14. Abandon
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La voix de Felix était douce, profonde. Elle sonnait comme une mélodie salvatrice aux oreilles de Chan.
La façon dont il le serrait contre lui différait de tout ce qu'il avait toujours connu. La seule personne qui l'avait jadis enlacé était son frère, mais jamais avec autant de tendresse.
Le blond fleurait délicieusement bon. Ses effluences l'enivraient et l'enrobaient délicatement, tel un doux cocon apaisant.
Peu à peu, ses sanglots s'effacèrent. Mais des larmes roulaient toujours sur ses joues, accompagnées par un long silence et des pensées avilissantes.
Le Gongdanien ne pouvait pas les entendre, mais il pouvait aisément les deviner. Ses doigts effleurèrent la nuque de Chan et s'enroulèrent doucement autour de ses mèches grenat. Il s'efforçait de lui montrer qu'il était là pour lui.
Le Prince de Malyeog osait à peine envelopper ses bras autour de sa taille étroite. Le corps gracile du jeune homme lui semblait aussi délicat et fragile qu'une fleur, il craignait qu'un geste ne le brise. Il avait tout l'air d'une poupée de porcelaine avec sa peau opaline, son épaisse chevelure flavescente et ses iris d'une beauté irréelle.
Chan respirait lourdement aux oreilles de Felix. Son souffle était saccadé, recelant un épuisement certain, et parfois, un sanglot étouffé rompait son expiration.
— Chan, qu'est-ce qui ne va pas ? demanda le blond, profondément inquiet.
Le concerné ravala douloureusement sa salive. Son visage mouillé se lova un peu plus contre l'épaule du plus jeune qui s'empressa de le serrer davantage. Ses cheveux ocrés effleurèrent doucement la nuque de Chan.
— Tu peux m'en parler, tu sais, renchérit le plus jeune en sentant ses réticences. Je ne te jugerai pas. Et... tu en as sûrement besoin.
— Comment pourrais-tu le savoir...? bredouilla faiblement son interlocuteur. Je vais très bien. Je suis seulement... dépassé. Oui, c'est cela, dépassé par les évènements.
— Je pense en effet que ma venue a été la goutte de trop. Mais il y a plus, n'est-ce pas ?
Chan exhala un soupir, accablé par le destin qui s'acharnait à le mettre dans l'embarras face à cet homme à la beauté éthérée.
— Tu es tourmenté, poursuivit Felix sans se départir de la pointe de douceur qui vibrait dans ses mots. Et tu as peur.
Il le força à se détacher de lui, et s'empara de ses mains. Le Prince fixa leurs doigts entrelacés, partagé entre sa raison qui lui enjoignait de le repousser et de lui clore une bonne fois pour toute l'accès à ses émotions, et son cœur qui lui susurrait de s'ouvrir à lui.
C'était comme si son subconscient, profondément enfoui en lui, sentait qu'il pouvait lui faire confiance.
Mais Chan, en y réfléchissant bien, trouvait cela d'une sottise aberrante. Comme pouvait-il seulement faire confiance à une personne ayant usurpé l'identité de quelqu'un d'autre dans l'intention de l'épouser ? Certes, il avait appris que la Reine de Gongdan s'était mêlée de tout cela, mais une partie de lui s'en méfiait.
Incapable de se mettre d'accord avec lui-même, l'aîné ne bougea pas d'un pouce. Felix l'observa en silence, fasciné par ses yeux bleus brillant de larmes qui reflétaient la lumière du jour.
Le combat intérieur de Chan dura plusieurs minutes. Le blond attendit patiemment, son regard retraçant chacune des courbes de son visage et de son corps particulièrement séduisants.
Finalement, le Prince prit une décision déroutante. Il laissa son cadet caresser la peau de ses mains, et souffla doucement :
— J'ai toujours été différent... Même Seoho ne parvient pas à me comprendre. Je suis le mouton noir de la famille, un remplaçant s'il doit arriver malheur à l'héritier du trône. Et puisque mon frère a toujours brillé dans toutes ses entreprises, on a fini par m'oublier. Quand Seoho était là, je m'effaçais, je devenais une pauvre ombre insipide. Je n'étais plus rien.
Felix l'écouta en silence. Chacun de ses mots était un grondement sourd animé par le chagrin et la rage, et ils s'enfoncèrent profondément dans son cœur.
— Mais... je n'étais pas seulement inapte à m'instruire correctement. J'ai toujours été empli de compassion. Et... je ressentais beaucoup d'insécurité à mon propos.
L'androgyne écarquilla les yeux. Chan se mordit la lèvre inférieure et détourna la tête. Il attendit le moment où la moquerie fuserait dans les paroles de son époux. Mais il n'en fut rien.
Il reposa brièvement les yeux sur son vis-à-vis et sonda son regard violet. Mais à sa grande surprise, il était empreint de douceur et de bienveillance.
— Continue, je t'en prie, souffla le blond.
Le Prince acquiesça, ébranlé par les émotions qui habitaient son cadet. Il connaissait bien sa propension à la compassion, mais jamais il n'aurait imaginé qu'elle puisse également s'appliquer à sa vile personne.
— Ma mère l'a tout de suite remarqué. Et cela ne lui a pas plu. Elle a tout mis en œuvre pour faire taire mes peurs, et surtout, pour étouffer cette débonnaireté qui sourdait en moi. Elle me répétait sans cesse que je n'avais pas le droit de faire preuve de faiblesse, que c'était indigne du Prince que j'étais. Et je l'ai cru.
— Chan...
— Quand j'étais seul avec elle, elle essayait de me briser. Elle me rabaissait avec ce rictus sadique collé aux lèvres jusqu'à ce que je craque. Et quand je me mettais à pleurer...
Chan secoua la tête et porta une de ses mains à sa joue endolorie, geste qui interpella l'androgyne.
— Elle hurlait que j'étais une cible facile d'une faiblesse ridicule. Alors j'ai fortifié mon cœur pour l'empêcher d'accéder à mes émotions, mais surtout, pour m'empêcher, moi, d'en avoir recours. C'était l'unique solution, d'une simplicité infantile. Mais pourtant, cela n'a pas fonctionné. Cette empathie disproportionnée que je ressentais envers autrui n'a jamais cessé de croître en moi.
— Tu n'es pas comme eux, Chan, soutint Felix. Tu ne pourras jamais l'être, malgré tous tes efforts. Et tu dois l'accepter.
L'aîné pouffa avec amertume. Il tenta de retirer ses mains des siennes, mais le blond les rattrapa habilement. Las, il se laissa docilement faire sans imposer de résistance.
— Je suis trop faible pour appartenir à la royauté, Felix.
Son prénom dans sa voix avait une connotation étrange, nouvelle. Mais le Gongdanien ne put que s'en réjouir.
— C'est faux, fit fermement ce dernier. Ce n'est pas cela, la vraie force des souverains. Ils doivent pouvoir prendre d'importantes décisions, oui, mais la confiance du peuple est également cruciale. Je ne pense pas que les braves gens de Malyeog suivraient aveuglément tes parents dans toutes leurs entreprises.
— Ce n'est pas dans leurs priorités, concéda Chan avec un soupir. Mon père veut seulement éviter l'anarchie, et ma mère ne désire que le pouvoir.
— Mais ainsi, ils oublient la compassion et l'altruisme.
Le Prince le fixa avec incrédulité. Tout ce que le blond lui confiait allait à l'encontre des principes royaux, à l'encontre de ce que lui avaient enseigné les monarques et ses précepteurs. Il secoua la tête en sentant ses yeux se remplir à nouveau de larmes douloureuses.
— Je ne sais plus quoi faire..., bredouilla-t-il d'une voix peinée. Je n'ai pas ma place dans ce palais, mais je n'ai nulle part où aller.
— Alors, reste avec moi, Chan, souffla le blondinet avec gravité.
Une larme dévala la pommette du concerné. Quelque chose de pesant avait éclos dans sa poitrine et grandissait furieusement. Il avait mal au cœur.
Il peinait terriblement à comprendre ce qu'il ressentait. Réticences, remords, regrets et désirs se mêlaient en lui.
L'envie de tout laisser tomber et de se laisser aller était de plus en plus forte.
— Channie...
Le Prince, exténué, plongea doucement son regard azuré dans le sien, comme si l'océan de tristesse rencontrait un doux et rassurant coucher de soleil aux reflets or et lilas.
Les petites mains de Felix se resserrèrent délicatement autour de ses poignets. Il lui adressa un mince sourire regorgeant d'espoir.
— Sois toi-même en ma présence. N'aie pas peur.
Malgré lui, Chan fut profondément touché par ses quelques mots. Ils étaient simples, mais d'une puissance incommensurable. Son cœur sursauta dans sa poitrine.
Les larmes coulaient à flots sur son visage dévasté par une angoisse obsédante. Un sanglot lui échappa. Le Prince se reprocha vivement de laisser son chagrin l'étreindre ainsi, mais il ne parvenait pas à le faire taire.
La raison en était pour le moins déconcertante. Le regard violacé de Felix l'empêchait de se retrancher à nouveau derrière sa forteresse dont les murs devaient être infiniment minces, désormais.
Ses iris féeriques étaient rivés dans les siens, et il ne parvenait pas à s'en détourner. Chan était comme hypnotisé par l'éclat enjôleur qui habitait ses yeux de biche surmontés d'azur.
Une des mains de Felix vint rejoindre sa joue, le faisant tressaillir. Elle s'y posa tendrement et caressa sa peau meurtrie du bout des doigts, ôtant ainsi les perles salées qui s'y étaient échouées.
Le souffle de l'aîné se coupa brutalement. Des émotions conflictuelles se débattaient en lui, cherchant vainement à trouver une explication à son cœur palpitant de mille désirs.
Dans un mouvement affectueux, la bouche du blond se posa doucement sur la sienne.
Estomaqué, Chan se figea. La chaleur de son cadet lui procurait d'étranges sensations, comme s'il s'agissait d'un acte familier et nouveau à la fois. Son estomac se tordit de plaisir — ou était-ce de dégoût ? Il ignorait tout de ces sensations qui l'assaillaient de toutes parts.
Se contentant de ce baiser candide, l'androgyne se détacha de son époux qui n'osait toujours pas esquisser le moindre geste. Il lui adressa un clin d'œil aguicheur avant de lui offrir le sourire le plus éblouissant qu'il n'ait jamais vu.
Le Prince de Malyeog peinait à comprendre comment il avait pu passer aussi rapidement d'une facette à l'autre de sa personnalité. Felix avisa son expression sidérée, et un léger rire lui échappa.
— Tu te souviens ? demanda doucement ce dernier, sa mine s'adoucissant à nouveau.
Chan sut immédiatement à quoi il faisait référence. Il se raidit, ses oreilles se mettant à chauffer.
— Comment oublier ? lâcha-t-il sur un ton bien plus mordant qu'il ne l'aurait voulu.
Les commissures des lèvres du blond s'étirèrent en un petit sourire en coin.
— Sache que j'ai beaucoup apprécié t'embrasser, Chan, lança-t-il à brûle-pourpoint.
Les yeux de l'aîné s'écarquillèrent. Le Gongdanien en profita pour venir à la rencontre de sa bouche et lui voler un nouveau baiser. Mais cette fois-ci, il mut doucement ses lèvres contre les siennes afin de l'approfondir. Ses mains se glissèrent dans sa nuque et sur sa joue, laissant dans son sillage des milliers de frissons désireux.
Chan sentit une explosion passionnelle germer dans sa poitrine. Une chaleur lascive courut lentement sur sa peau frémissante. Il se rapprocha instinctivement de Felix pour profiter de cette ardeur qui fusait de son corps.
Il n'avait pas ressenti un tel plaisir sensuel depuis longtemps. Et même si sa conscience lui criait de s'arracher à cet échange, car la personne qui le lui offrait était un homme, il ne pouvait se résoudre à lutter contre ses pulsions.
Malgré tous ses préjugés, le Prince ne parvenait pas à se persuader qu'il détestait la prétendue Princesse. Son corps était justement en train de lui prouver que ce qu'il pensait n'était pas réel.
Lorsqu'il reprit enfin conscience de ce qui se passait, il se surprit à répondre au baiser de son cadet. Il ferma les paupières.
Brusquement, Chan se sentit infiniment las. Il avait honte de lui-même. Il s'opposait fermement aux ordres de son père, mais était tout simplement incapable de dévisager la Reine droit dans les yeux. Sa mère ne devrait pas avoir autant de pouvoir sur lui, mais il la craignait. Il jouait à l'insubordonné auprès du Roi dans l'initiative d'effacer ce lourd sentiment fragile et pusillanime qui s'était ancré en lui. Il avait depuis longtemps compris que se plier à son père signerait sa fin.
Mais le Prince avait tout simplement été incapable de se soustraire à sa récente décision. Désormais, il était marié, et la dernière once d'influence qu'il avait eue en tant que fils du souverain s'était évanouie.
Il se sentait comme un des innombrables objets précieux que recelait le palais ; dispendieux, rare, mais d'une inutilité affligeante.
Au contact de plus en plus passionné du baiser que lui offrait Felix, un étrange sentiment s'empara de lui. Il avait l'impression d'être apprécié, et cette sensation était loin d'être désagréable, bien au contraire.
Une chaude ferveur lui arracha un gémissement, et brusquement, leur étreinte s'intensifia.
Leurs lèvres s'épousèrent sensuellement, les mains sillonnées de nervures bleutées de Chan se posèrent dans le dos du blond. Ce dernier ne parvenait plus à réfléchir correctement tant son cœur se débattait dans sa poitrine.
Leurs langues se rencontrèrent fiévreusement au milieu de leurs ébats virulents. Le bruit mouillé de leurs longs baisers fougueux et grisants résonnait dans leurs appartements royaux.
Les pulsions débridées du Prince le poussa à porter ses mains aux fins cordons qui laçaient la robe de Felix dans son dos. Elles commencèrent lentement à les défaire, ses longs doigts frôlant la peau nue de l'androgyne.
Le blond fut déboussolé par la délicatesse de ses gestes qui tranchait brutalement avec les baisers véhéments qu'il lui adressait. Il découvrit que même s'il ne le montrait pas ouvertement, Chan savait prendre soin des autres.
Felix se colla à lui, ses petites mains se faufilèrent sous sa tunique et caressèrent son torse sous ses vêtements. L'aîné détacha brièvement leurs lèvres et prit une profonde inspiration en sentant les doigts fuselés du jeune homme sur sa peau.
Il frissonna. Une bouffée de chaleur inextinguible l'enveloppa.
Les premiers fils défaits, le tissu vermeil tomba légèrement, dévoilant ainsi la nuque, les omoplates et les clavicules délicates du plus jeune Prince. Elles étaient mouchetées de centaines de petites taches mordorées qui formaient de véritables constellations stellaires.
Chan y posa un regard tellement ardent que le blond se sentit frémir jusqu'aux tréfonds de son être.
Impatient, Felix avança son visage vers son vis-à-vis et écrasa à nouveau sa bouche contre la sienne. Leurs baisers se firent plus longs et sauvages, tandis que les mains de l'aîné effleuraient les épaules du plus jeune et offraient de douces caresses à sa peau parfaite.
Les cordons délacés firent s'affaisser la robe et dénudèrent jusqu'à la moitié du dos de Felix. Le tissu en dentelle formait un décolleté conséquent au niveau de son torse, et Chan délaissa ses lèvres quelques instants pour venir bécoter son cou et ses clavicules.
Le blond s'arc-bouta brutalement, un léger gémissement lui échappant. Le Prince glissa sensuellement ses doigts dans son dos à découvert.
L'androgyne devenait complètement fou sous le toucher de Chan.
Mais sans crier gare, celui-ci se redressa brusquement, comme si une guêpe l'avait piqué. Ses cheveux ébouriffés lui retombèrent doucement devant le visage.
Chan leva les yeux sur Felix et avisa ses épaules dévoilées, ses lèvres rougies, sa chevelure en bataille et son souffle lourd et saccadé. Il déglutit péniblement. Il venait de prendre conscience de ce qu'ils avaient fait.
Soudain, il fut incapable de respirer, de réfléchir. Un sanglot lui monta dans la gorge, mais il le ravala de toutes ses forces.
— Chan..., murmura le blond en percevant la détresse de son époux.
Le Prince leva sur lui un visage marqué par la douleur et un regard chargé de désespoir.
Le Gongdanien ouvrit la bouche, mais Chan ne lui laissa pas le temps de prononcer quoi que ce soit. Il le repoussa brutalement et se releva sur ses jambes qui s'avérèrent spasmodiques.
Elles tanguèrent dangereusement, le faisant grimacer. Chancelant, il se précipita tant bien que mal en direction du balcon.
Felix le laissa faire, encore secoué par leurs ébats torrides. Une partie de lui se réjouissait de son changement d'attitude, mais d'un autre côté, il se sentait atrocement coupable. Il aurait sans doute dû l'empêcher de dénouer les cordons de sa robe avant que cela ne dérape. Mais il n'avait pas pu se résoudre à l'arrêter.
Le chagrin mâtiné de peur qu'il avait décelé dans les yeux de son aîné le poussa à quitter la moquette. Il se releva en s'époussetant rapidement, mais ne prit pas la peine de relacer les fils de sa robe.
Ses petits pas le menèrent à leur balcon. Chan était adossé contre le parapet, ses mains tremblantes se cramponnant à la balustrade comme si sa vie en dépendait. Son regard fixe était dirigé sur le paysage face à lui, sans pour autant s'y concentrer. Car ce qu'il regardait, c'était le vide à l'intérieur de lui.
Felix s'avança doucement, peiné d'être la cause du mal-être de son époux.
— Chan...
— T'es content ? le coupa sèchement celui-ci sans se retourner.
L'androgyne prit un moment avant de reprendre l'usage de ses cordes vocales.
— Pardon ?
— Ne joue pas au plus fin avec moi... Tu t'amuses de ma situation, et moi, en pauvre idiot, je me suis laissé avoir et emporter par mes émotions...
La voix teintée d'affliction de Chan se brisa.
Felix écarquilla les yeux. Ses propos le choquaient si profondément que son cœur se serra douloureusement dans sa poitrine.
Incapable de parler, il se rapprocha en silence. Ses pas d'une discrétion et d'une élégance félines se rapprochaient plus de ceux d'un chat que de ceux d'un homme.
Lorsque le blond atteignit Chan, il enroula ses bras autour de son torse et ramena son dos contre lui afin de l'étreindre par derrière.
L'aîné se raidit.
— Lâche-moi.
— Pas avant que tu m'aies écouté, Chan, souffla Felix.
— Je ne veux pas... Je ne pourrais pas supporter d'autres mensonges.
— Je te dirai la vérité. La vérité, et rien d'autres.
Le Prince pouffa tristement et se retourna doucement. Des larmes silencieuses ruisselaient sur ses joues. Ses yeux pâles reflétaient l'anéantissement qui l'habitait, et le blond en fut profondément touché.
Celui-ci se saisit des mains de son vis-à-vis et les serra tendrement entre les siennes.
— Quand j'ai dit que je tenais à toi, j'étais sincère, Chan.
Le concerné détourna le regard. Il ne savait que croire. Tout en lui se mélangeait, il en avait le vertige.
— Je suis content, oui, mais pas parce que je me serais joué de toi, se défendit Felix.
— Pour quelle autre raison, alors ? demanda lentement le Prince.
Chacun de ses mots était un sifflement rauque, un amalgame de sanglots réprimés et de colère.
Peiné, le plus jeune scruta longuement le visage ravagé par le chagrin de Chan, avant de soigneusement choisir ses mots.
— Je suis content que tu te sois enflammé, l'espace d'un instant. Je suis content que tu aies fini par te rendre compte de ton ressenti vis-à-vis de moi. Et je suis content, parce que cela signifie que mes sentiments sont réciproques.
— Tu...
Felix déposa vivement un doux baiser sur sa bouche, et les mots moururent sur ses lèvres tremblantes.
— Je dois avouer que seule ton apparence me plaisait, au début, déclara-t-il avec un petit sourire. Et ensuite, ton comportement rebelle et présomptueux m'a irrité au plus haut point. Mais cela m'a fait réfléchir et, petit à petit, j'ai commencé à te comprendre.
Une de ses mains se posa doucement sur la joue mouillée de l'aîné.
— Je pense sincèrement que j'ai enfin réussi à percer ta vraie nature, Chan. Et ce serait mentir de dire qu'elle me déplaît.
Le Prince laissa filer une expiration rauque et hachée. Il cherchait désespérément à reprendre son souffle.
— Laisse-moi te prouver que je suis sincère, insista le blond avec un regard doux. Je saurai être un bon époux et t'aimer. Mais pour cela, tu dois accepter le fait que je ne suis pas une femme, et ce malgré les vêtements que je porte et mon comportement dit « efféminé ».
Chan le fixa longuement sans dire un seul mot. En réalité, il essayait tant bien que mal de ravaler le sanglot qui s'élevait au travers de sa gorge.
Il ne savait que penser de Felix, en réalité. Ses pensées se dérobaient à sa conscience.
Le blond soutint longuement son regard, puis se risqua à venir s'emparer de sa bouche. Il l'embrassa longuement, ses lèvres pulpeuses happant les siennes avec douceur et tendresse.
Le cœur de Chan rata un battement et s'emballa. Il répondit au baiser sans réfléchir. Il savait qu'au fond de lui il en avait terriblement envie, mais était-ce une raison suffisante pour se laisser emporter par cette étreinte interdite ?
Sa main se posa instinctivement sur l'épaule de l'androgyne. Mais sa peau nue sous ses doigts le fit brusquement reprendre contact avec la réalité, et il s'écarta vivement de lui.
La robe de Felix qu'il avait commencé à défaire laissait entrevoir des parcelles de sa peau qu'il brûlait d'envie de caresser.
Horrifié par cette pensée pourtant coutumière, Chan chercha à retourner dans les appartements, mais le Gongdanien le retint par le poignet.
— Je sais que tu as peur de moi, souffla ce dernier en écho à de précédentes paroles. De ce que tu ressens pour moi. Mais tu n'as rien à craindre, Chan.
Il s'attendit à ce qu'il réfute ses paroles de toutes ses forces, mais il n'en fut rien. À la place, le Prince souffla tout bas :
— Je ne te connais pas suffisamment... J'ai l'impression d'être marié à un mirage... Je... Je ne parviens pas à savoir qui tu es réellement...
Puis, immédiatement après cette confession désavouée, il se mordit durement la lèvre inférieure, comme pour se reprocher d'avoir laissé échapper une pensée défendue.
Felix battit longuement des paupières ; il n'en revenait pas. Puis, un tendre sourire naquit sur ses lèvres et remonta doucement à ses yeux d'un violet intense, les teintant ainsi d'un éclat malicieux.
Quel sourire... Chan déplora ne pas avoir remarqué sa beauté plus tôt.
— Laisse-moi te montrer que tu peux me faire confiance, fit le blondinet dans un murmure.
Le Prince baissa les yeux avec hésitation. L'amour que Felix lui portait le touchait, mais il ne parvenait pas à accepter son propre cœur qui faisait des siennes.
Son regard remonta lentement sur les pieds nus de son vis-à-vis, puis sur ses jambes dont il n'entrevoyait aucune imperfection, et sur son corps dissimulé par une robe légère. Imaginer ce qui pouvait bien se cacher dessous le fit rougir jusqu'aux oreilles.
Il posa finalement les yeux sur le décolleté du blond, sur la peau délicate et constellée de petites taches de ses clavicules, de ses épaules et du haut de son dos.
Chan s'empourprait de plus en plus à mesure que son ventre se mettait à bouillonner. Il déglutit en sentant l'emprise des petites mains de Felix se raffermir sur les siennes. Un sourire amusé ornait les lèvres de ce dernier, mais il ne fit aucun commentaire.
Une brusque bourrasque souffla soudainement, et le plus jeune frissonna en sentant le froid mordre sa peau nue. Sa chevelure d'or s'éleva en ondulant doucement, suivie de près par sa robe.
— Viens, rentrons, dit-il en tirant le Prince à sa suite.
Celui-ci se laissa emporter à l'intérieur sans résister. Il avait envie de croire que le Gongdanien puisse être sincère. Au point où il en était, il avait l'impression que plus rien n'importait réellement.
Comme si le mince fil de son bonheur était sur le point de céder.
Felix lui indiqua de s'asseoir dans une bergère, et il obtempéra sans discuter. Il s'y affala avec épuisement, ses émotions l'ayant vidé de ses dernières forces après l'épisode de la plaie.
De la salade, piquée au bout d'une fourchette, s'agita alors sous son nez. Au prix d'un effort considérable, son regard vague croisa alors les yeux en amande du blondinet qui le fixait avait insistance.
— Mange, ordonna-t-il de sa voix très basse.
Chan secoua la tête. Son estomac était complètement noué.
L'androgyne arqua un sourcil. Son visage se rapprocha lentement du sien, et la panique grimpa en lui.
— Mange, répéta-t-il dans un souffle qui vint chatouiller la joue de l'aîné.
Celui-ci ravala vertement sa salive, incapable de détacher ses prunelles des iris féeriques de Felix.
Le blond lui décocha un sourire narquois, comme s'il acceptait de relever le défi silencieux de son époux. Ses lèvres se posèrent sur les siennes et les embrassèrent tendrement.
Abasourdi, Chan ne réagit pas lorsqu'il se détacha de lui et qu'il enfourna l'aliment sans plus de cérémonie dans sa bouche entrouverte. Il mâcha docilement, malgré le nœud qui lui serrait la gorge, et avala non sans difficulté.
La mine satisfaite de Felix était plus que limpide. Mais lorsqu'il piqua cette fois-ci un morceau de viande, le Prince lui décocha un regard incendiaire.
— Assez, lâcha-t-il d'un ton sec.
— Tu n'as avalé qu'une feuille de salade, Chan, soupira l'androgyne.
— J'ai plus envie de rendre que d'absorber, si tu vois ce que je veux dire.
Felix fit la moue, l'air embêté. Il déposa la fourchette sur l'assiette et s'empara des mains de Chan. Il le tira pour qu'il se lève et le poussa sur le grand lit à baldaquin.
Le jeune homme aux cheveux amarante s'allongea sur le dos sur le matelas, un léger soupir filant entre ses lèvres. Il était tellement épuisé qu'il aurait pu s'endormir, là tout de suite. Mais quelque chose l'en empêcha.
Le Gongdanien prit place à ses côtés avec l'enthousiasme d'un enfant. Une de ses petites mains se glissa sous la tunique de Chan, qui se crispa aussitôt.
— Qu'est-ce que tu...?
— Tais-toi. J'essaie de t'aider.
Felix se mit alors à doucement caresser le ventre de son aîné, ses doigts retraçant lentement les courbes de la partie supérieure de son corps.
Le Prince se mordit la lèvre inférieure en sentant ses doigts effleurer ainsi sa peau. Mais cela lui procura un tel bien-être que cela le poussa à se laisser faire.
Le contact affectueux du blond le lénifiait, si bien que ses paupières finirent par se fermer. Il se détendit progressivement, au plus grand bonheur de l'androgyne qui ne se lassait pas de le dévisager, de le sentir près de lui.
La marque cramoisie sur une de ses joues attira alors son attention. Il la caressa doucement du dos de ses doigts.
— C'est ta mère qui t'a fait cela ? demanda-t-il au bout d'un moment.
— Oui.
Chan n'avait pas vraiment besoin d'en dire davantage. Felix délaissa sa pommette et y planta un bref baiser qui le fit ouvrir les yeux.
Ces derniers plongèrent indéfectiblement dans les siens. Le blondinet y décela de la fatigue et du chagrin, un gouffre vertigineux de chagrin.
Les Princes soutinrent mutuellement leurs regards. Il ne fallut pas moins de quelques secondes avant que leurs lèvres ne s'attirent comme des aimants et se joignent passionnément.
Les petits doigts du Gongdanien s'enroulèrent autour des mèches couleur cinabre de son époux. Il sourit contre sa bouche en sentant ses mains caresser fougueusement la peau dénudée de son dos.
Un désir électrique se fraya un chemin en Chan, il frémit. Des soupirs de plus en plus appuyés quittaient ses lèvres, alors que le baiser s'intensifiait. Felix était presque complètement allongé sur lui, et il enserra sa taille pour le plaquer contre son torse.
Leurs lèvres se détachèrent brusquement, et les jeunes hommes se dévisagèrent sans un mot. Leurs visages étaient si proches que le plus âgé pouvait sentir le souffle chaud et haletant du blond glisser sur sa peau telle une caresse torride.
Un demi-sourire amusé parut sur le visage de celui-ci, malgré son regard luisant d'ardeur. Chan avait l'impression que ses mains, au contact de la peau nue de l'androgyne, se transformaient en braises brûlantes.
Sa peau... Elle était douce, délicate, infiniment belle. Le regard taquin de Felix ne l'empêcha pas de poursuivre l'exploration de son dos, ses doigts défaisant un à un les fragiles cordons qui maintenaient sa robe en place. Le blond le laissa faire de bonne grâce, un sourire toujours plus large et somptueux s'étirant sur ses lèvres rosacées.
Le vêtement féminin retomba doucement à sa taille, et son vis-à-vis prit une profonde inspiration. D'étranges sensations le traversèrent soudainement, alors qu'il fixait le torse de la prétendue Princesse avec hésitation. Il n'osait presque plus respirer tant ce qui se passait lui semblait invraisemblable.
Son malaise fit sourire Felix, qui se contenta de se coucher contre lui et de passer ses bras autour de ses hanches, comme pour lui signifier qu'il comprenait.
Ils fermèrent les paupières en silence. L'éreintement momentanément oublié de Chan ne tarda pas à le rattraper, et sans crier gare, il sombra dans un profond sommeil.
L'androgyne l'embrassa tendrement sur le front et joua avec ses cheveux.
Une lueur d'espoir prit racine dans leurs cœurs meurtris. Une toute petite pousse qui ne tarderait sans doute pas à voir éclore de magnifiques fleurs indigo ; une couleur perdue, engloutie par la glace d'une chaleur translucide du regard de Chan et mâtinée de l'aube divine des iris de Felix.
Un espoir naissant, si doux, si précieux, le résultat d'un infime lien de confiance qui avait commencé à s'établir entre les deux Princes égarés dans leurs sentiments.
Mais ils ne s'étaient pas noyés dans leurs propres peurs, non. Dans un sens, ils s'étaient retrouvés, et cela, sans équivoque, était la plus belle chose qui aurait pu arriver au jeune homme fragile et amer qu'était Chan.
Parvenir à délaisser ses réticences et à se laisser emporter par la fougueuse étreinte de Felix était là une preuve que le petit garçon plein de vie en lui n'avait pas disparu. Il avait toujours été présent et n'attendait qu'un signe de sa part pour lui tendre les bras, éclaircir son jugement et adoucir sa peine.
Le Gongdanien l'aiderait à trouver la clé et à s'accepter.
Il l'aiderait à ouvrir son cœur.
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