— Elle était censé aider les autres blessés à descendre, répondit Hannah au jeune garde anxieux qui se tordait les mains, visiblement dépasser par les événements...et il y avait de quoi !

Tous les habitants de la cité, hagards et un peu paniqués, étaient regroupés sur et autour de la place d'accueil, attendant que quelqu'un leur dise quoi faire. L'idée avait été de former des groupes d'environ vingt personnes, guidés et protégés par un ou deux hommes armés. Mais comme la plupart des gardes de la cité étaient soit morts, soit blessés, soit en poste dans les hauteurs pour couvrir nos arrières, les jeunes qui tenaient ce rôle n'avaient pas l'air très à l'aise dans leurs nouvelles fonctions.

— Je ne l'ai pas revu depuis que son père a gaffé ! intervint soudain Worth en sautant les dernières marches de l'escalier, pour atterrir devant nous dans une envolée de terre et de feuilles.

Eh bien ! Depuis la dernière fois que je l'avais vu, à moitié mort, le changement était...saisissant ! Contrairement à moi qui garderait d'horribles cicatrices à vie, ses blessures étaient presque déjà toutes résorbées et il paraissait avoir retrouvé toutes ses forces...voir même davantage ! Une impression étrange se dégageait de lui, comme une force brute et animale indéfinissable ?! Ce n'était pas un métamorphe, ça c'était certain ! Mais quelque chose avait changé en lui, ce que me confirma son regard lorsque celui-ci croisa le mien. Ses yeux d'ordinaire vert, se mâtinaient à présent de mouchetures bleues, rendant son regard déjà intense époustouflant et dérangeant.

Je cherchai instantanément Hannah des yeux et la façon dont elle évita mon regard d'un air coupable, m'apprit ce que j'avais besoin de savoir.

— Tu lui en a redonné, c'est ça ?! lui chuchotai-je agressivement à l'oreille après m'être rapproché d'elle avec difficultés.

— On ne t'a jamais dit que les messes basses c'était mal poli ?! m'asséna l'inspecteur d'une voix grave et sourde, un sourire tordu et ironique sur les lèvres.

Pour toute réponse je le foudroyai du regard. Dans un temps pas si lointain cela lui aurait rebattu son caquet mais là...il semblait s'en fiche comme de sa première chemise ! Je comprenais tout de suite mieux le commentaire de River sur son changement de caractère ! Apparemment les élémentaires étaient très sensible au sang de métamorphe et il avait dû en boire pas mal pour changer aussi radicalement. Il n'y avait plus qu'à espérer que cela ne soit pas permanent !

— Que voulais-tu dire par « gaffer » ? lui demandai-je finalement, pressé de régler cette histoire et de pouvoir enfin partir d'ici.

— Il parlait de la mort de ta...mère, reine, dinde ?! Je ne sais pas comment tu veux l'appeler...avec Cassie et elle est entrée dans la pièce à ce moment-là ! Ensuite elle est ressortie en courant et on ne l'a pas revu.

— C'était il y a longtemps ? demandai-je entre mes dents, tout en lançant un regard venimeux à Hannah.

Effectivement si Worth gardait ce caractère encore longtemps...je ne donnais pas cher de sa peau dans les heures à venir !

— Une quinzaine de minutes environ.

— Très bien, je vais la chercher, je pense savoir où elle est. Si River me cherche, dites-lui de m'attendre ici, dis-je en me dirigeant vers l'escalier de ma démarche et à ma vitesse habituelle.

— Jude tu es trop fai...

La réalité me rattrapa au même instant que les mots d'Hannah et je dus m'accrocher à la rampe, terrassé par une vague de faiblesse et de douleurs, qui me laissa nauséeux et tremblant.

— Houlà, ce n'est pas la forme on dirait ! commenta bien inutilement Worth, une pointe de son ancienne compassion pointant tout de même sous le sarcasme.

— Toi le Merlin d'opérette, ta gueule ! lui sortis-je d'une voix essoufflée mais tout de même assez tranchante pour que cela le surprenne et le fasse sursauter. À moins que ce ne soit le gros mot, plutôt inhabituel dans ma bouche !

Je pris quelques secondes pour souffler et entrepris l'ascension des marches à un rythme plus adapté à mon état actuel. Heureusement que l'endroit où je devais me rendre n'était pas très loin d'ici.

— Hannah, aides-les à organiser les groupes et arranges-toi pour nous placer dans un des groupes de tête.

Je la vis sur le point d'argumenter, mais un coup d'œil de ma part l'en dissuada. Elle se contenta donc d'acquiescer et après avoir enjoint à Worth de la suivre, ils se frayèrent un chemin jusqu'à l'un des gardes débordés.

Le trajet qui d'ordinaire m'aurait pris à peine deux minutes, m'en demanda au moins dix et s'est pris de violents maux de tête assortis de vertiges que j'arrivai sur le balcon sud. Comme je m'y attendais Judith était là, accoudée à la balustrade défraichie, l'air mélancolique et le regard vide.

— C'était tellement beau ici...Comment a-t-elle pu le laisser cet endroit dépérir de la sorte ? C'était son préféré...notre sanctuaire, termina-t-elle dans un sanglot sans se retourner.

— Judith, nous devons évacuer, il y a urgence ! lui dis-je en m'avançant encore de quelques pas.

— Elle est vraiment morte ? me demanda-t-elle en me regardant en face pour la première fois depuis que j'étais arrivé.

— Je ne pense pas qu'elle ait pu survivre à un coup de dague en plein cœur, lui avouai-je franchement, ne voulant pas lui édulcorer la situation.

— Jude...je suis...soulagée et presque heureuse qu'elle soit morte ! Je suis un monstre, non ?!

— Non tu n'es pas un monstre, lui dis-je d'une voix douce. C'était cette femme le monstre et à présent la meilleure chose à faire...c'est l'oublier. Viens, les autres nous attendent.

— Comment a-t-elle pu changer à ce point ? Les souvenirs d'enfance que j'ai d'elle sont...merveilleux ! Elle était gentille et douce et...

Elle s'interrompit d'elle-même, son regard perdu errant sur les jardinières vides et la balancelle cassée. Je fus un instant tenté de lui parler de mon trouble, de cette certitude de plus en plus prégnante que cette horrible femme n'était pas notre mère. Mais si je me trompais, cela risquait de lui faire encore plus de mal que de bien. Surtout que si ma théorie était exacte, où était notre vraie mère ? Était-elle seulement encore en vie ? Face à toutes ces questions sans réponse, je préférai me taire et après quelques minutes de persuasions, réussit à l'entraîner avec moi.

Le retour, soutenu par Judith, fut plus rapide et nous rejoignîmes les autres au moment où le signal du départ résonnait. Hannah avait réussi à nous imposer dans le groupe d'éclaireurs qui partirait quelques minutes avant tout le monde, c'était parfait. Nous les suivîmes le temps d'approcher de la limite de la forêt et profitâmes d'une halte pour faire discrètement nos préparatifs.

River nous avait trouvé des armes blanches, de la nourriture et de l'eau et était en train de répartir tout cela équitablement entre trois sacs à dos, quand Cassie et Worth, qui faisaient parti du second groupe nous rejoignirent, au moment où nous allions fausser compagnie à nos éclaireurs novices.

— Vous comptiez nous laisser avec cette bande d'emplumés ! nous accusa Worth d'une voix outrée en s'immobilisant près de nous dans un glissement de feuilles mortes.

— Tu sais ce qu'ils te disent les emplumés...commença River, avant que je ne l'arrête d'une main sur son bras.

Je pensais exactement la même chose que lui mais entamer une joute verbale avec quelqu'un clairement pas dans son état normal, serait tout sauf productif ! Et la choses que je désirai le moins à l'instant présent...c'était perdre du temps.

— Nous ne voulions pas vous imposer nos problèmes une nouvelle fois, mais si vous vous voulez vous rendre utile, pas de problème ! dis-je à Worth en lui balançant l'un des trois sacs, qu'il rattrapa par l'une des bretelles comme s'il avait fait ça toute sa vie.

— Tu es vraiment en état de marcher ? me demanda Cassie d'une voix inquiète en dardant sur moi un regard sceptique.

— Ça ira. Merci de t'inquiéter, lui dis-je en fixant une nouvelle arme à ma cheville.

Au moment où j'allais me relever River s'approcha de moi, un téléphone dans les mains.

— Tiens, me dit-il en me le tendant. Appelle mon père pour avoir des nouvelles, tu te sentiras mieux après, ajouta-t-il avec un petit sourire en me fourrant le petit appareil dans la main, voyant que j'hésitai à m'en saisir.

Je fixai l'écran pendant quelques secondes me demandant si je devais le faire. J'avais peur de tomber au mauvais moment mais surtout peur que les nouvelle ne soient pas bonnes. Tant que je ne savais pas, il y avait toujours une chance qu'elle aille bien. Nous marchions à une allure d'escargot mon état ralentissant tout le monde, quand soudain je me décidai et sur un coup de tête lançai l'appel. Les sonneries s'égrenèrent lentement, faisant accélérer mon cœur à chaque nouveau tintement, puis enfin on décrocha

« Oui River qu'y a-t-il ? » répondit Euclide, d'un ton qui indiquait clairement qu'on le dérangeait.

— Euclide, c'est Jude ! Je voulais savoir si vous étiez déjà arrivé sur place et si vous aviez localiser Christina ? Est-ce qu'elle va bien ? demandai-je d'une voix tendue.

« Nous y serons dans quelques heures...je te rappellerai » me répondit-il d'un ton brusque et un peu étrange, visiblement pressé de raccrocher.

C'est alors qu'un bruit de lutte, presque immédiatement suivit d'un cri, retentit dans le combiné à l'arrière-plan de la conversation.

« Jude ! Ce n'était pas moi au téléphone ! La fuite aux refuge...c'est un piège ! », me hurla le véritable Euclide avant qu'une détonation ne retentisse, suivit du bip.bip.bip d'une conversation interrompue.

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Certainement pas de nouveau chapitre demain, car je compte me consacrer à " Virgin Territory" pour rattraper mon retard du week-end :-) Donc je vous dis à jeudi pour la suite des aventures de Christina ^.^

Kissssss *-*