté à mes côtés jusqu'à ce que je me sente prête à grimper sur cette fichu corde branlante. C'est peut-être normal, après tout c'est lui qui m'a mise dans toutes ces situations. Mais quand on y réfléchit, il fait ça pour que mon entraînement soit le meilleur possible et il aurait tout aussi pu ne pas prendre ses responsabilités en mains.
Sans parler de toutes les fois où il est intervenu alors qu'il n'avait aucune implication. Je parle notamment de la fois où il m'a sauvé in-extremis d'un sort pas très enviable en se prenant un tronc aussi dure que de la roche à ma place.
Il a même calmement enduré mes ronces. En parlant de ça, c'est incroyable que je les maîtrise aussi bien. Rien que d'y penser, les voilà glissant sur ma main comme un serpent affectueux - bien que je ne pense pas qu'on puisse réellement associer les deux. Mais lorsque je les appelle ou les crée, peu importe, c'est d'une facilité incroyable. Comme si j'avais toujours su le faire. Peut-être est-ce parce qu'elles me ressemblent ?
D'après mes connaissances, les ronces sont des végétaux encore très ambivalent. Jugées par la plupart comme un ennui, c'est pourtant elles qui, en forêt, abritent les petits arbres sous leurs ailes acérées, leur créant de l'ombre, tout en réoxygénant la terre, avant de finalement s'effacer une fois les arbres grands.
Ainsi sous des dehors âpres elles ont beaucoup à offrir, aussi bien aux autres végétaux qu'aux humains. Cueillette, matière première ou encore plante médicinal, voilà toutes sortes de raison pour comprendre son importance.
Mais en dehors de son aspect pratique, elle est symboliquement aussi très ambiguë. La ronce est pour la plupart le parfait symbole de la ténacité et de l'enracinement. Et c'est vrai ! Elle pousse partout, se contente de rien, fabrique un sol riche à partir d'un substrat pauvre... Elle n'a ni début ni fin par sa capacité à marcotter toute seule. Mais pour autant, derrière sa pugnacité, elle offre abri aux jeunes pousses et aux petits animaux et permet de guérir par bien des aspects.
En y réfléchissant bien, j'arrive effectivement à me retrouver dans cette plante. Au premier abord, quand on se frotte à moi, je pique. Je n'aime pas être dérangée dans ma tranquillité et je repousse inconsciemment les autres. Pourtant les personnes qui ont réussi à se faufiler à travers mes barrières, deviennent finalement le centre de mes actions. Quand j'aime une personne, je l'aime profondément, passionnément. Et à la manière des ronces, je les protège et les nourris de mon amour. J'ai la même ténacité que les ronces quand il s'agit de mes proches, quand je suis plantée, pas moyen de m'y déraciner, je protège tout ce qui me tient à cœur au péril de ma vie.
- Effectivement, murmurais-je en souriant, vous et moi on est pareilles.
Un léger mouvement dans mon champs de vision attire mon regard.
- Bon sang Leindel ! criais-je en sursautant. T'aurais pu te présenter ou faire un peu de bruit !
Je pose ma main sur mon cœur, comme si je voulais le retenir de sortir, et me redresse sur le canapé.
- Où t'étais passée ? aboie-t-il pour toute réponse.
Je fronce les sourcils et remarque enfin sa colère.
- Eh bien je...
- Je t'ai cherchée partout ! J'étais inquiet quand je n'ai retrouvé que la bague, grogne-t-il toujours en montrant la dîtes bague.
Je regarde l'anneau que j'ai jeté pas plus tard qu'aujourd'hui dans la forêt, avec la plus grande des stupeurs.
- Comment t'as pu la retrouver ?
- Y'avait un traceur.
Je le regarde sans rien dire pendant une seconde.
- Quoi ? m'écriais-je. Tu te moques de moi j'espère ? Je suis pas un putain de chien à qui tu peux mettre une puce sans rien dire ! protestais-je en me mettant moi aussi en colère.
- Je te l'ai dit, répliqua-t-il, mais comme d'habitude tu préfères bouder plutôt que d'écouter.
- T'aurais pu le répéter si tu étais si adulte que ça ! l'accusais-je en le pointant du doigt, n'appréciant pas d'être traitée d'enfant. Si j'avais su que cette putain de bague n'était qu'un artifice grotesque et n'avait aucune valeur à tes yeux, repris-je en m'approchant de lui sous la colère, je n'aurais pas passé une demi-heure à la chercher partout dans la forêt !
- J'imagine, riposta-t-il en s'approchant aussi, collant presque nos fronts, qu'elle n'aurait pas été là si tu ne l'avais pas...
Il s'arrête brusquement de m'aboyer dessus et tout aussi promptement, son visage passe de la colère à la surprise. Comme s'il venait de réaliser quelque chose.
- Ne me dit pas, reprend-t-il la voix beaucoup plus douce, que tu m'en veux parce que cette bague n'étais rien d'autre qu'un traceur.
J'ouvre la bouche sous cette stupide accusation. Enfin est-elle si stupide ? Je me rends compte avec effroi que, oui, effectivement, il y a peut-être une part de ça. Merde alors, je suis foutue.
- Et si c'était le cas ? marmonnais-je en croisant les bras. Ça ne change rien au fait que...
Le reste de ma phrase meurt sous sa bouche comme la neige au soleil. Je prends un instant à me rendre compte que Leindel est en train de m'embrasser. Et pas un simple effleurement comme chez mes parents, non, un vrai baiser, sauvage, encore rempli de la colère qui nous possédait. Je m'empresse de lui répondre avec sauvagerie, libérant d'un coup tout le désir que j'ai pour lui.
Glissant mes mains sur son cou, j'en remonte une pour attraper l'attache de ses cheveux et l'arracher violemment. Il grogne légèrement sous la douleur et me mord la lèvre pour toute réponse. Ma bouche s'entrouvre sous la douleur et il s'empresse d'engouffrer sa langue pour rendre notre baisé encore plus passionné.
Ce baiser, bien que pas mon premier, l'est pourtant en tant qu'être magique. Et la différence est incroyable. Avec mes sens accrus, je le ressens dans chaque fibre de mon être. J'entends les battements de nos cœurs s'emballer au rythme de notre abandon, je sens son odeur et ses milles nuances toutes aussi délicieuses les unes que les autres me remplir tout entière. Et chaque fois que ses longs doigts me frôlent la peau, c'est tout mon corps qui frissonne.
Il glisse son visage dans mon cou pour remonter lentement dans son creux. Sa légère barbe de quelques jours, écorche délicieusement ma tendre peau et m'arrache un gémissement. Je tire sur ses cheveux pour l'attirer de nouveau vers ma bouche. Mais avant que je ne puisse avoir la satisfaction de sentir ses lèvres gonflées au contact des miennes, un grand fracas, étrangement familier, nous fait tous les deux sursauter.
Je me retourne, encore fiévreuse vers l'origine du bruit.
- Oh merde, je lâche en grognant lorsque je comprends ce qui nous a interrompu.
- Je jure que ce corbeau va finir à la casserole un jour ! râle-t-il lui aussi.
Je ris allègrement et prends tout mon temps pour dire au revoir à Leindel. Parce que lorsque Eelen nous a dérangés pas plus tard qu'hier, elle voulait me transmettre un message qui me conviait à la rejoindre après le conseil. Mais bien-sûr j'ai oublié ce détail.
- Promis je ne m'attarde pas, murmurais-je contre les lèvres pour aussitôt l'embrasser.
Je vais pas me gêner pour Eelen. Il répond avec ferveur et me laisse partir avec une pointe de regrets dans les yeux. Je le comprends, moi qui ait lutté si longtemps pour résister à ses charmes, lorsqu'enfin j'abandonne, ce corbeau vient tout gâcher.
Je ferme la porte en souriant en me disant que je n'ai jamais été aussi contente de perdre un combat. Et je compte bien savourer chacune de mes défaites contre lui.
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Hey ! Désolé pour le retards, j'avais un petit problème de connexion. Mais finalement ça vallait le coup d'attendre non ? Parce que ça y est, c'est enfin arrivé, le baiser ! Hallelujah ! 🎉😁😚❤️
Qui est content ;) ? Moi en tout cas ^^
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