Chapitre XXXVIII - Ma neige
Jungkook était arrivé là où il s'était juré d'aller.
- Bonjour, monsieur Jeon, se présenta-t-il. J'ai rendez-vous avec Madame Sunny.
Là où il lui avait juré d'aller.
- Oh, monsieur Jeon, oui. Vous... vous êtes venu seul ?
Et la sensation extatique qu'il ressentait ne trouvait sa comparaison que dans les montagnes russes.
- Je le suis.
Ça montait, lentement. Rien ne pouvait plus l'arrêter. Le bruit des rails avait beau être effrayant, et les secousses du wagon terrifiantes, ça continuait de monter.
- Euh, très bien. Je vais prévenir Sunny.
Plus d'une fois, Jungkook n'avait plus su s'il voulait descendre de ce manège infernal en marche ou s'il aurait donné n'importe quoi pour qu'il grimpe plus vite afin de découvrir ce qui l'attendait tout en haut.
Et il y était désormais.
Proche du tout en haut.
Il effleurait son but.
- Elle a un peu de retard.
Après tout ce qu'il avait traversé, son wagon arrivait enfin au sommet.
Autant dire que son stress n'avait d'égal que son impatience et que les tremblements de sa main qu'il avait posée sur le comptoir de l'accueil n'avaient rien à voir avec l'éventuel manque d'alcool.
- Vous pouvez l'attendre là-bas, à la première porte à gauche. Vous y trouverez son assistante.
Jungkook remercia l'hôtesse puis s'aventura alors dans ce couloir couvert de dessin enfantin.
Des petits soleils, des grosses étoiles, une énorme lune, des nuages roses. Pas de pluie ici, mais de la neige. Petits flocons qui tombent en hiver pour adoucir la solitude et aiguayer le froid. Fragile et délicat.
Distrait par la fresque, il passa devant une porte et toqua à la seconde.
Sans réponse, il entra prudemment. Son regard balaya la salle et s'arrêta en croisant celui d'une enfant. Elle portait une robe en tulle et était sagement assise, une poupée de chiffon sur les genoux.
- Bonjour. Tu dois être l'assistante de madame Sunny, en déduit-il, amusé.
La fillette ne lui répondit pas. Elle s'empressa plutôt de reprendre sa poupée dans les mains afin de l'animer. Jungkook sourit à sa réaction. Il trouvait que les enfants farouches étaient adorables malgré eux. En réalité, il les trouvait tous adorables. Taehyung avait pour habitude de lui faire remarquer que s'il s'entendait mieux avec eux qu'avec les adultes c'était parce que son enfant intérieur était encore très présent. Ce qu'il lui avait parfois valu le surnom affectueux de "sale gosse".
Il alla s'asseoir à côté d'elle, prenant néanmoins soin de laisser un siège vide entre eux afin de respecter l'espace dont elle semblait avoir besoin.
Curieuse, la petite fille tourna rapidement la tête vers ce fauteuil libre et, en le faisant, ses yeux croisèrent enfin ceux de Jungkook qui n'attendait que ça. Il lui sourit comme pour lui prouver qu'elle n'avait pas à avoir peur de lui. Mais la fillette ne lui sourit pas en retour. Sa bouche s'ouvrit plutôt à demi et elle le dévisagea comme jamais personne ne l'avait dévisagé auparavant. Durant cet échange singulier, Jungkook put observer à quel point ses cheveux de jais et ses lèvres couleur fleur de cerisier faisaient ressortir la pâleur naturelle de son teint.
La fillette baissa ensuite les yeux sur sa poupée. Ceux de Jungkook suivirent.
- Comment elle s'appelle ?
- C'est la princesse Kaguya.
La petite fille avait un accent japonais qui le faisait fondre. N'ayant pas pratiqué cette langue depuis ses études, Jungkook décida de poursuivre la conversation en coréen, en parlant lentement et en faisant un effort de prononciation.
- Une princesse ? Génial, sourit-il. Et toi, tu t'appelles comment ?
La fillette pinça ses lèvres avant de parler.
- Yuki.
Jungkook posa ses coudes sur ses cuisses afin de se pencher un peu vers l'avant.
- Et est-ce que toi aussi tu es une princesse, Yuki ?
Elle secoua la tête, les yeux fermés. Un sourire qu'elle essayait de retenir naissait sur ses lèvres.
- Tu es sûr ? fit-il mine de s'étonner en se redressant.
Elle opina, la bouche toute serrée pour s'empêcher de rire
- Vraiment ? J'aurais juré que tu en étais une pourtant !
- Nonnn, rit-elle enfin.
Jungkook remarqua avec attendrissement qu'il lui manquait les deux dents de devant. Elle devait avoir entre cinq et sept ans.
- "Yuki" doit vouloir dire princesse ! revendiqua Jungkook.
- Non et non, chantonna-t-elle en secouant la tête de droite à gauche en rythme. Ça veut dire neige !
Jungkook fronça exagérément les sourcils.
- Neige ? Tu es sûre ?
- Oui !
Avec un sourire mutin, Jungkook se pencha sur le côté et parla doucement comme pour faire d'elle la complice d'un doux secret.
- Eh bah tu sais quoi ? Je trouve ça encore plus joli que princesse.
Le rire de la fillette s'évanouit, laissant place à un doux sourire et des petites roseurs sur ses joues. Elle leva ses yeux pleins de candeur vers Jungkook et détailla son visage sous toutes les coutures, avec l'innocence et le droit qu'on octroie aux enfants. Son inspection finit, elle se prononça.
- Tes yeux sont tristes. Mais tu es joli.
Jungkook pouffa en baissant le regard un instant. Il se sentit désolé que sa peine se voit mais fit de son mieux pour ne pas le montrer. A la place, il sourit à ce compliment aussi inattendu que sincère.
- Et, toi, tu es très jolie. Comme ton prénom. Le mien, c'est Jungkook.
Elle grimaça sans retenue. Jungkook plaça son poing sur sa hanche.
- Quoi ? Tu n'aimes pas ?
- Je sais pas trop. C'est un peu... bizarre, s'exprima-t-elle. Mais je suis contente, Jungkook-san.
- À quel sujet ?
Elle haussa vivement les épaules en caressant les cheveux en laines de sa poupée.
- J'avais peur que mon nouveau papa fasse peur, mais tu ne fais pas peur du tout.
Les traits du visage de Jungkook se lissèrent et, à son tour, il dévisagea Yuki comme il n'avait jamais dévisagé personne. Il secoua imperceptiblement la tête dans son état d'étonnement profond.
- Non, je... - Je ne suis pas ton nouveau pa...- Je suis..-
- Monsieur Jeon ?!
La porte venait de s'ouvrir brusquement. Les regards de Yuki et Jungkook étaient dorénavant rivé sur la femme qui venait d'entrer.
- Vous êtes là ! soupira-t-elle, rassurée. Je vous attendais dans la pièce d'à côté !
Elle s'alarma ensuite en voyant la fillette près de lui et s'adressa à elle en japonais. Jungkook se concentra pour saisir le sens de ces mots mais tout ce qu'il réussit à comprendre était qu'elle devait rester sage.
- Veuillez me suivre, s'il vous plaît.
Jungkook obéit, complétement désorienté. À peine sorti de la pièce, il s'adressa à celle qu'il avait maintenant compris être la véritable assistante de Sunny.
- Cette fillette, est-ce que..- Est-ce qu'elle...
Il ne put s'empêcher de se tourner vers Yuki et, à travers la porte entrouverte, elle lui sourit. Jungkook sut alors qu'elle l'était. Cette fillette, elle ne pouvait être que son ticket pour le bonheur.
- Monsieur Jeon, soupira la femme d'un ton embêté. Sunny vous attend dans son bureau et elle...- Je suis désolée, mais vous feriez mieux d'oublier Yuki pour le moment.
Jungkook hocha la tête même s'il savait qu'il n'allait pas être en mesure d'obtempérer cette fois-ci. L'assistante toqua à une porte puis l'ouvrit pour lui.
- Monsieur Jeon, bonjour, se fit-il accueillir. Asseyez vous je vous prie.
Il salua et remercia cette femme dont la voix l'avait bercé durant des semaines, écoutant inlassablement le message qu'elle avait laissé sur son répondeur.
Il prit place sur une des deux chaises positionner face à son bureau et défit le bouton de sa veste de costume une fois installé. Bien que Sunny le regardait avec insistance, elle ne disait rien. Jungkook se racla la gorge, avança un peu sa chaise et regarda autour d'eux avant de briser la glace.
- Euh, je... est ce que vous voulez que je me présente ou...?
- Non, dit-elle en croisant les mains devant elle, le dos bien droit. J'aimerais savoir pourquoi monsieur Kim n'est pas là.
- Mon mari est...
Jungkook tira sur le col de sa chemise.
- Il est souffrant.
- Souffrant ? répéta la femme d'un ton dubitatif.
- Oui, madame.
Elle décroisa ses mains et les plaça à plat contre son bureau
- Eh bien j'espère pour lui qu'il est à l'article de la mort !
Les yeux de Jungkook se plissèrent.
- J'vous demande pardon ?
Sunny se leva en soufflant. Elle admira les diplômes, dessins et autres cartes de remerciements qui ornaient les murs de son bureau.
- Savez vous combien de dossiers nous traitons ici chaque jour, monsieur Jeon ? Combien de parents ont le même rêve que vous ?
Bien qu'il sentait qu'il n'allait pas aimer où ces questions l'emmenaient, il y répondit.
- Beaucoup, j'imagine.
- En effet ! J'ai vu des familles adoptantes franchir ces portes avec de la fièvre, des béquilles ou même faire de l'autostop après une panne de voiture. Mais ! en quinze années de carrière, je n'ai encore jamais vu quelqu'un ne pas daigner venir à cause d'une maladie quelconque, et encore moins sans passer un coup de fil au préalable.
Sans attendre, elle referma le porte document qui était ouvert sur son bureau. Quand Jungkook lut les noms Kim et Jeon inscrits sur cette pochette, il paniqua.
- Qu'est-ce que vous faites ?
- Je vais remettre votre dossier sur liste d'attente.
- Mais, je.. -
- Votre demande est toujours effective, mais je dois vous rencontrer, vous et votre époux. Je suis désolé, monsieur Jeon. Nous vous appellerons pour reprogrammer un autre rendez vous.
- Non, attendez, vous ne pouvez pas faire ça ! protesta Jungkook en quittant son siège.
- Monsieur, s'il vous plaît..-
Il plaça ses deux mains vers ses oreilles, comme s'il n'arrivait pas à écouter car il n'arrivait plus à réfléchir.
- Non, écoutez moi. La dernière fois... ça a pris des mois ! Et je... je n'ai pas des mois devant moi.
Sunny prit une moue surprise et confuse.
- Que voulez-vous dire ?
Que le temps lui était compté, d'une certaine façon. Que ses mensonges avaient une date limite et que celle-ci serait dépassée à la fin de la semaine. Que, donc, la prochaine fois, il serait dans l'illégalité totale en plus d'être toujours seul. Car Taehyung n'allait pas guérir. Taehyung n'allait jamais revenir. Son manège s'était arrêté, figé dans la glace, et jamais il ne redémarrerait.
- Rien... répondit-il d'une voix blanche.
Le regard de la femme s'attarda sur lui quelques secondes avant qu'elle ne reprenne son air distant.
- Si vous désirez vraiment adopter, vous patienterez.
Il la regarda attraper son dossier, le cœur affolé.
- Est-ce que Yuki va être adoptée par quelqu'un d'autre ? Voulut-il savoir.
Le mal qu'il ressentait à cette idée était inédite.
Sunny ferma les yeux et soupira, navrée.
- Voilà pourquoi les rencontres ne se font normalement qu'après le passage dans mon bureau. Ça évite... ce genre de cas de figure, et les déceptions qui vont avec.
Elle pinça ensuite ses lèvres entre elles, le dossier que Jungkook ne quittait pas des yeux toujours entre ses mains.
- Yuki va retourner à l'orphelinat. Elle est l'enfant qui vous est attribuée mais si des parents adoptants venaient a en faire spécialement la demande, elle pourrait l'être par quelqu'un d'autre que monsieur Kim et vous. Je suis désolée, monsieur Jeon. Mais l'adoption n'est pas à prendre à la légère. Ça demande du temps et de l'investissement. Si monsieur Kim venait encore à être absent lors de notre prochain rendez vous, votre demande sera définitivement rejetée.
Le bruit sourd de leur dossier se faisant écraser par un multitude d'autres fut la dernière chose que Jungkook entendit clairement.
Alors qu'il était sorti de lui-même dehors, il avait l'impression que le bâtiment l'avait jeté à la rue.
Jungkook en était là. De retour à une vie qu'il avait espéré pouvoir mettre derrière lui.
Les cliquetis des rails s'étaient arrêtés. Le wagon avait atteint le sommet et était arrivée la chute libre tant attendue et redoutée.
Mais où étaient le reste des rails ?
Il n'y avait qu'un grand vide.
Où était ce bonheur qu'il devait ressentir ?
Jungkook en était là. A ce moment où le sentiment d'injustice se heurte à l'impuissance et à quand la souffrance qui en résulte devient tout bonnement insupportable.
Au seuil du bâtiment, il n'entendait plus que sa respiration abrupte. Ça gonflait dans sa poitrine, comme un cri de rage qu'il n'arrivait pas à extérioriser. Il en avait pourtant envie. Oui. En pleine rue, Jungkook avait envie de hurler. Peut-être pour qu'on lui vienne en aide, peut-être pour qu'on vienne l'achever. Mais il n'y arrivait pas. Il savait de toute manière que son cri de désespoir aurait été inutile. Trop occupé, le monde qui l'entoure n'aurait rien entendu d'autre que le vacarme de la grande avenue.
Ça avait toujours été ainsi après Taehyung.
Ça avait toujours été ainsi avant Jimin.
Jimin.
Jungkook sentait que cette fois-ci, il allait y être trop profondément pour s'en sortir. Et il était hors de question de faire vivre l'enfer à un ange tel que lui.
Jungkook en était là. Seul et de nouveau perdu. Il ne savait plus où aller mais il savait cependant où il n'irait plus et là où il ne devait plus aller. Il avait promis à Jimin de l'emmener avec lui ailleurs s'il s'en sortait, mais il y avait eu un si. Et ce si venait d'arriver.
Jungkook en était là. Désespéré. Il sentait ses démons se précipités alors qu'il n'avait plus nulle part où aller se réfugier.
Il y a peu, il avait cru avancer. Mais, maintenant, il se demandait si, depuis tout ce temps, il n'avait pas fait que de tourner en rond. Quoiqu'il en était, il ne tournait plus du tout à présent.
Le carrousel s'était arrêté.
Et Jungkook en était là. Apeuré pour lui et terrifié pour elle.
Car quand le manège s'arrête et que les chevaux s'immobilisent, les enfants rejoignent leur papa et leur maman. Mais sa neige à lui n'avait pas de parent.
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