Je vois...
Je vois le monde. Je perçois...
La vie dans les veines de l'Homme.
Je contemple... Ma télé. Monotone.
Ma putain de télé.
À chaque jour de l'année.
Je fixe, placide, mon écran plat ou mon poste carré.
Je suis perdu entre mes valeurs et mes actes revendiqués.
Être vivant laissé pour mort,
Je gis au fond de mon sofa, perclus de confort.

Qui ais-je été ? À présent je suis seul,
Je hurle au secours mais je ferme toujours ma gueule.
J'ai jamais manqué de volonté,
Oui, au moins... durant plusieurs années.
La vie de trentenaire ma atteint en plein cœur,
J'ai des diplômes mais un boulot sans valeur,
Je me repaît de télévision,
Je vois des guerres à la con,
J'arrive pas à toujours tout piger,
Les journalistes attaquent souvent les immigrés ou les cités,
J'en viens à penser que la France est sclérosée,
Et que moi je suis bien lotti dans mon vingt-cinq mètres carrés.

T'façons, 'sont tous pourris, journalistes, politiques,
Trop de merdeux, j'en suis devenu un peu alcoolique.
C'est quand même de leur faute à tous si la France va mal,
La télé nous le montre, la télé nous dit leur conneries,
Ils sont responsables, tous, à l'Assemblée Nationale,
Je ne sais pas qui il y a là bas, mais c'est plus mes soucis.
Mon patron me fout la pression,
Jean-Mi est un sale con,
Séverine me plaît, quelque fois même je lui souris,
C'est la secrétaire de mon psy, son mari.

J'aime pas les jeunes qui mettent leur musique tard,
J'aime pas non plus tous ces p'tits vieux soixante-huitards,
Je devrais faire du sport, j'rentre plus dans mes jeans,
Je prends du poids, moi c'est télé, et l'micro-onde de la cuisine,
Mais pour éviter d'avoir mauvaise conscience,
J'ai organisé un p'tit truc avec persévérance :
Je me suis dit que si je suis seul sur les chemins,
Je courrai un petit peu quand je sortirai le chien.

Si y'a pas de maghrébins, que la télé montre tout le temps,
J'en ai peur, la télé dit qu'ils ont l'agressivité dans le sang.
S'il n'y a pas de gitans, ou même pire ; d'immigrés,
Étienne dit qu'ils veulent que du travail à voler depuis qu'ils ont quitté l'Érythrée.

Halte là ! Je ne suis pas raciste, ça non,
J'ai même eu un ami noir, un mec bien au fond,
C'était à la fac, ouais je m'en souviens bien,
Il avait un scooter plus beau que le mien.

...

Je suis un homme mou, lâche et plat,
Je n'ai rien dans la tête, tout dans le gras,
Résolument butté contre tout changement,
Changement d'un quotidien que j'trouve déprimant.
Je suis raciste, xénophobe, et plein de haine,
Je suis tenté par les idées que propose le FN.

Je suis un homme passif,
Quand quelqu'un réussit quoi que ce soit, je deviens agressif.
Je ne le supporte pas, je deviens jaloux,
Même si je ne me l'avoue pas, c'est tout.

Mon nom est André, Martin, Pierre ou Julien,
Je suis un homme que tu croise dans la rue, ton voisin,
Un homme qui ne regarde personne, résolument,
Non je n'aurai pas de femme, je n'aurai jamais d'enfant,
Je dis du mal du monde en oubliant de m'inclure dedans,

... Mais au fond, j'suis qu'un homme triste, tout simplement.

Thibault Desbordes.