Chapitre 4-2
Le chuintement, léger mais persistant, qui sortait de ma bouche à chaque inspiration me contraint à ralentir l'allure au bout de quelques mètres. Le projectile m'avait à peine touché mais suffisamment pour que la pointe empoisonnée lèse superficiellement ma peau, permettant au poison de pénétrer dans mon sang. Étant partiellement immunisé contre cette substance, cela ne risquait pas de me tuer mais seulement de m'affaiblir durant quelques heures.
Il me fallait de la nourriture. Je devais reprendre des forces et partir à la chasse aux informations pour apprendre où se trouvait l'endroit où ils avaient emmené Christina. Elle devait penser que je l'avais abandonnée ou pire... me croire mort ! pensai-je soudain, cette crainte s'ajoutant à ma culpabilité et à mon désespoir.
C'est le souffle de plus en plus court que j'atteignis le sol de la forêt et me glissai furtivement jusqu'à l'une des réserves où j'allais chaparder des gâteaux lorsque j'étais petit. L'entrée dérobée à l'arrière du tronc creux était à présent un peu étroite pour mon corps d'adulte, mais je parvins tout de même à m'y glisser.
L'intérieur, quant à lui, était resté fidèle à mon souvenir et ne semblait pas avoir changé. Même l'odeur indéfinissable et unique était restée identique. C'était tellement troublant que, durant un instant, je crus que River, mon ami d'enfance, allait surgir à mes côtés et m'entraîner en riant entre les étagères surchargées, comme il le faisait toujours à l'époque.
Les bruits caractéristiques d'une dispute en cours me ramenèrent à la réalité, tandis que je cherchais frénétiquement des yeux une cachette sûre où me dissimuler.
— Vous n'avez pas le droit d'entrer ici ! retentit la voix d'un jeune homme outré et déterminé, à l'instant où je me glissais sous une des nombreuses étagères remplie de victuailles qui meublaient l'endroit.
J'entendis alors pour toute réponse des rires méchants et moqueurs, assortis du bruit sourd d'un coup, tandis que trois paires de jambes apparaissaient dans mon champ de visions. Des hommes de Shaw !
— Maintenant l'oiseau-mouche, tu restes tranquille ! menaça l'un des deux hommes d'une voix moqueuse, tandis qu'il commençait à fouiller parmi la nourriture et les produits soigneusement entreposés.
— Je ne vous laisserai pas piller nos réserves, entendis-je le métamorphe répondre, alors qu'un bruit mat et mouillé accompagné d'un cri de douleur retentit dans la salle silencieuse.
Je n'attendis pas plus longtemps et, profitant de la proximité de l'un des deux hommes, lui plantai avec force mon arme dans le pied, tout en sortant rapidement de ma cachette pour attaquer l'autre. Mais le regard surpris du garde métamorphe me trahit et l'homme se retourna in extremis, interceptant mon coup avant qu'il ne l'atteigne.
Il enchaîna aussitôt en m'envoyant un violent coup de pied dans le genou qui me déséquilibra. J'atterris avec violence sur l'un des rayonnages du milieu qui se renversa sous mon poids dans un fracas assourdissant de verres brisés. L'autre homme, qui avait enfin cessé de hurler et retiré la lame de son pied, tentait de récupérer son arme. Je ne lui en laissai pas le temps et, comptant un peu sur la chance vu ma position bancale, lançai ma dernière arme dans sa direction.
Elle atteignit sa cible, directement dans la carotide de l'homme qui s'écroula, s'étouffant dans son propre sang. C'est alors que j'allais me redresser pour faire face au deuxième assaillant, que je sentis le métal froid du canon d'une arme se poser sur ma tempe.
Je me figeai. En temps normal, je n'aurais eu aucun mal à désarmer cet humain avant même qu'il ne se rende compte que j'avais bougé ! Mais mon énergie était au plus bas, à tel point que de petits points jaunes commençaient à voleter devant mes yeux, m'apprenant que je n'étais plus loin de l'évanouissement. Alors ça allait se terminer comme ça ? pensai-je amèrement. Tué par un idiot !
— Baisse-toi ! me cria-t-on soudain.
Je m'aplatis au sol sans réfléchir, tandis que le métamorphe, que j'avais complètement oublié, assommait l'homme d'un grand coup de poêle en pleine tête. Ce dernier chuta lourdement sur moi, appuyant sur la détente par réflexe et envoyant une nuée de projectiles dans toute la pièce.
— Vite Jude, tu dois t'enfuir, tout le monde te recherche... Tu ne dois pas rester là ! me dit le métamorphe en m'aidant à me redresser.
C'est au moment où mes yeux croisèrent les siens que je le reconnus.
— River ?
Pour toute réponse, il me sourit, du même sourire espiègle dont j'avais gardé le souvenir toutes ces années. Il n'avait tellement pas changé que je me demandai même pourquoi je ne l'avais pas reconnu plus tôt. Ses cheveux blonds, si clairs qu'ils en paraissaient blancs, lui tombaient toujours sur le front en un fouillis de mèches désordonnées, faisant ressortir ses yeux d'un bleu inhabituel.
— Je vois que tu n'as pas perdu tes vieilles habitudes, mon vieux ! me dit-il alors qu'il me tendait mon poignard ensanglanté. Ne laisse pas traîner tes jouets partout... Ils sont un peu trop reconnaissables !
— Je vois que ton humour douteux est toujours intact ! lui rétorquai-je aussitôt, retrouvant sans effort le rythme fluide et routinier de nos échanges d'enfance. Où étais-tu ? Pourquoi ne t'ai-je pas vu avant, lui demandai-je, ne pouvant m'empêcher d'être suspicieux.
— Ta mère m'a parqué ici à la minute où elle a su que tu revenais. Elle ne voulait pas que l'on se rencontre... Elle sait très bien ce que je pense d'elle. Elle devait avoir peur que je t'influence. Mais trêve de plaisanteries, tu dois partir tout de suite, ça va grouiller d'humains dans quelques minutes.
— Pas avant de lui avoir posé deux ou trois questions, lui dis-je en indiquant l'homme assommé d'un signe de tête. Et, il faut que je mange quelque chose... sinon je vais vite aller le rejoindre au tapis, ajoutai-je en vacillant, sous l'œil inquiet mais rieur de River.
— C'est donc pour ça que tu étais si lent ? me taquina-t-il en me lançant une banane qu'il venait de récupérer sur l'un des rayonnages dévastés.
Je l'attrapai au vol et l'engloutis en trois bouchées, tandis que je m'agenouillais auprès de l'homme pour tenter de le réveiller.
— Ce que tu veux lui demander est important ? Car je crois que je n'y suis pas allé de main morte !
— Je veux savoir s'il connaît l'endroit où est retenue ma compagne, lui répondis-je dans un grognement impatient, alors que j'assénais à l'homme inconscient une claque forte et bruyante qui ne le réveilla même pas.
C'est à cet instant que des bruits de pas et des voix se firent entendre, nous signalant que nous allions bientôt avoir de la compagnie.
— Laisse tomber ! me pressa River en m'incitant à me relever. Si ta compagne est toujours en vie, cette... raclure ne saura pas où elle est ! Ce n'est qu'un trouffion, on ne lui aurait jamais confié une information aussi importante. Vite dépêche-toi, il faut que l'on se barre d'ici tout de suite !
À contrecœur, je me laissai entraîner par mon ami à travers notre passage, pour nous retrouver immédiatement encerclés par une dizaine d'hommes armés.
— Levez les mains tous les deux et je ne vous conseille pas de faire les malins, dit ma mère d'une voix réjouie, en apparaissant dans notre champ de vision. Je t'avais laissé une chance de reprendre ta place sans heurt, mais il a fallu que tu joues les héros... C'est dommage ! Quant à toi River... il ne fallait pas t'en mêler. Emmenez-les et enfermez-les avec les autres, ordonna-t-elle avant de nous tourner le dos et de repartir de sa démarche de reine outragée.
Nous fûmes conduits sous bonne escorte et sans aucune chance de nous enfuir jusqu'à la limite du domaine, dont ils nous firent franchir la protection. Nous marchâmes ensuite quelque temps à travers bois avant d'arriver devant un aplomb rocheux, dans lequel s'ouvraient des bouches sombres et béantes menant à un réseau de galeries souterraines.
L'entrée principale était fermée d'une lourde grille que l'un des hommes ouvrit avant de nous pousser à l'intérieur d'une bourrade dans le dos. L'endroit était sombre et humide, éclairé parcimonieusement de torches fumantes qui rendaient l'atmosphère difficilement respirable. Nous dépassâmes deux grossières portes en bois, avant que notre guide ne s'arrête devant la troisième et n'en déverrouille le cadenas.
Les hommes nous poussèrent une nouvelle fois à l'intérieur et s'empressèrent de refermer le battant derrière nous. Alors que je scrutais avidement les ténèbres, attendant que mes yeux s'habituent à l'obscurité, une voix faible et désespérée s'éleva soudain des profondeurs du cachot :
— Jude... c'est toi ?
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