Le paysage était blanc. Les oiseaux volaient dans le ciel, paisiblement. Lorsqu'ils déployaient leurs ailes au-dessus de l'eau, c'était comme si des silhouettes d'anges dansaient sur les flots. Jungkook s'était fait la réflexion en les voyant surplomber l'océan.

Il était assis, pieds nus sur le sable tapissé de flocons entassés. C'était cette même plage où il s'était rendu avec Jimin fut un temps, mais la neige la recouvrait avec parcimonie, la rendant méconnaissable et plus douce. Infiniment plus douce. 

Jungkook souriait en écoutant le rire de son enfant, Yuki. Neige, en japonais. Sa neige. La leur. 

Elle jouait au ballon avec Jimin, riant au éclat lorsqu'elle ratait son tir avec son pied, criant de joie lorsqu'elle y parvenait. Jungkook pouffait de tendresse chaque fois, attendri au plus profond de lui. Sa petite footballeuse avait encore fait des progrès. Il voulait les rejoindre - il allait les rejoindre - mais attendait un appel important avant. Alors il patientait en les admirant. Sans jamais se lasser, pas une seule seconde.

Son téléphone sonna et il répondit à celui qui était devenu son associé.

- Oui, Minhyuk ? dit-il en décrochant. 

- Monsieur Jeon, le procès est terminé. On a gagné, lui appris son ancien stagiaire avec fierté.

Jungkook ferma les yeux pour s'imprégner de la bonne nouvelle. Justice avait été rendu, son agresseur ne resterait pas impuni pour avoir attenté à sa vie et violenté de Jimin. Il remercia son associé puis lui posa une question :

- Comment s'est débrouillé notre stagiaire ?

- Il s'est très bien débrouillé, lui répondit Minhyuk dans un sourire audible. Pas vrai, Hoseok ?

Jungkook sourit à ça puis raccrocha peu de temps après. 

- Appa ! l'appela Yuki alors qu'il approchait. Regarde !

Elle tapa dans le ballon avec son pied, si fort qu'il rejoignit le bord de la mer.

- C'est super ! s'émerveilla Jungkook en courant vers eux.

Il prit sa fille dans ses bras et la fit tourner sous le ciel clair comme l'eau. Jimin ramassa le ballon et rit tendrement en les voyant ainsi, la poitrine gonflée de chaleur malgré le froid. C'était le bonheur, tout simplement. Et peut-être qu'il était plus intense pour eux, parce que le malheur était passé. Sans pluie, pas de fleur.

Jimin les rejoignit avec le ballon et Jungkook se perdit en les observant. Parfois, il semblait un peu effacé, mais, en réalité, il était juste émerveillé par l'amour qui brûlait en lui quand ils les regardaient. Jamais il n'aurait pensé pouvoir renaître si beau, mais Jimin - même s'il ne faisait rien de plus qu'être lui-même - avait suffi à le changer et à faire de lui celui qu'il était aujourd'hui. Un homme comblé. 

Un père.

La neige recouvrait cette plage, telle un drap blanc qui voile de vieux meubles, les protégeant de la poussière et du temps qui passe. Leur fille en faisait de même pour eux. Elle gardait leurs souvenirs intactes, perceptibles en relief, ensevelis sous une couche de douceur, comme pour n'en garder que le plus beau. Yuki portait bien son nom.

Jungkook écoutait les cris des oiseaux et le bruit des vagues se mélanger aux voix de Jimin et de leur enfant. Ils chantaient, accroupis dans les grains de sable cachés sous les flocons. L'ivresse qu'il ressentait toujours quand leurs voix s'unissaient en chanson, entonnant cette comptine océane tenue de la mère du blondinet, lui donnait des envies d'éternité.

Jungkook et Jimin aimaient venir ici avec Yuki, qu'il pleuve, vente ou neige comme aujourd'hui. Ces moments à trois étaient si précieux pour eux. Leur manège tournait enfin dans le sens des aiguilles du monde.

Les vagues sont blanches comme neige lorsqu'elles se brisent, les flocons deviennent eau lorsqu'ils fondent. Yuki, elle était ce lien qui faisait que la mer et le ciel se touchaient enfin. Elle était le trait d'union entre deux rêves.

- Hyung ?

La voix de Jimin au loin fit sortir Jungkook de ses pensées. Il le regarda marcher vers lui. Le blondinet n'avait plus rien de ce garçon paumé qu'il avait un jour rencontré sur un trottoir esseulé. Il était dorénavant un homme qui avait trouvé son chemin, qui n'était plus perdu depuis que Jungkook et lui avaient créé leur ailleurs. Il lui restait néanmoins ses allures angéliques et ses yeux rêveurs.

- Est-ce que ça va ? demanda Jimin.

Une question qu'il n'était plus effrayé de poser.

Jungkook l'attrapa par la taille et posa son front sur le sien. Les amas de buée qui sortaient de leurs bouches semblaient s'enlacer.

- Oui, parfaitement bien, lui répondit Jungkook avant de l'embrasser.

Oui, Jungkook allait parfaitement bien. Parce que la jouissance des moments partagés avec sa fille et l'homme qu'il aimait l'envoûtaient plus que tous ces moments qu'il ne partagerait jamais avec lui. Il avait trouvé l'équilibre. Être trois, c'était l'apaisement de l'esprit et la renaissance d'un cœur. C'était des promesses qui ne faisaient pas mal et le bonheur enfin retrouvé.

Le baiser cessa et Jimin posa sa tête contre le torse de Jungkook, se laissant bercer dans la chaleur de ses bras, tous deux regardant dans la même direction : Yuki. Elle souriait tellement, cette fillette sorti de l'orphelina.

Dans ces moments-là, il arrivait à Jungkook de regarder le ciel et de remercier la vie de lui avoir donné la possibilité d'en faire encore partie. Et sa vie, c'était eux. Jimin et Yuki. Sa famille.

Après avoir accompli le rituel de la température de l'eau avec leurs pieds, le couple laissa la petite fille faire des anges, le dos dans le sable et les flocons. L'air devenait plus réfrigérant et sec, à faire cuire les joues et craqueler les lèvres. Froide chaleur qu'est la neige. Petite étoile gelée tombée du ciel, qui colore les jours gris en blanc. Une merveille.

- Elle est merveilleuse, notre fille, s'exprima Jungkook.

Jimin entrelaça ses doigts avec ceux de Jungkook et leurs yeux se dirent "je t'aime".

- Rentrons à la maison, murmura Jimin.

Alors ils rentrèrent chez eux, dans cette maison de Busan où Jimin avait grandi en rêvant d'y fonder une famille, avec ses volets verts jadis écaillés qu'ils avaient depuis repeins, celle dont le jardin n'était plus à l'abandon et où les fleurs se permettaient d'éclore à nouveau, tout comme le faisait le rire d'un enfant. 

***

La nuit était tombée, l'enfant était couchée.

Jimin aimait poursuivre l'écriture de son livre en fumant sur la cigarette de Jungkook pendant que lui travaillait. Il avait pour désir d'écrire des histoires qui donnent de l'espoirs aux enfants, des histoires qui finissent bien, des contes dans lesquels on peut se blottir pour oublier la réalité. Il voulait que les rêveurs voyagent dans des contrées lointaines, quand tout le monde dort depuis longtemps, quand il ne reste plus que le murmure des pages que l'on tourne dans le silence de la nuit. 

Lorsque Jimin écrivait, il finissait souvent par se perdre en regardant Jungkook, comme maintenant. Alors il faisait des pauses, recommençait ses phrases, caressait les cheveux de Jungkook, prenait son stylo et écrivait des mots doux sur sa peau.

Jungkook sourit à ses caresses et abandonna l'idée de travailler en attirant Jimin sur ses genoux, l'entraînant dans un baiser profond, sa main fouillant dans le doré de ses cheveux. Jimin s'y laissa entraîner, faisant danser sa langue avec la sienne de façon passionnée. 

Les lèvres envieuses et rougies se séparèrent le temps que Jimin mette le torse de Jungkook à nu. Le blondinet effleura alors de ses doigts la cicatrice sur le ventre de l'homme qu'il aimait.

La plaie était fermée, elle avait pris une teinte pivoine. Cette blessure, c'était un instant que Jungkook n'oublierait jamais, pas comme étant celui où il avait cru perdre la vie, mais celui où il avait appris à l'aimer. Il guida la main de Jimin vers son cœur, comme pour qu'il en ressente chaque battement. Ils lui étaient dédiés puisque, s'il s'en était sorti, c'était grâce à lui.

Ils commencèrent à faire l'amour, écrivant le désir sur leur nuit blanche. Jimin donna tout à Jungkook, que ce soit assis sur lui ou à genoux devant lui, ses lèvres l'auréolant de délices. Jungkook était comme toujours envouté par sa beauté, il se perdait au fond de ses yeux comme il le faisait au fond de sa gorge, puis il s'occupa à son tour de lui. Il s'attarda, fit durer le plaisir avec ses doigts ; le prépara, avec soin, en l'embrassant à pleine bouche, sans manquer de lui dire à quel point il aimait ça.

Il le porta ensuite et le prit là, à quatre pattes sur le rebord du lit. Il donna tout à Jimin. Il aimait qu'il lui confit des gémissements qu'il n'avait encore jamais confié à personne. Ses mains se ravissaient de son corps. La peau de Jimin était parfaite, son visage angélique, sa voix céleste... Malgré toutes les indécences auxquelles il se livrait, demeurait en lui une forme de pureté. Comme quoi, un ange reste un ange, même quand il se livre à la débauche. 

La jouissance fut divine, à l'image de leurs cœurs satisfaits.

Allongé dans le lit, Jungkook endormit à ses côtés, Jimin se remémorait le passé. Il n'en avait rien oublié. Il était de ces hommes qui sont fait de leurs souvenirs ; pas de ceux qui tournent la page, mais de ceux qui les écrivent.

Il se rappelait des étoiles dans le ciel et de celles qui brillaient dans leurs yeux quand ils se regardaient. Il se rappelait des espoirs qu'il avait vu éclore sans y croire, au beau milieu des nuages de fumée de cigarette, pressé par l'orage qui grondait fort dehors. Il se rappelait de toutes ces fois où Jungkook avait manqué de se foutre en l'air en venant s'envoyer en l'air, jusqu'à ce que la dernière goutte de pluie ait séché sur le trottoir. Tout ça jusqu'à la mer. Puis, maintenant, jusqu'à la mort.

Jimin finit par se blottir contre Jungkook en fermant les yeux, ce dernier le serra fort dans ses bras en retour. 

- Je t'aime, Jimin, murmura Jungkook, à moitié endormi.

Ils entendirent ensuite Yuki les appeler depuis sa chambre. La petite avait fait un cauchemar. Jimin allait pour se lever, mais Jungkook l'invita à se rallonger.

- Laisse, j'y vais.

- D'accord, murmura le blondinet en retour.

Le temps se faisant long, et s'inquiétant que Yuki ne trouve plus le sommeil, Jimin finit par sortir du lit pour rejoindre Jungkook dans la chambre de leur fille. Il poussa doucement la porte puis s'arrêta en entendant la voix grave de Jungkook parler d'un ton doux.

- Demain, on ira voir tonton Bogum. Et tu pourras jouer avec Iseul.

- Et avec Bae-Taehyung aussi ?

- Oui, mais c'est encore un bébé, tu sais ?

Au petit souffle attendri de Jungkook, Jimin se mordit la lèvre pour s'empêcher de rire. Yuki devait faire sa moue boudeuse, celle qui faisait fondre Jungkook comme neige au soleil.

- Tu l'aimes beaucoup, hm ? demanda Jungkook à Yuki.

- Oui, il porte le nom de mon étoile préférée.

Jimin ferma les yeux. Nombreuses avaient été les conversations sur Taehyung, il en était d'ailleurs à l'origine de centaine. Quant à Jungkook, il avait pensé qu'il souffrirait toute sa vie en parlant de lui, mais c'était avant de se mettre à en discuter avec Yuki, avant d'entendre Jimin conter des histoires sur lui, parlant d'anges et d'étoiles. Et puis, Yuki aimait qu'ils lui parlent de ce troisième papa devenu étoile, celui qui veillait sur elle - sur eux - depuis le ciel, et Jungkook ne lui refusait jamais rien. Sa princesse.

Jimin tira la porte pour la refermer doucement, leur laissant ce moment d'intimité.

****

Yuki s'était rendormie, mais Jungkook n'avait plus sommeil. Il était sorti dehors pour fumer une cigarette, mais c'était trompé en prenant ce briquet qui ne fonctionnait plus et que Jimin refusait de jeter. Alors il était juste là, sous le cimetière d'étoiles, les yeux rivés sur une seule d'entre elle.

Jungkook ne pleurait pas, mais il lui arrivait de le faire parfois. Ça ne faisait rien. Il pouvait supporter quelques larmes de temps en temps. Il y avait des jours où continuer sans lui le bouleversait encore, mais il était guéri. Il pouvait sourire en pensant à lui, et aussi sourire en n'y pensant pas. Parler de lui ne lui faisait plus rien, ou seulement du bien. Il pouvait croiser son odeur sans avoir l'impression qu'il allait s'effondrer. 

Il pouvait vivre sans lui.

- La vue doit être bien belle de là-haut, parla-t-il aux nuages.

Jungkook n'était pas bien sûr d'où se trouvait Taehyung maintenant, mais il espérait qu'il le voit. Qu'il voit toutes les promesses qu'il avait tenu. Le déni était acceptable, mais seulement le temps d'une conversation avec son étoile.

Il avait accepté sa mort.

Ses pensées de Taehyung étaient des toiles tissées aux quatre coins des murs de son esprit. De ce fait, il pensait à lui souvent. Au passé, pas à l'avenir. Jungkook l'aimait nostalgiquement. Il ne cherchait plus son défunt mari. Il savait où le trouver. Il n'avait qu'à fermer les yeux pour le voir l'espace d'un instant. Finalement, Taehyung ne l'avait jamais vraiment quitté. Il était toujours là, à sa manière, et, dans ses souvenirs, il vivrait à tout jamais.

Jimin était sorti dehors, emmitouflé dans son chandail. Il regardait la silhouette de Jungkook, tournée vers le ciel et éclairée par la lune. Il alla le rejoindre et passa ses mains autour de sa taille, son dos accueillant son torse. Jungkook attrapa ses bras pour le faire serrer plus fort et ils regardèrent en silence ses étoiles à qui ils aimaient parler, ses étoiles qui les avaient aidé et guidé.

Jimin se détacha ensuite de Jungkook et s'éloigna en jetant un coup d'œil complice au ciel, laissant Jungkook entre ses mains. Il n'y avait ni jalousie ni crainte. Jungkook ne lui permettait de toute façon jamais de douter de son amour, car comment ne pas aimer éternellement la personne qui donné un sens à votre vie ? 

S'il y a bien une chose que Jungkook avait appris sur le trottoir d'en face, c'était que rien ne sauve de la mort, mais que l'amour peut sauver la vie. Il suivit Jimin à l'intérieur, tournant le dos au ciel pour le reste de la nuit.

Un jour, ils iraient toucher les étoiles. Mais, avant, ils allaient vivre.

FIN

<3