« Tu devrais peut-être à songer à reprendre ton travail à l'usine, déclara Balthazar à Maxence.

— Hum.

     Ils marchaient tous les deux côte-à-côte, les mains dans les poches, dans la rue. L'albinos haussa les épaules pour toute réponse.

— Je sais que tu n'es pas bavard de base, Maxence, mais tu es encore plus silencieux qu'avant.

— Je... Je suis juste un peu fatigué en ce moment, c'est tout.

— Tu travailles où exactement ?

— À Pax Omnis.

     Les sourcils de Balthazar se froncèrent légèrement.

— C'est le bâtiment moche en verre avec les Normaux ?

— Oui, c'est... Je n'ai pas vraiment le droit d'en parler. Mais oui, je travaille avec des Normaux.

— Maxence, on ne travaille jamais avec des Normaux. Quelque soit la situation, on travaille toujours pour eux.

— Non, là c'est différent, et ils l'ont déjà prouvé !

— Ah oui ? Et comment ?

— Eh bien en... Non, je n'ai pas le droit d'en parler.

— Si tu dis que tu œuvres pour les Supers, je me sens un minimum concerné.

— Ça ne fait qu'une semaine que je travaille à Pax Omnis, mais j'ai déjà vu le papier officiel stipulant que le loyer des logements Super allait se stabiliser et régresser. Alors imagine ce que ça sera dans six mois.

— Six mois ?

— C'est la durée de mon contrat.

— Maxence... Ce sont des Normaux. Dans six mois, ils te promettront de nouvelles choses, et après, ça sera dans six mois, et toujours dans six mois... Rien ne changera, Maxence. Ils te mènent par le bout du nez en te montrant de légères modifications. Je suis sûr qu'il y a d'autres moyens de changer la donne.

— Qu'est-ce que tu en sais ? s'énerva Maxence, je me suis fais agressé dans les toilettes de ta boite et j'aurai été coupable devant un tribunal parce que je défendais Hughie !

— Et tu préfères travailler avec des Normaux, comme celui qui t'a agressé plutôt que de régler le problème autrement ?

— Au moins, j'essaye de faire quelque chose, répondit sèchement Maxence.

     Balthazar soupira.

— Maxence, tu devrais te ménager un peu. Vraiment.

— Je me ménagerai une fois que l'équilibre sera rétabli. Pour une fois dans ma vie, j'ai l'impression que je peux faire quelque chose pour équilibrer tout ça ! Alors je m'en fiche des conséquences, mais en ce moment, je travail avec Pax Omnis, et je ferai un sorte de changer les choses !

     Maxence sembla réaliser à quel point il venait d'hausser le ton et souffla en se pinçant l'arrête du nez.

— Je... Désolé, je ne voulais pas m'énerver. Je suis juste un peu fatigué, c'est tout.

— C'est rien, soupira Balthazar.

     Ils se regardèrent dans les yeux quelques secondes.

— Je vais rentrer et aller dormir. À une prochaine fois.

— Méfie-toi de Pax Omnis, Maxence. »

     L'albinos hocha la tête avec une lassitude non-dissimulée et il tourna les talons.

———————

     Trois semaines plus tard, Maxence essuyait pour l'énième fois un filet de sang (bien plus mince que lors de ses premiers entrainements) avec le revers de sa manche.

     Durant ces trois dernières semaines, il n'était pas retourné dans le quartier des Supers. Il sentait qu'il s'était amélioré. Il se sentait en meilleure forme physique et ses douloureuses séances de sport étaient moins intenses pour lui. De cela avait découlé une bien meilleure résistance dans les locaux de Pax Omnis, ainsi qu'une nouvelle découverte de son Super.

     Il pouvait en effet souler l'équivalent de son poids ; malheureusement, plus il était dans une bonne forme physique, plus il était puissant. Il ne suffisait donc pas qu'il s'empiffre jusqu'à la fin de ses jours pour être plus fort, en somme, même si ça l'aurait bien arrangé.

     Même lui s'en rendait compte ; sa silhouette avait lentement commencé à se changer. Dans son miroir, il observait ses biceps se dessiner de façon plus prononcée, et de légers abdominaux commençaient à apparaitre. De même, il était moins fatigué et son niveau de sociabilité s'était quelque peu amélioré. Il semblait entretenir de meilleurs rapports avec les Normaux, et ces derniers ne semblaient plus avoir aussi peur de lui qu'avant.

     Il n'avait pas croisé Balthazar depuis, et grand bien lui en fasse, il ne voulait pas avoir à se justifier devant lui. Après tout, tout se déroulait parfaitement bien ici. Certes, ses horaires étaient un peu stricts, tout comme son alimentation, mais il voyait peu à peu le fruit de ses efforts apparaitre devant ses yeux.

     L'albinos se méfiait toujours des Normaux, mais moins de ceux de Pax Omnis.

     Durant ces trois dernières semaines, de nombreux braquages avaient eu lieu. Deux autres banques avaient été braquées ; certes moins importantes financièrement que celle du premier attentat, mais cela représentait une grande partie de l'économie Normale. Les criminels n'avaient pas été identifiés, mais tout portait à croire que c'était des Supers qui avaient fait le coup. Il aurait été impossible que des Normaux aient pu écraser et réduire en morceaux les poignées de porte et couper toutes les alarmes de sécurité par leur simple force d'esprit.

     Maxence aurait été sur place, si jamais il avait encore travaillé de nuit. Malheureusement, la nuit du braquage, il dormait à point fermé et d'un sommeil profond. Il aurait très bien pu demander à Balthazar des informations, mais il n'avait vraiment pas envie d'affronter son regard houleux et rempli de reproches. Il se contenta de garder ses théories pour lui, et de suivre consciencieusement le programme d'entrainement.

     Ses journées de repos, l'albinos les passait enfermé dans son logement. Au fil des semaines, il l'avait décoré, embelli et arrangé à sa sauce. Il fallait dire qu'avec sa nouvelle paye, et grâce à la liasse de billets offerts par Maryse, il avait eu largement de quoi couvrir toutes ses courses. On lui avait donné un badge qu'il portait en permanence en dehors de son logement ou des locaux de Pax Omnis. Ce badge, orné du logo de l'organisation, lui donnait libre accès aux supérettes Normales, ou à divers lieux. Certes, les Normaux le regardait toujours de travers, mais ils se taisaient lorsqu'ils voyaient son badge.

     Mais alors qu'il espérait commencer une nouvelle semaine visiblement vierge de tout problème, Maryse se présenta à lui lorsqu'il passa la porte de Pax Omnis. Ils se regardèrent dans les yeux durant plusieurs secondes, Maryse affichant toujours son sourire, et Maxence la fixant avec un air dubitatif.

« Oui ? tenta de demander Maxence au bout d'un moment.

     Maryse frappa une fois dans ses mains, comme elle avait l'habitude de faire.

— J'ai une grande nouvelle à vous annoncer, déclara-t-elle.

— Oh. Les salaires Supers redeviennent raisonnable ?

— Euh... Non, pas encore.

— Les supérettes Normales sont ouvertes aux Supers.

— ... Non plus...

— Alors l'accès aux soins médicaux est ouvertes aux Supers ?

— Euh...

— J'imagine que ça ne doit pas être une si grande nouvelle que ça, alors...

— Si, Maxence, ça reste une grande nouvelle, je vous l'assure ! Durant ces trois dernières semaines, vous avez énormément progressé ! Et... Il est temps que vous rencontriez les autres !

— ... Les autres ? »