En accrochant son manteau décoré de neige dans l'entrée de sa villa, Hinata se concentra pour l'affrontement qui suivrait. Son père était à son bureau et il l'invita à entrer quand elle toqua. Elle traversa l'espace que le séparait de lui et se posta devant le meuble massif où il écrivait.

– J'ai eu vingt.

Son père reposa son stylo pour la considérer.

– J'ignore ce qui te motive ces derniers temps, mais continue sur ta lancée.

Pour la première fois, elle décida qu'elle avait gagné le droit d'être franche.

– Je te l'ai déjà dit. Ce qui me motive, c'est le jeu auquel tu m'interdis de jouer. Et ne vas pas croire que je ne prends pas mes études sérieusement, c'est de mon futur qu'il s'agit après tout, mais je pense que mes activités participent aussi à me construire. Et c'est à moi de les choisir.

Tendue, elle attendit le retour de flammes. Bizarrement, son père ne paraissait pas scandalisé, il se contenta de pousser une enveloppe vers elle. À l'intérieur, Hinata découvrit des billets de train aller-retour. Il les avait déjà commandés ? Avant même de connaître sa note ?

– J'ai repris les mêmes horaires que ceux que tu avais reçus, précisa-t-il. Je me suis permis d'y rajouter la première classe, tu seras plus confortable.

– Merci, dit-elle en rangeant les précieux billets dans l'enveloppe.

Une autre surprise l'attendait sur son lit : la boite d'un téléphone tout neuf reposait sur les couvertures. Elle le déballa sans cesser de jeter des coups d'œil aux billets de train. Maintenant qu'elle les avait, un mélange d'anxiété et d'impatience avait remplacé la joie.

Ces mêmes sentiments l'accompagnaient encore alors qu'elle regardait s'éloigner le quai de Konoha derrière la vitre du train. Être coincée dans un siège alors qu'un évènement majeur de sa vie se profilait était une véritable torture.

Si son père avait repris les mêmes horaires que les billets envoyés par l'entreprise de Switch World... ça voulait dire que Kahaen se trouvait dans ce train, n'est-ce pas ?

Dans un sens, peut-être qu'il valait mieux que son père lui ait pris des places en première classe, parce qu'elle préférait le rencontrer quand elle serait plus sereine. Même si elle pressentait qu'elle ne serait jamais sereine.

Elle souffla son stress et la femme à côté d'elle lui jeta un bref coup d'œil avant de se tasser dans son siège pour continuer sa sieste. Dehors, la neige tombait encore. Elle avait recouvert les plaines qui défilaient d'une nappe blanche et brillante. C'était samedi. La finale se jouait dans la soirée. Hinata déglutit ; elle y était, c'était le jour J.

Le regard douloureux que lui avait lancé Gaara chassa soudain tout le reste.

Pour éloigner de ce souvenir, elle sortit son portable. Plus que quelques minutes et ils arriveraient en gare de Suna.

Lorsque le train ralentit, elle attrapa son bagage et fut parmi les premiers à descendre. Suna était une très belle ville, aux bâtiments aux formes arrondies dont la peinture couleur sable se cachait elle aussi sous une couche de neige.

Guidée par le GPS de son portable flambant neuf, Hinata arriva au pied d'un stade immense. Une équipe se chargea de l'accueillir. La femme qui dirigeait le groupe jeta un coup d'œil dans la grande allée, sans doute à la recherche de Kahaen. Comme elle ne voyait rien, elle posa une main sur l'épaule d'Hinata pour la faire entrer.

– Hinata c'est ça ? Je m'appelle Katherine, dit-elle en tapant un message sur son téléphone. Je vais te faire un petit tour des lieux.

Elle la conduisit dans les couloirs sans se détacher de son écran et écarta des rideaux qui donnaient sur une scène immense. Intimidée, Hinata y fit quelques pas. Les sièges qui s'alignaient en un immense arc de cercle et s'élevaient jusqu'à se fondre dans la pénombre du stade aggravèrent son stress. Leurs pas et les voix raisonnaient ici.

– Nous finissons d'installer les équipements, lui indiqua Katherine.

En se retournant, Hinata vit les fauteuils, deux rouges et noirs, trois violets et blancs et trois bleu ciel. On y avait déposé des casques de VR dernier cri.

– Tu as besoin de quelque chose ? De l'eau ? Tu as faim ?

Hinata hocha la tête. Avec sa gorge nouée, elle serait incapable d'avaler quoi que ce soit.

– Bien, dans ce cas je vais te laisser entre les mains de l'équipe chargée des costumes et du maquillage. Ils ont beaucoup à faire, plus tôt ils commencent, mieux s'est. C'est ici.

Juste avant d'arriver à destination, Katherine décrocha un appel. Elle l'abandonna en articulant un « bonne chance » silencieux et s'éloigna. Seule devant la porte avec son bagage, Hinata rassembla son courage pour toquer. La porte s'ouvrit aussitôt sur un jeune à peine plus âgé qu'elle avec un pinceau de maquillage perché sur chaque oreille.

– Hinata Hyûga ?

Elle acquiesça.

– Viens, viens. On a tout préparé pour ton cosplay, on t'attendait pour commencer. Pose tes affaires où tu veux.

Elle laissa son sac dans un coin et se laissa tirer au centre de la pièce. Une longue table débordait sous les tissus, qui s'empilaient autour d'une machine à coudre, des câbles et des bols de peinture. Un miroir sur pied avait été repoussé contre le mur, entre des chaises et des cintres qui supportaient des pièces de costume et d'armure. Il y avait aussi des photos de son avatar sous différents angles.

– Viens, on va faire les derniers ajustements sur ton costume, lui dit le maquilleur.

Toute l'après-midi fut consacrée à des retouches. On lui mettait une pièce, une manche, un lacet, puis le rajustait. Hinata répondait par un mot ou deux quand on lui posait des questions, mais la majorité du temps, les membres de l'équipe se parlaient surtout entre eux, se lançant des indications et des ordres. De toute façon, elle avait la bouche trop sèche pour parler.

– C'est pas trop long ? lui demanda celle qui se chargeait de sa coiffure et tentait différentes teintes sur la pointe de ses cheveux.

Hinata fit « non » de la tête. Eux aussi étaient debout depuis le début et aucun ne se plaignait. Elle accepta quand même le verre d'eau que lui offrit la coiffeuse pendant que cette dernière attaquait la couleur.

– C'est une couleur temporaire, la rassura-t-elle. Ça s'atténuera avec les shampoings jusqu'à disparaître.

Petit à petit, l'équipe cessa de retirer les pièces qu'ils lui faisaient enfiler et l'agitation autour d'elle se calma pour laisser place à une longue session de maquillage.

– Stressée ? lui demanda le maquilleur en appliquant une crème sur son visage.

– Un peu, murmura-t-elle.

– Tu es la dernière à entrer sur scène, tu as encore du temps.

Elle s'appliqua à rester parfaitement immobile pendant tout le maquillage, jusqu'à ce qu'arrive la pose des lentilles. Hynae avait les iris couleur miel et ils poussaient le détail jusque-là. Elle se tendit quand la lentille approcha son œil.

– Regarde en haut, tu ne sentiras presque rien, lui dit le maquilleur.

Elle s'exécuta puis cligna plusieurs fois des yeux une fois équipée des lentilles.

– La couleur ressort vraiment bien avec tes iris. Ne t'inquiète pas tu vas vite t'habituer. Dis-nous si tu sens que ça ne passe pas.

Pendant qu'ils achevaient le costume en sculptant sa chevelure rouge sombre, elle sentit effectivement le frôlement des lentilles disparaître. Enfin, l'équipe lui tendit une robe et tira un paravent derrière lequel elle se changea. Ils nouèrent les lacets derrière elle puis refermèrent le paravent.

– Tu peux regarder, lui dit la coiffeuse qui la jaugeait, les bras croisés et l'air fier.

Devant le miroir, Hinata se retrouva face à face avec son alter ego.

Hynae la fixait de son regard doré que ses mèches sombres aux reflets rouges faisaient ressortir. L'équipement qu'elle portait en jeu avait été reproduit dans les moindres détails. Les mêmes lacets de cuir fixaient sa longue robe noire aux reflets carmin, remontant dans son dos et ses manches évasées jusqu'à ses épaules. Le tissu de sa cape avait le même aspect fluide, comme si on avait capturé et cousu un morceau de brume, et les glyphes enserrant sa taille et ses poignets flamboyaient. En tournant, la fente sur le côté de sa robe révéla ses élégantes bottes à talon.

– Oups, j'ai failli oublier ! s'exclama un de l'équipe costume.

Il se hâta vers elle avec un diadème serti d'un rubis et le déposa sur ses cheveux.

– C'est... incroyable, souffla Hinata, incapable de se détacher de son reflet.

Sa réaction fit rire son l'équipe.

Katherine revint à cet instant, une main sur son oreillette et une tablette dans l'autre. Elle jeta un coup d'œil appréciateur à son costume et lui fit signe de la suivre. Hinata se tourna vers son équipe pour les remercier, mais aucun mot ne franchit ses lèvres.

– Sans vouloir nous vanter, on est la meilleure équipe de préparation, tu peux y aller les yeux fermés, tout le monde va être bluffé, fit la coiffeuse.

– Et gagne-nous ce tournoi ! Je suis team Royaume moi, dit le maquilleur en riant.

Alors qu'elle traversait les coulisses à la suite de Katherine, en relevant les pans de sa robe pour ne pas trébucher dans les câbles ou gêner les techniciens qui s'affairaient, la rumeur du public s'intensifia. Elle distingua la voix du présentateur et son trac se changea en terreur. Katherine la mena aux rideaux qui bordaient la scène. De là où elle était, le son des baffles était indistinct et elle ne parvenait pas à distinguer ce qui se disait sur scène. Deux personnes se parlaient. Du bout des doigts, elle écarta le rideau.

Le temps se figea.

Cette cape aux revers sanglants, les sabres légendaires qu'elle lui avait elle-même donnés (quand elle ne saisissait pas encore bien leur valeur), ces cheveux sombres légèrement ébouriffés... Juste à côté du présentateur se tenait Kahaen.

Il était là, en chair et en os, bien réel.

Soudain, le présentateur leva la main dans sa direction à elle et les hurlements de la foule la ramenèrent à la réalité comme une claque en pleine figure.

Son envie d'apparaître en tant que Hynae, de montrer son magnifique costume s'était envolée.

– C'est à toi, lui dit Katherine.

Priant pour que ses jambes ne flanchent pas, Hinata fit un pas, puis un autre. Lentement, elle entra dans la lumière. Les projecteurs l'aveuglèrent quelques secondes, les cris étaient assourdissants. Elle se concentra sur son seul repère.

Kahaen.

Il était tourné dans sa direction.

Le cœur battant à tout rompre, elle se dirigea vers lui. Il était un peu plus grand qu'elle. Ses yeux s'accoutumaient enfin à la lumière. Il lui sembla que le bruit se calmait, mais Kahaen était tout ce qu'elle voyait. En arrivant à quelques pas de lui, elle devina à ses traits qu'il avait à peu près son âge. Alors qu'elle allait traverser la distance qui les séparait, elle se figea. Un coup invisible semblait avoir chassé tout l'air de ses poumons.

Derrière les lentilles d'un saphir sombre, derrière les mèches noires... elle connaissait les traits qui se dessinaient.

Est-ce qu'elle se trompait ? Ou est-ce que c'était bien... Gaara ?

Gaara qui la fixait. Gaara qui n'avait pas l'air surpris de la trouver en face de lui.

Comment ?

Soudain, le silence qui saluait leur première rencontre devint suffocant. Comment devait-elle agir ? Comme avec Kahaen ? Comme avec Gaara ? Si elle parvenait à agir tout court.

Un cri retentit, un seul, qui embrasa la foule. Hinata parvint à reprendre un peu d'air, sans pouvoir soutenir le regard de Gaara ni faire un pas de plus. Le présentateur s'approcha d'elle avec un sourire rassurant.

– Je dois admettre que c'est une rencontre que j'attendais. Est-ce que j'étais le seul ?

Les hurlements du public lui répondirent.

– Ça fait un moment que tu ne t'es pas connectée, je me trompe ? (Elle acquiesça.) J'espère que nous t'avons manqué au moins ? (Un nouveau hochement de tête le fit éclater de rire.) C'est vrai, c'est vrai, vous êtes probablement l'équipe la moins bavarde du tournoi.

Elle parvint à esquisser un sourire d'excuse.

– Bon, eh bien si nous t'avons manqué, tu dois être impatiente de retrouver ton avatar. Pourquoi ne pas lancer cette finale ?!

Comme un automate, Hinata avança vers le casque qui lui était destiné. Les deux autres équipes, des trios, étaient déjà installées sous les écrans géants qui retransmettraient la finale. Des membres du staff l'aidèrent à s'installer dans le fauteuil sans abîmer sa robe et sa cape, puis lui tendirent le casque. Juste avant de l'enfiler, Hinata osa un regard vers Kahaen. Et Gaara le lui retourna.