Chapitre 1
Ce roman a été publié aux Éditions Michel Lafon le 25 Novembre 2021. Il est disponible à la Fnac, Cultura, et les librairies indépendantes. Je poste ici les premiers chapitres pour vous faire découvrir l'univers. Tous les droits sont réservés.
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Ce matin, j'ai reçu un courrier de L'Institution Vopesta me demandant d'écrire rapidement mon bilan annuel sur ma relation à l'amour. Andoni et Oihan l'ont reçu aussi. Le ton utilisé dans ces courriers se voulait strict et expéditif, exigeant implicitement que nous soumettions sans délai le papier demandé.
Je crois que notre convocation est imminente, et que l'Institution a besoin d'établir un dernier check-up pour boucler nos dossiers, et s'assurer que la situation est sous contrôle. La lettre, envoyée dans une enveloppe rouge, couleur caractéristique de l'Institution, dénotait une certaine inquiétude. J'imagine que tous les ingénieurs super diplômés qui élaborent le programme. Symbiosa depuis une vingtaine d'années sont sur les crocs. À quelques jours du lancement de la phase finale, cela semblerait assez logique. Il ne s'agirait pas qu'un grain de sable dérailler tout cet engrenage soigneusement huilé depuis des années. Il suffirait qu'un de leurs cobayes ait développé une vision un peu plus rétive de l'amour pour que tout soit mis à mal. Chaque détail compte, faut croire.
Je ne sais pas précisément quelle technologie ils ont prévu d'utiliser pour manipuler nos cerveaux, mais elle doit être de très haut niveau. Si ce n'était pas le cas, ils ne nous auraient pas étudiés tant d'années pour s'assurer de la réussite de leur programme. Alors j'imagine qu'après tous les efforts qu'ils ont fournis pour « sauver » notre civilisation, je peux bien leur faire la faveur de jouer le rôle du gentil cobaye une fois de plus. Me voilà donc attablé, ce fameux stylo donné par l'Institution sept ans auparavant entre les mains, prêt à faire ce que l'on me demande.
Bilan de l'année 2073. Sujet : Thiago Mesrine. Âge : 21 ans. Numéro : 18826.
Chers chercheurs,
D'ores et déjà, je vous prie de m'excuser, car ce papier ne vous sera pas d'un grand intérêt. Il est vrai que ma vision de l'amour est restée relativement inchangée au cours de ces dernières années. L'étude de mon dossier doit être d'un ennui mortel, j'espère que vos autres « cobayes » vous remettent des bilans plus palpitants. De mon côté, je persiste à penser que le sentiment amoureux n'est pas nécessaire à la survie de notre civilisation, contrairement à ce que vous semblez le croire. La disparition de ce sentiment n'induit pas nécessairement la disparition de l'amour dans sa globalité. Je pense que ce sont deux choses distinctes, le couple et l'amour. Cependant, il me semble que votre programme se focalise en réalité sur le premier aspect plutôt que sur le second. C'est vrai, j'aime ma mère, mes sœurs. Cela prouve que je suis capable d'aimer. Et d'aimer des femmes, qui plus est. Il serait faux de dire que les hommes ne peuvent plus aimer les femmes dans notre nouvelle société que les discours politiques nous décrivent comme « individualiste à l'extrême ». Enfin bon, je ne vous apprends rien. Tout ce que je vous dis là, vous l'avez déjà lu dans mes sept précédentes lettres.
Alors, je vais vous soumettre mon vrai bilan. Plus je me penche sur la question, plus je trouve le concept d'amour nébuleux et superficiel. Mon expérience de la vie m'amène chaque jour un peu plus à partager la conclusion des autres hommes des générations jour le jour : l'inutilité d'un tel sentiment. Je ne comprends pas pourquoi il serait positif de forcer deux individus à rester liés une partie de leur vie, lorsqu'ils peuvent être parfaitement heureux chacun de son côté. Et je ne vois pas bien en quoi la pérennité du couple (voire du mariage) permettrait d'assurer un maintien de l'ordre social plus que des politiques publiques spécifiques, plus qu'une socialisation rondement menée, ou qu'un enseignement scolaire visant à renforcer les liens de solidarité entre individus. Mes expériences amoureuses sont, comme vous vous en doutez, toujours inexistantes. Cette année encore, je n'ai pas rencontré LA femme qui aurait su faire battre mon cœur plus qu'une autre. Mais bon, après tout, je ne sais pas vraiment ce que sont les symptômes de l'état amoureux. Peut-être votre programme a-t-il pour but de nous l'apprendre ? Si tel n'est pas le cas, je me permets de vous en soumettre l'idée, elle me semble perti- nente pour prouver le bien-fondé de votre étude. Enfin, bref, je m'égare. Cette année, j'ai continué à rencontrer des femmes, à les draguer, mais à aucun moment je ne me suis projeté avec l'une d'entre elles. D'ailleurs, autour de moi, personne n'évoque l'idée de se poser avec qui que ce soit. Nous n'en ressentons aucunement le besoin. Nous nous complaisons dans notre autonomie, et nous aimons ne devoir rien à personne. Alors, si c'est ça l'individualisme extrême, je pense que c'est davantage une vertu qu'un mal. Vous savez, votre programme, je le considère comme le service militaire des temps modernes. Je serais prêt à parier que vous ne voyez pas le lien, je vais donc vous l'expliquer. Votre programme n'a d'autre but que de former des amoureux en masse, une armée de couples prêts à transmettre à leurs enfants les valeurs du partage, de la dévotion, du sacrifice de soi. L'objectif est de sauver notre société, de nous protéger contre l'ennemi commun qu'est l'individualisme. Pour cela, vous arrachez une génération entière de jeunes à leur vie pendant un temps encore indéterminé, pour les conduire dans un endroit mystérieux et leur faire passer des épreuves tout aussi mystérieuses afin de les transformer en superhéros de l'amour. Vous voyez où je veux en venir maintenant ? Vous voyez le lien ? Je vous le dis : le service militaire du XXIe siècle. Je ne veux pas être pessimiste ou alarmiste, mais si vous voulez mon avis sincère, vous avez du pain sur la planche. Je ne connais personne dans mon entourage qui ait pour aspiration première de se mettre en couple, et encore moins de se marier. Tous nos projets personnels surpassent de loin cette envie primaire de se lier à quelqu'un d'autre. Nous sommes dégagés de toute contrainte. Donc, dites-moi, si nous pouvons voler librement, pourquoi passerions-nous volontairement des menottes à nos ailes ?
Pour résumer, je pense que les probabilités pour que Symbiosa ait un véritable impact sur l'avenir de notre société sont très faibles. J'espère que ce que vous avez préparé, c'est du costaud. Sinon, il vaudrait mieux retarder de quelques années la mise en place de la phase ultime de votre programme. Sincèrement, cela me ferait de la peine que tous les efforts que vous avez déployés soient réduits à néant en quelques jours, voire quelques heures, qui sait.
Bien à vous, chers scientifiques. Et à bientôt.
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