Le défi, partie I
Liinwen perçut un vague bourdonnement autour d'elle. Son crâne la faisait souffrir, ses muscles lui semblaient si engourdis qu'elle les sentait à peine. Elle avait froid, aussi. Elle tenta d'ouvrir les yeux, mais une puissante lumière l'en empêcha.
Une main se posa alors sur son front. Aussitôt, une douce chaleur se répandit en elle, calma la douleur et dissipa toutes les sensations désagréables qui l'habitaient. Elle tenta une nouvelle fois de rouvrir les paupières. Il lui fallut quelques secondes pour chasser le flou qui occultait son champ de vision. Une fois sa vue mise au point, elle découvrit le visage avenant d'un homme. Humain, blond, avec une barbe fournie et soigneusement tressée. Elle tenta d'ouvrir la bouche, mais il posa un doigt sur ses lèvres pour l'en empêcher.
— Tout doux, jeune fille, souffla-t-il. Vous devez vous reposer.
— Qui êtes-vous ? croassa-t-elle malgré tout. Il s'est passé quoi ? Et on... on est où ?
— Je m'appelle Yngvar, répondit l'homme. Je vous ai trouvée au bord de la Mer des Fantômes, inconsciente et à moitié congelée. Vous avez eu beaucoup de chance de ne pas être morte de froid.
— La Mer... des Fantômes ?
Elle tenta de se redresser. Son sauveur l'en empêcha.
— Restez allongée, lui ordonna-t-il. Vous devez être encore très faible. Par Talos, vous êtes si pâle...
— Talos ? articula-t-elle, perdue. Qui... qui est-ce ?
— Oh, j'oubliais que vous êtes une altmer, lâcha-t-il, amer.
— Quel est le rapport ? demanda-t-elle.
— Ne faites pas semblant, la gronda-t-il. Aucun de vos semblables ne reconnaît l'existence du Neuvième Divin.
Liinwen sentit son crâne recommencer à bourdonner. Depuis sa plus tendre enfance, on lui avait toujours assuré qu'il n'existait que Huit Divins.
— Impossible, souffla-t-elle. Si un autre dieu existait, on nous aurait appris son nom.
— Vous tremblez, fit remarquer le nordique d'un ton sec pour changer de sujet. Attendez deux petites minutes.
Il s'éloigna avant que la jeune femme ait eu le temps de protester. Elle tenta de se redresser, remarqua alors qu'elle était enveloppée dans une épaisse couverture en peau de bête à même le sol. Elle réalisa qu'elle se trouvait dans une sorte de renfoncement rocheux, exposé plein est. Non loin d'elle, un feu de camp crépitait joyeusement et diffusait une douce chaleur autour de lui. Le regard de Liinwen se posa sur la haute silhouette d'Yngvar. Elle se sentit quelque peu perturbée par la douceur de ses gestes alors qu'il remuait quelque chose dans une casserole posée sur le feu, et plus encore par ses vêtements. Le nordique portait en effet une longue robe de mage, avec pour seules armes un bâton attaché dans son dos et une dague glissée à sa ceinture. Rien à voir avec les guerriers puissants dont on lui avait parlé.
D'un léger coup d'œil circulaire, elle observa les alentours. Une vaste étendue de neige et de glace, fermée d'un côté par une haute falaise, ouverte de l'autre sur ce qui semblait être l'océan. Du côté de la falaise, elle aperçut un haut bâtiment relié à une ville par un étroit pont qui semblait presque flotter. Elle frissonna. De ce qu'elle savait, la Mer des Fantômes se trouvait au nord de Bordeciel. Elle tenta de faire remonter ses souvenirs, sans succès. Elle ne parvint à se remémorer que l'éclat d'un pâle soleil sur l'armure de ses compagnons d'armes, les ailes parcheminées d'un vampire qui voulait faire d'elle son repas. Sa course pour fuir la créature, qu'elle aurait été bien incapable de tuer seule. Sa chute dans une grotte. La douleur de sa cheville et de son bras, l'affreux goût du sang qui emplissait sa bouche. Le froid. L'obscurité. La peur.
Le crissement de la neige sous les pas du nordique la tira de ses pensées. Il s'agenouilla à nouveau auprès d'elle, un bol fumant dans les mains.
— Tenez, lui dit-il. Ça va vous réchauffer.
Intriguée, elle lui prit le récipient des mains. Une odeur délicieuse lui chatouilla les narines, et son ventre laissa échapper un petit gargouillement affamé. Sans se poser davantage de questions, la jeune femme attrapa la cuillère qui y était plongée et la porta à ses lèvres. Elle se brûla un peu la langue, mais la chaleur du plat la réchauffa aussitôt. Le goût la surprit toutefois. Elle reconnut la saveur sucrée de la tomate, accompagnée d'une note fraîche de lavande. Un arôme bien plus fort explosa dans sa bouche, de toute évidence celui d'une viande jusque-là inconnue. Intriguée, elle partit à la pêche avec sa cuillère jusqu'à en trouver un morceau juteux, qu'elle goûta du bout des dents. Une grimace lui échappa tant le goût était prononcé, ce qui amusa le nordique.
— Vous n'êtes pas de Bordeciel, n'est-ce pas ? devina-t-il. C'est du horqueur. Assez relevé, mais délicieux.
Liinwen se surprit à lui donner raison. En effet, une fois la surprise passée, elle dut admettre que cette saveur lui plaisait. Elle avala encore plusieurs cuillères, puis demanda soudain :
— Quel jour sommes-nous, au fait ?
— Morndas, le 18 de Primétoile, lui indiqua-t-il.
La jeune femme en fut si étonnée qu'elle lâcha son bol. Yngvar le rattrapa d'un sort, tant pour ralentir sa chute que pour éviter à l'elfe les désagréments d'une brûlure.
— Quelque chose ne va pas ? demanda-t-il d'un ton inquiet.
— J'aurais dû être rentrée pour l'anniversaire de ma mère... souffla-t-elle, le regard baissé.
Une larme coula sur sa joue. Le nordique sentit son cœur se serrer devant la tristesse de sa compagne. Il lui tapota le dos d'un geste maladroit, sans trop savoir quoi faire d'autre. La jeune femme le repoussa avec fermeté, et essuya ses yeux d'un geste rageur.
— Foutue guerre, lâcha-t-elle. Pourquoi a-t-il fallu que je sois envoyée ici pour combattre le Pacte...
— La guerre ? s'étonna Yngvar. Si vous voulez parler de la Grande Guerre, elle s'est terminée il y a plus de quinze ans.
L'elfe releva les yeux vers lui, surprise.
— Comment cela ? balbutia-t-elle. On est en quelle année ?
— Nous sommes en l'an 191 de la quatrième ère, lui annonça le nordique.
Un rire nerveux échappa à l'altmer.
— Vous vous moquez de moi, avouez-le, supplia-t-elle presque. C'est impossible.
— Comment ça ? s'étonna-t-il.
— Mes derniers souvenirs remontent à... à l'an 280 de la seconde ère...
Le nordique la regarda un long moment, stupéfait. Son air perdu, terrifié, le convainquit sans peine qu'elle ne mentait pas. De plus, son armure et ses armes, bien que de facture elfique, lui semblaient trop différentes de celles des thalmors qui parcouraient sa terre natale depuis quelques années.
— C'est impossible... souffla-t-il, aussi surpris et incrédule qu'elle.
Liinwen hocha la tête, tremblante. Un sanglot terrifié lui échappa. Yngvar tenta de la calmer aussitôt.
— Hé, on va trouver une solution, lui promit-il. Déjà, je peux vous emmener voir Savos Aren, l'archimage de l'Académie de Fordhiver. Il pourra sans doute mieux vous aider que moi.
La jeune femme acquiesça. Son sauveur commença aussitôt à lever son maigre campement. Il emmitoufla sa protégée dans une épaisse couverture pour la préserver du froid, puis fourra la casserole et son contenu dans un sac, qu'il attacha sur le dos d'un cheval laissé un peu plus loin. Il fixa avec soin les deux épées de Liinwen derrière la selle. Il souleva ensuite l'elfe avec délicatesse, la jucha sur le dos de l'animal, et grimpa derrière elle. D'un coup de talons, il lança sa monture au galop dans la neige, en direction de la falaise.
Durant tout le trajet, les pensées de la jeune altmer se bousculaient et s'entremêlaient dans sa tête. Elle ne croyait pas à ce qui lui arrivait, avait du mal à réaliser ce que cela impliquait. Si le nordique disait vrai, alors elle avait fait un bond dans le futur d'au moins deux, peut-être trois cents ans. Elle ignorait comment s'était terminée la guerre, si le Domaine Aldméri tenait encore debout. De toute évidence, elfes et humains ne s'entendaient guère mieux qu'à son époque, si elle en croyait la façon dont Yngvar lui avait parlé un peu plus tôt. Elle espérait aussi que Molag Bal avait pu être chassé de Tamriel.
Son regard contemplait les falaises gelées, l'épaisse couche de neige qui recouvrait le paysage. Elle frissonna plus d'une fois à cause du vent glacial de la région. Elle espéra qu'elle rêvait, mais la douleur sourde qui lui vrillait les tempes et la morsure du froid la convainquirent qu'elle était bien réveillée. Elle se demanda si ses parents, sa famille étaient toujours en vie. Si ses frères d'armes avaient survécu à la guerre. Si sa maison l'attendait toujours, à Alinor. Si elle allait pouvoir rentrer un jour.
Plongée dans ses pensées, elle ne remarqua qu'ils étaient arrivés en ville que lorsque le nordique arrêta sa monture devant un porche. Il sauta au sol, reprit Liinwen dans ses bras sous le regard à la fois surpris et méfiants de quelques curieux. Il s'engagea aussitôt sous la voûte de pierre et gagna un pont étroit, à moitié en ruines. Dès qu'elle le vit, la jeune femme se mit à trembler et ferma les yeux. Un rire amusé échappa à Yngvar.
— Vous avez le vertige ?
— Un peu, avoua-t-elle.
— N'ayez crainte, souffla-t-il d'un ton rassurant. Vous ne risquez rien.
Il resserra un peu plus sa prise autour d'elle pour donner davantage de poids à ses paroles, mais l'elfe n'en fut guère convaincue. Les plaques de glace étalées sur la pierre nue et les vastes pans de parapet arrachés par le temps et les éléments ne lui inspiraient pas confiance.
Elle soupira de soulagement lorsqu'ils arrivèrent face à une grille qui s'ouvrit dès que le nordique s'en approcha. Il traversa une cour, contourna la statue en son centre, et ouvrit la porte d'une haute tour d'un coup d'épaule franc sans lâcher Liinwen. A l'intérieur du bâtiment de pierre, une grille semblable à celle de l'entrée se dressait face à eux. Yngvar tourna aussitôt à gauche, poussa une nouvelle porte, qui masquait un escalier étroit. Il le gravit quatre à quatre, de toute évidence pressé d'arriver au sommet. Liinwen, dans ses bras, ne bougeait pas. Elle se demandait où il l'emmenait.
La réponse à sa question muette arriva bien vite une fois que le nordique eut posé le pied au sommet des marches. Il pénétra dans une immense pièce circulaire, au centre de laquelle un somptueux jardin intérieur s'épanouissait. De multiples plantes rares, luminescentes, colorées et étranges poussaient, éclairés par quelques cristaux brillants. Liinwen en fut émerveillée.
Le nordique ne lui laissa toutefois pas le temps de contempler davantage les végétaux et contourna des étagères, jusqu'à une table d'alchimiste devant laquelle se tenait un homme de haute stature. Il se tourna vers les nouveaux venus et permit ainsi à la jeune altmer de distinguer son visage. Des yeux écarlates, une peau de la couleur des cendres. Un elfe noir, sans aucun doute.
— Yngvar, qui m'amène-tu là ? demanda-t-il, les sourcils froncés.
— Maître Savos Aren, haleta le nordique, j'ai trouvé cette jeune fille inconsciente sur la plage, un peu à l'écart de Fordhiver. Elle... elle prétend avoir connu la guerre des Alliances et ne se souvenir de rien au-delà de la deuxième ère.
Le dunmer la dévisagea, aussi surpris qu'intrigué.
— Venez par ici, indiqua-t-il au bout de quelques instants.
Il les emmena jusqu'à un lit très simple, sur lequel Yngvar posa sa protégée. Liinwen le remercia d'un regard, tandis que l'archimage approchait un siège. Il s'assit face à la jeune femme.
— Comment vous appelez-vous ? lui demanda-t-il d'un ton courtois.
— Liinwen, répondit-elle, un peu sur la défensive.
Le dunmer lui adressa un sourire apaisant.
— N'ayez crainte, déclara-t-il avec calme. Personne ne vous fera de mal entre ces murs, et certainement pas Yngvar.
Un silence lui répondit. L'altmer voulait le croire, mais elle se sentait trop inquiète pour réussir à se détendre. Il continua donc ses questions, d'une voix douce :
— Racontez-moi ce qu'il vous est arrivé.
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