CHAPITRE QUATRE
CHAPITRE QUATRE
L'un de mes plus gros défauts est ma contradiction. Ma mère ne cessait de me le répéter depuis que j'étais enfant. Je pouvais être une personne joviale, un vraie rayon de soleil et quelques heures plus tard être une vraie tombe, froide et colérique. Je détestais l'injustice mais manquais parfois de justesse avec moi-même. J'aimais le blanc et le noir, j'étais sociable et solitaire, j'étais peureuse mais ne manquais aucune occasion de jouer avec ma vie.
Je n'avais donc aucun mal à vouloir être cette fille forte qui porte sa voix après un viol, qui blâme le coupable et se relève, continue sa vie comme elle a toujours voulu le faire et n'a pas peur du regard qu'on pourrait lui lancer si on savait ce qu'elle avait vécu et en même temps, vouloir me terrer dans un silence constant, m'abattre sur moi-même et laisser une nouvelle version de moi-même prendre place et terrasser l'ancienne. C'est exactement ce qui s'est passé après que ces quatre types ai pris mon innocence. Je voudrais être cette fille qui endosse son viol avec force, indépendance et justice mais je me laisse si facilement prendre par mes propres émotions que ça m'est impossible. J'ai essayé. Pendant deux ans j'ai essayé d'être cette fille parce que je voulais être de toute mon âme mais ce n'est pas aussi simple qu'il n'y parait. Vous devez surement vous dire « en soit ce ne doit pas être si compliqué que ça de parler de son viol, de blâmer les coupables et de prendre les devants sur la situation ». Je le sais parce que je tenais exactement le même discours avant que ça ne m'arrive. Puis c'est arrivé. Et ma vision a bien évidemment changé. Parce que je me suis rendue compte que si, c'était compliqué. Rien n'avait jamais été aussi difficile que d'affronter la réalité dans les yeux, d'accepter le sort et de s'exprimer. Il y a quelque chose d'étrange qui se passe dans votre cerveau après un viol. Vous vous rendez coupable de la situation. C'est certainement dû au jugement de la société sur ce sujet mais c'est réel. Il m'arrive encore de croire que c'est de ma faute, parce que c'est comme ça qu'on nous fait sentir.
«Quelle tenue portiez-vous le soir de l'agression ? », « Étiez-vous consciente ? », « Aviez-vous consommer de la drogue, aviez-vous bu ? », et j'en passe. Comme si le fait que j'ai bu de l'alcool pouvait excuser le comportement du violeur, des violeurs.
Mon reflet ne renvoie toujours pas l'image que j'aimerais voir. Je dois y être depuis une bonne heure devant ce fichu miroir. Pourtant rien ne change. Mon regard reste le même sur ce corps que j'ai tant aimé détesté. Rien ne change. Je vois toujours la même Nova mais rien ne retient celle d'avant et c'est effrayant. Mes côtes sont visibles sous ma fine peau halée, mon ventre se creuse à force de ne pas recevoir dose suffisante, des petites traces blanches recouvrent ce dernier. La seule chose qui rattrape ce désastre sont mes cuisses, elles sont restées intactes dans ce cauchemar. Je me raccroche à ça comme à la lueur d'espoir que je vois au bout du tunnel. Si toutefois il y a en a un.
J'ai rendez-vous dans une heure au Joe's&Cie et je ne sais toujours pas quelle décision prendre. Quand j'ai annoncé à ma mère que j'avais trouvé du travail elle m'a simplement demandé dans quoi c'était et quand elle a appris la réponse elle a simplement acquiescé la tête. Bien évidemment un bar n'était pas assez noble pour notre famille. J'aurais du suivre des études de chirurgienne ou d'ingénieur. Bien sur. Je n'aurais pas du être violée, je n'aurais pas du tomber dans un cauchemar vivant, je n'aurais même pas du vivre. Mais je suis là alors autant en faire quelque chose.
Il est vingt heure pile et je me retrouve une nouvelle fois devant cette porte vieillotte. Le bar ne paie pas de mine de l'extérieur mais sa réputation parle pour elle-même. Tous les étudiants se retrouvent ici à la fin des cours, les ados en âge de boire aussi et pas mal de trentenaire en mal d'amour. Comme la première fois je bloque devant ne prenant toujours aucune décision. J'ai déjà fait le plus grand pas en venant jusqu'ici. Je suis venue à pied car bien évidemment je n'ai pas de voiture. Du moins mes parents m'en ont payé une mais je ne sais plus conduire. Je devrais pouvoir sans soucis rouler jusqu'ici mais le risque ne me tentait pas aujourd'hui.
- Bonjour, interpellé-je la jeune femme derrière le comptoir.
Je suis rentrée. Un nouveau pas. Génial je pourrais encore en ajouter dans mon super journal de la rédemption de Nova Parker. Je pourrais m'apparenter à un nouveau né avec toute cette merde. Chaque jour est un apprentissage de la vie et de ce qui l'entoure. Comme si je n'avais encore jamais appris à marcher et que je devais me lancer dans un marathon. « Comme le vélo » j'entends dans un coin de ma tête la voix de Mme Jonas.
- Salut, je te sers quoi ma jolie.
- Euh, je suis Nova Parker j'ai rendez-vous avec Tara Anderson...
- Oh oui, elle t'attends dans la réserve, viens suis-moi.
Elle me traine derrière le comptoir avec elle et me fait traverser le petit couloir qui mène à la réserve si j'en crois les cartons remplis de bières et autres boissons. Assis sur une table dans le fond, celle que j'imagine être la responsable se lève d'un bond me rejoignant. Elle me serre dans ses bras une demie seconde avant de me regarder avec joie. Oulà, le côté tactile je suis pas fan mais pourquoi pas.
- Nova je présume ?
- C'est bien moi.
- Parfait, tu es bien plus jolie que je le pensais, rie-t-elle gentiment.
Ok, elle parait un peu cruche de premier abord mais elle n'a pas l'air méchante. J'ai créée des tas de mécanismes pour appréhender les gens. Je sais reconnaitre un lourd d'un séducteur, une cruche d'une pétasse, un fanfaron à un Einstein.
Je suis capable de séparer quelqu'un de dangereux à quelqu'un qui ne l'est pas. Et c'est une vraie force maintenant. Mme Jonas dit que c'est normale cette « caractéristique » chez moi. Je tente simplement de me méfier des gens comme je peux après ce que j'ai vécu. J'évite le danger.
- Tu es prête à commencer ? Rien de compliqué, Anna, Gary et Tim seront là pour t'aider de toute façon mais aujourd'hui c'est moi qui vais t'initier.
Elle m'emmène à son tour de là où je viens et nous place derrière le comptoir. Je me souviens bien trop vite de Tim, celui que j'ai percuté avant de franchir un nouveau pas à rajouter à ma collection.
Tara passe presque une heure à me détailler le métier de barmaid avant de me laisser aux mains de la présumée Anna. Ce qu'elle confirme avant de me montrer une table en face de nous.
- Je ne sais pas si tu es habitué aux gros lourds mais ici tu y passeras forcément. Par malheur Dieu nous a muni d'un vagin alors nous devons faire face.
Si elle savait. Je ne peux qu'acquiescer commençant à angoisser sur la suite des choses. Je savais bien qu'en venant ici j'allais mettre directement un pied dans le grand bain mais maintenant que j'y suis l'eau me brûle les poumons. Mais comme elle dit, heureusement que Dieu m'a muni de répartie.
- Alors il existe toute sorte d'échappatoire quand tu te retrouve dans l'une de ces situations. Tu peux rentrer dans leur jeu si tu es du genre séductrice, souris simplement pour être polie ou fait toi respecter tout en étant bien sûr très courtoise. Et si jamais les choses dégénérer il nous reste Tim et Gary qui ne manqueront pas une occasion de casser deux trois gueules.
Je tente de retenir toutes les informations en hochant vigoureusement la tête. Je ne suis pas sûre d'avoir tout suivit parce que la seule partie que j'ai retenu est que des hommes vont certainement me faire chier et pourquoi pas m'agresser. Je frissonne à cette pensée que je mets rapidement de côté.
Tout se passe bien jusque-là. Pas de mots de travers, pas de regards insistants, pas de mains baladeuses, pas d'agression. J'ai subi quelques requêtes avenantes de certains clients mais j'ai tenu le coup. Je crois que ce n'est pas aussi difficile qu'il n'y parait finalement. Je pensais vomir à la moindre vision d'un homme me regardant mais finalement leur parler ne me gêne plus autant. C'est même plutôt rigolo de parler aux gens. Je sais, on dirait une ado de quinze ans sortant pour la première fois en soirée. Et au fond c'est comme ça que je me sens. Je redécouvre tous les aspects de la vie sociale et ce n'est pas si terrible que ça.
Alors que je reviens d'une table d'ado, j'aperçois derrière le comptoir le garçon de l'autre soir, Tim. Je reconnais ses cheveux bruns mordorés , sa peau claire, son statut qui m'avaient fait si peur lorsqu'il s'était retrouvé derrière moi.
- Salut, lance-t-il quand j'arrive à leur hauteur, Nova pas vrai ?
J'hoche la tête incapable de parler soudainement mal à l'aise par sa présence.
- Ravi de te revoir.
Son regard insiste quelques instants sur moi, un sourire en coin puis finit par reprendre son torchon sur le comptoir pour nettoyer le reste des verres. Merde alors, il se souvient de la cruche qui lui est rentrée dedans avant de devenir rouge pivoine en lui serrant la main. Heureusement pour mon égo il n'a pas essayé de m'approcher ou de me toucher.
Je reste en retrait laissant Tim et Anna discuter et rire tout en servant quelques clients. Le bar est tranquille ce soir, les soirs de semaine ne sont jamais aussi plein que le vendredi ou samedi soir. Je m'en réjouis, pour un premier jour je préfère que tout ce passe de cette façon. Je ne suis pas débordée, pas apeurée, je peux faire mes petits pas tranquillement. Anna m'encourage à plusieurs reprises ne manquant pas de me faire remarquer que je me débrouille super bien pour un premier soir. Je suis plutôt fière de moi à vrai dire. Je ne pensais pas que je réussirais si aisément cette épreuve et pourtant j'en viendrais presque à remercier Ella d'avoir déposer mon CV sans mon autorisation. Les clients sont sympas, l'équipe est accueillante et bienveillante avec moi-même Gary qui arrive plus tard quand viens mon tour de prendre une pause. J'attrape une bouteille d'eau et la barre de céréales dans mon sac et pars vers l'arrière du bâtiment. Le froid léger m'accueille et je le prend avec plaisir. Je ferme les yeux, tête vers les étoiles. Même si mes parents n'ont certainement pas fait attention, mon prénom est merveilleux. J'ai toujours aimé porter ce prénom, Nova. L'astronomie m'a toujours plus au moins intéressé, peut-être grâce à ce prénom d'ailleurs. J'aimais me dire que j'étais une étoile et qu'un jour je serais une supernova. La mort d'une étoile. Mes parents ne sont certainement pas assez aimants pour avoir penser à la signification mais je me l'a suis créé toute seule. J'avais l'impression d'être un peu plus unique que les autres, d'être différente. Finalement ça m'allait bien, j'étais toujours hors des cases. Je n'étais jamais vraiment rentré dans une catégorie, mes contradictions me tenaient fermement. Un jour j'étais la cheerleader que toutes les filles jalousaient, le lendemain j'étais la penseuse compulsive du fond de la classe et la semaine d'après j'étais la fille froide et bizarre qu'on ne voulait pas approcher. Alors mon prénom m'allait bien.
Supernova.
- Salut, une voix m'interpelle de l'encadrement de la porte arrière.
Je me retourne sur le qui-vive et trouve Tim appuyé sur le chambranle de la porte verte rouillée. Il m'observe passant du ciel à mes yeux. Il a dû voir que je regarder les étoiles. À tel point que je ne l'ai pas entendu arriver.
- Pardon je ne voulais pas te déranger, je voulais seulement m'assurer que tu avais trouvé la sortie.
- Comme tu peux voir, je souffle en faisant un geste des mains.
Froide vous avez dit ? Certainement mais au moins je ne fais pas semblant. Interagir avec les Hommes n'est pas mon fort, ça ne l'a jamais été à vrai dire. Avant je savais me forcer mais je n'en ai plus envie. Je me sens tout de même gênée d'avoir répondu ainsi alors qu'il essayé d'être gentil avec moi. Je me suis tant répété que l'humain était mauvais que j'ai généralisé la chose et je réserve le même sort à tout le monde, surtout aux hommes. Mais comme le répètent Mme Jonas et Ella je dois faire des efforts. Brûler cette dernière partielle.
- Tu déteste tant que ça les êtres vivants ?
- Seulement les êtres humains, réponds-je malicieuse.
- Mmh mmh je vois.
Il continue de m'observer s'approchant doucement. Je n'ai pas peur. J'ai peut-être fait plus de pas que prévu finalement. La présence d'un homme si proche ne m'effraie plus comme avant. Mme Jonas je prie pour que vous voyez ça.
- Elles au moins elles ne parlent pas, ils murmurent maintenant assis à côté de moi levant les yeux vers le ciel.
Il parle des étoiles. Ok, il remonte peut-être dans mon estime et en même temps il redore l'image que j'ai des humains.
- Si tout le monde était comme elles, je rétorque le regarde toujours fixé sur les étoiles.
- Tu veux que je me taise, il rit doucement.
- Non pardon...non ce n'est pas...
- T'en fais pas, je commence à cerner le personnage.
M'excuser, un nouveau pas que j'ajouterais dés ce soir à mon palmarès. Je serai prête à donner beaucoup à ce type pour me faire autant avancer en si peu de temps. Il n'a aucune idée de ce que je suis entrain de faire en discutant avec lui. Je suis normale. Deux personnes discutant pendant leur pause travaille en plein milieu de la nuit. Tout ce qui n'était plus ma normalité depuis deux ans.
- Imagine un iceberg, je commence dans un ton explicatif, ça y est ?
Il hoche la tête pas certain de la chute.
- Voila, maintenant tu as cerné le personnage.
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