– Si tu tues tous ces loups, Noah, tu ne seras pas seulement maudit à jamais, et repoussé de tous les humains, mais...

Je m'arrêtai. Pourquoi n'arrivais-je pas à finir ma phrase ? Il fallait que ça sorte, que tout s'arrête ! Et j'avais enfin trouvé la raison pour laquelle je continuais de me battre. Je plantai mes yeux dans les siens, pris une profonde inspiration et lâchai tout dans un souffle :

– Tu me perdras, moi aussi. Pour toujours.

Après ma déclaration, Noah n'ajouta rien, et le silence entre nous devint lourd.

Ça y est, je l'ai dis. Et maintenant, j'en étais sûre : j'étais amoureuse. Pas amoureuse d'un monstre, d'un démon et d'un tueur. Mais amoureuse d'un jeune homme pas comme les autres qui n'avait pas hésité à essuyer mes larmes. Je ne savais pas comment un monstre avait atterri dans son corps et dans son âme, mais je savais que j'étais toujours amoureuse de Noah, et que je ferais tout pour l'aider comme il m'avait aidée, moi.

– Pourquoi maintenant ? chuchota Noah.

– Je... je ne sais pas, répondis-je sur le même ton.

Je baissai la tête un moment. Ce n'était pas par honte ni rien. Mais c'était comme si... comme si je me battais sans arrêt contre quelqu'un, comme Noah contre le monstre. Et je savais contre qui – ou contre quoi – je me battais : mes sentiments.

C'est à ce moment-là que se passa la deuxième chose la plus étrange de ma vie : après avoir été transformée en louve, je me transformai en humaine. Mais sans douleur, si vite que je ne vis rien arriver. Je remarquais juste, une fois humaine, que j'étais debout et que je pleurais, des larmes inondant mes joues.

Je m'étais formée une coquille pendant toutes les dernière année, une armure pour ne plus être faible. Mais le retour de mon ancien ami avait déchiré cette armure comme une simple feuille.

Ça faisait longtemps que je n'avais pas couru pour me défouler, que je n'avais pas pleuré en cachette. Et maintenant, je ne pouvais plus retenir mes larmes. La pression de ces derniers jours étaient si forte ! C'était un trop gros poids à porter. Je n'y arrivais plus. Je ne pouvais plus.

Noah s'avança vers moi. Arrivé à ma hauteur, je levais mes yeux pleins de larmes pour le regarder. Nous ne nous touchions pas encore, et je ne fis pas le premier pas pour retrouver ce sentiment de sécurité. C'est lui qui s'avança encore vers moi, et il me prit la tête pour la poser sur son épaule, comme il le faisait avant. Je le laissais faire, mouillant de mes pleurs son épaule nue. J'avais oublié à quel point son odeur fraîche et assez sucrée, un mélange de miel et de fleurs des bois, m'avais manquée ! J'inspirai profondément et me laissai aller.

Nous restons ainsi collés l'un à l'autre longtemps, sans bouger. Je nous revoyais, tous les deux, à l'ombre d'un chêne, parlant de tout ce qu'il se passait mal dans la vie, mais je me revoyais aussi lui courir après quand il me taquinait. C'était si beau ! Si paisible... mais nous avions changé...

– Rien ne sera plus comme avant, dis-je en le regardant.

Je savais qu'il pensait à la même chose que moi. Nous avions été si proches que sans même parler, nous savions ce que l'autre ressentait. Mais nous avions été écartés pendant longtemps, si longtemps... et je ne pouvais plus savoir ce que pensait Noah.

Ce-dernier ne dit rien. J'essayai de me reculer pour voir son visage mais il resserra ses bras autour de mes épaules. Puis il pressa doucement ses lèvres sur mon front, comme il le faisait avant quand il voulait que je sache que tout aller bien se passer, que tout allait rentrer dans l'ordre. Mais comment dire ça, alors qu'il avait un démon en lui, et que je pouvais me transformer ?

– Oh Jay ! murmura mon ancien ami à mon oreille. Tu m'as tellement manquée. Je suis vraiment désolé pour tout ça. Me pardonneras-tu un jour ?

Il se décala légèrement pour pouvoir me regarder dans les yeux. Ceux-ci, auparavant rouge, étaient devenus presque vert-gris.

– Je ne sais pas, répondis-je en affrontant son regard. Je n'arrive même plus à savoir si tu es encore mon ami. Pourquoi as-tu disparu ? Pourquoi m'as-tu laissée seule ?

– Je... Jay, je n'avais pas d'autre choix... il...

Il cherchait ses mots, ou alors il ne savait pas quoi répondre.

– Jay, je n'ai jamais voulu me séparer de toi, je ne voulais pas partir. Mais le démon...

Il ne put finir sa phrase : ses traits se déformèrent à cause de la douleur. Je sus qu'il combattait le monstre en lui pour qu'il ne prenne pas le pouvoir sur sa volonté. Je posai doucement une main sur son épaule. Peu à peu, ses muscles se détendirent et il me regarda.

– Dans tout les cas, saches que moi, Noah, j'ai été, je suis, et je serais ton ami. Pour toujours. Et je t'aiderais.

– Alors dit à Daïkan d'arrêter de tuer, fais tout ce que tu peux pour l'empêcher de massacrer la meute. Prouve-nous que toi, tu n'es pas un démon. Prouve-nous que tu es un homme.